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    "Après le choc d’inflation, le spectre de la récession" par Jonathan Marie

    économie inflation

    Lien publiée le 21 mai 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    "Après le choc d'inflation, le spectre de la récession" par Jonathan Marie (qg.media)

    Alors que la France connaît une explosion des prix à la pompe et une inflation qui monte en flèche, l’économiste Jonathan Marie a répondu aux questions de QG. Trop forte dépendance de notre activité aux importations, revenus du travail cloués au sol, la situation est extrêmement difficile. Si la Banque centrale européenne décidait de remonter ses taux directeurs, tout pourrait bientôt s’enflammer. Interview par Jonathan Baudoin

    L’inflation et le ralentissement de l’activité économique sont en train d’obscurcir fortement l’avenir français, si on se réfère aux publications faites par l’Insee, fin avril 2022, avec un taux d’inflation à 4,8 % et une croissance nulle au premier trimestre. De quoi recommander des hausses de salaires indexées sur l’inflation aux dires de l’économiste Jonathan Marie, membre des Économistes Atterrés, pour qui l’inflation actuelle tend à perdurer en raison d’une incertitude globale, accentuée par la guerre russo-ukrainienne. Cette guerre doit pour lui être l’occasion d’une réflexion sur la question de la dépendance énergétique, autant pour réduire la pression sur les ménages que pour répondre à un « impératif écologique ». Interview par Jonathan Baudoin

    QG: Selon l’Insee, le taux d’inflation en France a été de 4,8% sur un an au mois d’avril. Dans quelle mesure ce taux d’inflation pèse sur la croissance économique, sachant qu’elle a été nulle au premier trimestre 2022 ?

    Jonathan Marie : L’inflation risque de grever l’activité par deux vecteurs principaux : le principal, c’est l’évolution des revenus réels des travailleurs. Les salaires ne progressent pas au même rythme que les prix et cette perte de revenu réel des travailleurs va freiner la consommation, et donc l’activité économique. Le second vecteur, c’est l’attitude des entreprises. Il est probable que l’activité anticipée par les entrepreneurs soit revue à la baisse, en particulier parce que la demande liée à la consommation des ménages baisse, et donc que l’investissement soit finalement moins important qu’attendu. Ce mécanisme serait encore accru si les taux d’intérêt devaient augmenter suite aux décisions de la BCE (Banque Centrale Européenne). Tout cela nourrit le spectre de la récession.

    QG : Dans nos colonnes, l’ancien trader Anice Lajnef indiquait récemment que la spirale inflationniste actuelle desservait les travailleurs, les épargnants, tandis que les « possédants » en tirait profit. Partagez-vous ce point de vue ?

    Oui, complètement. C’est ce que nous avions indiqué dans une note des Économistes atterrés que j’ai écrite avec Virginie Monvoisin en février dernier. Nous indiquions que les coûts des entreprises, autres que le coût salarial, s’élevaient actuellement, en particulier par la hausse des matières premières et de l’énergie. Mais l’augmentation de l’inflation est aussi la preuve que, globalement, les entreprises sont dans la capacité de répercuter ces hausses de coûts dans les prix finaux. Bien sûr, ce sont les plus grandes entreprises qui parviennent ainsi à maintenir leurs marges, voire même à les augmenter. Mais in fine, ce sont bien les salariés qui eux voient leurs revenus réels diminuer car les salaires n’augmentent pas. Les épargnants sont perdants aussi, en tous cas ceux qui épargnent à taux fixes. De plus, ce choc inflationniste intervient alors que la part des revenus du travail dans le PIB était déjà historiquement faible. Il est donc nécessaire de répartir le coût de l’inflation, et de soutenir les revenus du travail.

    QG : Doit-on s’attendre à une amplification de l’inflation au fur et à mesure que la guerre russo-ukrainienne perdurera ? Si oui, est-ce qu’une bascule dans l’hyperinflation est à envisager ?

    L’inflation peut être amenée à perdurer effectivement, on est vraiment dans une incertitude radicale. Les chaînes globales de production sont encore susceptibles de subir des ruptures et un tel contexte géopolitique favorise toujours la hausse des prix. En revanche, la crainte de l’hyperinflation est absolument injustifiée. L’hyperinflation, c’est le rejet de la monnaie domestique, son remplacement par une autre monnaie (par exemple le dollar) qui concurrence petit à petit la monnaie officielle. Dans les économies qui ont vécu des hyperinflations et donc l’effondrement complet de la monnaie, il y a systématiquement eu un processus dans lequel la hausse des prix qui précédait l’hyperinflation allait de pair avec le développement de l’indexation des contrats sur le taux de change, et le développement de l’endettement dans la devise plutôt que dans la monnaie domestique. Ces phénomènes ne sont absolument pas observés aujourd’hui dans l’UE, ni de manière générale dans les économies dites avancées.

    QG : La Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé ses taux directeurs pour faire face à l’inflation, ce mercredi 4 mai. Est-ce que la Banque centrale européenne (BCE) va lui emboîter le pas ou temporiser, craignant de générer un effet récessif sur l’économie réelle, selon vous ?

    Vous avez raison, la Fed ou la Banque d’Angleterre ont durci leurs politiques monétaires et relèvent leurs taux d’intérêt directeurs, c’est-à-dire le taux d’intérêt auquel les banques commerciales obtiennent la liquidité auprès de la banque centrale. Par effet de répercussion, ces augmentations de taux vont élever le coût de l’endettement pour les agents non financiers. C’est par ce mécanisme qu’on freine l’inflation : en agissant ainsi, on freine l’activité économique et on décourage les entreprises d’élever leurs prix car elles craignent alors de perdre encore plus de débouchés au profit de leurs concurrents. Mais l’inflation actuelle est provoquée par des hausses de coûts importés ; si la BCE augmente ses taux, on va certes faire baisser l’inflation, mais en générant de la baisse d’activité et en provoquant du chômage, en décourageant l’investissement, y compris l’investissement dans la transition écologique. Il y a donc un risque récessif important à relever les taux. Par ailleurs, une remontée des taux directeurs provoquerait une baisse des cours des obligations émises à faibles taux ces dernières années. La BCE craint aussi cet effet.

    Pour le moment, la BCE a eu une communication prudente et ne s’est pas engagée dans la remontée des taux. Mais je crains que l’été soit marqué par des remontées de taux, qui seront décidées lors des réunions de juillet prochain, car de plus en plus de voix en faveur de ces mesures se font entendre.

    QG : Est-ce qu’on assiste à un retour de la stagflation, telle qu’elle fut observée dans les années 1970 ?

    La situation actuelle n’est pas la même que celle des années 70. La stagflation de ces années-là était marquée par des fortes augmentations du chômage, de l’inflation et une baisse de l’activité économique, mais on partait d’une situation de plein emploi. Pour le moment on a la hausse des prix et un ralentissement de la croissance, mais il y a trois différences clés : le sous-emploi aujourd’hui, en particulier en France et en Europe, est beaucoup plus important qu’il ne l’était quand le choc pétrolier de 1973 est survenu ; les salariés ne parviennent pas aujourd’hui à obtenir des hausses de salaires ; et le choc inflationniste actuel, qui suscite une baisse de la part des salaires dans le PIB, survient alors que la part des salaires dans le PIB a déjà baissé de 10 points environ depuis les années 1970 ! Si la stagflation des années 1970 provoquait une forte restriction des profits des entreprises (on parlait parfois même de profit squeeze), les salaires étant indexés et régulièrement réévalués, les choses se sont inversées aujourd’hui. Les salariés sont étouffés. Certains signaux sont un peu encourageants de ce point de vue : le syndicat allemand IG Metal a entamé des négociations pour obtenir une hausse des salaires de plus de 8% dans la sidérurgie ; si les hausses étaient de cet ordre cela aurait des effets sur l’ensemble des revendications syndicales en Europe. Aux États-Unis les salaires tendent déjà à augmenter depuis plusieurs mois. Il faut que cela soit aussi le cas en France ! L’État a un rôle à jouer en déclenchant des négociations tripartites (gouvernement, syndicats de travailleurs, représentants des entreprises) et bien sûr en réévaluant le point d’indice qui sert de base au calcul des rémunérations des fonctionnaires.

    Le gouvernement doit aussi tirer la leçon de la situation actuelle : le choc inflationniste est provoqué par la trop forte dépendance de nos économies aux importations, parfois lointaines, parfois depuis des pays peu recommandables. Il faut donc revoir nos modes de production et de consommation pour atténuer notre dépendance à ces biens importés. C’est aussi un impératif écologique ! Et tant que cela n’est pas fait, il faut limiter l’inflation par des contrôles de prix quand c’est nécessaire et limiter les effets de l’inflation sur les salaires réels, par exemple en réinstaurant des mécanismes d’indexation automatique pour tous.

    Propos recueillis par Jonathan Baudoin

    Jonathan Marie est maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord, membre du collectif les Économistes Atterrés. Il est coauteur de La dette publique, Précis d’économie citoyenne (avec Eric Berr, Léo Charles, Arthur Jatteau et Alban Pellegris, éditions du Seuil, 2021)