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L’économiste keynésien Jean-Paul Fitoussi est mort
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L’économiste Jean-Paul Fitoussi est mort (lemonde.fr)
Economiste keynésien et professeur à Sciences Po, spécialiste des théories de l’inflation, du chômage, et du rôle des politiques économiques, il a présidé l’Observatoire français des conjonctures économiques de 1989 à 2010.
Jean-Paul Fitoussi est mort à Paris à 79 ans, a annoncé à l’Agence France-Presse (AFP) Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), que l’économiste avait présidé pendant vingt-deux ans, de 1989 à 2010.
L’économiste Philippe Aghion, qui l’avait notamment côtoyé à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) au début des années 1990, lorsque Jean-Paul Fitoussi y dirigeait le comité économique consultatif, a également confirmé son décès à l’AFP.
Economiste keynésien et professeur à Sciences Po, spécialiste des théories de l’inflation, du chômage, et du rôle des politiques économiques, il avait également été membre du Conseil d’analyse économique (CAE), organisme chargé de conseiller le gouvernement.
« Un ami de l’Italie »
Entre 2008 et 2009, dans la foulée de la crise financière, il participe avec vingt-deux experts internationaux aux travaux de la commission présidée par le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, et lancée par Nicolas Sarkozy sur la mesure de la performance économique.
Jean-Paul Fitoussi a aussi beaucoup travaillé en Italie, où il enseignait notamment à La libre université internationale des études sociales (ou Luiss, pour Libera Università degli Studi Sociali, en italien) de Rome, et avait occupé un siège au conseil d’administration de Telecom Italia de 2004 à 2017.
« J’apprends avec émotion et tristesse la nouvelle de la disparition du professeur Jean-Paul Fitoussi, grand économiste à Sciences Po. Un pilier. Un ami. Auquel je dois tant », a réagi sur Twitter vendredi l’ancien chef de gouvernement italien Enrico Letta. De son côté, le ministre de la fonction publique, Renato Brunetta, a salué « un compagnon de tant de combats et un ami de l’Italie ».
Les obsèques de M. Fitoussi auront lieu vendredi après-midi à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) près de Paris.
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"Les travaux de Jean-Paul Fitoussi m’accompagnent depuis presque 30 ans" (marianne.net)
Pour Frédéric Farah, le grand économiste keynésien décédé vendredi 15 avril a alerté très tôt des dangers de dissocier l'économie de la politique, le marché de la démocratie. Signe d'une pensée universelle : Farah s'est opposé à Fitoussi à propos de l'euro... sur la base des textes produits par son maître.
Ce matin encore, j’évoquais Jean-Paul Fitoussi lors de mon passage sur BFM lors de l’émission de Nicolas Doze, « les experts ». Plus précisément, je citais son maître livre du milieu des années 1990, « le débat interdit ». Pour l’étudiant que j’étais alors, cet ouvrage a été une puissante source de réflexion et disons-le d’inspiration. Il disait avec tant de justesse les impasses du Franc fort, la folie de la politique monétaire anormalement restrictive d’alors, le caractère factice et malhonnête qui faisait porter au SMIC les malheurs du chômage français. Ce livre était une véritable bouffée d’air pur et d’intelligence dans ces années de doxa économique.
J’invitais sur le plateau des « experts » à le relire, tant il me paraît actuel. Les vieux dogmes que Jean-Paul Fitoussi dénonçait, de l’austérité, en passant par la désinflation compétitive, ou celui de la flexibilisation du marché du travail à tout crin, ont persisté et persistent encore dans l’esprit de nombre de politiques ou de commentateurs.
CONTRE LES DOGMES EUROPÉENS
De Jean-Paul Fitoussi, je veux aussi me souvenir de ses cours à Sciences po Paris et conserve précieusement encore son polycopié en ces temps qui n’étaient pas ceux du numérique. A cette époque, les cours étaient partagés entre ceux de Michel Pébereau et les siens. C’est en l’écoutant dans l’amphithéâtre Boutmy de l’IEP de Paris que je me suis initié à la pensée de Keynes. Depuis je n’ai cessé de m’émerveiller de la fécondité du maître de Cambridge. J’entends encore Jean-Paul Fitoussi, nous dire que « nos sociétés ont perdu la mémoire du plein emploi » ou bien encore que « penser une politique d’offre était inepte car l’offre et la demande ne se séparent pas ». Sur les questions européennes, j’attendais toujours ses travaux tant ils me paraissaient éclairants. De 2002 à 2007, il a dirigé avec de nombreux chercheurs de l’OFCE, un « état de l’Union européenne » qu’il faut relire avec attention pour apprécier les défis, et les impasses de cet ensemble institutionnel.
J'écris ces lignes sous l’emprise de l’émotion, car je ressens une dette intellectuelle profonde à l’égard de l’économiste disparu. C’est presque trente ans de lecture sans relâche de ses travaux. Certes et en toute modestie, je ne pouvais le suivre dans sa conclusion qui souhaitait l’avènement de la monnaie unique. Selon lui, cette dernière aurait réouvert le jeu économique et politique et ne pouvait plus alors être brandie comme un prétexte pour mener une politique plus austéritaire. Pour ma part, et à partir des critiques charpentées de Fitoussi, la monnaie unique m’est apparue irréformable et une véritable impasse. Selon lui, il était possible de la conserver.
En 2004, lorsqu’il écrit « la règle et le choix » livre qu’il faut relire également, il montre avec brio les fondements théoriques de l’Union européenne en matière de politique économique et particulièrement budgétaire. Il montre les impasses des politiques de règle incarnées par le pacte de stabilité et dénonce la créativité comptable à l’œuvre en Europe. Il affirmait que les Etats-Unis étaient les plus grands producteurs de doctrines économiques maispour les autres. Lorsqu’on regarde le développement de l’Union européenne, on ne peut que le confirmer. Le monétarisme le plus virulent, c’est en Europe qu’il a trouvé son expression la plus aboutie, tout comme l’orthodoxie budgétaire.
Malheureusement la crise des dettes souveraines en 2011-2013 a renforcé la logique de règles. Il a fallu attendre la récente pandémie et la crise russo-ukrainienne pour ébranler quelque peu ce dogme.
UNE OEUVRE QUI DOIT ÊTRE RELUE
Sans conteste, il est l’économiste français contemporain qui a labouré avec le plus de passion et de force les enjeux européens, sans jamais les départir de son souci de la démocratie. Pour lui, une véritable réforme économique ne devait s'apprécier qu’au regard d’un critère fort, celui du renforcement de la démocratie. Le marché ne devait pas se penser contre la démocratie. Je repense à ce texte écrit au début des années 2000, « l’avenir de l’Europe, l’ambition d’un autre contrat social ». « Or c’est bien de démocratie qu’il s’agit lorsque l’on parle d’Europe sociale. Pourtant les réformes qui sont le plus généralement proposées sont des réformes à faible ambition, dont l’objectif est double, quelle que soit la rhétorique utilisée : répartir de façon "plus équitable" la précarité que mondialisation et progrès technique rendraient inévitable ; réduire le coût du système de protection sociale pour accroître la capacité d’offre de l’économie. Or l’un et l’autre de ces objectifs ne sont pas nécessairement de nature à renforcer l’adhésion à la démocratie. La généralisation de la précarité — même assortie de dispositifs ingénieux pour en atténuer les effets — et la réduction de la couverture des risques ne sont pas des mesures dont on puisse attendre qu’elles contribuent à renforcer le sentiment démocratique. » Lorsque nous relisons les lignes écrites par Jean Paul Fitoussi, nous voyons qu’elles n’ont pas vieilli.
Vingt-deux ans après leur écriture, nous mesurons les effets néfastes de ces réformes qui ont menacé et menacent la démocratie et nourrissent les tentations les plus préoccupantes comme le montre la récente élection présidentielle. C’est la fécondité des champs politique et économique qu’il a su nourrir par ses travaux. Il avait parfaitement compris que l’économie était politique et que déchirer le contrat social par des inégalités nombreuses et multiformes représentait un péril pour nos sociétés.
En 1996, il écrivait avec Pierre Rosanvallon, le « nouvel âge des inégalités » bien avant que cette question devienne si centrale depuis moins d’une décennie. Il serait trop long de décrire l’ampleur des travaux qui furent les siens ou les différents rôles académiques qu’il a assumés. Tout comme Keynes en son temps, il avait perçu que les deux vices de notre époque étaient l’absence de plein emploi et s mauvaise répartition. Son œuvre doit être relue avec attention pour en mesurer l’ampleur de ses apports. En Italie il a su continuer son travail et a offert aussi à ce pays d’intéressantes contributions. Sans tout partager bien sûr, la lecture de ses ouvrages et ses articles reste une source profonde d’enseignements.
Ecrire ces lignes n’est pas simple, car si je n’ai pas connu personnellement l’homme, hormis quelques échanges d’ici de là, son œuvre a fait de lui un familier dont je n’ai eu de cesse de recommander la lecture à mes étudiants ou amis. Je m’autorise à employer la première personne en écrivant ce texte, car je me surprends souvent à penser avec des catégories, des outils qui étaient les siens. Ses travaux m’accompagnent depuis presque trente ans ans. Avec admiration et tristesse je pense à lui.