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La fabrique de Staline. Entretien avec l’historien Ronald Suny
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La fabrique de Staline. Entretien avec l’historien Ronald Suny – CONTRETEMPS
L’ouvrage de Ronald Suny, Staline, Passage to Revolution, retrace la trajectoire de Joseph Staline depuis son enfance en Géorgie jusqu’à la révolution russe de 1917. Dans cet entretien avec Chris Maisano, Suny explique les spécificités du mouvement socialiste géorgien, le rôle de Staline dans la révolution et pourquoi le stalinisme a été aussi sanglant et impitoyable.
Joseph Staline a le vent en poupe. Il est actuellement plus populaire en Russie qu’à aucun autre moment depuis l’effondrement de l’Union soviétique, grâce à une campagne de réhabilitation menée par le président russe Vladimir Poutine. « La Mort de Staline » est l’un des films les plus acclamés de ces dernières années. Dans certaines franges d’Internet, le jeune Staline n’est pas considéré comme l’un des plus grands monstres de l’histoire, mais comme l’un de ses plus canons.
Ronald Suny, né à Philadelphie en 1940, a consacré sa vie à l’étude de l’histoire de l’Union soviétique et des pays du Caucase du Sud. Son dernier livre est la biographie tant attendue de Staline Passage to Revolution, qui relate la transformation d’un garçon géorgien sensible nommé Iossif « Soso » Djougachvili en l’homme connu dans le monde entier sous le nom de Staline. Suny apporte une abondance de matériel historique inédit pour analyser les débuts de la vie d’un révolutionnaire en herbe, ainsi que les épreuves et les tribulations du mouvement social-démocrate de l’Empire russe. Il met également en lumière l’héritage sous-estimé des sociaux-démocrates géorgiens, qui ont joué un rôle de premier plan dans les révolutions de 1905 et 1917 et ont établi une république indépendante dirigée par les mencheviks en 1918-1921.
Ronald Suny s’est entretenu avec Chris Maisano, rédacteur de Jacobin, sur la fabrication de Staline, les contributions pionnières de la social-démocratie géorgienne et la façon dont les socialistes d’aujourd’hui devraient considérer l’héritage de Staline.
*
Chris Maisano – Il n’y a pas de pénurie de matériel sur Staline. Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre en particulier ?
Ronald Suny – Il y a environ trente ans, je me suis demandé comment je pouvais intéresser les gens à la région dans laquelle j’ai investi une si grande partie de ma vie. C’est ce que nous appelons aujourd’hui le Caucase du Sud, les pays qui sont aujourd’hui l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. C’était une région obscure, lointaine, très complexe à comprendre et j’avais assez souffert pour apprendre les langues de la région. Je suis d’origine arménienne mais je suis né aux États-Unis, l’arménien n’était donc pas ma langue maternelle. Mes parents le parlaient, mais pas à moi. Je l’ai donc appris pendant mes études supérieures.
Puis je suis allé en Géorgie. J’ai appris le géorgien, ce qui est très difficile. En ce moment, je travaille à l’apprentissage du turc. Ça m’a pris beaucoup de temps pour faire tout ça. Puis je me suis dit : pourquoi ne pas écrire sur Staline, le personnage le plus important de cette région et l’utiliser comme ce qu’Alfred Hitchcock appelait un « MacGuffin« , un gadget pour attirer les gens dans l’histoire ? C’était une première motivation.
La seconde, comme n’importe lequel de mes étudiant.e.s du Michigan, ou plus tôt à Oberlin ou à l’Université de Chicago, le sait : je suis très intéressé par le socialisme, le marxisme, le mouvement ouvrier, la social-démocratie russe, etc. Ce sont les deux choses qui m’ont amené à aborder ce sujet. Ce sujet s’est avéré très fructueux, même s’il a pris beaucoup de temps, parce que vous avez ce personnage central que vous pouvez suivre à travers cette histoire très complexe et changeante, depuis sa naissance, en décembre 1878, jusqu’à la révolution de 1917. C’est l’histoire du jeune Staline, la formation du révolutionnaire. Si je vis assez longtemps j’écrirai peut-être le deuxième volume. Nous verrons bien. Inch Allah !
Pourquoi cela a-t-il été si long ? Lorsque j’ai commencé à écrire dans les années 1980 et que j’ai signé mon premier contrat, j’ai réalisé que l’Union soviétique était en train de changer (mais je ne savais pas qu’elle allait s’effondrer). Puis les archives ont commencé à être ouvertes. Alors je l’ai mis de côté pour écrire d’autres livres : The Soviet Experiment, They Can Live in the Desert but Nowhere Else : A History of the Armenian Genocide, The Revenge of the Past, un certain nombre d’autres choses. Puis je suis revenu à Staline et j’ai travaillé dans les archives russes et géorgiennes et en Arménie. Le résultat est le livre que vous voyez aujourd’hui.
Chris Maisano – Comme vous l’avez dit, le livre couvre le jeune Staline de sa naissance à la révolution de 1917. En quoi votre approche est-elle différente de celle, par exemple, de Simon Sebag Montefiore, dont le livre, Le Jeune Staline couvre la même période de sa vie ?
Ronald Suny – J’ai rencontré une fois Simon Sebag Montefiore dans un café de Kensington, à Londres. Il m’a dit : « Alors, qu’est-ce qui vous intéresse, et pourquoi écrivez-vous ce livre ? ». C’était avant la sortie de son livre. J’ai répondu : « Oh, je m’intéresse au mouvement ouvrier, au marxisme, à la social-démocratie, à la révolution. » Et il m’a dit : « Oh, bien. Je m’intéresse à ses femmes. » Alors j’ai pensé, « Bien, ok, nous avons une belle division du travail. »
Montefiore a écrit un livre très lisible. Il y a beaucoup de bonnes choses dedans. Il n’est pas allé lui-même dans les archives, il ne connaît pas le géorgien et je ne suis même pas sûr de la qualité de son russe. Mais il a travaillé là-bas et il a obtenu beaucoup de matériel y compris certains éléments tout à fait nouveaux. C’était une bonne chose pour moi. Mais son livre est un livre populaire. C’est un peu, à mon goût, sensationnaliste. Dans son livre, Staline est un bandit, un gangster, un coureur de jupons et même un pédophile. À tous ces égards, c’est un livre d’un genre différent, qui ne traite pas des écrits journalistiques de Staline, de sa théorie des nationalités (qui est la clé de son succès), des subtilités et des nuances de la social-démocratie russe.
Mon livre est fondamentalement un livre universitaire, mais j’ai essayé de l’écrire d’une manière accessible. Toute personne intelligente peut le lire et comprendre ce qui se passe. Mais il est basé sur les conventions de l’érudition historique, qui consiste à rechercher les anomalies et à traiter les contradictions. Tout est basé sur des preuves. C’est de cette façon que j’ai décidé de faire le livre. Stephen Kotkin, de Princeton, a écrit deux de ce qui sera trois ou quatre volumes sur Staline, mais il néglige largement la période antérieure de la vie de Staline. Il dispose de certaines des sources conventionnelles, mais il ne s’intéresse pas aux subtilités de ce mouvement, ni à la psychologie précoce de Staline. J’ai donc pensé qu’il y avait un espace pour ce genre de livre, la formation du révolutionnaire, le passage à la révolution.
Chris Maisano – Une des choses qui ressort vraiment de votre livre est le nombre de figures clés du mouvement social-démocrate de l’Empire russe qui venaient de Géorgie. Pourquoi la Géorgie, un pays isolé avec une très petite classe ouvrière industrielle, a-t-elle été l’un des plus grands bastions de la social-démocratie ?
Ronald Suny – En général, beaucoup de gens pensent qu’il existe une sorte de tendance naturelle à passer d’un empire à une nation. C’est-à-dire que vous développez un sens de qui vous êtes en tant que nation, vous vous révoltez contre le colonialisme et vous créez votre nouvel État. On aurait donc pu s’attendre à ce que le mouvement nationaliste en Géorgie soit le plus puissant. Il y avait un mouvement nationaliste et il y avait des intellectuels nationalistes, des poètes et des écrivains très importants comme Ilia Chavchavadze, Akaki Tsereteli, etc..
Mais ce qui est très intéressant, c’est que, dans les années 1890, certains intellectuels géorgiens, dont beaucoup sortaient du même séminaire religieux orthodoxe que Staline, ont émigré en Pologne et en Russie et sont revenus avec ce qui était alors la philosophie la plus progressiste, occidentale, révolutionnaire et modernisatrice : le marxisme. Le parti social-démocrate allemand était considéré comme le parti le plus progressiste d’Europe à l’époque. Ils ont ramené ce message, qui s’appliquait très bien à la Géorgie.
En Géorgie, vous aviez une société essentiellement paysanne, une petite classe ouvrière avec des artisans et quelques ouvriers d’usine ; les ouvriers d’usine avaient tendance à être russes ou arméniens plutôt que géorgiens. Au sommet, il y avait une petite aristocratie, essentiellement géorgienne, puis une classe moyenne propriétaire d’entreprises, essentiellement arménienne. Enfin, il y avait l’administration russe, avec l’autocratie au sommet et ses fonctionnaires dans l’armée. Telle était la structure sociale de la Géorgie dans les années 1890. Ces jeunes marxistes comme Noe Zhordania, qui est devenu le leader du mouvement, sont revenus en Géorgie et ont appliqué une analyse marxiste au pays. Au lieu de dire que nos ennemis sont les Russes ou les Arméniens, ce qui était la position des nationalistes, ces marxistes disaient que notre ennemi était l’autocratie et le régime oppressif, pas les Russes en soi. Ils étaient contre le capitalisme et la bourgeoisie, pas contre les Arméniens en tant que tels.
Ils ont donc transformé ce qui aurait pu être une opposition plus ethnique en une sorte d’opposition de classe ou sociale. Cela a fonctionné très efficacement, car la Géorgie, comme la plupart des pays, est une société multinationale. De manière surprenante, peut-être, le mouvement est rapidement passé du statut d’idéologie de cette élite intellectuelle à celui de mouvement de libération nationale des Géorgiens.
Puis une chose très étrange et intéressante s’est produite. Juste après le tournant du siècle, en 1902, les paysans d’un endroit appelé Guria, dans l’ouest de la Géorgie, se sont révoltés contre leurs propriétaires terriens. Certains sociaux-démocrates ont dit : « Nous devrions nous impliquer dans ce mouvement », mais d’autres ont dit : « Mon Dieu, nous sommes des marxistes, nous sommes pour la classe ouvrière. Les paysans sont arriérés, ils sont petits bourgeois, vous ne pouvez pas avoir un mouvement révolutionnaire avec des paysans. Ils vont devenir nos ennemis comme ils l’ont fait en 1848 et 1871 avec la Commune de Paris. Pas question. »
Mais finalement, ces marxistes géorgiens, qui deviendront plus tard des mencheviks, l’aile la plus modérée du parti social-démocrate de l’empire russe, se sont liés à ces paysans révolutionnaires. Le mouvement a été lancé par les paysans, qui ont ensuite cherché des leaders. Les marxistes sont devenus les leaders et soudain, le marxisme géorgien, puis le menchevisme géorgien, ont eu une base populaire, bien plus importante que celle du menchevisme partout ailleurs dans l’empire.
Ainsi, après 1905, lorsque le tsar russe a cédé et donné au peuple une douma, un parlement, (la première Douma d’État de l’Empire russe fut convoquée le 27 avril 1906), la fraction socialiste dominante dans ce parlement était les mencheviks géorgiens. Ils sont devenus les leaders de la fraction sociale-démocrate de la douma et plus tard les leaders de la révolution russe de 1917 après février, jusqu’à ce que les bolcheviks prennent le pouvoir plus tard cette année-là.
Chris Maisano – Est-il juste de dire que le mouvement géorgien a anticipé, à certains égards, certains des mouvements de libération nationale qui ont mélangé le socialisme et le nationalisme plus tard au vingtième siècle en Chine, au Vietnam ou à Cuba ? Il y a évidemment de nombreuses différences entre la Géorgie et ces autres pays, mais les parallèles sont frappants.
Ronald Suny – C’est tout à fait exact. En fait, c’est le premier exemple que j’ai trouvé de marxistes dirigeant ou participant de manière significative à un mouvement paysan. Ce qui ensuite, comme vous le dites, dans le monde extra-européen devient davantage un modèle. Je dois également souligner que de tous les sociaux-démocrates russes, c’est en fait Vladimir Lénine, le chef de la fraction bolchevique, qui était le plus disposé à s’allier avec les paysans pauvres, contrairement aux mencheviks russes. Il y avait donc une nette différence entre les mencheviks géorgiens et russes.
Les mencheviks russes voulaient s’allier avec les libéraux bourgeois et s’inquiétaient de les effrayer et qu’ils rejoignent la réaction. Lénine ne voulait pas s’allier avec les libéraux bourgeois et disait : « Non, n’ayez pas peur de cela. Alignons-nous avec la paysannerie pauvre et la classe ouvrière. Nous aurons une coalition démocratique des classes inférieures et nous pourrons faire une révolution de cette façon. »
Chris Maisano – Plus tôt, vous avez mentionné que de nombreuses figures de proue de la social-démocratie géorgienne sont passées par les mêmes institutions que Staline, à savoir ce séminaire religieux de Tiflis. Qu’est-ce qui a fait de ce séminaire une telle usine de révolutionnaires ? Je suis sûr que ce n’était pas l’objectif des personnes qui le dirigeaient.
Ronald Suny – Oui, le séminaire orthodoxe de Tbilissi (ou Tiflis) était une sorte de fabrique, comme vous dites, de révolutionnaires. Sa mission était de produire des prêtres et c’est ce que la mère de Staline voulait qu’il devienne, mais il produisait en fait des révolutionnaires. Il n’est pas difficile d’expliquer pourquoi. Tout d’abord, le séminaire était dirigé par les prêtres orthodoxes russes les plus impitoyables et les plus répressifs qui méprisaient les Géorgiens et avaient l’intention de les « russifier ». Le géorgien n’était pas autorisé à être parlé et il y avait une sorte de poussée anti-nationale dans cette institution.
Lorsque Staline est entré au séminaire, il était en fait une sorte de nationaliste géorgien romantique. Il écrivait des poèmes, il aimait chanter, il aimait la musique géorgienne. Au cours de son éducation, sa propre nationalité semblait menacée par ces prêtres russophiles qui traitaient les Géorgiens de chiens, qualifiaient leur langue de langue de chien. Tout cela a conduit de nombreux étudiants à s’opposer non seulement à l’éducation religieuse mais aussi au régime, et ils ont trouvé une solution à leur dilemme dans le mouvement que ces autres intellectuels et anciens séminaristes prêchaient en Géorgie, à savoir le marxisme.
Chris Maisano – Comment exactement Staline a-t-il fait cette transition du nationalisme géorgien romantique à la social-démocratie et pas seulement à la social-démocratie mais au bolchevisme ?
Ronald Suny – Ma biographie n’est pas psychanalytique. Je n’ai pas adopté un point de vue freudien, car je ne pense pas, en tant qu’historien, pouvoir psychanalyser Staline cent ans après les faits. Mais on ne fait pas de biographie sans psychologie. Vous devez déterminer, par ses écrits, ses actions et ce que d’autres personnes ont dit de lui, quelle était sa mentalité, pour autant que nous puissions la déterminer. Il y a des parties du cerveau et de l’esprit qui sont fermées aux historien.ne.s, mais nous faisons du mieux que nous pouvons.
Ce que j’ai découvert, c’est que la rigidité et le caractère répressif du séminaire orthodoxe ont créé chez les jeunes Géorgiens une sorte d’aliénation, ou ce que j’appelle une crise de double réalisation. Ils étaient, comme Staline, pauvres et socialement périphériques. Il était même difficile de survivre dans cet environnement. Deuxièmement, ils étaient confrontés non seulement aux préjugés sociaux et de classe, mais aussi aux préjugés ethniques promus par le régime. Ainsi, pour devenir eux-mêmes en tant qu’individus et pour devenir pleinement géorgiens, ils devaient se retourner contre le régime.
Staline a trouvé un héros dans un court roman intitulé The Patricide d’un écrivain nommé Alexandre Kazbegi. Le héros de l’histoire est Koba, un féroce hors-la-loi qui vit dans les montagnes et se venge de ceux qui ont commis des injustices contre le peuple. La vengeance est une manière de rétablir un ordre juste, en se débarrassant de ceux qui ont brisé les voies traditionnelles de la justice et de l’équité. Il a donc pris le surnom de Koba, et ses amis proches l’ont appelé ainsi jusqu’à la fin de sa vie.
Pour réaliser ses aspirations à l’auto-libération et à la libération de son pays, il s’est tourné vers la révolution puis a progressivement découvert le marxisme. Le marxisme n’est pas une philosophie nationaliste, c’est une philosophie internationale et cosmopolite et, petit à petit, il a gravité vers le mouvement social-démocrate russe, le mouvement que les marxistes géorgiens développaient. Il a adopté la philosophie la plus avancée, la plus moderne et la plus progressiste qui existait en Géorgie et a fini par tourner le dos à son propre pays.
La plupart des sociaux-démocrates géorgiens sont devenus mencheviks mais lui est devenu bolchevik. Pourquoi le bolchevisme ? En 1902, Lénine a écrit un pamphlet intitulé Chto Delat, ou Que Faire? Ce pamphlet, qui a été très mal compris, était une polémique au sein des petits cercles de la social-démocratie russe contre ce que Lénine et d’autres appelaient « l’économisme ». L’économisme était une sorte d’approche réformiste qui visait à soutenir les travailleurs dans leurs efforts pour réduire les heures de travail, améliorer les conditions de travail et augmenter les salaires et non la lutte politique contre le régime lui-même. Lénine, bien sûr, était toujours dévoué à la révolution et il a soutenu dans Que Faire? que si les travailleurs étaient laissés à eux-mêmes, ils ne feraient que développer ce qu’il appelle une conscience syndicaliste, une sorte de conscience bourgeoise. Ils se contenteront de rester dans le système capitaliste et d’obtenir une plus grosse part du gâteau économique, sans devenir révolutionnaires.
Pour que les travailleurs deviennent révolutionnaires, les sociaux-démocrates doivent leur transmettre le message afin qu’ils comprennent pleinement la répression qu’ils subissent et la nécessité de la révolution. Cela doit venir des sociaux-démocrates et d’un parti social-démocrate, en l’occurrence un parti conspirateur parce que la Russie était un État policier. Il est important de se rappeler que Lénine ne voulait pas seulement que des intellectuels fassent ce travail, il voulait aussi des travailleurs. Il voulait que les socialistes-ouvriers soient capables de transmettre ce message au peuple.
Ce pamphlet est souvent mal compris comme un appel aux intellectuels à dominer la classe ouvrière. Ce n’est pas le cas. Lénine voulait particulièrement ce qu’il appelait les « Bebel russes », des socialistes ouvriers comme le social-démocrate allemand August Bebel, qui était un travailleur manuel.
Staline, bien sûr, était précisément cela. Son père était cordonnier. Il était donc un ouvrier-intellectuel et Lénine l’a promu pour cette raison. Lénine croyait que les travailleurs ont des tendances naturelles vers le socialisme. Mais étant donné la domination de la culture bourgeoise, de l’hégémonie, comme il l’appelait, des idées bourgeoises, il est très difficile pour eux de graviter spontanément vers le socialisme. Les sociaux-démocrates peuvent apporter ce message et enseigner aux travailleurs la nécessité de la conscience socialiste et d’une posture révolutionnaire. C’est le message de Que Faire?
Imaginez l’impact sur des révolutionnaires jeunes et énergiques comme Staline lorsqu’ils ont lu ce pamphlet. Ils ont compris que la vision de Lénine leur conférait un rôle important, celui d’aller sur le terrain, de faire de l’agitation et de la propagande. Staline a donc très rapidement adopté cette position léniniste, qui trouvait un certain écho en Géorgie à cette époque, de 1902 à 1904. Mais les leaders de ce qu’on appelle le mesame dasi, la « troisième génération » d’intellectuels qui ont apporté le message du marxisme en Géorgie, sont devenus des mencheviks et le mouvement géorgien est passé sous la direction du menchevisme en 1905.
Staline et les quelques bolcheviks géorgiens qui sont restés fidèles à Lénine se sont retrouvés en plan, généraux sans armée. Finalement, Staline a dû abandonner la Géorgie et se rendre à Bakou, le centre pétrolier de la mer Caspienne, aujourd’hui la capitale de l’Azerbaïdjan, où les bolcheviks bénéficiaient d’un soutien significatif de la part des travailleurs. Plus tard, en 1905, Lénine a mis de côté l’argument de Que Faire ? et a déclaré : « Les travailleurs sont maintenant dans les rues. Ils font la révolution. Nous devons recruter des travailleurs dans notre mouvement, nous devons étendre notre mouvement. » Certains bolcheviks se sont accrochés à cette idée plus étroite du parti que Lénine a formulée en 1902 dans Que Faire ? et cette conception reviendra plus tard à l’époque soviétique. Mais lorsque les travailleurs devenaient spontanément actifs et révolutionnaires, Lénine voulait célébrer cela.
Chris Maisano – Staline semblait vraiment s’imprégner de l’idée que les travailleurs-intellectuels sociaux-démocrates avaient un rôle très important et spécial à jouer dans la construction du mouvement et la transmission de leur message aux masses. Mais beaucoup de ses contemporains pensaient qu’il ne contribuait pas beaucoup à cet égard. N. N. Sukhanov l’a décrit comme un « flou gris » par rapport à des personnalités plus brillantes comme Lénine et Trotsky. Dans ses Mémoires, Trotsky a jugé que Staline n’avait pratiquement aucune influence sur les bouleversements révolutionnaires de 1905 et 1917. Mais vous considérez Staline comme une figure plus importante du mouvement que ces évaluations critiques ne le laissaient supposer. Quel rôle Staline a-t-il réellement joué, non seulement dans la faction bolchevique, mais dans le mouvement social-démocrate dans son ensemble ?
Ronald Suny – Beaucoup de gens ont commis l’erreur, à leur détriment, de sous-estimer Staline. Staline avait de vrais talents. Il n’était pas un orateur flamboyant et éloquent comme Trotsky. Il n’était pas un théoricien sophistiqué et nuancé comme Lénine. Mais il avait de vrais talents.
Le grand talent de Staline était ce qu’un de mes amis, Paul Gregory, appelait le « jeu de terrain ». Plutôt que de se contenter d’écrire des articles (ce qu’il faisait) ou de parler à des foules, il s’efforçait d’organiser et d’atteindre les gens dans les usines, de travailler avec eux et d’essayer de les inciter à agir dans les rues. Staline était très bon dans ce domaine. À maintes reprises, j’ai constaté qu’il est loué, même par ses ennemis, pour être un bon organisateur.
Il y a une anecdote amusante qui n’est probablement pas vraie, mais elle est illustrative. Vers 1922, Lénine dit : « J’ai besoin de quelqu’un pour aller dans cette usine, travailler avec ces gars et faire cette chose. Trotsky, tu peux faire ça ? » Trotsky refuse en disant : « Oh, vous savez, Vladimir Ilitch, je dois écrire mon article en ce moment sur la littérature et la révolution. » Staline dit : « Je vais le faire. » Ce n’est pas une histoire vraie, mais c’est ce que Staline savait faire : la politique interne du parti, recruter des adeptes, trouver des gens loyaux avec lesquels il pouvait travailler, ou qu’il pouvait récompenser. C’est ce qui a fait le succès de Staline.
Staline aurait été un bon patron de la mafia ou un bon PDG d’entreprise. Il savait comment jouer ces jeux politiques internes, et il avait ses propres idées. L’autre grand talent de Staline était qu’il pouvait prendre les idées très sophistiquées de Lénine, comme celles que j’ai décrites à propos de Que faire ? et les simplifier et les articuler d’une manière qui était très ennuyeuse pour les autres intellectuels, mais qui était efficace pour convaincre les gens ordinaires, les travailleurs, ou qui que ce soit, de ses points de vue.
Chris Maisano – Vous mentionnez qu’il n’était pas un grand théoricien, mais l’un des moments clés de sa carrière a été la publication de ses écrits sur la « question nationale », qui a augmenté son profil dans le mouvement. Quelles étaient ses perspectives fondamentales sur la question nationale, et en quoi différaient-elles de certains des autres points de vue du mouvement, tant en Russie qu’ailleurs ?
Ronald Suny – Vers 1913, il a produit un pamphlet parfois appelé Le Marxisme et la question nationale, il porte différents titres. Il avait été commandé par Lénine et suivait essentiellement les idées de ce dernier. À cette époque, il était un obscur fonctionnaire de niveau inférieur ou moyen du parti, membre du comité central bolchevique, mais pas encore une personnalité connue. Cet écrit est devenu extraordinairement important plus tard, lorsque les bolcheviks ont pris le pouvoir, lorsqu’il est devenu d’abord le commissaire du peuple aux nationalités et finalement l’autocrate de l’Union soviétique. Les idées deviennent donc importantes.
Le postulat de base était que les marxistes et les sociaux-démocrates devaient soutenir la libération nationale. De nombreux marxistes, comme Rosa Luxemburg ou Nikolaï Boukharine, pendant un temps, et d’autres pensaient que toute forme de nationalisme devait être rejetée. Lénine a dit : « Non, le nationalisme existe, il fait partie du stade capitaliste bourgeois de l’histoire et nous devons reconnaître sa puissance. Par conséquent, si les Finlandais, les Polonais ou les Ukrainiens veulent être indépendants de la Russie, nous devons soutenir leurs aspirations nationales. » Il a poussé cette position et il a dit : « Nous devons soutenir l’autodétermination nationale, jusqu’à la séparation de l’empire. » C’était une position radicale dans le mouvement.
Le deuxième point principal était que si les nationalités choisissaient de rester au sein de l’empire, elles seraient organisées sur la base d’une autonomie régionale, mais pas d’une autonomie nationale, culturelle ou ethnique, au sein du nouvel État unifié et centralisé. Bien entendu, cette position a changé dans la pratique après la prise du pouvoir par les bolcheviks. L’Union soviétique est devenue le premier pays au monde, du moins le premier grand pays au monde, qui a adopté une constitution basée sur l’autonomie territoriale nationale pour la Géorgie, l’Arménie, l’Ukraine, etc… et une union fédérale des États, l’Union des républiques socialistes soviétiques.
Mais ce n’était pas la position dans ce pamphlet, ni dans les travaux antérieurs de Lénine. C’est une concession qu’ils ont faite une fois que la révolution a eu lieu et qu’ils ont vu la puissance de ces mouvements nationaux indépendants. C’était une stratégie pour les rassembler au sein d’un État russe.
Staline s’opposait aux vues d’autres personnes, comme les mencheviks géorgiens, ou le Bund juif, ou les austro-marxistes, qui plaidaient pour quelque chose que l’on peut appeler « autonomie culturelle nationale extraterritoriale ». Cela signifierait que les citoyens de l’État transportent leur ethnicité et leur nationalité avec eux partout où ils vivent dans l’État. Ainsi, si vous vivez à Brooklyn ou à Ann Arbor, vous pouvez toujours voter pour votre administration nationale, d’où que vous veniez. Staline et Lénine ont estimé que cela allait trop loin, que cela encourageait la création d’une nationalité et ils s’y sont opposés. Mais ils ont fini par concéder que le nouvel État serait organisé sur la base de l’autonomie nationale, culturelle et territoriale : les Arméniens avec leur propre république, les Ukrainiens avec la leur, etc.
L’une des choses les plus extraordinaires de l’histoire soviétique est qu’après la révolution, ils ont non seulement reconnu ces républiques, mais ont aussi créé littéralement des milliers de villages et de zones en Ukraine, en Russie et ailleurs pour d’autres nationalités. Disons que vous avez un village juif en Ukraine, quelque part, et qu’il y a une majorité de Juifs là-bas, et c’est assez cohérent. Ils ont donné à ce village leur propre soviet juif et le droit d’avoir leur propre représentation nationale en Ukraine.
C’est extraordinaire. Il y a eu un réel effort, après la révolution, pour résoudre le problème national en faisant des concessions sur la base de la culture nationale, en promouvant les langues locales, les élites locales, les cadres de même nationalité. Staline fera plus tard de l’URSS un État plus centralisé et russifiant, mais ils ne se débarrasseront jamais de cet encouragement à la culture nationale, jusqu’à la fin. Bien sûr, certains diront que c’était une erreur, car finalement ces républiques se sont battues contre l’Union soviétique centrale et sont devenues des États indépendants.
Chris Maisano – Les principaux sociaux-démocrates géorgiens ont également modifié leur approche de la question nationale après avoir pris le pouvoir. Traditionnellement, ils n’étaient pas en faveur d’une autonomie territoriale nationale pour la Géorgie, mais plutôt d’une autonomie régionale au sein d’un État multinational russe plus vaste. Vous n’en parlez pas dans votre livre, mais en 1918, les sociaux-démocrates géorgiens ont créé une nouvelle république démocratique géorgienne indépendante. Nous venons de marquer le centenaire du renversement par les bolcheviks de cette République démocratique de Géorgie (RDG). Qu’était la RDG ? Pourquoi les bolcheviks l’ont-ils renversée, et quel rôle Staline a-t-il joué dans cette décision ?
Ronald Suny – C’est une histoire fascinante et tragique. Une voie vers un autre type de socialisme a été contrecarrée et n’a pas pu se développer. Les sociaux-démocrates géorgiens avaient des points de vue différents. Certains voulaient vraiment l’indépendance vis-à-vis de l’empire. D’autres voulaient cette autonomie culturelle nationale extraterritoriale. Il y a donc eu des débats au sein du mouvement, et avant la révolution, Staline s’est battu contre beaucoup de ces choses.
En 1917, les mencheviks ont pris le contrôle de la région que nous appelons la Géorgie, et ils ont fait plusieurs tentatives pour savoir quoi faire une fois que les bolcheviks ont pris le pouvoir à Petrograd en octobre 1917. Ils ont essayé une fédération caucasienne. Cela n’a pas fonctionné. Les Azerbaïdjanais étaient pro-turcs, les Arméniens étaient évidemment anti-turcs car ils venaient d’être massacrés lors du génocide de 1915. Les Géorgiens flirtaient avec les Allemands, les Arméniens flirtaient avec les Britanniques.
Dans ce chaos, les mencheviks géorgiens déclarent l’indépendance le 26 mai 1918 et forment une nouvelle république. Deux jours plus tard, l’Azerbaïdjan a déclaré son indépendance, tout comme les dirigeants arméniens, à contrecœur, car ils étaient très faibles et les Ottomans étaient à la frontière. Il y avait donc trois républiques qui allaient devenir des républiques soviétiques.
Pendant les quelques années suivantes, de mai 1918 à février 1921, vous avez une République Démocratique de Géorgie, dirigée par les mencheviks. Elle est dirigée par des sociaux-démocrates mais ses orientations politiques sont ce que vous appelleriez des démocraties bourgeoises. Ils ne construisaient pas tout à fait le socialisme ; ils construisaient une société capitaliste avec beaucoup de bien-être. C’est une société paysanne, elle n’était pas encore vraiment adaptée à un socialisme marxiste. Karl Kautsky, le grand théoricien de la social-démocratie allemande, est venu dans le pays et a écrit un livre intitulé Georgia : A Social-Democratic Peasant Republic, qui fait l’éloge de cette expérience démocratique.
Lénine a flirté avec la reconnaissance de cette république et a même fait des concessions à son égard. Il pensait qu’elle n’était pas nécessairement un ennemi des bolcheviks, qu’ils pouvaient vivre avec elle. Mais certains bolcheviks géorgiens, comme Sergo Ordzhonikidze et, surtout, Staline lui-même, n’y étaient pas favorables. Je simplifie ici, mais ils ont essentiellement envoyé l’Armée rouge en Géorgie, renversé les mencheviks et établi un gouvernement communiste.
Lénine, à contrecœur, a reconnu la prise de pouvoir soviétique en Géorgie. Il était prêt à faire des concessions, mais en fin de compte, les bolcheviks géorgiens ont créé des faits sur le terrain et il y a eu une Géorgie soviétique. Les mencheviks se sont enfuis, d’abord à Batumi sur la mer Noire, puis en France, où ils ont maintenu un gouvernement en exil pendant plusieurs décennies.
Chris Maisano – Le soutien de Staline à l’invasion était-il simplement un héritage de ses luttes de fractions avec les mencheviks géorgiens ou était-il fondé sur des principes?
Ronald Suny – Contrairement à Lénine, Staline était beaucoup moins tolérant envers le nationalisme ou le communisme national. Ainsi, lui et Ordjonikidze ont non seulement envoyé l’armée pour se débarrasser des mencheviks, mais, pendant les deux années suivantes, ils ont lutté contre les bolcheviks nationaux géorgiens locaux qui voulaient une plus grande autonomie pour la Géorgie soviétique. Lénine s’est rangé du côté de ces bolcheviks nationaux et a gagné la bataille, mais a finalement perdu la guerre.
Staline et Ordjonikidze ont vaincu les bolcheviks nationaux géorgiens et la Géorgie a été intégrée dans la République soviétique fédérative socialiste de Transcaucasie, avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui ont à leur tour fait partie de l’Union soviétique. La plupart des bolcheviks nationaux géorgiens seront finalement assassinés lors des purges des années 1930.
Staline voulait une Union soviétique beaucoup plus centralisée, avec moins d’autonomie pour les groupes nationaux. Lénine voulait donner plus d’autonomie, parce qu’il était plus sensible à la question nationale, aux peuples non-russes et aux républiques non-russes. Il a réussi à tenir Staline à distance tant qu’il était encore en vie, mais il a souffert plusieurs attaques, est devenu invalide et il est mort en janvier 1924. Staline a continué pendant près de trente ans et a construit un autre type d’Union Soviétique.
Chris Maisano – On rencontre parfois une nostalgie plus ou moins ironique pour Staline et l’Union soviétique chez les nouveaux socialistes d’aujourd’hui. Vous avez consacré votre vie à étudier cette histoire. Que pensez-vous de cet élan ?
Ronald Suny – Je pense qu’il s’agit d’une impulsion de droite, très conservatrice, voire réactionnaire. Staline était le fossoyeur de la révolution. Comme l’a dit Trotsky, un fleuve de sang séparait Lénine de Staline. La révolution a été faite par des gens ordinaires en 1917, d’abord les femmes, qui ont ensuite appelé les travailleurs dans les rues. Finalement, les soldats se sont rendus aux foules et vous avez eu une révolution. Le tsarisme a disparu. En 1917, il y a eu une euphorie de la participation populaire, des comités, des résolutions, etc.
Les gens ordinaires doivent finalement rentrer chez eux, gagner leur vie, s’occuper des enfants, préparer le dîner. Finalement, cette révolution démocratique et participative a été consumée par l’intervention étrangère, la guerre civile, l’effondrement de l’économie et la construction, par les bolcheviks, d’un État centralisé et autoritaire. Si j’écris un deuxième volume sur Staline, je parlerai de la période allant de 1917 à la mort de Lénine en 1924, de la manière dont l’État soviétique a été construit, et de la façon dont il est passé de cet idéal plus participatif, du type Commune de Paris que l’on trouve dans le livre de Lénine, l’État et la Révolution, à ce qui est finalement devenu un État à parti unique sous Lénine et finalement la tyrannie stalinienne qui a détruit la plupart des cadres léninistes en 1937.
Les gens de gauche ne devraient pas s’excuser pour Staline. Il est vrai, bien sûr, qu’il a accompli beaucoup de choses : une révolution industrielle forcée et assez grossière, mais réussie, les campagnes d’alphabétisation, la victoire sur le fascisme, la destruction du nazisme, la fin de l’holocauste. Mais le stalinisme a été le nadir de l’expérience soviétique. Ce fut une période sanglante et impitoyable. Elle a détruit un grand nombre des réalisations importantes qui avaient été acquises auparavant. Il a rendu le pays encore plus stupide en décapitant le parti et l’intelligentsia et en transformant les gens en rouages, ou en petites vis, comme le disait Staline.
Le marxisme et le socialisme sont fondamentalement une expansion démocratique de la démocratie libérale bourgeoise. C’est l’autonomisation des gens ordinaires. Le stalinisme a été l’usurpation du pouvoir du peuple, la décimation des syndicats et l’indépendance des gens ordinaires en une dictature du haut vers le bas. Malgré certaines de ses réalisations, il ne devrait pas être célébré.
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Ronald Suny est professeur d’histoire titulaire de la chaire d’histoire William H. Sewell Jr. à l’Université du Michigan, professeur émérite de sciences politiques et d’histoire à l’Université de Chicago et chercheur principal à l’Université nationale de recherche / Ecole des hautes études en sciences économiques (EHESE) de Saint-Pétersbourg, en Russie. Il est l’auteur de The Baku Commune, 1917-1918 : Class and Nationality in the Russian Revolution (Princeton University Press, 1972), parmi de nombreux autres ouvrages.
Chris Maisano est un collaborateur de Jacobin, membre des Democratic Socialists of America.
Traduction par Christian Dubucq pour Contretemps.