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Sri Lanka: révolution prolétarienne

Sri-Lanka

Lien publiée le 16 mai 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Sri Lanka : révolution prolétarienne. – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)

Illustration de cet article : affiche du Conseil étudiant appelant à chasser le gouvernement. Source : page Facebook de Jacques Chastaing.

Notre attention mondiale a été forcément polarisée par la guerre impérialiste de destruction de l’Ukraine engagée le 24 février dernier. Mais celle-ci est un catalyseur de toute la situation mondiale dont les voyants passent partout au rouge les uns après les autres.

Le fait le plus important survenu dans un autre secteur géographique depuis le 24 février vient de se produire avec la crise révolutionnaire au Sri Lanka.

Depuis des semaines, les manifestations populaires déferlent. Bien que l’héritage en soit présent dans la mémoire collective, ce ne sont pas des grandes grèves unitaires nationales dénommées hartal, ayant marqué le combat pour l’indépendance puis contre la dépendance néocoloniale il y a des décennies, quand le plus gros parti de masse dirigé par des trotskystes au monde (le LSSP, Lanka Sama Samaya Party) les avaient inspirés. Ce sont des soulèvements pour la survie. Les camarades du WIN nous communiquent ces propos de notre vieux camarade Saranapala décrivant ainsi les conditions de survie :

«  … la vie civilisée au Sri Lanka est aujourd’hui au bord du gouffre. Épuisés par des coupures de courant quotidiennes pouvant durer jusqu’à douze heures, les gens sont obligés de faire la queue pendant huit heures pour s’approvisionner en kérosène ; les hôpitaux ferment et les patients meurent faute de médicaments ; les journaux cessent de paraître et les étudiants ne peuvent pas passer les examens faute de papier. La police et les voyous embauchés attaquent sauvagement les manifestants sans défense. »

C’est contre cela, après bien des défaites, bien des reculs, mais sans nul doute en écho au grand mouvement paysan indien et aux récentes grèves générales indiennes, qui ne sont pas parvenus à renverser Modi mais l’ont ébranlé, que la montée de la protestation directe de la jeunesse et des déshérités a déferlé au Sri Lanka.

Et, comme tout mouvement du prolétariat, cette lutte sociale s’est affirmée comme lutte directement politique en se situant sur le plan de l’affrontement avec le président et la famille – le clan mafieu- au pouvoir : le président Gotabaya Rajapaksa, et ses frères, se répartissant tous les postes gouvernementaux clés, et préconisant une répression des « délinquants » -et des tamouls- à la manière de Dutertre aux Philippines. Ce clan issu d’une lignée de propriétaires terriens, détenteurs de magasins et exportateurs de riz et de lait de coco, est parvenu au premier plan depuis 2005, et s’est enrichi depuis par le détournement des fonds publics. Il ne faut pas trop chercher à approfondir le contenu politique et idéologique du clan : il se veut « nationaliste », anti-tamoul, et a récupéré les morceaux déconfits du Sri Lanka Freedom Party, autrefois partis nationaliste « de gauche ». Surtout, il paye une clientèle armée, sorte de tontons macoutes qui sont sortis, avec la police, affronter les manifestants, suscitant contre eux l’auto-défense et la recherche des armes par la population soulevée.

Au moment actuel, le président a tenté un remaniement en remplaçant son frangin par un vieux politicien du parti nationaliste « de droite » UNP, Ranil Wickremesinghe, tout en permettant officiellement à la police de tirer à balles réelles, ce qu’elle fait déjà. Suite à cette nomination et à la promesse d’un « dialogue », les directions syndicales ont levé l’appel à un hartal (grève générale) visant ouvertement à chasser le président, qui avait été fixé au jeudi 13 mai.

Mais, retrouvant les méthodes des paysans indiens à Delhi, qui furent aussi celles du Maidan ukrainien et des regroupements sur la place Tahir et d’autres lieux lors des révolutions arabes, un point de regroupement, de fixation et d’auto-organisation s’est formé autour du campement No-deal-gama (pas d’accord, pas de discussions avec la présidence !). Le Conseil des étudiants interuniversitaires élu par de larges secteurs de la jeunesse et qui regroupe au-delà des universités, a formulé un programme répondant à la manœuvre du pouvoir central, publié par le camarade Jacques Chastaing en France sur sa page Facebook, qu’il en soit remercié :

Nous ne sommes pas pauvres, nous sommes volés.

  1. Dehors Gotabaya, dehors le système présidentiel, pour transformer le système économique et social.
  2. Nouvelle constitution élaborée publiquement par le peuple pour que tout le pouvoir revienne au peuple.
  3. Restitution de tout l’argent volé au peuple depuis 1977 par les politiciens et tous les pillards de l’argent public. [la date de 1977 désigne ce que les sri lankais appellent, à juste titre, les « pogroms » déclenchés cette année là après les élections législatives, contre les tamouls et contre la nouvelle extrême-gauche du JVP]
  4. Jugement et punition de tous les auteurs de crimes au pouvoir,
  5. 85% des recettes fiscales sont des impôts indirects pris au peuple, et les grandes entreprises ne paient que 15% des impôts. Il faut inverser ces chiffres : que les riches paient 85% des impôts !
  6. Les sociétés cotées en bourse ont fait un bénéfice de 200 milliards de roupies en 2020, les 9 plus riches du pays ont gagné 891 milliards, le capital des quatre plus riches ont dépassé le billon de roupies. 2020 est en même temps l’année où la grande majorité est tombée au fond de la pauvreté. Cette richesse doit être prise à ces quelques individus et utilisée pour les besoins du peuple ! [ l’année 2020 est celle du Covid et des confinements].
  7. Une commission publique d’enquête avec les ouvriers, paysans, enseignants, syndicalistes, étudiants, représentants d’association, déterminera les responsabilités de l’exécutif et du législatif dans la situation présente.
  8. Un organisme public de contrôle des prix doit être instauré par les organisations de femmes, de paysans, d’ouvriers, d’étudiants, de pécheurs, de consommateurs, pour fixer les prix des produits de première nécessité et en enlever le pouvoir au marché et aux entreprises.
  9. Il faudra prendre le contrôle de l’économie pour l’arracher aux mains de la Banque mondiale et du FMI.
  10. L’éducation ne doit plus être une marchandise mais une arme d’émancipation.
  11. Tous les accords signés avec les impérialismes : États-Unis, Inde, Chine, doivent être rompus s’ils vont contre les intérêts populaires.
  12. Stop à la privatisation des biens publics et restitution de ce qui a été privatisé !

Saluons les perspectives de cet appel, qui relie exigence démocratique pour que le pouvoir et la constitution soient ceux du peuple, et exigence sociale pour que ce qui lui a été, et qui lui est, volé, revienne au peuple.

Les manifestations insurrectionnelles ont démarré en février 2022 sous l’effet direct de la hausse des carburants, comme un mois auparavant au Kazakhstan. La dénonciation de la dette « publique » n’est pas formulée explicitement mais découle logiquement de l’appel du Conseil étudiant, car sans cela rien de ce qu’il exige ne se fera. Le Sri Lanka a justement connu un premier défaut sur sa « dette » en avril, sous la pression directe des manifestations. Elle est illégitime, elle est structurellement liée à la corruption du clan Rajapaksa, il faut l’abroger. Mais à quels capitalistes est-elle « due » ? Cela aussi, il faut le dire, car c’est un trait central de la situation. Les détenteurs de la « dette publique » sri-lankaise sont les fonds souverains de la République Populaire de Chine. Le FMI est bien entendu totalement en accord avec le régime chinois pour exiger le remboursement jusqu’à la dernière roupie des plus de 50 milliards de dollars « dus » … (un dollar = 360 roupies). Le point 11 de l’appel du Conseil étudiant est donc crucial.

Chasser le pouvoir en place et détruire le gang au pouvoir est l’objectif premier. Il ouvre la voie à la démocratie et aux conquêtes sociales. Si la bande au pouvoir est virée, ce sera par le peuple insurgé. Dès lors, se posera à lui la question d’organiser des élections à une assemblée constituante dans les conditions les plus démocratiques qui soient. Et de se lier à la lutte engagée dans les autres pays du monde indien, avec la résistance armée au Myanmar qui se renforce, avec les peuples du Pakistan qui viennent eux-mêmes de produire un remaniement du pouvoir, avec les paysans, ouvriers, peuples, femmes, dalit et la jeunesse d’Inde comme du Bangladesh.

Ce 14 mai 2022, s’est produit un autre évènement très important pour la situation mondiale, à proximité : le gouvernement indien de Modi a interdit les exportations de céréales. Le réchauffement climatique causé par la combustion des hydrocarbures pour assurer les taux de profit écrase des centaines de millions d’humains depuis des semaines à 40 voire 50 degrés centigrades. L’effondrement des réserves alimentaires en Inde combiné au blocage des exportations de céréales ukrainiennes causée par la guerre de Poutine et à la fragmentation du marché mondial en cours, vont mettre la lutte pour la vie à l’ordre-du-jour pour des centaines de millions de femmes et d’hommes. Les combattants de la Défense territoriale ukrainienne comme la jeunesse « universitaire » sri-lankaise appelant à renverser le pouvoir dessinent l’horizon nécessaire de l’entrée dans le dur du XXI° siècle, qui vient de se produire.

VP, le 14/05/22.