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11 Septembre : Nouvelles preuves de l’implication saoudienne, et tout le monde s’en moque
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Le FBI a discrètement révélé de nouvelles preuves de la complicité du gouvernement saoudien dans les attentats du 11 Septembre – et rien ne s’est passé.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le président américain de l’époque, George W. Bush, rencontre le prince Bandar bin Sultan, l’ambassadeur d’Arabie saoudite, le 27 août 2002, au ranch de Bush à Crawford, au Texas. (Eric Drapper-White House / Getty Images
Il se passe beaucoup de choses dans le monde en ce moment, il n’est donc pas surprenant que certaines nouvelles passent à travers les mailles du filet. Il est tout de même étonnant que de nouvelles informations explosives sur la complicité d’un gouvernement allié dans l’une des pires attaques de l’histoire sur le sol américain soient passées inaperçues.
La semaine dernière, le FBI a discrètement déclassifié un rapport de 510 pages qu’il a produit en 2017 sur l’attaque terroriste du 11 Septembre, il y a vingt ans. Cette divulgation est conforme au décret du président Joe Biden de septembre 2021 déclassifiant des dossiers gouvernementaux longtemps cachés sur l’attaque, dont beaucoup espéraient qu’ils révéleraient ce que les enquêteurs américains savaient exactement sur la possible implication du gouvernement saoudien.
Ils n’ont pas été déçus. Les révélations les plus récentes tournent autour d’Omar al-Bayoumi, un ressortissant saoudien travaillant à San Diego pour une compagnie d’aviation appartenant au gouvernement saoudien et auprès de laquelle il ne s’est jamais présenté. Al-Bayoumi faisait depuis longtemps l’objet de soupçons, tant en raison de ses liens avec des religieux extrémistes que des étranges coïncidences qui l’entouraient, du travail qu’il n’a jamais effectué au fait qu’il a rencontré par hasard deux des futurs pirates de l’air dans un restaurant – avant de leur trouver un appartement à San Diego, de cosigner leur bail, de se porter garant, de payer leur premier mois de loyer et de les intégrer dans la communauté saoudienne locale.
Malgré tout cela, et même si les agents du FBI avaient des raisons de croire qu’il était un espion saoudien – ce qui n’a été révélé qu’en 2016 lors de la déclassification de vingt-huit pages du rapport de la Commission du 11 Septembre que l’ancien président George W. Bush avait ordonné de garder secrètes – les autorités américaines l’ont disculpé. Le rapport a finalement conclu qu’il n’y avait « aucune preuve crédible » qu’al-Bayoumi ait « sciemment aidé des groupes extrémistes », tandis que le bureau a décidé en 2004 qu’il n’avait pas « connaissance préalable de l’attaque terroriste » ni que les deux futurs pirates de l’air étaient membres d’Al-Qaïda.
Ce dernier communiqué rend ces affirmations beaucoup moins tenables. Selon un communiqué du FBI daté de juin 2017, de la fin des années 1990 au 11 septembre 2001, al-Bayoumi « recevait une allocation mensuelle en tant que collaborateur de la présidence saoudienne des renseignements généraux (GIP) », la principale agence d’espionnage du pays. Le document note que si son implication dans les services de renseignement saoudiens n’a pas été confirmée à l’époque du rapport de la Commission du 11 Septembre, le bureau l’a maintenant confirmé. Dans un autre document de 2017, les responsables du bureau jugent « qu’il y a une chance sur deux pour que [al-Bayoumi] ait eu connaissance des attentats du 11 Septembre. »
Lorsqu’il a été informé de cette révélation, le président de la Commission du 11 Septembre, l’ancien gouverneur du New Jersey Tom Kean, a déclaré que « si c’était vrai, cela me bouleverserait » et que « le FBI a dit qu’il ne cachait rien et nous l’avons cru. »
Qui plus est, le rapport met directement en cause un membre de la famille royale et du gouvernement saoudien. L’allocation mensuelle d’Al-Bayoumi était versée « par l’intermédiaire de l’ambassadeur [aux États-Unis] de l’époque, le prince Bandar bin Sultan Alsaud », indique le rapport, et toute information recueillie par Al-Bayoumi sur « des personnes d’intérêt dans la communauté saoudienne à Los Angeles et San Diego et d’autres questions, qui répondaient à certaines exigences du GIP en matière de renseignement, était transmise à Bandar », qui « informait ensuite le GIP des éléments d’intérêt pour le GIP pour une enquête, un contrôle ou un suivi supplémentaires. »
Cette révélation est particulièrement explosive, car Bin Sultan n’était pas seulement un membre de la Maison des Saoud, mais aussi un ami proche du président Bush et généralement très proche de l’establishment politique américain – au point qu’il était surnommé « Bandar Bush ». Ami proche du père de Bush pendant plus de deux décennies (« Je me sens comme un membre de ta famille », lui a-t-il écrit en 1992), il a par la suite fait don d’un million de dollars à la bibliothèque présidentielle de l’aîné des Bush.
Cette amitié s’est étendue au jeune Bush, dont le père lui a conseillé de consulter Bin Sultan alors qu’il se préparait à lancer sa campagne présidentielle. Leur relation était si étroite que Bin Sultan a été l’une des premières personnes à qui Bush a parlé lorsqu’il a décidé d’envahir l’Irak. Dans un épisode particulièrement étrange, les deux hommes se sont rencontrés à la Maison Blanche deux jours après l’attaque du 11 Septembre et ont fumé des cigares sur le balcon Truman, quelques heures à peine avant que des avions affrétés, en violation de l’interdiction d’atterrir dans tout le pays, n’embarquent 160 membres de la famille royale, des membres de la famille Ben Laden et d’autres personnalités saoudiennes pour les emmener hors du pays.
Récapitulons donc ce que ces nouveaux documents nous disent. Ils nous apprennent que l’un des hommes qui a aidé deux des pirates de l’air du 11 Septembre à s’installer aux États-Unis alors qu’ils se préparaient à commettre leur attentat était en fait un espion du gouvernement saoudien – un gouvernement accusé depuis longtemps de soutenir et de financer les extrémistes fondamentalistes et le pays d’où provenait la grande majorité des pirates de l’air. Cet espion était rémunéré par l’ambassadeur saoudien de longue date aux États-Unis, un ami de famille proche et de longue date du président américain, auquel il rendait compte directement.
Cela devrait, de manière réaliste, susciter de nombreuses questions, comme : si al-Bayoumi avait une connaissance préalable de l’attaque, Bandar bin Sultan le savait-il aussi ? Ce dernier a-t-il donné l’alerte à quelqu’un aux États-Unis, comme son ami proche le président ? Bin Sultan était-il au courant de l’aide apportée par al-Bayoumi aux pirates de l’air ? La relation de Bush avec Bin Sultan a-t-elle obscurci son jugement et expliqué sa réaction indifférente aux alertes des services de renseignement qui lui sont parvenues ? De quoi les deux hommes ont-ils parlé le 13 septembre et pourquoi le gouvernement saoudien n’a-t-il eu à rendre aucun compte au fil des ans ?
Cela pourrait arriver dans un écosystème médiatique qui n’a pas la capacité d’attention d’une mouche. Dans le monde dans lequel nous vivons, l’histoire a été couverte par NorthJersey.com, par Democracy Now ! et… c’est tout. L’attaque du 11 Septembre a été un événement profondément traumatisant qui a irrévocablement façonné la politique étrangère et la politique intérieure des États-Unis pour l’ensemble de ce siècle, souvent de manière désastreuse pour le monde et les Américains moyens. Pourtant, lorsque de nouvelles informations impliquant un gouvernement allié dans l’exécution de l’attentat sont révélées, presque personne ne semble s’en soucier.
La maison de l’humiliation
Tout cela est particulièrement pertinent aujourd’hui, étant donné non seulement les décennies de politique américaine qui ont prodigué des faveurs au gouvernement saoudien, mais aussi le soutien continu de Washington à la guerre indiciblement brutale du royaume contre le Yémen.
Depuis sept ans maintenant, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite mène une campagne de bombardements aveugles sur le pays, attaquant des cibles militaires à peu près au même rythme qu’elle bombarde les infrastructures civiles et les zones résidentielles, tout en privant les Yéménites de nourriture et de carburant par un blocus de plus en plus strict. Le résultat est que plus de 377 000 civils yéménites sont morts, dont 70 % d’enfants de moins de cinq ans. On estime que deux tiers d’entre eux sont morts de faim et de maladies évitables, maladies qui ont explosé dans le pays à cause de la guerre. Des millions de personnes souffrent d’extrême pauvreté et de malnutrition, et le pays est proche de la famine.
Les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux ont directement soutenu cette guerre tout au long de son déroulement, en vendant à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite des dizaines de milliards de dollars d’armes. Washington et le Royaume-Uni, pour leur part, fournissent également à la coalition un soutien logistique essentiel, sans lequel, selon un ancien responsable de la CIA et du Pentagone, la guerre ne pourrait se poursuivre. Imaginez qu’au lieu d’aider l’Ukraine dans l’invasion actuelle de la Russie, le gouvernement américain vende des armes à la Russie, ravitaille ses avions, partage des renseignements avec elle et aide son armée de l’Air à identifier les cibles alors qu’elle réduit les villes ukrainiennes en ruines, et vous aurez une idée de la nature du rôle des États-Unis dans cette affaire.
Pourquoi le gouvernement américain fait-il cela ? Après tout, il y a tout juste trois ans, une coalition bipartite au sein d’un Sénat contrôlé par le GOP (parti républicain, NdT) a voté en faveur de la fin de la guerre, et Joe Biden s’est présenté et a remporté la présidence en promettant de mettre fin au soutien des États-Unis, avant de continuer à soutenir la guerre, dans le plus pur style Biden. Depuis lors, avec le soutien de Biden, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a intensifié ses bombardements pour atteindre le pire qu’elle ait connu depuis 2018, et la crise humanitaire du pays est pire qu’elle ne l’était sous le prédécesseur de Biden.
La raison en est simple : Washington considère le gouvernement saoudien comme trop important pour se l’aliéner. Après tout, c’est ce même gouvernement qui a mené l’embargo pétrolier de 1973 provoquant le chaos économique mondial et qui, à l’inverse, a augmenté la production de pétrole lorsque l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1991 a menacé de faire de même. Le royaume saoudien possédant de vastes réserves de pétrole, l’ingrédient fondamental de la civilisation moderne, les responsables américains préfèrent le garder de leur côté en soutenant cette guerre horrible plutôt que de se l’aliéner et de le rapprocher de puissances hostiles comme la Russie ou la Chine. On peut supposer que c’est aussi en grande partie la raison pour laquelle le gouvernement saoudien n’a jamais été menacé par Washington malgré les preuves croissantes de sa complicité dans une attaque sur le sol américain il y a vingt ans.
L’ironie tragique est que, malgré le soutien indéfectible de Biden à sa guerre, le gouvernement saoudien lui a fait récemment un pied de nez. Alors que l’inflation due au pétrole menace de faire dérailler la présidence de Biden, le prince héritier saoudien a constamment rejeté les appels des États-Unis à l’atténuer en augmentant la production de pétrole. L’Arabie saoudite et son partenaire belliqueux, les Émirats arabes unis, ont traîné les pieds pour se joindre à une résolution des Nations Unies condamnant la guerre de la Russie. Tout récemment, le prince héritier saoudien s’est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine alors que ce dernier continuait à commettre des atrocités en Ukraine, puis il a refusé de prendre l’appel téléphonique de Biden alors que le président cherchait désespérément un autre approvisionnement en pétrole pour combler le vide créé par les sanctions contre la Russie. Biden lui a quand même envoyé plus d’armes.
Il est difficile d’imaginer qu’un pays humilie rituellement les États-Unis de la sorte, et encore moins qu’il en soit récompensé. Par ailleurs, il est également difficile d’imaginer qu’un gouvernement étranger soit aussi complice que la Maison des Saoud dans une atrocité comme le 11 Septembre et s’en sorte totalement indemne, mais c’est désormais le cas.
La raison pour laquelle il peut agir de la sorte est la même que celle pour laquelle Poutine pensait avoir les moyens de lancer sa guerre le mois dernier : le refus persistant du monde moderne d’abandonner les combustibles fossiles, qui permet à tout despote disposant de suffisamment de pétrole et de gaz de violer le droit international, de se moquer de ses alliés et même de commettre des atrocités à moindre coût. Qui sait ce que nous apprendrons encore à mesure que les documents du 11 Septembre seront déclassifiés ? Mais une chose est sûre : il n’en sortira pas grand-chose si le statu quo demeure.
A propos de l’auteur
Branko Marcetic est un rédacteur de Jacobin et l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden (Le gars du passé : le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l’Illinois.
Source : Jacobin Mag, Branko Marcetic, 25-03-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises