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Mohammed Harbi. L’autogestion en Algérie

Algérie autogestion

Lien publiée le 28 mai 2022

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L'Autogestion en Algérie - Editions Syllepse

L'Autogestion en Algérie Utopie Critique

Une autre révolution ? (1963-1965)

Une autre révolution ? (1963-1965)

Collection : « Utopie Critique »

Coordinateur : Mohammed Harbi

Parution : Avril 2022
Pages : 346
Format : 150 x 210
ISBN : 978-2-84950-996-8

Collection : « Utopie Critique »

Coordinateur : Mohammed Harbi

Parution : Avril 2022
Pages : 346
Format : 150 x 210
ISBN : 978-2-84950-996-8

Table des matières

https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/05/28/presentation-par-robi-morder-et-irene-paillard-du-livre-de-mohammed-harbi-lautogestion-en-algerie/

Présentation par Robi Morder et Irène Paillard du livre de Mohammed Harbi, Autogestion en Algérie

Samedi 28 Mai 2022

Le livre dont Mohammed Harbi nous a confié la publication constitue, comme il nous l’a dit lui-même, des matériaux pour l’histoire de l’autogestion en Algérie. En effet, cette histoire qui avait donné lieu à des travaux et à des publications pour la plupart au tournant des années 1970 comme le confirme la bibliographie, mérite d’être revisitée à la lumière d’archives, de témoignages et de documents recueillis ultérieurement.

L’autogestion en Algérie a été soit oubliée, hors de milieux militants restreints, soit défigurée, notamment en Algérie, car ceux qui en ont été les promoteurs et les porteurs ont voulu poursuivre au-delà de l’indépendance une authentique émancipation, ce qui les a opposés à la bureaucratie, à l’armée et à la nouvelle bourgeoisie, qui se sont appropriés pouvoir, prébendes et privilèges.

Parmi ces promoteurs, incarnant les traditions du mouvement ouvrier et de l’internationalisme, en pratique au service de l’indépendance algérienne, il y avait beaucoup de cadres de la Fédération de France du Front de Libération Nationale (FLN) dotés de l’expérience du mouvement syndical, des français et des européens apportant leur compétence et leur enthousiasme. Pour dénigrer l’autogestion, les étatistes et les autres conservateurs n’ont pas hésité à utiliser les insinuations calomnieuses contre ceux qui, algériens de France, n’auraient pas combattu, ou xénophobes contre les étrangers.

Mohammed Harbi, comme d’autres, a payé chèrement le prix de ses convictions et de sa liberté de parole par la prison puis la résidence surveillée après le coup d’État de 1965, jusqu’à son évasion en 1973, et en exil. Pour autant, son opposition à la politique suivie par les leaders du FLN ne date pas de 1965. Dès l’indépendance, il l’exprime au moins sur trois points, la question de la nationalité, l’interdiction du Parti Communiste Algérien et le trucage du congrès des syndicats. Alors qu’il venait d’être nommé ambassadeur au Liban au moment des décrets du mois de mars 1963, il accepte d’être conseiller de la présidence uniquement pour la mise en place de l’autogestion.

C’est un travail précieux car, si Mohammed Harbi est un militant et un partisan de la démocratie et de l’autogestion, c’est avec la rigueur de l’historien qu’il nous livre ses réflexions. Il y a d’abord le texte issu d’un travail à partir de trois conférences sur l’autogestion tenues en 2011, en 2015 et en 2018, qui n’avaient pas fait alors l’objet d’une publication, suivi d’un extrait d’un article des Temps Modernes de 1982 donnant le contexte politico-social des quatre premières années de l’Algérie indépendante entre 1962 et 1965 et d’un article publié dans Révolution Africaine après le congrès de Tripoli du mois de mai et du mois de juin 1962.

Mohammed Harbi s’appuie et nous livre les matériaux sur lesquels il se fonde. Ces écrits, documents, articles et archives, sont soit inédits, soit inaccessibles. Il faut rappeler le mérite qu’il a eu de sauver énormément de documentation et d’archives, c’était même une de ses préoccupations premières lors du coup d’état. Il fallait que nul n’oublie, il fallait retransmettre et il fallait penser à travailler et réfléchir sur les expériences en cours et notamment sur les échecs et leur cause. Le rapport de Jeanne Favret Saada a disparu en 1965, mais une synthèse et les enquêtes avaient été mises à l’abri et c’est un aperçu qui constitue, après les textes de Mohammed Harbi, la première partie du livre.

La deuxième partie, ce sont des reportages et des articles de Révolution Africaine, dont Mohammed Harbi a été le directeur entre l’été 1963 et l’été 1964. Cet hebdomadaire de qualité a accompagné la mise en place de l’autogestion sans en cacher les problèmes et les obstacles. Ne se trouvant que dans certaines bibliothèques, ce journal mériterait d’être numérisé et accessible largement. Enfin, en troisième partie, il y a des documents pour la plupart également inédits, notamment le texte intégral de la lettre de Daniel Guérin à Ahmed Ben Bella.

Ces rapports, articles et documents, nous amènent au plus près du terrain, dans les questions concrètes, rémunérations, statuts des différentes catégories, conditions de travail, conflits avec l’administration, problèmes de la production et expressions des ouvriers.

Il nous faut rappeler la réalité sociale de l’Algérie au moment de l’autogestion, car les travailleurs du secteur autogéré sont minoritaires dans la population. Ils sont deux cent mille dans les fermes et dix mille dans l’industrie, essentiellement la petite industrie. Le prolétariat urbain, c’est cent dix mille à cent vingt mille travailleurs dans sept mille à huit mille entreprises. En dehors, les travailleurs agricoles saisonniers ou journaliers sont environ quatre cent cinquante mille. Il y a également quatre cent cinquante mille fellahs possédant entre un et dix hectares et un million de chômeurs agricoles sans terre et sans travail. En face, cent soixante-dix mille propriétaires possèdent entre dix et cinquante hectares et vingt-cinq mille gros propriétaires possèdent plus de cinquante hectares. Un tiers de la population est urbaine avec un sous-prolétariat qui s’est accru. Il y a une petite bourgeoisie évaluée à environ cent soixante-dix mille personnes, des artisans et des petits commerçants. Il y a quatre mille professions libérales. Il y a une bourgeoisie évaluée à cinquante mille commerçants, négociants, propriétaires d’immeubles et petits industriels du secteur artisanal.

Quatre cent cinquante entreprises industrielles sont nationalisées et quatre-vingt pour cent d’entre elles entrent dans le cadre artisanal. Il y a encore cent trente mille établissements, dont deux mille cinq cent à trois mille établissements industriels, en majorité entre des mains étrangères. Cent vingt mille établissements commerciaux et artisanaux sont aux mains du capital privé algérien. Au premier avril 1963, l’appareil d’état comptait soixante-dix mille personnes. Il y a entre treize mille cinq cent et quatorze mille français, surtout de la coopération, il y a vingt-deux mille cent cadres algériens formés dans les écoles de l’administration coloniale et il y a trente-quatre mille cadres du FLN.

Le présent travail et les documents peuvent laisser penser que l’autogestion était une mission impossible, tant il est vrai que l’historien, preuves à l’appui, désenchante le monde, au risque de désespérer Billancourt, alors que l’autogestion en Algérie avait pour beaucoup, du moins en France et en Europe, constitué sinon un mythe, du moins une légende. En réalité, la vision peut être plus mobilisatrice qu’il n’y paraît, puisqu’il s’agit, en décrivant la réalité telle qu’elle était, d’identifier les obstacles, les mécanismes viciés, les défauts et les manques afin d’en tirer quelques leçons pour l’avenir.

Peut-on parler de l’échec de l’autogestion, si l’expérience n’avait pas encore réellement eu l’occasion de se développer ? Il est paradoxal que, même après le coup d’état d’Houari Boumédiène, les références au socialisme et au secteur autogéré, surtout agricole, demeurent pendant longtemps. Nous savons que les mots n’engagent pas à grand-chose, mais quand des étatistes autoritaires se sentent obligés de maintenir en usage ces mots, cela atteste d’une certaine adhésion de larges parts de la population, principalement de la population travailleuse, à ce qui renvoie aux aspirations à la justice sociale. N’oublions pas que, au début de l’autogestion, il y a eu en 1962 un mouvement spontané d’occupation des terres et des biens vacants, ce mouvement venait d’en bas et il ne venait pas d’en haut.

Sans doute, si nous faisons la comparaison avec la Commune de 1871 qui n’avait pu prospérer au-delà d’un court printemps, plus bref que les expériences d’autogestion en Algérie, et dont l’échec fut concrétisé par un massacre, l’utopie mobilisatrice de l’autogestion mérite d’être dévoilée et réveillée.