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La mise en concurrence des transports publics d’IdF
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La mise en concurrence des transports publics d’IdF (salaireavie.fr)
Conférence de Michel Lamboley à ASAV (mardi 24 mai 2022)
La notion de service public
Les services publics sont des services destinés à la population que la puissance publique organise soit en recourant à l’initiative privé soit directement.
Parmi les services destinés à l’individu nous avons les services dit objectifs qui sont des services objectifs ou extérieurs à l’individu et des services subjectifs ou intérieurs à l’individu.
Parmi les premier nous avons le transport public
Parmi les second nous avons l’hôpital ou l’école public.
La distinction de service marchand/non marchand dépend du droit. Si la population estime qu’un service doit être non marchand, elle sort sa gestion du marché, le prix de vente du service est alors son prix de revient. Il n’y a pas de profit. C’est à la lumière de cette distinction qu’il faut interpréter les débats de la Commission européenne sur les services publics, rebaptisés SIG (services d’intérêt général), et notamment le Livre vert (2003) et le Livre blanc (2004). Il résulte de ces différents textes que les SIG peuvent être des activités de service, marchands - gérables par le marché - (par exemple, poste, énergie, télécommunications, transports, distribution de l’eau, ramassage des ordures, télévision) ou non (régime légal de sécurité sociale, activité hospitalière, éducation). Elles sont toutes considérées comme étant d’intérêt général par les autorités publiques, et soumises comme telles à des obligations de service public.
L’aménagement du territoire
L’aménagement du territoire est un service public au travers notamment de l’urbanisme et du transport. Ce droit de l’urbanisme émerge dès le Moyen Âge avec notamment l’éclairage public ou les péages (ponts, entrées de villes, chemins), et il s’étend aux bâtiments durant le premier empire. Il prend de l’ampleur durant le second avec le réaménagement de Paris du préfet Haussmann et s’amplifie avec la création des villes nouvelles.
L’aménagement du grand Paris n’a pas la même dimension ni les mêmes caractéristiques que les aménagements précédents. En effet, il ne s’agit pas de reconstruire Paris mais d’aménager la banlieue proche, la référence n’est pas l’espace mais le réseau puisqu’il s’agit de restructurer à partir des réseaux de transport en commun.
Le passage du non marchand au marchand pour les transports publics en IDF
Le non marchand dans les transports publics en IDF concernait Paris et sa première couronne. Son statut était le fruit du compromis qui a suivi la seconde guerre mondiale.
Deux mécanismes se surajoutent pour permettre le passage du marchand au non marchand dans les transports publics. Le premier est l’aménagement du territoire avec la création de la SGP (Société du Grand Paris) qui est indépendante de la RATP, de la région et de la SNCF. Elle est soumise directement aux obligations de service public issu du règlement européen. La Directive de l’UE autorise les responsables des services publics à attribuer directement certaines lignes de transport ferré. IDFM (Ile de France Mobilités), l'autorité organisatrice de la mobilité pour la région Île-de-France, a choisi de mettre en place la concurrence entre entreprises publiques et privées (Cf item 18 EUR-Lex - 32007R1370 - EN - EUR-Lex (europa.eu)), en empiétant sur le monopole historique de la RATP. Ainsi donc, même si les luttes sociales parviennent à maintenir en régie publique le réseau existant, la région pourra mettre en place mettre en place la concurrence avec les nouvelles lignes qui seront livrées.
La question sociale
L’aménagement du territoire est de conception libérale. En effet, on ne cherche pas à maîtriser le foncier mais uniquement à relier des pôles d’activité à partir de lieu de résidence. Cela s’accompagne de projets de densification locale. Cependant l’objectif fixé dans la construction de logement, laissée à l’initiative privée, n’est jamais atteint (Cours des compte 2015) ce qui occasionne une hausse des coûts de l’immobilier à l’achat ou la location. De plus le financement par l’emprunt est basé sur les immeubles de bureau (Cours des comptes 2017) dont la surproduction inquiète. Enfin, le rééquilibrage régional entre activité et emploi pour favoriser la mixité fonctionnelle (le fait de disposer sur un territoire de l'ensemble des fonctions nécessaires à la vie en ville : résidentielles, économiques, politiques, administratives, culturelles, de mobilité, de loisirs) ne se fait pas bien.
Les effets de la mise en concurrence sur les salariés et les usagers
Le statut des salariés est supprimé ainsi que toutes les garanties sociales afférentes. Le régime particulier disparaît et est intégré dans le régime général tant pour la maladie que pour la retraite.
D’autre part le marché implique un alignement des coûts qui doivent être plus bas que la concurrence. La baisse de la masse salariale est donc à l’ordre du jour par plusieurs moyens :
- Perte rapide du « sac à dos social » avec une intégration des personnels de l’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) dans des filiales d'autres groupes. Mais l'UE ne leur applique pas le même traitement, les premiers (objectifs) étant considérés comme marchands et les services subjectifs considérés comme non marchands ce qui n'a guère de sens. Des services, objectifs ou subjectifs, peuvent être considérés publics.
- Augmentation de la durée du travail et une baisse du salaire horaire.
- Recours à la sous-traitance interne, si l’opposition des salariés est trop forte.
Enfin cette concurrence met en cause deux entreprises publiques SNCF et RATP plutôt qu’une coordination.
Pour les usagers, désormais des clients, la dégradation du service proviendra sans doute non d’une baisse du service des opérateurs, mais des politiques d’aménagement du territoire. En effet, les restrictions de circulation de voiture (ZFE) et la densification risquent d’augmenter le trafic et de saturer le réseau, d’autant que les lignes de transport subissent des retards de chantier important.
Quelles alternatives ?
Rééquilibrer les localisations des emplois dans le grand Paris.
Suspendre les ZFE (Zone à Faibles Émissions) ou les étaler dans le temps.
Augmenter les investissements dans le transport en commun.
Maîtriser les sols dans l’aménagement urbain avec intervention forte de l’Etat dans la construction publique.
Suspendre toute mise en concurrence et privilégier la coordination des entreprises publiques.
Débat
Question : Je ne comprends pas bien la distinction services objectifs/subjectifs. Pourquoi ne pas se contenter de la distinction marchands/non marchands ?
Michel Lamboley : C’est une distinction personnelle. Je distingue les services publics objectifs dont le but est de fournir un service à la personne et ceux qui agissent sur la personne (santé, éducation), même si le T2A* par exemple objectivise le service rendu en traitant le service à la personne comme un produit. Mais l’EU ne leur applique pas le même traitement.
Le processus de privatisation de la santé se fait par délégation de service public sous forme d’adjudication et non par mise en concurrence.
Question : La baisse des coûts. Pourquoi et comment ?
Michel Lamboley : La pression sur les coûts a commencé bien avant la mise en concurrence, à cause des restrictions budgétaires.
Elle a pris plusieurs formes :
- la hausse de la productivité. En 1945 il y avait 45 000 agents pour Paris seul, aujourd’hui il y a 40 000 agents pour toute l’IDF.
- La baisse des salaires.
- La réduction du personnel. Aujourd’hui, le personnel de la vente a été remplacé par des machines. Il reste du personnel seulement pour la surveillance des locaux et le contrôle des passagers.
La mise en concurrence supposée faire encore baisser les coûts, en réalité les augmentera, notamment à cause de la perte des économies d’échelle. La RATP est à l’heure actuelle une entreprise intégrée. Mais quand la gestion des infrastructures sera divisée, il faudra, par exemple, mettre des compteurs pour répartir les coûts d’énergie, etc… Sans compter qu’elle entraînera une dégradation du service, notamment à cause du choc de projets d’exploitation pas toujours compatibles en région IDF. Ainsi les ZFE (zones de faible émission) risquent d'entraîner une croissance des trafics alors que les projets de mise en œuvre des lignes de TC (réseaux connexes : métro, bus, RER), notamment du Grand Paris resteront inachevés.
Le marché substitue la concurrence à la coordination et à la coopération qui prévalaient dans les services publics.
Question : Pourquoi pas des transports gratuits en IDF ?
Michel Lamboley : Il y a des endroits où cela fonctionne très bien. Mais Paris est différent. D’une part, les pauvres ont été chassés de Paris depuis les années Chirac, et, d’autre part, il y a beaucoup de touristes. La gratuité favoriserait les plus riches et les touristes, aux dépens des contribuables d’IDF qui sont loin d’être tous riches. Les titres de transports représentent 30% des recettes et les entreprises de plus de dix salariés participent déjà au financement des transports.
Question : Comment remédier à la saturation des transports en commun d’IDF ?
Michel Lamboley : Elle provient d’un déséquilibre entre l’emploi et le logement. La résoudre est un véritable problème car il y a un subtil équilibre entre saturation, efficacité et vitesse comme on le voit avec la Conjecture de Mogridge (1990). Mogridge, un chercheur britannique spécialisé dans les transports, est arrivé à la conclusion que tout investissement routier dans une zone urbaine encombrée aura pour effet de réduire la vitesse moyenne de l'ensemble du système de transport : route et transports publics. Il en a déduit qu'il valait mieux investir dans les transports en commun que les transports routiers. Le problème en IDF est de savoir si les investissements en réseaux ferrés lourds (métro) en zone dense, seront suffisants. C'est douteux. Ensuite la question de la localisation des emplois est essentielle, les emplois à l'heure actuelle restent concentrés à l'ouest de Paris (92 en particuliers) et les futurs aménagements ne montrent pas de rééquilibrages.
Question : Pourquoi construit-on autant de bureaux qui ne trouvent pas preneurs ?
Michel Lamboley : La SGP a des emprunts à rembourser. Elle comptait sur les taxes sur les bureaux pour ce faire. Mais en effet les bureaux ne sont pas tous occupés. Pendant ce temps il a un déficit de 500 000 logements. Le projet du Grand Paris auraît dû combler ce déficit mais cela n’arrivera pas. La première couronne se gentrifie et les promoteurs construisent des logements chers.
Question : Mais quel rapport entre le transport et la construction de logements ?
Michel Lamboley : c’est le réseau de transports publics qui engendre la construction. En 2012, il y a eu un plan d’aménagement du territoire avec le développement prévu du réseau.
Question : comment les salariés se battent-ils contre la mise en concurrence ?
Michel Lamboley : La revendication n’est pas à la hauteur des enjeux. Les syndicats ne se rendent pas compte de ce que ça va provoquer. Il y a 12 ans, j’ai tenté de les alerter en pure perte. Le mythe qui prévaut à la CGT est celui d’une entreprise nationale à vocation régionale. Le syndicat considère que son rôle est de défendre les intérêts des syndiqués. On sait depuis 12 ans qu’on va être mis en concurrence, et au bout de compte on va tout perdre. Ils nous donneront un peu d’argent, « un sac à dos social », pour acter le changement politique.
Note :
*La tarification à l'activité (T2A) est le mode de financement unique des établissements de santé, publics et privés. Lancée en 2004 dans le cadre du plan « Hôpital 2007 », elle repose sur une logique de mesure de la nature et du volume des activités et non plus sur une autorisation de dépenses.
Intervention de Michel Lamboley à ASAV, mardi 24 mai 2022