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La gauche française et les sanctions économiques contre la Russie

Russie Ukraine

Lien publiée le 26 mars 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

La gauche française et les sanctions économiques contre la Russie - Révolution : Tendance marxiste internationale

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, les gouvernements occidentaux ont multiplié les sanctions économiques contre la Russie : gel des avoirs à l’étranger de la Banque centrale russe, exclusion des banques russes du système de communication financière « SWIFT », interdiction des nouveaux investissements dans le secteur de l’énergie en Russie, etc.

Malheureusement, ces mesures ont reçu l’approbation de la plupart des organisations de la gauche française. Il est vrai que les arguments avancés ne sont pas toujours exactement les mêmes. Par exemple, le NPA, le PCF et la FI ne justifient pas leur soutien aux sanctions de la même façon que le belliciste – et chantre de l’OTAN – Yannick Jadot. Il n’empêche que les dirigeants des Verts, du PS, du PCF, de la FI et du NPA soutiennent les sanctions contre la Russie.

« Arrêter la guerre » ?

L’un des principaux arguments avancés consiste à prétendre que les sanctions peuvent contraindre Poutine à limiter, voire à interrompre l’invasion de l’Ukraine. C’est notamment ce qu’affirmait Fabien Roussel à l’Assemblée Nationale, le 1er mars. Il y réclamait « des sanctions politiques, diplomatiques et économiques fortes afin de contraindre le président russe au cessez-le-feu, le forcer à s’asseoir à la table des négociations et à mettre un terme à son offensive ». De même, dans un texte publié le 2 mars sur le site du NPA, ses auteurs déclarent leur « soutien aux sanctions contre la Russie réclamée par la résistance ukrainienne, pour limiter la capacité de Poutine à poursuivre l’invasion en cours et sa politique belliciste en général ».

La propagande des impérialistes occidentaux ne dit pas autre chose. La seule différence, c’est que les impérialistes, eux, ne croient pas à leur propre propagande. Ils savent très bien que les sanctions économiques ne peuvent pas contraindre Poutine à arrêter la guerre. La Russie produit suffisamment de pétrole et de munitions pour son armée ; les sanctions n’auront aucun effet significatif sur son approvisionnement. Par ailleurs, des accords ont été signés, entre Pékin et Moscou, pour alléger le poids des sanctions – et pas seulement dans le domaine militaire.

De manière générale, il est ridicule d’imaginer que des « pressions économiques » puissent contraindre Poutine à arrêter la guerre. Le chef du Kremlin ne peut pas céder à de telles pressions, car ce serait un aveu de faiblesse qui précipiterait sa propre chute. Le prestige du régime et l’utilisation démonstrative de son opposition à l’Occident ont été des facteurs non négligeables dans le déclenchement de cette offensive, et ils vont continuer à peser en faveur de sa continuation – du moins tant que Poutine n’aura pas atteint des résultats qu’il jugera satisfaisants.

Des sanctions « pour faire tomber Poutine » ?

C’est l’autre argument avancé pour justifier les sanctions : en ciblant l’économie russe, elles contribueraient à mobiliser la population russe contre ses dirigeants. C’est notamment ce qu’affirme un autre article publié sur le site du NPA. D’après ses auteurs, « les conséquences probables des sanctions pourraient faire grandir le mécontentement de la population russe ».

A gauche, pour justifier les sanctions, l’exemple de l’Afrique du Sud est fréquemment mobilisé. Selon cette argumentation, la chute du régime raciste de l’Apartheid, au début des années 1990, aurait été obtenue par les mesures d’embargo et par l’exclusion de Pretoria de la majorité des institutions internationales, à partir du début des années 1960. Or, en réalité, l’exemple de l’Afrique du Sud montre précisément l’impuissance de telles sanctions. Durant les trois décennies d’embargo contre l’Afrique du Sud, de nombreux pays ont commercé avec elle, plus ou moins clandestinement. La France, par exemple, lui vendait des armes et même des composants pour son programme nucléaire militaire. Toutes les sanctions économiques peuvent être contournées, notamment en passant par des pays tiers. Non seulement les sanctions n’ont pas fait tomber le régime d’Apartheid, mais l’Afrique du Sud a mené des invasions militaires contre deux de ses voisins, durant cette période.

Par ailleurs, le régime d’Apartheid n’a pas été affaibli mais, au contraire, renforcé par les sanctions. La population blanche d’Afrique du Sud, dont une partie aurait pu être gagnée à la lutte contre le régime raciste, s’est sentie attaquée par les puissances étrangères et, en conséquence, a fait bloc autour de son gouvernement. Si l’apartheid a fini par s’effondrer, au début des années 1990, c’est suite à une insurrection révolutionnaire de la classe ouvrière noire, dans laquelle les « sanctions » n’ont joué aucun rôle notable.

Il y a bien d’autres exemples aboutissant aux mêmes conclusions. Après la guerre du Golfe, les sanctions imposées à l’Irak ont fait plus de 500 000 victimes, durant les années 1990, sans que le régime en soit affaibli. L’impérialisme américain a dû envahir le pays, en 2003, pour faire tomber Saddam Hussein – ce qui a eu pour effet de déstabiliser toute la région et d’aggraver énormément les souffrances de ses peuples.

Tout ceci est assez logique. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, les sanctions sont des mesures de guerre économique visant la Russie et frappant, en premier lieu, les masses russes. Celles-ci peuvent voir clairement qui impose les sanctions, à savoir Biden, Johnson et Macron, c’est-à-dire précisément les dirigeants des puissances occidentales que le Kremlin désigne comme les ennemis de la Russie. Les sanctions viennent donc appuyer la propagande de Poutine et peuvent contribuer à souder la population russe autour de ses dirigeants, au moins provisoirement. C’est ce qui s’était passé en 2014-2015, lorsque les sanctions économiques imposées à la Russie, après l’annexion de la Crimée, avaient contribué à faire remonter la cote de popularité de Poutine.

Des sanctions « contre les oligarques » ?

Les partisans des sanctions « de gauche » ont un dernier argument : « Nous voulons des sanctions qui visent le régime et les oligarques ! » Dans l’article du 2 mars cité plus haut, le NPA proclame son « rejet de toute sanction qui frappe le peuple russe plus que le gouvernement et ses oligarques ». Cette formulation est très malheureuse : on se demande si le NPA soutiendrait des sanctions frappant le peuple russe autant que le gouvernement. Mais surtout, cette position fait complètement abstraction du fonctionnement réel du régime capitaliste en Russie (comme ailleurs). Confrontés aux sanctions économiques, les oligarques russes feront ce que font les classes dirigeantes de tous les pays face à une crise économique : ils en placeront tout le poids sur les épaules des travailleurs et des couches les plus pauvres de la population. Pour sauver leurs taux de profit, ils licencieront, réduiront les salaires, couperont dans les budgets sociaux, etc., tout en en rejetant la faute sur les Occidentaux.

On a assisté au même processus en Iran. Après la révolution de 1979, l’impérialisme américain a soumis le régime de la République islamique à un embargo et à des sanctions économiques qui ont eu de sévères conséquences pour la classe ouvrière iranienne. Le régime de Téhéran en est sorti renforcé, car il a utilisé l’excuse des sanctions et de l’hostilité des Etats-Unis pour justifier ses politiques d’austérité. Depuis la levée (provisoire) de l’embargo suite à l’accord de 2015 sur le nucléaire, le régime a été confronté à une série de mobilisations et grèves de masse. Bien sûr, celles-ci ne s’expliquent pas seulement par la levée des sanctions, que Trump a d’ailleurs partiellement restaurées en 2019. Mais il est clair que leur levée temporaire a privé le régime d’un argument de taille et a contribué à fragiliser sa propagande.

Une arme de l’impérialisme

Au fond, l’idée sous-jacente à tous ces « arguments » en faveur des sanctions est qu’il faudrait faire « prendre conscience » aux travailleurs russes de la nature du régime de Poutine – et que les sanctions contre la Russie pourraient y contribuer. Les travailleurs d’Occident sont donc invités à approuver les coups que portent les impérialistes occidentaux aux conditions de vie des travailleurs russes.

Les impérialistes occidentaux se contrefichent du sort des travailleurs russes, mais aussi de la démocratie et des souffrances des populations civiles. S’ils s’en préoccupaient vraiment, ils auraient imposé des sanctions au régime saoudien, cette dictature brutale qui exécute ses opposants par dizaines, torture les homosexuels et mène depuis huit ans une guerre barbare contre le Yémen (400 000 victimes directes et indirectes, selon l’ONU). Mais non : Macron rend d’amicales visites aux dirigeants saoudiens et leur vend de grandes quantités d’armes.

De même, pendant de longues années, les dirigeants occidentaux se sont accommodés du régime de Poutine, malgré le ravage de la Tchétchénie et les assassinats de journalistes. Ils n’ont commencé à lui trouver des défauts que lorsque Poutine s’est opposé fermement aux manœuvres de leur impérialisme, pour défendre les intérêts de la bourgeoisie russe. Avant 2014, Poutine était invité à tous les sommets internationaux. Même après l’annexion de la Crimée, et parallèlement aux « sanctions », les bourgeoisies occidentales ont continué à faire des affaires avec la Russie. Des entreprises françaises lui ont même vendu du matériel militaire plus ou moins clandestinement, au nom du « respect des contrats signés » !

Contrairement à ce que racontent les médias bourgeois, la diplomatie des grandes puissances se moque de la morale ou des droits de l’homme. Elle ne se préoccupe que des intérêts économiques et politiques de ses classes dirigeantes. Pour la bourgeoisie, les sanctions contre la Russie sont avant tout une arme économique dans l’affrontement impérialiste qui oppose les puissances occidentales à la Russie. Elles ne visent ni à arrêter la guerre, ni à pousser les travailleurs russes à renverser le régime de Poutine.

C’est d’ailleurs ce que reconnaissait Jean-Luc Mélenchon au micro de France Info, dès le 25 février dernier. Il déclarait être « à peu près persuadé que ça ne servira à rien sinon à rendre la vie plus difficile [pour les Russes et les Français] ». Cependant, Mélenchon affirmait tout de même soutenir les sanctions, car « c’est tout ce qui reste ».

Non : ce n’est pas « tout ce qui reste ». Il « reste » la seule politique conforme aux intérêts de notre classe : une politique internationaliste et révolutionnaire. En quoi consiste-t-elle ?

Il est évident que le régime de Poutine est un ennemi des travailleurs, qu’ils soient russes, ukrainiens ou d’ailleurs. Il doit être renversé. Mais la seule force capable d’accomplir cette tâche d’une façon progressiste, c’est la classe ouvrière de Russie. Quant au mouvement ouvrier d’Occident, son devoir n’est pas d’appuyer les mesures de guerre économique de sa propre bourgeoisie, mais d’aider réellement la classe ouvrière russe dans sa lutte. Pour cela, les travailleurs d’Europe et d’Amérique doivent lutter contre leur propre bourgeoisie impérialiste, démasquer son hypocrisie et battre en brèche la propagande nationaliste du Kremlin par une politique de solidarité internationale avec les travailleurs d’Ukraine et de Russie. Ce n’est pas une tâche facile, mais c’est la seule qui puisse réellement nous arracher à la barbarie des guerres impérialistes.