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Guerre et paix en Ukraine : ni pacifisme béat, ni union sacrée atlantiste !
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Guerre et paix en Ukraine : ni pacifisme béat, ni union sacrée atlantiste ! – En Avant Le Manifeste
Les vies menacées et les souffrances du peuple ukrainien et du peuple russe exigent une mobilisation internationale de grande ampleur pour un cessez-le-feu, le retrait des troupes russes et des engagements sur une Ukraine indépendante et non alignée, c’est-à-dire hors de l’OTAN et d’une tutelle russe.
Les ies menacées et les souffrances du peuple ukrainien et du peuple russe exigent une mobilisation internationale de grande ampleur pour un cessez-le-feu, le retrait des troupes russes et des engagements sur une Ukraine indépendante et non alignée, c’est-à-dire hors de l’OTAN et d’une tutelle russe.
La gravité de la situation présente et l’urgence d’imposer une désescalade guerrière ne sont pas une raison pour oublier le temps long sur lequel s’est formé le terreau propice à l’aventure guerrière et criminelle décidée par Poutine.
Il faut remonter le temps à la réunification de l’Allemagne au cours de l’année 1990 et à la dissolution de l’URSS en 1991, où les conditions posées par Gorbachev ont été foulées aux pieds par les dirigeants occidentaux, dans un objectif d’intégration future de l’Est européen et de la Russie à un ensemble dirigé par les États-Unis. Une application politique de la « fin de l’histoire » théorisée par Francis Fukuyama, c’est-à-dire un monde dans lequel n’apparaîtraient plus de nouveaux modèles d’organisation sociaux, politiques ou économiques autres que le capitalisme associé à des démocraties dites « libérales ».
Le deuxième élément structurel de longue période est la crise systémique du capitalisme mondialisé. La crise de rentabilité du capital aiguise les concurrences intercapitalistes sur les ressources et les débouchés. La guerre économique États Unis-Chine, l’objectif américain de débrancher l’Europe du gaz russe ne sont pas sans liens, bien au contraire, avec la montée calculée des tensions.
Enfin, l’évolution politique en Ukraine, en particulier depuis l’Euromaïdan, a conduit à des affrontements et un climat de guerre civile dans les territoires russophones qui, au de là même du non-respect des accords de Minsk, ont précipité les tentations séparatistes.
Il y a donc derrière cette guerre des enjeux de rapports de force et de réorganisation mondiale considérables, jusqu’au sein de l’Union européenne, où les peuples auraient beaucoup à perdre d’une avancée fédéraliste sous dominium américain.
Table des matières [Montrer]
40 années d’engagements non tenus sur la non-extension de l’OTAN à l’Europe de l’Est
Gorbachev avait posé comme condition à la sortie des pays de l’Est européen de la sphère d’influence soviétique et à la désintégration de l’URSS qu’aucun de ces États ne rejoigne l’OTAN. Certes, il n’y a pas eu de traité en bonne et due forme. Interrogé sur cette absence, Gorbachev aurait répondu « qu’il pensait avoir à faire avec des personnes de confiance ». Quoi qu’on puisse penser de cette naïveté, il est vrai que les dirigeants occidentaux ont repris à l’envi pour rassurer les dirigeants de l’URSS puis de la Russie la célèbre assurance du secrétaire d’État américain James Baker s’agissant de l’OTAN : « pas un pouce vers l’est ».
Longtemps niés par les néoconservateurs Américains, ces engagements sont révélés par les documents déclassifiés américains, soviétiques, allemands, britanniques et français mis en ligne aujourd’hui par les National Security Archive de l’Université George Washington[1].
Les documents renforcent la critique de l’ancien directeur de la CIA, Robert Gates, selon laquelle « l’expansion de l’OTAN vers l’est [dans les années 1990] a été poursuivie avec insistance, alors que Gorbatchev et d’autres étaient amenés à croire que cela ne se produirait pas ».
Dans un article paru dans l’Humanité du 21 février 2022, Bruno Odent se fait l’écho d’une révélation du magazine allemand Der Spiegel, à partir d’un document émanant des archives britanniques où il apparaît que « des accords écrits ont bien été passés avec Moscou pour ne pas étendre la sphère d’influence et d’action de l’Alliance atlantique « au-delà de l’Elbe ». Il s’agit en fait d’un procès-verbal de réunion qui “fait part sans la moindre ambiguïté d’un engagement de Washington, Londres, Paris et Bonn à ne pas étendre l’Alliance atlantique vers l’Est. Une telle expansion serait « inacceptable », est-il dit explicitement”. Il est même précisé : « par conséquent, nous ne pouvons pas proposer à la Pologne et aux autres pays d’adhérer à l’OTAN. »
Bruno Odent rappelle : « Ces révélations soulignent les responsabilités plus que partagées du président états-unien, Joe Biden, de son secrétaire d’État, Anthony Blinken et du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, dans la montée actuelle des périls. Ils n’ont cessé en effet de mentir sur ce point affirmant que l’Occident n’aurait offert à Moscou aucune garantie sur le futur périmètre de l’Alliance atlantique. »
La décision d’élargir vers les pays d’Europe de l’Est par vagues successives est prise par l’administration Clinton au milieu des années 1990, et ratifiée par le Sénat. Cette option rencontre des critiques aux États-Unis mêmes : « Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison de faire cela. Personne ne menaçait personne. Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont graduellement réagir de manière hostile et que cela va affecter leurs politiques. » (George Kennan, ancien diplomate).
L’élargissement se réalise : ce sont en 1999 la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. Une autre vague d’expansion arrive en parallèle aux élargissements de l’UE en 2004 et 2007, avec sept pays d’Europe centraux, orientaux et riverains de la Baltique. Les membres les plus récents, l’Albanie et la Croatie, ont rejoint l’Alliance le 1er avril 2009, le Monténégro en juin 2017, la Macédoine du Nord en 2020.
Dès 2008, la question de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie est la question sensible des rapports entre la Russie et l’OTAN. Depuis la reconnaissance occidentale de l’indépendance du Kosovo, province serbe, et le déclenchement des bombardements contre la Serbie par l’OTAN, en violation du droit international, la Russie considère que cet acte prouve que l’élargissement de L’OTAN n’est pas un facteur de paix, mais de tension internationale.
En avril 2008, le sommet de l’OTAN à Bucarest acte le principe de l’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, mais repousse sine die leur accession, car la protestation de la Russie, estimant que « l’apparition d’un bloc puissant à nos frontières est considérée en Russie comme une menace directe contre notre sécurité », est relayée par la France et l’Allemagne. Ce sont ensuite des enchaînements très rapides qui exacerbent la tension : la suspension, par le président ukrainien Ianoukovich, sous-pression russe, du processus de signature de l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, le 21 novembre 2013 ; les manifestations de l’euromaïdan qui s’ensuivent et aboutissent à la destitution du président Viktor Ianoukovich le 22 février 2014 ; la prise du pouvoir par des groupes d’extrême droite, mais surtout un tournant pro-occidental et anti-russe de l’Ukraine. La Russie prend alors le contrôle de la Crimée, approuvée par référendum le 16 mars 2014 à 97 %. Les pays membres de l’OTAN décident le 1er avril 2014 de suspendre toute coopération pratique avec la Russie, d’établir des sanctions économiques, de renforcer « la coopération avec l’Ukraine », et de déployer pour la première fois des unités multinationales dans les nouveaux pays membres : les pays baltes, la Pologne, la Bulgarie et la Roumanie.
Les accords de Minsk, signés après de longues négociations le 12 février 2015 par la France, l’Allemagne, la Russie, l’Ukraine et les représentants des républiques séparatistes du Donbass, prévoyaient notamment l’arrêt des combats, une surveillance internationale de la frontière russo-ukrainienne, la démilitarisation de la zone de conflit et le retrait de l’Ukraine du matériel militaire, des forces armées et des combattants étrangers, ainsi qu’un statut d’autonomie aux républiques du Donbass. Ces accords, le gouvernement ukrainien n’en voulait pas, et il ne les a jamais appliqués, avec à l’évidence la complaisance américaine et celle de l’OTAN.
La suite récente, on la connaît : deux remarques s’imposent :
- Depuis 2014, qu’ont fait la France et l’Allemagne pour que les accords de Minsk soient respectés ? Quelles pressions sur les USA et le gouvernement ukrainien ? Qu’ont-ils fait pour bloquer la coopération militaire croissante de l’OTAN et l’Ukraine ? Rien apparemment, ou alors de façon inefficace. On mesure à quel point l’inclusion de la défense européenne dans l’OTAN (explicite dans les traités européens) rend la diplomatie européenne dépendante des choix américains. Emmanuel Macron disait encore dans une conférence de presse du 8 février 2022 : « les accords de Minsk sont la meilleure chance de protection de l’Ukraine », bel aveu d’impuissance.
- Sur l’annexion de la Crimée, jugée parfois un peu rapidement comme une première manifestation de « l’impérialisme russe », il s’avère nécessaire de prendre en compte l’ensemble des enjeux géostratégiques liés à la mer noire, qui concernent beaucoup de pays : les États riverains (Turquie, Bulgarie, Roumanie, Ukraine, Russie, Géorgie et Moldavie), l’Union européenne, l’OTAN, mais aussi les États-Unis. Une mer qui contrôle deux détroits (Bosphore et Dardanelles), par lesquels transitent des milliers de navires dont des pétroliers et méthaniers, traversée par des oléoducs et gazoducs, une mer sur laquelle est stationnée la flotte russe, dans la base militaire de Sébastopol, en Crimée, dont l’accord juridique jusqu’en 2042 devenait fragile après la destitution de Ianoukovich. Compte tenu de l’intérêt des entreprises américaines sur ces ressources énergétiques, la stratégie américaine dans la mer Noire est loin d’avoir été inactive depuis la désintégration de l’URSS. Elle a été de contrecarrer la Russie et son influence en soutenant directement des regroupements régionaux (1997, GUAM — Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) ainsi que les révolutions en Géorgie (2003, révolution des Roses) et en Ukraine (2004, révolution orange). Tandis qu’en Russie, avec le basculement dans un système capitaliste particulièrement prédateur, car dépourvu des institutions nées des luttes sociales qui existent dans les pays capitalistes occidentaux, les pouvoirs politiques successifs entendaient défendre âprement les intérêts financiers de l’oligarchie.
- Le rassemblement de l’armée russe à la frontière russo-ukrainienne était un signe précurseur inquiétant. En même temps, Poutine formalisait des demandes le 17 décembre 2021 dans deux projets de traités adressés l’un aux États-Unisur s, l’autre à l’OTAN portant la garantie qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’OTAN vers l’Est ni de déploiement des systèmes d’armement de l’Alliance atlantique près de la frontière russe. « Nous avons besoin de garanties juridiques, puisque nos collègues occidentaux n’ont pas respecté leurs obligations orales. » disait Poutine. Rien, absolument rien n’a été fait pour désamorcer l’escalade.
Il ne s’agit pas d’excuser Poutine qui a commis l’irréparable, mais de ne pas passer pour autant à la trappe le fait que les dirigeants occidentaux ont joué de leur côté la partition de la tension internationale.
La source de guerre dans la crise du capital financier mondialisé
Dans sa crise de suraccumulation, présente dans la sphère réelle et dans la sphère financière, le capital peine à trouver un rendement jugé suffisant, ce qui exacerbe toutes les concurrences : contrôle des matières premières et énergétiques, concurrences entre les hommes et les territoires sur les systèmes sociaux, fiscaux, concurrence sur les débouchés, dont la mainmise sur de nouveaux secteurs lucratifs, dans la santé, l’éducation, la dépendance, les loisirs.
La Chine est considérée comme le rival principal, et dangereux dans la mesure où son système mixte sous contrôle politique apparaît plus efficient que le capitalisme porté par les politiques néo-libérales. Les dirigeants américains veulent par tous les moyens affaiblir la Chine. Une guerre longue russo-ukrainienne mettant à genoux la Russie, et affaiblissant le pôle économique sino-russe en cours de constitution présente tous les avantages : ne pas gêner le commerce américain, qui ne dépend faiblement de ses échanges avec la Russie (moins de 1 % de ses exportations et moins de 2 % de ses importations) ; porter un coup à l’Union européenne, car la Russie est le cinquième partenaire de l’UE, avec une forte dépendance des hydrocarbures russes et notamment de son gaz (40 % des importations de gaz) ; contraindre ainsi l’UE à resserrer ses liens outre-Atlantique, à tous points de vue, militaire, économique
La question énergétique est évidemment un élément stratégique non négligeable, en particulier la question du gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie et l’Allemagne par la mer Baltique en contournant l’Ukraine et vient tout juste d’être terminé. Biden a fait pression sur l’Allemagne pour qu’elle renonce au projet, avec l’appui du gouvernement ukrainien qui bénéficie actuellement des frais de transit par les pipelines terrestres, et a demandé au gouvernement américain des sanctions vis-à-vis des sociétés allemandes et russes à l’origine de Nord Stream 2.
L’intérêt des sociétés occidentales comme Chevron, Exxon Mobil ou scholl, ainsi que les centaines d’entreprises sous-traitantes de forage et d’expédition est d’augmenter les exportations de gaz vers l’Europe, via des méthaniers et des terminaux portuaires, que la mise en fonctionnement de Nord stream 2 aurait forcément limitées. L’invasion de Poutine a entraîné la suspension de la procédure de certification de Nord Stream 2, et déjà l’Allemagne prépare des plans pour accroître le nombre de terminaux destinés à recevoir le gaz américain.Poutine, de son côté, place depuis plus de 20 ans son pouvoir au service des intérêts capitalistes russes auxquels il est lié, au prix de grandes souffrances sociales pour le peuple russe, et l’accompagne d’une idéologie nationaliste pan-russe, qui s’est appuyée sur les sentiments d’humiliation post-soviétique pour trouver un certain écho populaire.
La course aux armements est aussi l’aubaine pour le complexe militaro-industriel, de la fabrication d’armes à l’aéronautique, tandis que le contexte anxiogène réduit les résistances aux politiques d’austérité et aux sacrifices de niveau de vie imposés.
Il y a enfin la question monétaire, avec la montée en puissance de la zone d’influence du renminbi, la monnaie chinoise, actuellement monnaie de référence de pays qui pèsent pour 30 % du PIB mondial, et comprennent les pays « BRIC » (Brésil, Russie et Inde), des pays asiatiques, latino-américains, africains. C’est le deuxième bloc derrière le dollar (40 % du PIB mondial), et devant l’euro (20 %), selon des économistes du Fonds monétaire international. Cette progression se fait depuis une demi-douzaine d’années au détriment du dollar, et vient contester sa suprématie géopolitique et économique, au point que selon le FMI la transition d’un système monétaire bipolaire, dollar et euro, vers un monde tripolaire est engagée. Tout ce qui peut retarder cette évolution et maintenir l’hégémonie mondiale du dollar va dans le sens des intérêts du capitalisme américain.
La célèbre prédiction de Jaurès est une fois de plus d’actualité : « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage ».
La gestion politique de l’Ukraine depuis 2015
Les manifestations de l’euromaïdan renversent le gouvernement de Viktor Ianoukovitch en février 2014. Il était à la tête d’un pouvoir corrompu et a tellement voulu jouer au plus fin de la confrontation Union européenne/Russie qu’il s’est mise à dos les intérêts soutenus par les occidentaux en Ukraine et les groupes néonazis ultranationalistes. Lui succède Petro Porochenko, oligarque qui a fait fortune dans le chocolat, avec une alliance politique milieux d’affaires pro-occidentaux/groupes d’extrême droite. C’est alors la chasse aux sorcières pour les forces progressistes : le parti communiste interdit, des militants syndicaux et politiques de gauche réprimés. À Odessa, le le 2 mai 2014, une soixantaine de personnes meurent dans un incendie criminel à Odessa provoqué par les groupes fascistes. Les victimes ? Des militants de gauche, communistes, syndicalistes, opposants aux réformes du pouvoir. Aucune enquête judiciaire sérieuse ne sera lancée, et certains des auteurs du massacre participeront en toute impunité à la vie politique. Des rescapés de l’incendie seront incarcérés pour terrorisme. On est loin des valeurs démocratiques encensées par les médias.
À cela s’est ajoutée la corruption du pouvoir, maladie endémique des pouvoirs en Ukraine.
Au lieu d’appliquer les accords de Minsk, arraché au gouvernement ukrainien par François Hollande et Angela Merkel, mais qui ne lui conviennent pas, pas plus qu’à Washington, c’est un climat de guerre civile qui s’installe à l’est du pays, dans les républiques du Donbass. C’est l’arrivée de gouvernements ultranationalistes qui nient la culture russe dans ces territoires russophones, interdisent son usage et son apprentissage, et, au lieu de mettre fin aux combats et protéger les personnes à l’est du pays, engagent une guerre violente contre les séparatistes du Donbass qui fera 14 000 à 15 000 morts, selon les sources. Des commandants de groupes néonazis, comme le bataillon Azov, sont nommés à la tête des forces armées ukrainiennes officielles, pour les mater.
Impopulaire, Perochenko est battu à plate couture en 2019 par un comédien, Volodymyr Zelensky qui lance sa candidature sur le mode du gag au cours d’une émission. Sa notoriété lui vient de ce qu’il a interprété dans une série télévisée le rôle d’un homme politique intègre qui combat la corruption ! Élu en promettant de retrouver l’équilibre politique entre Union européenne et Russie, il va en fait s’inscrire dans la continuité politique du pouvoir précédent, sous l’influence de l’oligarchie proeuropéenne et de la diplomatie européenne. Si l’extrême droite est battue aux élections législatives, et s’oppose à Zélenski parce qu’il est juif, elle continue à être active et peser dans le sens d’un ultranationalisme ukrainien.
C’est dans ce contexte que Zelenski se range du côté occidental, en n’appliquant pas plus que son prédécesseur les accords de Minsk, en recherchant l’appui des États-Unis pour mettre un coup d’arrêt au gazoduc Nord Stream2, en renforçant la coopération militaire de fait avec l’OTAN, y compris par la présence de conseillers, et en maintenant l’objectif d’une entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Des pays membres de l’OTAN, bien avant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, lui ont livré des armes, comme la Pologne, la Lituanie et la Turquie, avec pour cette dernière une livraison importante de drones.
Les gouvernements ukrainiens successifs depuis 2014 ont pris leur part dans la montée des tensions internes et aiguisé au lieu d’apaiser les tentations séparatistes de républiques du Donbass.
Derrière la guerre, les enjeux d’une réorganisation du capitalisme mondial
Les rapports Russie-Ukraine
Quelle qu’en soit l’issue, cette guerre accélère des processus en cours qui montrent à quel point Poutine, au-delà du recours inacceptable à la guerre et de la violation du droit international, a fait une erreur stratégique majeure, car ces processus vont tous dans le sens du resserrement diplomatique, militaire et idéologique d’un bloc occidental autour des États-Unis et l’attisement d’un prétendu choc des civilisations.
Au moment où sont écrites ces lignes, l’issue militaire est incertaine, entre résistances galvanisées dans les villes, progression difficile des troupes russes, premières négociations russo-ukrainiennes avec volonté réelle ou pas d’aller au cessez-le-feu.
Mais on peut d’ores et déjà anticiper une volonté accrue de la population ukrainienne de l’Ouest et du Sud de rentrer dans l’Union européenne, soutenue d’ailleurs bruyamment par une partie de la gauche française, et donc symétriquement une volonté accrue d’indépendance des Républiques du Donbass.
On voit difficilement la Douma revenir sur sa déclaration de reconnaissance de leur indépendance. L’objectif de maintenir l’intégrité territoriale de l’Ukraine semble être en décalage croissant avec la réalité politique du pays, et c’est pourtant la seule voix de la paix. L’UE va promettre monts et merveille à l’Ukraine, qu’elle ne tiendra pas pour l’attirer et tenter de redorer un blason mis à mal par la crise existentielle qu’elle traverse.
Quels seront les effets sur la Russie ? Il est vraisemblable que l’oligarchie va chercher à remplacer Poutine si ses intérêts sont trop malmenés par les sanctions, et qu’une confrontation politique importante aura lieu entre les tenants d’un rapprochement avec la Chine et ceux qui, après cet échec politique probable de l’invasion en Ukraine, pencheront pour des liens économiques plus forts avec l’occident.
Les effets sur l’Union européenne
Les conséquences sur l’Union européenne sont une accélération de tout ce que Macron, fondé de pouvoir de la finance, portait dans son projet : un saut fédéraliste sans précédent, politique, économique, militaire avec une défense intégrée, grâce à laquelle il espère doper une industrie française en difficulté sur les productions civiles. Un crochetage politique qui permettra de mieux imposer aux peuples les sacrifices liés aux sanctions et à aux politiques d’austérité qui seront pratiquées pour faire payer le « quoiqu’il en coûte » et augmenter les budgets militaires. Ce chemin politique de fuite en avant dans l’intégration sera paré de toutes les vertus d’une indépendance européenne retrouvée, tant sur les approvisionnements, l’énergie, l’industrie, que sur la défense, alors que cette rupture des liens avec la Russie va au contraire se solder par une subordination croissante aux multinationales américaines et à la stratégie du Pentagone.
Une donnée nouvelle s’installe au niveau mondial : un choc énergétique peut être comparable à celui de 1973. L’OPEP a adopté une position de neutralité par rapport au conflit et refusé de s’associer de fait aux sanctions occidentales contre la Russie en augmentant sa production de pétrole. Un baril à 120-125 dollars… et d’un litre d’essence à 2 euros deviennent des hypothèses plausibles. L’arme dite « nucléaire » du blocage des transactions Swift pour priver 7 banques russes (qui pourrait s’élargir aux banques qui réalisent les règlements monétaires des ventes de gaz) sans doute été maniée avec légèreté par les gouvernements américains et européens, car il s’avère aujourd’hui qu’elle perturbe gravement le marché international et bloque la quasi-totalité des importations de gaz et de pétrole de Russie qui devaient échapper en principe aux sanctions. Par ailleurs, le blocage des ventes de devises en provenance de la banque centrale russe a fait chuter le rouble et laisse prévoir une accélération de l’inflation très pénalisante pour le peuple russe.
Avec l’envolée du prix du gaz, qui détermine en Europe celui de l’électricité, les prix de l’énergie sont de 10 fois supérieurs à la « normale » et auront des effets considérables. sur la consommation des ménages et la production des entreprises. Avant même le début de la guerre en Ukraine, des entreprises d’aluminium, de papier, d’engrais chimiques avaient déjà renoncé à certaines productions, estimant impossible de faire face à une telle hausse de leurs coûts de production. Ce rationnement volontaire de l’offre risque de s’amplifier.
L’explosion du prix des matières premières agricoles et des produit alimentaires de base (engrais, céréales, huiles, lait), amplifiée par la guerre est de nature à provoquer des pénuries par manque de semences ou coûts devenus trop élevés. Des difficultés d’accès aux produits alimentaires vont se multiplier, pour les pays pauvres et pour les personnes les plus pauvres des pays riches.
D’où la perspective macroéconomique d’une accélération durable de l’inflation sous ces chocs multiples, d’une stagflation (association de l’inflation et de la stagnation économique) se transformant même en récession mondiale sous l’effet d’un éclatement des énormes bulles financières et immobilières actuelles. L’économie mondiale, nous en avons souvent décortiqué les aspects systémiques, est assise sur un baril de poudre. Poutine a allumé la mèche, et la précipitation irréfléchie des gouvernements occidentaux sur les sanctions économiques larges, non ciblées sur seuls oligarques, a rajouté quelques tonneaux au brasier.
Et le Moyen-Orient ?
L’actualité énergétique met en lumière une donnée géopolitique nouvelle : les membres influents de l’OPEP que sont l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis ne répondent plus aux injonctions politiques américaines pour une raison économique évidente : devenus premier producteur de pétrole avec l’industrie à fracturation hydraulique, les États-Unis sont devenus un concurrent, ce qui conduit ses alliés traditionnels moyen-orientaux à un changement de cap : c’est un rapprochement avec la Russie, qui a rejoint le cartel OPEP+, et la Chine, qui, comme dans ses rapports commerciaux avec l’Afrique, a des pratiques de prix moins opportunistes et prédatrices que les multinationales occidentales avec des contrats de long terme, assurant une visibilité et des prix fixes.
Retour en arrière sur la décarbonation de l’énergie
Du fait de choix énergétiques désastreux, comme l’abandon de la nucléaire sous-pression des Verts en Allemagne, la production d’électricité en Europe est fortement dépendante des énergies fossiles, dont le gaz russe. Pour réduire ce lien économique avec la Russie, le chancelier Olaf Scholz vient de décider de la construction d’un port méthanier d’ici trois ans, où le gaz de schiste américain pourra être acheminé. Les vieilles centrales à charbon, qui émettent trois fois plus de gaz à effet de serre que les centrales à gaz, sont remises en route en Allemagne et en Europe centrale. Un formidable recul écologique, au moment où le GIEC publie un rapport très alarmant sur l’accélération du réchauffement climatique.
L’Europe est ainsi prise au piège des politiques néo-libérales nocives qu’elle subit depuis plusieurs décennies : aucune stratégie énergétique collective, en dehors de la mise en place du marché de l’électricité et de ses aberrations ; le renoncement à tout objectif de sécurité énergétique et à toute planification d’une transition vers une énergie décarbonée. La croyance qui l’a guidée, celle des bienfaits absolus de la « main invisible du marché », risque d’être très chèrement payée par les peuples européens.
Un renforcement de l’impérialisme américain ?
Les effets d’une déflagration économique mondiale n’épargneraient aucun continent, américain compris. Mais si heureusement cette hypothèse plausible ne se réalise pas, l’effet prévisible de la guerre en Ukraine est un renforcement de l’influence américaine, sur tous les plans : économique, diplomatique et militaire. Les pays européens vont payer très cher l’affaiblissement des relations économiques avec la Russie, en particulier sur le plan énergétique, au bénéficie des exportations américaines.
Du côté militaire et diplomatique, des tabous sur l’adhésion à l’OTAN sont en train de sauter, en Suède et en Norvège, et l’augmentation des budgets militaires européens, notamment la décision historique de l’Allemagne de consacrer 100 milliards d’euros (le double du budget français de la défense) vont permettre aux Pentagones de redéployer ses forces et ses moyens financiers sur son objectif stratégique majeur, l’Asie et le Pacifique, en vue de contenir l’influence de la Chine.
Enfin, l’affaiblissement, à travers une Russie exsangue, du pôle régional Russie-Chine en cours de constitution qui pouvait s’avérer porteur d’une dynamique de développement très forte et d’innovations dans les relations internationales, par exemple des relations plus équitables avec l’Afrique, assure les multinationales et les banques américaines de la prolongation d’un ordre du monde sous contrôle des intérêts américains et du dollar.
Œuvrer pour la paix et la sécurité
En même temps que la solidarité avec les Ukrainiens, ceux qui frappent aux portes européennes comme ceux qui restent, une solidarité qui pourrait faire reculer par les actes l’idéologie du repli et de l’égoïsme diffusé par l’extrême droite, en même temps que la condamnation sans appel de cette guerre et de Poutine, dont on voit à quel point elle est non seulement criminelle, mais se retourne contre les intérêts nationaux de la Russie, nous devons mener la bataille politique sur les conditions d’une paix durable en Europe.
Elles passent bien entendu par le soutien aux mobilisations puissantes pour un cessez-le-feu et l’arrêt de l’agression russe, mais aussi un soutien aux forces pacifistes russes et la condamnation de toutes les actions russophobes.
À contre-courant des voix qui réclament une aide militaire et les livraisons d’armes à l’Ukraine, il nous faut expliquer pourquoi l’enlisement dans une guerre longue ne fera qu’accroître les souffrances en Ukraine et conforter Poutine, qui ne pourrait être vaincu que par une intervention directe de l’OTAN et l’apocalypse d’une guerre mondiale, et le risque nucléaire qui va avec. Il ne sera contraint que par un isolement politique externe et interne.
À contre-courant aussi des Bruno Le Maire et autres va-t’en guerre économique qui s’inscrivent dans une logique maximaliste de sanctions économiques pour provoquer « l’effondrement de l’économie russe », nous devons prôner des sanctions ciblées sur les oligarques, et pas celles qui se retournent en premier lieu contre le peuple russe, et ensuite contre peuples européens.
A contre courant de l’irresponsabilité de tous les dirigeants politiques , de la présidente de la commission Ursula Van der Leyen à une majorité de députés européens en passant par des dirigeants de la gauche française comme Anne Hidalgo qui prônent une adhésion accélérée de l’Ukraine à l’Union Européenne, nous devons dire clairement que ce n’est pas du tout opportun, car alors, du fait de l’article 42-7 du traité européen de Lisbonne, l’intervention en Ukraine des forces militaires des pays de l’UE serait de droit, et pas extension celles de l’OTAN, et ce serait l’entrée inévitable dans un conflit mondial.
Les conditions de la paix et de la sécurité sont donc celles énoncées clairement par le Mouvement de la Paix :
– Après la cessation des actions de guerre, mettre en œuvre des accords de Minsk 2 qui impliquent le respect de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine avec un statut d’autonomie e des républiques du Donbass, dans un cadre multilatéral validé par l’ONU, l’OSCE, la Russie et l’Ukraine.
– L’octroi à l’Ukraine d’un statut de sécurité collective, d’indépendance et de neutralité, garanti par l’ONU, dont le conseil de sécurité, et par la présence sur le terrain d’une force d’interposition de l’ONU.
– L’arrêt des livraisons d’armes, conformément à l’article du traité sur le commerce des armes ratifié le 24 décembre 2014, interdisant la vente d’armes aux pays en guerre.
La paix ne se prépare pas avec des propositions guerrières, mais avec les armes de la paix.