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Pourquoi Orbán a gagné

Hongrie

Lien publiée le 14 avril 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Pourquoi Orbán a gagné – CONTRETEMPS

Le 3 avril 2022, les électeurs hongrois ont accordé à Viktor Orbán un quatrième mandat consécutif. Son parti, le Fidesz, allié au Parti populaire chrétien-démocrate (KDNP), a remporté 135 sièges sur 199 et atteint le score sans précédent de 53,13 %.

La principale coalition d’opposition, « Unis pour la Hongrie » (EM), qui ambitionnait d’obtenir au moins 40 % des voix, doit se contenter d’un maigre 35% et de 56 sièges. EM regroupe les deux plus grands partis d’opposition, le Parti socialiste hongrois (MSZP) et Jobbik. Chacun d’eux ne disposera que de 9 membres dans la nouvelle Assemblée, contre respectivement 15 et 17 dans le parlement sortant. Le MSZP reste associé à la brutale thérapie de choc néolibérale des années 1990 et 2000, qui a créé un fossé durable avec le mouvement syndical et les classes populaires.

Jobbik, une formation nationaliste et antisémite fondée en 2003, s’est efforcé de se relancer ces dernières années en tant que « parti populaire » pro-européen et anti-corruption. Cette transformation opportuniste de Jobbik a laissé le terrain libre à une nouvelle force d’extrême-droite, Mi Hazánk, le parti fasciste fondé par l’ancien vice-président de Jobbik, László Toroczkai. Ce parti, a obtenu 6 % des voix et sept sièges. Dans ces conditions, son télégénique dirigeant pourrait devenir l’un des leaders de l’opposition à Orban.

Si l’échec de l’EM était attendu, son ampleur ne l’était pas. C’est ce revers retentissant qu’analyse Anita Zsurzsán, chercheuse indépendante en philosophie et en esthétique basée à Budapest. Selon elle, l’opposition hongroise a abandonné la politique de classe et s’est contentée de se positionner comme champion d’un réalignement pro-européen et occidental du pays, sans proposer d’alternative sérieuse. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, ce positionnement s’est retournée contre elle, permettant à Viktor Orbán, qui dispose par ailleurs de l’appui massif d’un appareil d’Etat et de médias entièrement à son service, de se présenter comme un partisan de la paix, soucieux de protéger la Hongrie des retombées économiques et géopolitiques du conflit.

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Avec sa victoire écrasante du 3 avril, le premier ministre hongrois d’extrême-droite Viktor Orbán a remporté une nouvelle majorité qualifiée des deux tiers au parlement et son quatrième mandat consécutif. Le Parlement hongrois est désormais composé à 76 % de députés d’extrême droite, dont beaucoup ont des liens avec le néonazisme et le Kremlin.

Il y a des leçons à tirer de ce résultat catastrophique. La campagne d’Orbán reposait largement sur la prétention de protéger les Hongrois de la guerre imminente en Europe de l’Est et de l’austérité de l’Union européenne. En dehors de la promotion des « valeurs occidentales » et de la haine d’Orbán, l’opposition – la coalition « Unis pour la Hongrie », une coalition de six partis d’opposition modérés qui entendaient évincer Orbán à tout prix, dirigée par le conservateur Péter Márki-Zay, eu du mal à proposer une alternative crédible susceptible de séduire les électeurs en dehors des bulles libérales cosmopolites de Budapest.

Des élections à peu près libres ont encore lieu en Hongrie, mais le terrain de jeu politique est déséquilibré et biaisé à l’encontre les forces d’opposition : le Fidesz, le parti au pouvoir, contrôle la majorité des médias et a dépensé huit fois plus pour sa campagne que le plafond légalement autorisé. Ces conditions ne suffisent toutefois pas à expliquer l’échec de l’opposition coalisée. C’est plutôt l’abandon des valeurs de la classe travailleuse, l’élimination de la gauche radicale et le refus catégorique d’adopter une position prudente sur la guerre qui sont les facteurs qui ont conduit à cette défaite cuisante.

Jusqu’en février, la préparation des élections hongroises a tourné autour de la soi-disant « folie du genre » et de la nécessité de protéger les enfants de la prétendue « propagande LGBT ». En juin dernière une loi discriminatoire a été adoptée interdisant la distribution de matériel et de contenus éducatifs censés « promouvoir » l’homosexualité et les droits des transgenres dans les écoles hongroises. Un référendum sur cette loi a eu lieu en même temps que les élections générales, mais il n’a pas réuni suffisamment de voix pour être valide, les électeurs dissidents ayant été encouragés à déposer dans l’urne des bulletins nuls.

Mais le référendum n’est resté au cœur de la campagne du Fidesz que dans la période qui précède l’invasion criminelle de l’Ukraine. Bien que l’histoire embarrassante des rapports entre Orbán et Moscou ait fait l’objet d’un nouvel examen – en particulier depuis que Volodymyr Zelensky a dénoncé la réticence du premier ministre à adopter une position plus ferme à l’égard de Poutine – le parti au pouvoir a réussi une fois de plus à tourner la chose à son avantage. En effet, Orbán a choisi de ne pas prendre parti, promettant au contraire de tenir les Hongrois à l’écart de la guerre : des affiches de campagne avec des slogans tels que « Préservons la paix et la sécurité de la Hongrie » et « Seul le Fidesz peut créer la paix en Hongrie » ont été placardées dans tout le pays.  Une série de publicités en ligne d’un coût de plusieurs millions d’euros portant les mêmes messages a également été diffusée.

La stratégie d’Orbán – « Ni Moscou ni Kiev » – doit être jugée avec scepticisme, c’est le moins que l’on puisse dire, compte tenu du chevauchement des intérêts commerciaux et de politique étrangère entre Budapest et le Kremlin. Ne pas céder à la rhétorique d’escalade de l’Occident peut sembler être une décision pragmatique, mais la neutralité d’Orbán pourrait plutôt être motivée par sa bienveillance à l’égard de Poutine et la dépendance écrasante de la Hongrie des importations d’énergie russe.

Toutefois, malgré ses affirmations de neutralité, Orbán a également coopéré avec l’UE et l’OTAN, en choisissant de ne pas opposer son veto aux sanctions contre la Russie ou à des livraisons supplémentaires d’armes à l’Ukraine. Sa position « anti-guerre » devient encore plus problématique si l’on considère que, depuis la crise des réfugiés de 2015, son parti n’a cessé de diaboliser et de criminaliser les mouvements pacifistes. En 2021, lorsque les bombardements d’Israël ont tué des centaines de civils palestiniens à Gaza, la Hongrie a été le seul État membre de l’UE à opposer son veto aux appels à un cessez-le-feu immédiat.

L’opposition espérait que les antécédents d’Orbán en matière de politique étrangère affaibliraient ses chances d’être élu, mais sa fausse tactique « anti-guerre » semble au contraire avoir fonctionné : Orbán s’est présenté comme le sauveur des Hongrois, leur protecteur face au bain de sang qui se déroule à côté de chez eux – une caractérisation facilitée par la campagne de dénigrement lancée par son gouvernement contre l’opposition, accusée de bellicisme et de chercher à entraîner la Hongrie dans un conflit potentiellement nucléaire.

Cette campagne a été stimulée par les tentatives de l’opposition – initialement préoccupée par des questions telles que la corruption et la restauration des institutions démocratiques – de retourner la guerre en Ukraine contre Orbán. En réponse, le Fidesz a accusé les leaders de l’opposition de « collaborer avec Zelensky » pour déstabiliser la Hongrie, et a recyclé la vieille rhétorique antisémite pour les dénoncer comme faisant partie d’une conspiration plus large de « l’élite mondialiste ». Dans son discours de victoire, Orbán a explicitement désigné George Soros et « la gauche internationale » ainsi que Zelensky, ce qui montre bien qu’il les considère comme les ennemis de la Hongrie.

« Orbán et Poutine ou l’Occident et l’Europe, tels sont les enjeux », affirmait l’un des slogans de la campagne de Márki-Zay. Cette phrase exprimait le désir de l’opposition de faire partie d’une Europe idéalisée, sur le point de restaurer les références morales endommagées par les opérations militaires ratées en Afghanistan et en Irak. Cette rhétorique était un élément clé du programme de l’opposition avant l’invasion de l’Ukraine, mais le conflit a considérablement renforcé le schéma de « l’Est contre l’Ouest » et du « choc des civilisations ».

Mais si l’opposition a condamné l’agression brutale contre l’Ukraine, des normes similaires n’ont pas été appliquées à la Syrie, au Yémen ou à la Palestine. A l’instar du Fidesz, la coalition ne considère pas les « peuples non civilisés » en dehors de l’Occident comme dignes de solidarité et d’empathie, refusant, par exemple, de s’engager à retirer la clôture de barbelés à la frontière serbe destinée à empêcher les réfugiés non européens d’entrer dans le pays. La coalition a également fait campagne en affirmant qu’Orbán était « trop soft avec les migrants », alors que la Hongrie a l’une des politiques d’immigration les plus brutales d’Europe.

Le camp libéral entretient l’idée mythique de la « prospérité occidentale » tout en ignorant l’histoire impériale sanglante qui l’a rendue possible. Dans le cadre de ce mythe, la coalition a également évité de critiquer, même légèrement, les entreprises occidentales responsables d’une grande partie de la pauvreté en Hongrie et en Europe de l’Est. Mais cette capitulation ne change rien au fait que les entreprises occidentales soutenues par l’UE ont l’intention de maintenir Orbán au pouvoir aussi longtemps que possible, car les démocraties faibles à tendance autoritaire facilitent grandement l’exploitation de la force de travail.

Et cela renvoie à un autre problème sous-jacent au résultat électoral. Au-delà des questions « Est contre Ouest » soulevées par l’invasion russe, Orbán a également promis de garder les Hongrois au chaud face aux pénuries imminentes de nourriture et d’énergie. C’est, au final, là que l’opposition unie a échoué. Sa campagne s’est principalement concentrée sur le rétablissement de la démocratie, avec des messages limités sur l’économie. Or, pour fonctionner, une démocratie de masse a nécessairement besoin d’améliorations des conditions des travailleurs, de syndicats forts et d’une réduction des inégalités.

Comme l’a affirmé l’économiste politique hongrois Tamás Gerőcs dans un entretien publié juste avant l’élection :

« On peut discuter de la démocratie, mais l’extension des droits des travailleurs doit être l’un des éléments clés du processus de démocratisation. Il est impossible de construire une démocratie en excluant les travailleurs, les chômeurs et les autres, car cela nous ramènerait à l’illibéralisme ».

Lorsqu’une prochaine occasion de vaincre un Orbán se présentera, c’est une leçon à retenir.

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Cet article a été publié initialement le 6 avril 2022 sur le site du magazine britannique Tribune, revue partenaire de Jacobin (Etats-Unis).

Traduction par Stathis Kouvélakis.