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Super-héros: une histoire politique
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Super-héros - Une histoire politique (lundi.am)
Depuis l’apparition de Superman en juin 1938, les super-héros ont envahi la culture populaire planétaire et constituent « une mythologie largement diffusée dans l’industrie des loisirs en ce début de XXIe siècle ». L’historien William Blanc montre comment, imaginés d’emblée comme des « outils politiques » par leurs créateurs issus de milieux modestes, ils ne peuvent être réduits à de simples produits de divertissement : Captain America devait corriger Hitler et Wonder Woman promouvoir l’émancipation des femmes.
« L’attrait du genre super-héroïque s’explique sans doute par le fait qu’il s’est peu à peu construit en un “métamythe“ typiquement américain, un corpus de légendes contemporaines, qui, à l’image du melting-pot, a mêlé des mythologies anciennes – gréco-romaine, mais aussi scandinave et, évidemment, arthurienne – et celles créées par des idéologies récentes (socialisme, astrofuturisme, etc.). »
William Blanc explique qu’au contraire des héros antiques ou médiévaux qui justifient par leurs exploits leur domination sur le reste de la population condamnée à les servir, les supers-héros sont souvent des gens modestes qui acquièrent des pouvoirs leur permettant de rétablir la justice. Il date l’apparition de ce ressort narratif avec la publication des feuilletons modernes dans la presse populaire, notamment Le Comte de Monte-Cristo. Les États-Unis se pensent comme « le symbole d’une modernité opposée au reste du monde, plongé dans les ténèbres de l’Ancien Régime médiéval », lequel est représenté par le château ou la forteresse féodale. Il établit également un parallèle avec Harry Houdini, personnage clé de la culture populaire américaine, connu pour ses évasions, tout comme nombre de super-héros, depuis Superman souvent représenté en train de briser les liens métalliques qui l’enserrent.
La majorité des auteurs de Comics ne rêvent pas de créer une race d’Übermenschen, de surhommes, à l’instar des nazis, comme ils en seront accusés dans les années 1950. Jerry Siegel et Joe Shuster, les cocréateurs de Superman, s’opposent aux auteurs de romans de Pulp, comme Edgar Rice Burroughs, qui mettent en scène des héros blancs colonisant des planètes extraterrestres arriérées. Au contraire c’est l’Amérique, et plus largement l’Occident, qui est présentée comme une société primitive, ayant besoin d’être conduite à un autre degré de civilisation par « l’homme de demain », comme ils le surnomment, venu de Krypton. Ce discours intenable dans les médias dominants au milieu des années 1930, trouve refuge dans les comics. Superman incarne l’idée d’un pays qui a déjà un pied dans le futur sur le plan politique aussi bien que technologique. William Blanc, comme il le fera ensuite avec chacun des personnages abordés, analyse aussi son évolution : ainsi, si Superman incarne, en 1999, le messianisme américain, il est confronté à ses propres limites, en écho aux échecs des interventions américaines en Bosnie, en Somalie et en Irak.
Dès sa création par Bob Kane et Bill Finger en mai 1939, « Batman est l’expression de craintes associées aux prolétaires des grands centres urbains » auxquels vont s’opposer des gentlemen issus des couches supérieures de la population. Le polar moderne repose d’ailleurs sur cette idée, comme l’a remarqué Umberto Eco, depuis le personnage de Rodolphe de Gérolstein dans Les Mystères de Paris. Batman, le « Chevalier noir », est un combattant féodal pleinement assumé ; son jeune compagnon Robin est qualifié de « nouveau Robin des bois » ; le Joker, son pire ennemi, est inspiré du bossu de Notre-Dame ; Gotham City, mégapole en proie à l’obscurité, évoque les grandes villes du Moyen Âge qui ne connaissent pas l’éclairage public avant le XIXe siècle.
Si Wonder Woman n’est pas la première super-héroïne, elle s’impose rapidement. Au-delà de simples représentations sado-masochistes, les multiples scène de bondages qui couvrent en moyenne 27% des cases des dix premiers numéros, évoqueraient plutôt un « bondage progressiste », illustration d’une « force féministe bienveillante » vers « la voie de l’utopie matriarcale du futur », selon son créateur William Moulton Marston. En 1954, un Comics Code est imposé aux éditeurs sous la pression d’une commission d’enquête sénatoriale, les contraignant désormais à « mettre l’accent sur la valeur du foyer et sur le caractère sacré du mariage ».
Captain America a d’emblée été pensé, en mars 1941, comme un « instrument politique » par ses jeunes auteurs juifs, Joe Simon et Jack Kirby. S’il assène un coup de poing à Hitler sur la couverture du premier numéro, il vise tout autant l’Allemagne nazie qu’une partie de l’opinion américaine ouvertement antisémite. « Depuis les années 1940, Captain America reprend régulièrement du service pour pointer du doigt les éléments qui menaceraient l’unité nationale et la pérennité du melting-pot et combattre aux côtés de super-héros qui incarnent des communautés accédant à la pleine citoyenneté. » « Aucun homme, aucun groupe, ne peut prétendre à l’étiquette de super-patriote. La liberté appartient à tous, sinon, elle n’a aucun sens ! » déclare-t-il en 1966. Dans l’adaptation cinématographique de 2015, il est un afro-américain et s’attaque aux conservateurs. Dans la série des Comics Civil War (2006-2007), il refuse avec d’autres vengeurs masqués de s’enregistrer comme « armes de destruction massive vivantes » au nom de la protection des libertés individuelles fondamentales.
Bien d’autres personnages sont encore présentés mais nous ne pourrons les évoquer tous. Signalons encore Namor le Sub-Mariner qui vient d’une société traditionnelle réduite à néant par les avancées de la science militaire occidentale et porte un discours écologique et anticolonial ; la Panthère noire, souverain du Wakanda, premier super-héros noir de premier plan, apparu en juillet 1966, trois mois avant la création à Oackland du Black Panther Party, qui va sauver l’Amérique de ses démons : les suprématistes blancs du Ku Klux Klan ; Luke Cage, alias Power Man, autre superhéros noir, doté d’un « physique utopique », insensible aux balles, qui ne craint donc pas les excès de la police ; Green Arrow, version modernisée et radicale de Robin des bois ; le très subversif Howard the Duck, créé en décembre 1973, et qui se présentera à l’élection présidentielle américaine en 1976 ; le Punisher, qui apparait en février 1974, réminiscence de la violence des premiers pionniers de l’Ouest et des règlements de compte qui laisseront peu à peu place à la civilisation et à la loi, à mesure que la Frontière recule ; Matt Murdock-Dardevil, l’avocat qui, suivant encore cette opposition inscrite au plus profond de l’imaginaire américain, le supplantera ; Iron Man, chevalier arthurien et modèle d’une masculanité idéalisée, mué en guerrier technologique, qui va tester les limites et les paradoxes de la politique extérieure américaine ; Wolverine (ou Logan) qui symbolise la fin d’un idéal né avec Superman, une Amérique qui ne croient plus en ses rêves, un pays en proie aux cauchemars du capitalisme sauvage, aux replis identitaires et aux fantasmes virilistes.
S’ils sont cantonnés à la lutte contre des criminels de droit commun, emblèmes du civisme et des bonnes manières, dans les années 1950-1960, avec la censure imposée par le Comics Code – Batman demande à Robin d’attacher sa ceinture de sécurité dans la Batmobile et met de l’argent dans les parcmètres à cette époque –, ils sont par ailleurs souvent porteur d’une vive critique sociale.
Si la sexualité des super-héros et plus encore leur orientation, a longtemps été un sujet tabou, surtout après l’adaptation du Comics Code, un « sous-texte homoérotique » a souvent été dénoncé, notamment dans les aventures de Batman et Robin : « À l’époque, la peur des communistes (la red score) se double aux États-Unis d’une obsession homophobe (la lavande score) qui associe militantisme de gauche, athéisme et pratiques sexuelles “anormales“ visant à détruire la base de la société américaine que constitue la famille. » Dans les années 1980, les premiers personnages LGBTQ, longtemps relégués dans les underground comix, apparaissent, notamment à travers les luttes contre le sida.
Personnellement peu familier de cet univers, mais toujours curieux de comprendre ce que véhiculent les différentes cultures populaires, cet ouvrage nous aura, sinon réconcilié avec le genre, tout du moins profondément captivé. Loin d’être de simples divertissements, les aventures des super-héros sont indissociables de l’histoire américaine contemporaine, et bien plus subversives qu’elles n’y paraissent au prime abord.
Ernest London
Bibliothécaire-armurier chez Farhenheit 451