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Hommages à Alain Krivine

Krivine

Lien publiée le 24 mai 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Inprecor

Pour tenir comme il a tenu, il fallait que l’emporte l’optimisme de la volonté.

J’ai tenu à inaugurer cet hommage à Alain par un prélude de Bach joué par Rostropovitch car il aimait la musique classique et particulièrement les instruments à cordes. Un frère qui jouait fort bien du violon et une famille très mélomane expliquent que la musique classique faisait quotidiennement partie de sa vie.

Alain je l’ai rencontré pour la première fois l’été 1955. J’allai sur mes 13 ans, il venait d’en avoir 14. Des amis communistes de mes parents, chez qui nous allions passer le week-end, leur avaient demandé de prendre en voiture leur petit voisin. Quand j’ai vu le petit voisin je fus très émoustillée car il était alors très joli garçon.

Mais la seule chose qui l’intéressa fut de discuter politique avec mon père. Le seul souvenir concret que j’en ai gardé est qu’il fut question de la guerre d’Indochine et du trafic des piastres. Je ne sais pas si grand monde ici a souvenir de ce que fut le trafic des piastres ; mais Alain, sachant que mon père l’avait dénoncé dans France Observateur, voulait en connaitre tout le déroulé.

Jeune militant des Vaillants puis des jeunesses communistes, il était déjà totalement accro à la politique.

Par contre il ne manifesta aucun intérêt pour ma personne. Ce qui fut ma première désillusion.

En 1961, j’ai adhéré au Front universitaire antifasciste, créé contre l’OAS et dont Alain était un des dirigeants ce qui lui valut un plasticage. Le petit stalinien de 1955 était devenu un trotskiste convaincu mais toujours militant au PCF et à l’UEC.

Nous nous sommes mariés l’année suivante en 1962, moi avec autorisation parentale. Cela fait donc 60 ans. Un long compagnonnage qui s’achève.

La décennie 1960 fut évidemment très exaltante.

Nous étions des étudiants en histoire à la Sorbonne, totalement insouciants quant à notre avenir professionnel comme tous ceux de notre génération.

Nous étions à l’âge où se forgent les amitiés les plus durables.

Nous étions militants à l’Union des étudiants communistes, convaincus qu’en menant bataille contre sa direction alors très stalinienne nous allions ébranler l’édifice.

Nous n’avons pas ébranlé grand-chose car nous fûmes exclus lors d’un congrès où Roland Leroy tint un discours d’une très grande violence contre nos déviances.

Car au-delà du refus de voter Mitterrand en 1965, qui quand même à l’époque il faut le rappeler nous évoquait ses positions peu glorieuses sur la guerre d’Algérie, c’est toute la critique de l’Union soviétique que le Parti communiste ne pouvait tolérer.

Dans un silence de mort, un de nos camarades sauva l’honneur en lui décochant : « Roland ton discours était beau comme un char soviétique devant Budapest ».

Je vous restitue l’ambiance de l’époque.

Les communistes ici présents et que je salue, ne m’en voudront pas de rappeler cet épisode. Le temps a passé et a validé nos critiques et analyses du stalinisme.

Puis ce furent les manifestations contre la guerre du Vietnam et bien sûr mai 68.

Je ne vais pas m’étendre sur mai 68. Tout le monde sait qu’Alain s’est totalement investi. Je me contenterai de citer une phrase de lui qui fut la boussole de toute sa vie militante :

« Mai 68 nous a appris qu’on pouvait faire sauter les carcans et permis d’entrevoir le potentiel d’organisation de la société par celles et ceux qui font le travail mais n’ont aucun pouvoir de décision ».

Il a payé son engagement d’un mois de prison à la Santé dans des conditions, il faut le reconnaitre, plutôt confortables.

Puis libéré, ce fut direct le service militaire à Verdun puis direct la présidentielle de 1969.

Son maigre score me fit comprendre que les lendemains ne chanteraient pas dans l’immédiat.

Mais il n’en fut pas atteint car souvenez-vous c’était l’époque « élections piège à cons ».

À l’élection de 1974, Arlette lui a grillé la politesse.

Quand il regardait les prestations télévisuelles de ses campagnes, il disait avec humour : « Oh là là, je devais vraiment faire peur ».

Partager pendant 60 ans la vie d’Alain supposait qu’il eût quelques vertus.

Il était d’abord d’un incroyable optimisme. Je crois me souvenir que c’est Gramsci qui disait : « il faut allier l’optimiste de la volonté au pessimisme de la raison ». Pour ce qui est de l’optimisme de la volonté Alain n’en manquait pas. Il a été de tous les combats réussis ou perdus. S’il y a un sport qu’il a pratiqué c’est bien la marche à pied. Il a battu le pavé pour mille causes nationales ou internationales. J’en ai retenu une : il aimait rappeler qu’il était le seul homme politique présent à la première gay pride au début des années 1980. Et il nous faisait rire en racontant, mi-figue mi-raisin, les réflexions entendues sur le parcours : « ça alors lui aussi il en est ! On n’aurait pas cru ! ».

Par contre le pessimisme de la raison ne lui était pas vraiment naturel. Il avait une vision un peu euphorisante des luttes en cours, une faculté d’oublier rapidement les échecs.

Mais compte tenu de l’évolution du monde actuel qu’il jugeait beaucoup plus dur qu’en 1968, je pense que pour tenir comme il a tenu, il fallait que l’emporte l’optimisme de la volonté.

Vivre avec un optimiste quand on ne l’est pas toujours soi-même c’est un véritable privilège. Il m’a appris à relativiser ce qui n’avait pas d’importance et à aborder avec courage les moments difficiles.

Et jusqu’au bout il a gardé cet optimisme malgré la succession des maladies qui ne l’ont pas épargné ces dernières années. Il nous répétait : « ne vous inquiétez pas, ça va aller ».

Autre qualité agréable d’Alain, il était féministe tant dans ses convictions que dans ses comportements.

C’est d’ailleurs une marque de fabrique chez tous les Krivine, ses frères ainsi que la gent masculine de la deuxième et troisième génération.

Au-delà des convictions à quoi cela tient il ?

À la belle personne que fut leur mère Esther très certainement.

À la personnalité de leurs compagnes.

Et pour Alain à un environnement féminin qui lui convenait très bien : 2 filles et 2 petites-filles aux caractères bien trempés.

Enfin dans sa vie personnelle Alain était un homme tolérant, bienveillant et d’une grande gentillesse.

Tolérant à mon égard d’abord qui pour faire court suis devenue plus Jaurès que Lénine. Cela ne lui a jamais posé de problèmes. Accords et désaccords ont eu l’avantage d’animer notre vie quotidienne.

Bienveillant à l’égard de ses anciens et nombreux camarades qui, par lassitude ou divergence, ont quitté ses organisations. Ceux qui étaient ses amis sont restés ses amis.

Était-il aussi cool dans sa vie militante ? Je l’espère. Mais vu l’âpreté des débats dont ses organisations ont le secret, ce ne devait pas être toujours aussi facile.

Alors des regrets à avoir ? Le militantisme est tellement chronophage qu’il laisse peu de place à ce qui fait les agréments et la légèreté de la vie. Entre meetings et réunions on peut toujours caser de la musique et des films. Mais la littérature, le théâtre et les expositions sont souvent les grands sacrifiés !

Cela lui manquait-il ? Parfois oui mais à vrai dire pas très souvent.

Il a mené la vie qu’il avait voulue. Celle d’un militant jusqu’au bout de ses possibilités.

Heureusement qu’existent les congés payés. En vacances Alain savait complètement décrocher.

Pour terminer je voudrais remercier toutes celles et ceux qui ont été si présents auprès de nous quand sa santé déclinait.

Tous ceux et celles qui sont là aujourd’hui pour lui rendre hommage.

Toutes celles et ceux qui m’ont inondée de messages chaleureux depuis sa mort avec les mêmes mots qui reviennent en boucle : humanité, empathie, bienveillance, simplicité, humour, désintéressement.

J’arrête là car ça va friser le culte de la personnalité ce qu’il n’aurait pas apprécié.

J’espère que tous ceux qui l’ont aimé garderont en mémoire le souvenir d’un homme d’une grande intégrité.

Michèle Krivine, née Martinet, épouse d’Alain Krivine, a milité à la Jeunesse communiste révolutionnaire, puis à la Ligue communiste et la Ligue communiste révolutionnaire.

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Inprecor

Alain a démontré qu’on pouvait être à la fois trotskiste, intelligent et honnête

Hubert Krivine

Nous étions cinq frères : Gérard, Jean-Michel, Roland, Alain et moi.

Il n’en reste qu’un et il se trouve que je suis celui-là. Dur d’être devenu le frère… de personne.

Mes rapports avec Alain ont commencé tôt puisque je l’ai connu 9 mois avant sa naissance. On sait maintenant que toute une vie psychique se développe in utero entre mère et enfant ; ça doit certainement être vrai entre jumeaux et m’avoir laissé des traces inconscientes.

Mes premiers souvenirs datent de la fin de la guerre : réfugiés à La Fère, il y avait un cochon à la ferme qui s’appelait Adolf, mais chut, il ne fallait pas le dire (ni Alain ni moi on ne comprenait pourquoi) et aussi le bombardement de Tergnier par les alliés, la peur des adultes…

Puis, c’est la Libération : ma mère a perdu ses deux frères résistants : un, Albert Lautman, fusillé près de Bordeaux, l’autre, Jules, provisoirement rescapé de Neuengamme et dont je me rappelle la présence, couché et malade à la maison. Ne pas faire de bruit : l’oncle Jules doit se reposer.

Dans notre petite enfance, notre mère collectionnait tous les documents sur les camps de concentration : photos, journaux. On voyait aussi les tatouages de matricules sur les avant-bras des survivants ; sans vraiment comprendre, on devinait la gravité de ces choses.

Mon père, taiseux, lisait le Figaro et devait voter socialiste. Ce qu’à raison il ne jugeait pas contradictoire.

Dans les années 1950, une activité politique intense agitait la maison, portée par nos trois frères aînés. Je me souviens de l’impression qu’ils nous faisaient en rentrant des manifs contre le « Figaro Nazi » (en mémoire de Von Scholtitz, commandant du gross Paris, le PC avait organisé des commandos brûlant les journaux) ou contre « Ridgway-la peste » avec la guerre bactériologique en Corée. Je me souviens aussi qu’Alain et moi suivions, très émus, à la radio la nouvelle de l’exécution des époux Rosenberg (Julius et Ethel) en 1953 sur la chaise électrique.

C’est dans cette ambiance qu’Alain a commencé à militer aux Vaillants (jeunesse du PC), puis à l’UJRF et à la JC. Très bon militant promis à un bel avenir. En récompense : 1957 festival de la jeunesse à Moscou. Troublé par sa rencontre avec les Algériens du FLN (mollesse du PC). Dirigeait néanmoins en bon stalinien, il faut le dire, le cercle lycéen à Condorcet, en lutte permanente avec le cercle de l’UEC du même lycée à majorité gagnée au trotskysme.

Mais, en toute fin des années 1950, il a eu envie de faire quelque chose de concret pour l’Algérie. Il faut se souvenir de la violence de la répression. 500.000 morts et la torture généralisée, la barbarie du napalm. Rien à envier à Poutine ! Quand on savait, impossible de rester passif.

Alain va faire une jaunisse, et profitant d’une diminution de ses défenses immunitaires Jean-Michel et moi lui passeront de la bonne littérature et surtout le contact avec JR (au nom pas anodin : Jeune Résistance). Une organisation qui développera une propagande antimilitariste dans les casernes et même aidera ceux qu’on a appelés « les porteurs de valise » du FLN.

Il adhère en 1961 à la IVe Internationale. Sans savoir que j’y étais déjà depuis quatre ans… Pourquoi ce secret et la difficulté de ce coming out ? On n’était pas vraiment sorti de l’ambiance de l’hitléro-trotskisme (l'islamo-gauchisme de l’époque). En URSS on fusillait, ici on cognait.

Création du Front unitaire antifasciste (FUA) en 1961 face au putsch des généraux à Alger. Sartre, Simone de Beauvoir, Schwartz, Vidal-Naquet, des milliers d’étudiants, plus le PSU, l’UEC, etc. Le FUA a certainement été une de ses plus belles réussites. Mentionnons un cadeau de l’OAS : un petit plasticage à la maison.

1965 : le refus de soutien à Mitterrand va conduire à la fondation de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), dissoute en 1968 pour sa participation aux barricades. Hommage rendu à Alain par Marcellin – le Darmanin de l’époque (même style, même élégance) – qui a dit : « Je réprimerai toute violence, même si, en cas de nécessité, il fallait mettre hors d’état de nuire quelques centaines de petits Krivine » (sic !).

Il est difficile de parler de son frère. De plus les Krivine n’aiment pas trop parler d’eux ; par peur d’être indécents.

Contrairement aux apparences, Alain était très timide devant deux ou trois personnes qu’il ne connaissait pas. Mais pas devant quelques milliers… (nous sommes vraiment de faux jumeaux, avec des qualités et des défauts complémentaires). Une anecdote : on a été quelque temps hébergés chez Juliette Gréco et Piccoli en 1973 (deuxième dissolution) et à la question bien naturelle : « Voulez-vous manger un morceau ? », Alain a répondu « Oh non, je ne voudrais pas vous déranger ». Je l’ai un peu choqué en acceptant. Il avait été élevé avec ce souci presque maladif « de ne pas déranger ». Souci qu’il maintiendra jusqu’au bout.

Il y a une blague israélienne qui affirme qu’on ne pouvait pas être simultanément membre du Mapam, intelligent et honnête. Faites le choix des combinaisons. Ça s’applique aujourd’hui assez bien aux organisations dites de gauche. Mais Alain a démontré qu’on pouvait être à la fois trotskiste, intelligent et honnête. La perte de l’idéal socialiste ou communiste, trahi ou sali par les partis qui en portent les noms est une des raisons du blocage de bien des mobilisations. Avec son enthousiasme et son talent, Alain aura contribué en pratique et sur une grande échelle à un début de cette réhabilitation indispensable pour aller de l’avant.

J’aimais sa forme d’humour ; il avait décrit les Katangais (les black blocs de mai 68), avec cette formule assassine : « ceux qui veulent détruire l’Université bourgeoise en commençant par son mobilier… ». Tout récemment, dans l’Ehpad, alors qu’il ne parlait pratiquement plus, on lui montrait des photos de gens à reconnaître ; sur une photo de moi il a soudainement répondu à la question « c’est qui, lui ? » par un « c’est un con ! ». Il m’avait donc reconnu. Ce qui m’a procuré une joie immense.

Joie que j’ai à nouveau éprouvée quand il a étonnamment bien compris le coup de téléphone de Cathie qui lui annonçait les 500 parrainages pour Poutou.

Alain a montré beaucoup de courage politique et, en bien des occasions, de courage physique ; il est mort sans jamais se plaindre, très entouré de l’affection infatigable de Michèle et de ses deux filles Nathalie et Florence. Le soutien et la camaraderie constante de ses camarades du NPA a également beaucoup compté pour lui.

En Amérique latine, on ne dit pas entre militants « camarada », mais « hermano » (frère). Alain a été les deux pour moi. Mais pas seulement pour moi, en témoigne la masse d’amis et de camarades réunis ici. Ça fait me fait – ça nous fait – chaud au cœur. Merci de cette présence.

Hubert Krivine, frère jumeau d’Alain, physicien, a été durant de longues années membre de la direction de la IVe Internationale.

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Inprecor

L'intelligence de mettre en perspective l’actualité immédiate avec de nouveaux horizons historiques.

François Sabado*

Je rencontre moi aussi Alain au lycée Voltaire à Paris, pour la première fois fin 1969, lors d’une réunion publique de notre cellule lycéenne.

Pour nous, jeunes lycéens, plus qu’un candidat à la présidentielle de 1969, c’est surtout un leader historique de Mai 68 qui vient à notre rencontre.

Impressionné par ce qu’il incarne, ce qui me marque avant tout, c’est sa sympathie, sa simplicité, son accès facile, son écoute aux questions posées par les jeunes présents dans cette salle.

Déjà, Alain réussit à combiner une vie de militant de tous les jours tout en incarnant une histoire, un combat, et une continuité politique.

Je militerai à ses côtés durant près d’une cinquantaine d’années.

Le soutien qu’il apporte aux opprimés est constant, qu’il s’agisse de l’Algérie dès 1956, des révoltes à Prague, de Mai 68 ou encore du Nicaragua. L’internationalisme d’Alain n’est jamais abstrait : dans chacune de ces luttes, il noue des liens avec des militants, qui deviennent parfois des amis, comme Petr Uhl, un des animateurs du printemps de Prague.

Ces années le conduisent du mouvement communiste, des révolutions coloniales à la IVe Internationale.

À ce moment précis, comment ne pas évoquer le duo que forment Alain et Daniel Bensaïd. Œuvrant ensemble à la direction de la Ligue, ils tentent de faire le lien entre l’intervention quotidienne de l’organisation et les grandes hypothèses stratégiques révolutionnaires. Dans ce duo, Daniel incarnait la Ligue par les idées, et Alain c’était la Ligue par l’organisation.

Pour y parvenir, une ligne de crête : se démarquer du réformisme tout en recherchant l’intégration des révolutionnaires dans le mouvement réel des masses. Alain est unitaire : il ne ménage pas son énergie et se montre toujours disponible pour soutenir les luttes, avec pour fil rouge l’unité d’action et la défense d’un programme anticapitaliste.

Il a l’obsession du dialogue avec les militants de gauche, en particulier les communistes, et au-delà, les syndicalistes, les animateurs des mouvements sociaux. Il met son talent au service d’une démarche permanente : vulgariser notre politique en trouvant les mots, les formules qui font mouche.

Enfin, Alain est un homme de « parti », au sens historique mais aussi au quotidien sur le terrain, loin de l’image du sectaire qui « cultive la silhouette particulière de son organisation ». Rappelons aussi combien il aimait se mettre au service des autres : qu’il s’agisse de diffuser les tracts, de ranger le local ou de servir de chauffeur aux uns et aux autres pour l’organisation.

Il considère l’organisation comme un instrument, un moyen efficace pour défendre les idées révolutionnaires. Après les défaites du XXe siècle et le changement d’époque que nous vivons, se fait sentir la nécessité d’une réorganisation du mouvement historique d’émancipation. Alain le ressent vivement dans sa chair.

Aujourd’hui, Alain s’en va alors que la guerre revient en Europe. Ses combats nous le rappellent : notre camp c’est celui des peuples opprimés, de leurs droits, jamais des oppresseurs.

Avec lui, ce qui disparaît, c’est plus d’une soixantaine d’années de combats politiques, et surtout un sens de l’initiative, un sens politique rare.

Souvent ceux qui le connaissent disent d’Alain qu’il « a du pif », qu’il sent les situations, les rapports de forces. Mais il aura surtout eu l‘intelligence de mettre en perspective l’actualité immédiate avec de nouveaux horizons historiques. Cette qualité lui aura permis de résister aux sirènes du pouvoir auxquelles tant d’autres de sa génération ont succombé.

Alain incarne la noblesse de la politique et force notre respect ! Enfin, un dernier mot pour dire à quel point la présence et le soutien de Michèle tout au long de sa vie lui ont été précieux et nécessaires.

Alain tu nous manques déjà.

* François Sabado, a été dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire, du Nouveau parti anticapitaliste et de la Quatrième Internationale.

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Inprecor

Il nous aura inculqué des valeurs fondamentales, des valeurs de justice sociale et d’égalité et surtout de toujours tenir parole

Florence et Nathalie Krivine

15 novembre 2014 Paris. Photothèque Rouge/MILO

15 novembre 2014 Paris. Photothèque Rouge/MILO

Que ces derniers temps furent douloureux. Dur de voir son père décliner. Papa, nous t’avons accompagné jusqu’au bout, du mieux que nous avons pu… Chez toi, puis dans ton Ehpad, où les aides-soignants te surnommaient « Monsieur le Député ».

Papa, tu es parti mais tu resteras notre super héros. Déjà, pour nous, petites, tu étais le Président de la IVe Internationale ! Et ça, ce n’était pas rien ! À la maison une sacrée ambiance, un défilé permanent de militants venant du monde entier. Des Polonais, des Belges, des Kanaks, des Brésiliens, des Corses, des Chiliens, des Tchèques… Bref, tu dominais le monde !

Mais la cerise sur le gâteau fut le dîner à la maison avec notre chanteur préféré de l’époque, Renaud, au moment du bicentenaire de la révolution française… Le « ça suffat comme ci » nous a longtemps trotté dans la tête.

Papa, un animateur hors pair de débats à la maison. Ça parlait fort, ça refaisait le monde. Au début des années 1980, nous ne captions pas pourquoi papa disait affectueusement de maman qu’elle était une sociale-traître… Alors âgées de 7 et 13 ans, nous avons cherché social-traître dans le dictionnaire mais sans succès… Maman, une sociale-traître ? Dont acte, mais systématiquement consultée par papa incapable de se passer de ses avis… Maman, son roc, son pilier !

Papa animalier. Nous le supplions d’avoir un animal de compagnie, nous n’avions le droit qu’à de pauvres poissons rouges que l’été, dès que le car de la colo avait franchi le périph, Papa faisait inlassablement voyager dans la chasse d’eau des WC. Puis un jour, nous avons eu gain de cause, Papa a ramené Léa ! Pour beaucoup d’entre vous, Léa ne vous dit rien mais pour certains d’entre vous, ça veut dire beaucoup ! Parmi les 5 chatons proposés, il a choisi la plus folle, la plus agressive, la plus hystérique, la plus névrosée. Elle a terrorisé, pendant 22 ans, tous les camarades… qui, au mieux ont fini griffés, au pire balafrés. Cette chatte n’était définitivement pas trotskiste !

Papa totalement déconnecté des tâches quotidiennes n’a jamais rempli une feuille d’impôt, n’a jamais mis les pieds dans une banque. Un jour maman part au Sénégal, papa reste en France. 15 appels téléphoniques au bureau : Urgent rappelez votre père. Il avait perdu sa carte bleue. Pas grave papa, tu fais opposition. Oui, mes chéries mais je ne sais même pas dans quelle banque je suis ! À sa décharge, il venait juste d’avoir 58 ans… Ça en dit long. Nous nous demandons encore quel rôle il aurait pu jouer dans une société autogérée !

Papa notre mélomane avec des goûts musicaux surprenants. Il n’était pas à un paradoxe prêt. À Montreuil vous aviez droit à de la musique classique, mais en lousdé il nous abreuvait de Michel Sardou et de Céline Dion ! On l’a même traîné au stade de France pour la voir et l’entendre chanter « je te jetterai des sorts pour que tu m’aimes encore ». Ce fut un moment mémorable. Il a voulu passer incognito en plein été avec son bonnet de laine ! Pas de bol, à la fin du concert un type l’a reconnu, lui a tapé sur l’épaule en lui disant… « ça alors, je ne savais pas que tu étais fan de Céline Dion ! ». Il était rouge de honte, on s’est bien marrées.

1996 ! Nous défions quiconque dans l’assemblée d’avoir passé deux nuits avec Emmanuelle Béart ! Eh bien lui il l’a fait ! Mais papa a le sens du partage, qui plus est pour les minorités et encore mieux si elles sont sans papiers.

Notre papa, souvent sur les routes mais tellement présent. Un homme loyal, un père aimant, un père avec un humour à toute épreuve, fidèle jusqu’au bout à ses idées. Certes, il n’aura pas fait de nous des révolutionnaires en herbe, mais il nous aura inculqué des valeurs fondamentales, des valeurs de justice sociale et d’égalité et surtout de toujours tenir parole.

Et puis, la Corse ! Son fief des vacances estivales qui par la suite deviendra le nôtre. Les villages de Balagne, le matin à la plage, l’après-midi dans les vasques, et Praoli, le hameau où nous avons passé des étés merveilleux à nous gaver de ses salades de lentilles et de harengs. Sans oublier les chants corses avec I Muvrini en boucle dans la voiture !

Nous étions tes « nounouches », tu vas tant nous manquer. Tes blagues à 2 balles, ton sourire bienveillant, et ton addiction pour les crèmes au chocolat.

Pour finir… papa est devenu papi ! Un papi en or pour sa Clara et sa Pauline, qui dès que vous étiez en âge de marcher vous trainait à la fête de l’Huma, à la vente de Rouge sur le marché de Saint-Denis tous les dimanches. Nous l’entendons encore dire « qu’elles sont belles, qu’elles sont intelligentes ; c’est dingue comme elles ont tout pris de leur grand-père ! » Un papi si fier de ses petites-filles ; Clara, Pauline, il vous aimait tant.

Au revoir Papa !

Florence et Nathalie Krivine sont les filles d’Alain et Michèle Krivine

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Inprecor

Je voudrais d’abord remercier Michèle Krivine qui m’a invité à parler ici. Et surtout lui dire notre affection et notre reconnaissance pour sa droiture et sa force, qui ont soutenu Alain jusqu’au bout et lui ont permis de partir paisiblement, dans une situation difficile, entouré des siens.

Alain a eu une vie belle et bien remplie. Jusqu’à son dernier souffle il s’est battu pour ce qu’il croyait vrai et ce qu’il savait juste.

Pas plus que d’autres il n’était protégé contre les erreurs, les revers, les déceptions. Il savait les reconnaître et les conjurer, souvent avec un humour acéré. Mais aussi, il savourait les victoires (et il y en eut !) pour alimenter sa machine personnelle à convaincre et à se battre.

Sur tous les terrains depuis sa prime jeunesse, il militait infatigablement pour que la conviction révolutionnaire éprouvée qui était la sienne rencontre la réalité des transformations et des secousses de la société.

Il était donc de tous les combats, avec une présence modeste qui forçait le respect. Tout le contraire d’un dogmatique en somme.

Sa personnalité était balisée par une impressionnante fidélité et indéfectible constance, en même temps que par une ouverture d’esprit jamais en défaut et un intérêt inlassable pour ce qui était nouveau et prometteur.

Solidité de roc et flair de parfumeur, cela le caractérisait bien. Roc et pif : les mots le faisaient sourire, mais il savait que c’était notre marque de respect et d’amitié.

Son parcours politique, sur plus de soixante années, épouse tous les grands événements politiques et sociaux.

Et toujours, avec le fil rouge conducteur d’une volonté de construire l’instrument nécessaire pour changer le monde, avec une même détermination, de l’Opposition de gauche dans l’UEC et le PCF à la JCR, la Ligue Communiste, la LCR, finalement le NPA et toujours la IVe Internationale.

J’ai rencontré Alain pour la première fois en 1965. J’étais en terminale au lycée Voltaire ; il était mon prof. d’histoire. À l’époque j’étais à la JC (les jeunesses communistes du PCF) et lui opposant au PCF et à l’UEC.

Un jour, après le cours il m’invite à rester. Il me demande alors : « êtes-vous communiste ? ». Jeune et fier, je réponds : « oui, ça vous dérange ? »« Pas du tout, me dit-il, moi aussi ».

Il me proposa de discuter. De là date mon engagement à ses côtés et notre amitié, jamais démentie par les différences dans la dernière période.

Mon souvenir lumineux commence par là. Il se conclut hélas par l’image d’un homme souffrant et diminué qui ne ressemblait plus à ce roc au fin pif politique.

La douleur de le perdre s’ajoute pour moi à d’autres que symbolise cette photo prise lors du rassemblement organisé par la Ligue pour célébrer le centenaire de la Commune au printemps 1971, dans le sillage de Mai 68, sur la crête de grandes mobilisations internationales.

Sur cette photo se trouvent Henri Weber (qui a pris plus tard ses distances politiques en se mettant dans la roue du PS, mais qui n’a jamais répudié ses vieilles amitiés), Daniel Bensaïd (le complice et l’inspirateur de toujours), Gérard Verbizier (la conscience internationaliste de la grande famille), Alain Krivine naturellement et moi-même.

Ils sont tous disparus et ils me manquent – avec notre ardente espérance, celle qui a toujours habité Alain.

Merci, Cher Alain, de l’avoir servi si longtemps et si bien.

Charles Michaloux a été dirigeant de la Ligue communiste et de la Ligue communiste révolutionnaire.

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Inprecor

Alain à fait de la construction de la IVe Internationale le projet de sa vie

Alex Merlo

Je viens apporter les condoléances de la part de toutes les organisations de la IVe Internationale à la famille, aux proches et aux camarades d’Alain Krivine.

Alain Krivine et Alex Lollia (Guadeloupe), Université d'été 2012 du NPA à Port Leucate, du 26 au 29 août. Photothèque Rouge/JMB

Alain Krivine et Alex Lollia (Guadeloupe), Université d'été 2012 du NPA à Port Leucate, du 26 au 29 août. Photothèque Rouge/JMB

J’ai rencontré Alain en 2008 quand il est venu à Madrid pour faire un meeting à l’occasion des 40 ans de Mai 1968. Je m’étais occupé de son accompagnement et interprétation. Je garde le souvenir de sa gentillesse et de son intelligence.

À la fin du meeting, une jeune française, étudiante à Madrid, est venue lui parler. La conversation a dû lui plaire puisqu’il m’a demandé de lui amener vite la feuille des contacts. Il a bien pris soin d’y enregistrer tous les détails. Pendant la soirée et jusqu’à son départ, Alain a insisté auprès de nous : « appelez-la », « n’oubliez pas de suivre ce contact ». Il était fier d’avoir contribué en tant que militant à construire la section de la IVe Internationale dans l’État Espagnol.

Le rayonnement d’Alain se mesure dans les nombreux messages qu’on a reçus des quatre coins du monde. On a choisi d’en partager deux qui nous paraissent spécialement significatifs.

D’abord celui de Ilya Budraitskis, militant russe de la IVe Internationale. Il nous raconte comment la visite d’Alain à Moscou en 2002 a finalement abouti à la création du groupe russe de la IVe Internationale. Il écrit : « Au cours des années qui ont suivi, Alain est resté en contact permanent avec nous, se rendant à de nombreuses reprises en Russie pour soutenir les campagnes de solidarité et les grèves des travailleurs. Il a visité de nombreuses régions de notre pays et a très bien compris les conditions des gens ordinaires et les risques de la lutte politique. Et il est resté un optimiste historique, tout en conservant un “pessimisme de l’esprit” ».

Le deuxième message est celui envoyé par Socialny Rukh, l’organisation socialiste ukrainienne : « Impressionné par les événements révolutionnaires sur les places d’Ukraine, Alain Krivine a assisté à la manifestation du 1er Mai à Kiev en 2015. Par la suite, il a rejoint la Conférence de la gauche ukrainienne en tant qu’invité d’honneur, au cours de laquelle des militants de gauche et des syndicats ont voté pour le nom du futur parti de gauche : Mouvement social. Aujourd’hui, nous sommes reconnaissants à ses camarades du Nouveau Parti Anticapitaliste, qui n’ont cessé de s’exprimer en faveur du peuple ukrainien contre l’impérialisme de Poutine. »

Alain, comme d’autres camarades de sa génération, a fait de la construction de la IVe Internationale le projet de sa vie. Il nous laisse un outil précieux et indispensable pour lutter contre le capitalisme et l’impérialisme. Pour le remercier, et lui rendre hommage, on ne peut que répéter ce qui a été la consigne de sa vie : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ! »

Alex Merlo, militant d’Anticapitalistas, section de la IVe Internationale dans l’État espagnol, est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale.

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Inprecor

L’optimisme de la volonté

Léon Crémieux*

Notre camarade Alain, pendant plus de 40 ans, a été au cœur de la vie et de la direction de notre Internationale et de sa section française, tout en contribuant à la construction d’autres sections. Il a été un des principaux porte-parole de nos idées, de nos combats internationalistes, cherchant toujours à maintenir les acquis politiques de notre mouvement, à le construire avec patience, tout en poussant toujours à s’ouvrir aux nouvelles expériences, aux nouvelles mobilisations, à s’y intégrer avec le souci permanent de l’action unitaire et de l’absence de sectarisme.

Né au milieu de la deuxième guerre mondiale dans une France occupée par les nazis, sa jeunesse fut évidemment marquée par les crimes du fascisme, mais aussi par l’essor des luttes anticoloniales, les révolutions cubaine et algérienne, autant d’événements majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle qui ont impulsé l’émergence d’une nouvelle génération de dizaines de milliers de jeunes qui, dans tous les continents, ont rejoint la lutte révolutionnaire. C’est durant ces années qu’Alain a commencé un cheminement politique qui, depuis la fin des années 1950, l’a mené de l’opposition de gauche dans le PCF à la Ligue communiste/LCR puis à la création du NPA. Ce chemin a vite croisé la IVe Internationale.

Luttes anticoloniales

Alain, comme beaucoup de militantes et militants d’après-guerre, a commencé son activité au sein du PCF. Militant communiste exemplaire, il se retrouve vite confronté et opposé à la position du PCF face à la guerre coloniale en Algérie. Partisan du soutien au FLN et à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, il s’engage dès la fin des années 1950 dans les réseaux de soutien au FLN, puis, militant de l’Union des étudiants communistes (UEC), il anime le Front Uni Antifasciste à l’université de la Sorbonne à Paris. Ayant rejoint le PCI en 1961 (la section française de la IVe Internationale dans laquelle militaient déjà ses deux frères Jean-Michel et Hubert), il joue un rôle central dans la construction de l’opposition de gauche dans l’UEC qui amena à la rupture avec le PCF lors du soutien de ce dernier à la candidature de François Mitterrand en 1965, et à la création de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR). Alain en fut un des principaux animateurs, tout en participant à la création du Comité Vietnam national (CVN) de solidarité avec la lutte du peuple vietnamien.

En février 1968, avec le CVN, Alain et d’autres camarades comme Daniel Bensaïd participent à un rassemblement international contre l’intervention US au Vietnam organisé à Berlin par le SDS (Sozialistischer Deutscher Studentenbund) avec Rudi Dutschke. Ce rassemblement sera l’occasion d’une manifestation de 20.000 personnes qui inspirera le CVN pour les méthodes de manifestation spectaculaires.

Mai 68

Il fut un des animateurs les plus en pointe du mouvement de Mai 68, la JCR y jouant un rôle prédominant dans la jeunesse étudiante, notamment en région parisienne. L’ensemble des organisations d’extrême gauche, y compris la JCR, ayant été dissoutes par le pouvoir gaulliste après la fin de la grève générale, Alain est incarcéré avec d’autres camarades pendant l’été 1968 puis enrôlé pour effectuer son service militaire. Parallèlement, les militants de la JCR jetaient les bases de ce qui allait devenir la Ligue communiste (LC) qui, rassemblant aussi les forces du PCI, devint, au printemps 1969, la section française de la IVe Internationale. Dès lors, la vie d’Alain va se confondre avec celle de la Ligue communiste dont il devient le porte-drapeau dès l’élection présidentielle de 1969 où il est candidat pour la Ligue. Parallèlement, avec d’autres jeunes camarades de la Ligue, il s’investit dans la direction de l’Internationale aux côtés des anciens, notamment Ernest Mandel, Livio Maitan et Pierre Frank.

Il devient alors pour 40 ans le principal référent politique des militants de la LC/LCR, pilier quotidien de la direction et du contact avec les villes. Principal porte-parole, le seul réellement connu à une échelle large jusqu’en 2002, il fut la voix de la LC/LCR, l’animateur infatigable de centaines de meetings pour les sections de la Ligue, grandes ou petites. Il était sûrement le dirigeant qui connaissait le mieux les sections et les camarades des villes, carte politique vivante de la LCR. Attaché au travail militant minutieux, il était tout autant attentif à l’activité politique quotidienne du parti qu’à saisir toutes les possibilités d’organiser des campagnes unitaires, d’entrer en contact et de collaborer avec d’autres courants militants.

Internationalisme

Au niveau international, il manifestait la même énergie, voyageur infatigable, faisant bénéficier notre Internationale de l’écho reçu par une figure du Mai français, pour développer de nombreuses tournées de meetings, des initiatives comme celle de l’Europe rouge à Bruxelles ou de l’anniversaire de la Commune de Paris en 1971. Énergie aussi pour développer la solidarité avec le peuple palestinien, le FLNKS ou la résistance antibureaucratique de Solidarnosc, la solidarité avec la lutte antibureaucratique en Tchécoslovaquie de Petr Uhl et de ses camarades, dans les liens avec les camarades des pays soumis au néocolonialisme. Son bureau dans les locaux de l’imprimerie de Rotographie à Montreuil aura vu passer des centaines de camarades, représentants des organisations anti-impérialistes et révolutionnaires, et lui-même attacha autant d’énergie à se rendre dans de nombreux pays pour y défendre nos idées et rencontrer les mouvements révolutionnaires. Dans les années 1970 et 1980, lecteur quotidien de l’Humanité, il était toujours attentif à ce qui se passait dans et autour du PCF et des autres PC, à la crise internationale du stalinisme. Aussi s’est-il toujours attaché, en France, aux possibilités de travail unitaire avec des courants venant du PCF. Il avait le souci de dépasser les frontières de la LCR, d’avancer vers un regroupement politique capable de prendre, dans les classes populaires, la place du PCF. Parmi les premiers à saisir l’importance de mouvements comme ceux de 1995, des luttes des sans-papiers, ayant l’anticolonialisme chevillé au corps, il participe activement aux liens avec les camarades et les organisations d’Algérie, des Antilles, de Corse et de Kanaky. Après la révolution sandiniste au Nicaragua, il participe deux fois comme observateur aux élections en 1984 et 1990, et il se rend aussi au Venezuela de la révolution bolivarienne. De même, au début des années 2000, il assure le contact avec les camarades qui voulaient fonder une organisation de la IVe Internationale en Russie.

Unité et radicalité

Son élection comme député au Parlement européen, de 1999 à 2004, avec Roseline Vachetta, donnera encore plus d’écho et de possibilités pour l’action internationaliste, surtout dans une période de développement du mouvement altermondialiste et des forums sociaux européens et mondiaux à Florence, Londres, Porto Alegre, Mumbai. Cette présence donnera aussi plus d’écho au soutien d’Alain et de Roseline à de nombreuses luttes et permettra aussi de développer un travail important d’activités communes de la Gauche anticapitaliste européenne (entre autres avec le SSP écossais, Rifundazione d’Italie, le SWP anglais, le Bloco portugais, l’Alliance rouge et verte du Danemark). Alain fut un des principaux impulseurs de la campagne d’Olivier Besancenot en 2001 et un fervent partisan de la création du NPA à partir de 2009. Il y apporta jusqu’au bout ses qualités politiques et humaines. En 2015, présent pour le 1e Mai à Kiev, il avait rejoint ensuite la conférence de la gauche ukrainienne qui débouchera sur le lancement du Mouvement social ukrainien (Sotsialny Roukh).

Alain a beaucoup agi pour l’organisation de notre courant, l’action politique concrète pour faire avancer nos idées, les initiatives unitaires, le débat direct avec d’autres forces internationales, d’autres courants pour trouver les voies de l’action commune. Il fut un des artisans du renforcement et de l’ouverture de la IVe Internationale qui a permis d’y accueillir des militants, des organisations venant d’autres traditions.

Son intelligence essayait de compenser le pessimisme des revers par l’optimisme de la volonté. Il nous aura enseigné un marxisme révolutionnaire sans arrogance, unitaire et cherchant en permanence la voie de l’action concrète. Nous essaierons d’y rester fidèles.

16 mars 2022

Léon Crémieux , technicien aéronautique à Air France retraité, syndicaliste Sud Aérien, est militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France) et membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale. Cet article a été d’abord publié par le site web de la IVe Internationale : https://fourth.international/fr/europe/429