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Programme économique de la Nupes : réponse à la réponse de terra nova

économie

Lien publiée le 2 juin 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Programme économique de la Nupes : réponse à la réponse de terra nova | Le Club (mediapart.fr)

Economistes de l'Union populaire

Un débat s’est installé entre le think tank Terra Nova et Jean-Luc Mélenchon à propos du programme économique de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Une première note, rédigée par Guillaume Hannezo pour Terra Nova[1], dressait un réquisitoire à charge, prédisant le pire en cas d’accession au pouvoir de la Nupes. Elle a entrainé une réponse de Jean-Luc Mélenchon[2] à laquelle Terra Nova a elle-même répondu[3]. Ces échanges ont suscité l’intérêt de L’Obs qui a souhaité organiser un débat entre Aurélie Trouvé, présidente du parlement de la Nupes, et Guillaume Hannezo, que ce dernier a refusé. Il est étonnant, pour ne pas dire décevant, que l’initiateur de ce débat, qui n’a pas hésité à se livrer à une critique très virulente du programme de la Nupes, n’assume pas une confrontation publique permettant de revenir dans le détail sur les arguments avancés. En tant qu’économistes membres de la Nupes, nous nous proposons d’apporter notre contribution au débat.

Qu’il soit tout d’abord bien clair que, comme Terra Nova, nous considérons que l’exercice de la modélisation et du chiffrage doit être pris « avec beaucoup de modestie et de précautions » (p.6). Mais c’est un exercice utile qui permet de tracer des perspectives et d’avoir une idée de l’impact des politiques qui pourraient être menées. Gouverner est certes une affaire d’orientation politique mais c’est aussi une question d’opérationnalisation technique. Sans subordonner le politique, les questions de faisabilité et de mise en œuvre concrètes méritent d’être traitées avec sérieux, ce que nous faisons.

Dès ses débuts, le macronisme portait la promesse du gouvernement des techniciens au service de la modernisation (néolibérale) de la France. Or, ce gouvernement des techniciens a montré toutes ses limites dans les crises qui se sont succédé : incapacité à les prévoir et incurie à les gérer dans un cadre délibératif. Ironie de l’histoire, et preuve ultime de son échec, le macronisme, pourtant riche de figures issues de la technostructure de l’État, a mobilisé une myriade de cabinets de conseil pour élaborer des plans de sortie de crises, alors que les solutions et ressources nécessaires à cette expertise étaient déjà-là au cœur même de l’administration publique.

Question technique sur le chiffrage : le multiplicateur

Riche de l’expertise citoyenne, des associations, des universitaires, mais aussi avec l’aide de certaines forces vives et voix de l’administration pas assez écoutées par le pouvoir en place, le programme l’Avenir en Commun a été chiffré et ses effets macroéconomiques ont été simulés à l’aide des documents publics disponibles. Deux grandes institutions publiques, la Banque de France et le Ministère des finances, ont en effet publié les principales caractéristiques de leurs modèles de simulation macroéconomique : Mésange pour le Ministère des finances et FR-BDF pour la Banque de France. Ces documents ne donnent pas accès à la totalité du modèle mais présentent une estimation de la réaction de l’économie française à certains « chocs » sur des variables d’intérêt (par exemple, une réforme fiscale, une hausse de la dépense publique, une hausse du prix du pétrole, etc.).

C’est à partir de ces documents que nous avons établi nos hypothèses quant au multiplicateur (la manière dont une augmentation de dépenses publiques se traduit en activation de la production de richesses), question qui a été au cœur des attaques de Terra Nova bien que le think tank ne juge plus maintenant ce point essentiel. C’est pourtant à partir d’une sous-estimation volontaire de celui-ci qu’il tente de décrédibiliser notre programme.

Dans le document de travail publié par la Banque de France il est montré qu’une hausse de la consommation publique — hors salaires — de 1 point de PIB, augmente la valeur ajoutée de 0,97 l’année du choc, l’effet restant conséquent 4 années plus tard (le détail ultérieur n’est pas disponible dans la publication). Le tableau ci-dessous présente une sélection d’effets sur le PIB d’une batterie de mesures largement débattues dans le débat public.

Reposant sur d’autres choix de modélisation, les équipes du Ministère des finances ont également rendus publiques un « cahier de variantes » du modèle Mésange. Ci-dessous sont donnés certains « effets de multiplicateur » évalués par l’utilisation de ce modèle[4] :

Il faut noter que pour des chocs sur des variables identiques, les résultats présentent des nuances. L’économie n’est pas une science qui établit des lois immuables. La discussion technique reste permanente au sein de la profession. Mais ces deux modèles ont été réalisées par des équipes de haut niveau et permettent de cadrer le débat. Le chiffrage du programme l’Avenir en Commun, qui sert de base à celui de la Nupes, utilise ces informations publiques comme socle aux évaluations. Cette masse d’information a été mobilisée, même si le modèle de la Banque de France a été plus mis en avant. Ceci s’explique, non parce qu’il serait « meilleur », mais parce qu’il donne des évaluations plus prudentes, notamment en termes de réaction de la consommation des ménages à un choc de revenu (comme on peut le voir sur les effets d’une hausse des prestations sociales, relativement lent à se mettre en marche).

La question relative au multiplicateur a toute sa légitimité. C’est précisément le sens de l’exercice de chiffrage du programme, qu’aucune autre force politique n’a réalisé lors de la campagne présidentielle. Mais au-delà des questions techniques, qui sont traitées avec sérieux au sein de la Nupes, contrairement à ce que prétend, sans fondement, Terra Nova, il ne faut pas oublier que la question qui est posée aux citoyens les 12 et 19 juin est avant tout politique : quel niveau de protection sociale est-il souhaitable de mettre en place ? Quel niveau d’investissement orienter vers les services publics ? A quel horizon va-t-on prendre au sérieux les alertes du GIEC avant de devoir affronter les coûts, à tout point de vue insoutenables, d’une inaction sur ce plan ? La technique ne doit pas occulter les enjeux politiques de notre époque. À ce titre, on aimerait que Terra Nova soit aussi exigeant avec Emmanuel Macron qui n’a même pas daigné fournir une évaluation de son programme (qu’il n’a d’ailleurs pas détaillé non plus). En revanche, ce dont nous sommes certains concernant son programme, c’est qu’il ampute – de façon permanente – les caisses publiques de 53 milliards d’euros chaque année en raison d’une politique orientée vers les cadeaux aux plus fortunés, ressources qui nous manqueront pour affronter les défis du 21e siècle et qui peuvent questionner la soutenabilité des finances publiques. S’il convient de faire de la technique avec sérieux, n’oublions pas la politique.

La question politique d’une attaque spéculative

Le sérieux nous a également poussé à tenir compte d’une attaque spéculative en cas d’arrivée au pouvoir de la Nupes. À cet effet, notre chiffrage intègre une hausse des taux d’intérêt sur la dette souveraine.

Terra Nova fait la promotion de l’euro qui a « limité le champ de la spéculation et permis le développement de l’État-providence » (p.8). S’il est vrai qu’une plus grande stabilité monétaire a été obtenue avec l’euro, les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance (fort heureusement mises entre parenthèses aujourd’hui) et la promotion de la concurrence dans tous les domaines empêchent toute politique économique progressiste et minent les services publics. Enfin une analyse rigoureuse doit reconnaître que la stabilité de l’euro repose aussi sur le fait que la technocratie européenne (la Banque centrale et la Commission européenne) marche main dans la main avec la finance de marché pour imposer des conduites disciplinées aux États : il suffit de penser à la gestion traumatique du cas grec par les « créanciers » officiels européens. Surtout, qui peut croire un seul instant que notre protection sociale s’améliore et que nos services publics sont renforcés depuis 20 ans grâce à l’euro ? Si la dette est devenue un actif sans risque, en partie grâce à l’arrimage au Bund (l’emprunt allemand), cela n’est pas sans contreparties sociales et politiques. Et, contrairement à ce qu’affirme Terra Nova, l’idée du programme économique de la Nupes ne consiste pas à « imposer aux autres de financer sa course solitaire » (p.8) mais d’impulser une bifurcation au niveau de l’UE, faute de quoi nous serons incapables de relever les défis sociaux et climatiques de notre époque.

Terra nova fait à nouveau un parallèle avec la Grèce de Tsipras en 2015, en promettant que notre programme conduirait à un résultat bien pire et à une explosion de la dette publique. Qu’il nous soit permis de rappeler que ce sont les politiques monétaristes, couplées à la libéralisation financière, qui ont conduit la France à voir son ratio dette/PIB passer de 21 % en 1980 à  113 % aujourd’hui (le néolibéralisme étant aussi à l’origine de la crise financière de 2007-2008 et responsable des conséquences de la crise sanitaire). C’est précisément en réduisant la dépendance aux marchés financiers, qui est un axe fort du programme de la Nupes, et en infléchissant la culture financière des institutions européennes qu’on évitera de subir le même sort que la Grèce. Et que Terra Nova se rassure, nous ne souhaitons pas recourir au défaut de paiement, simplement montrer qu’attaquer un gouvernement français qui souhaiterait rompre avec les logiques austéritaires reviendrait à attaquer l’ensemble de l’UE. Qui y aurait intérêt ?

Terra Nova s’entête dans sa vision monétariste de l’inflation, qui a pourtant été largement invalidée par les faits. Est-il besoin de rappeler que le quantitative easing mené par la BCE, et prolongé pendant le COVID pour répondre avant tout à l’instabilité financière, a conduit à une hausse sans précédent de la masse monétaire en euros tout en conduisant à une situation où la déflation menaçait ? L’élément central, omis par Terra Nova, est la confiance. Si l’on crée un choc d’investissement public, on peut espérer un effet d’entrainement sur le secteur privé, la commande publique irriguant la demande qui lui est adressée. Que cela ne soit pas l’avis de nos partenaires ne signifie pas qu’ils aient raison. En la matière, les faits valident notre approche de l’inflation, même si bien sûr des chocs de demande peuvent parfois exister. La boucle prix-profits est beaucoup plus problématique que la boucle prix-salaires[5]. Surtout la question de l’inflation doit être débattue dans ses effets distributionnels : quels sont les publics sociaux principalement exposés, et lésés, si les salaires ne suivent pas contrairement aux profits et aux taux d’intérêt ?

Terra Nova nous accuse d’avoir une stratégie de preneur d’otage (p.11), rien que ça ! Doit-on expliquer que la construction d’un rapport de forces est indispensable si l’on veut changer les règles de fonctionnement économique de l’Union européenne ? Ce n’est pas en disant « s’il vous plait » que l’on y arrivera. Mais cette accusation révèle une volonté de dépolitiser la question économique afin de monter qu’il n’y a pas d’alternatives. Quant à son obsession d’un défaut de paiement, que nous aurions anticipé de surcroit, elle n’a aucun fondement, comme l’est la comparaison avec des économies comme l’Argentine, le Pakistan ou le Venezuela (tiens, cette accusation originale nous manquait !) ou l’assimilation aux positions de Marine Le Pen (p.12), qui ont pour unique objectif de nous discréditer (p.10). On pourrait espérer un peu mieux au niveau de l’argumentation !

Nous pourrions par ailleurs rappeler à Terra Nova que des défauts ont déjà eu lieu dans l’histoire, sans que cela ne provoque de cataclysme, à l’image du défaut de l’Allemagne de 1953, qui paraissait une évidence dans un monde définanciarisé où la politique et les puissances publiques avaient repris la main après la seconde guerre mondiale, précisément afin d’éviter de nouvelles catastrophes. Mais, dans la situation actuelle, pourquoi faire défaut quand notre chiffrage montre que les dépenses engagées génèrent des recettes supérieures et que les taux d’intérêt réels sont négatifs ? Cette attaque n’a pas de fondement. Le scénario catastrophe présenté dans cette réponse à Jean-Luc Mélenchon est digne d’une superproduction hollywoodienne où l’on mettrait la Tour Eiffel à l’encan[6], et l’imagination de Terra Nova semble sans limite. Le chiffrage de notre programme montre que nous sommes très loin d’un tel scénario et que le sérieux est de notre côté.

Enfermée dans sa vision idéologique, Terra Nova ne semble pas être en mesure de comprendre que le but premier n’est pas de rééquilibrer les comptes publics mais de satisfaire les besoins sociaux et d’organiser la bifurcation écologique de nos économies, ce qui demande des dépenses importantes. Et l’objectif n’est pas de convaincre les marchés financiers, mais de s’affranchir de leur influence néfaste et de leur prouver que la sortie de l’impasse écologique et sociale est du côté de l’impulsion politique conséquente, impulsion qui doit s’accompagner d’un réalignement de la production et de la consommation en faveur de la bifurcation écologique et de la reconstruction des services publics. A cet effet, on peut envisager plusieurs mesures de court et moyen terme pour protéger l'endettement public des éventuelles attaques spéculatives (et limiter la discipline de marché en posant les bases d'un circuit du trésor 2.0), par exemple en utilisant le pôle public bancaire lors des émissions de dette publique française en contexte de tensions sur les marchés, ou en augmentant les niveaux de détention de dette souveraine des composantes du pôle public bancaire voire des entreprises et institutions publiques et parapubliques ayant une trésorerie abondante et mobilisable[7].

Au final, s’il est bien évidemment toujours possible de discuter de l’effet de telle ou telle mesure, d’une estimation que l’on juge trop optimiste ou au contraire trop pessimiste[8], l’analyse de Terra Nova demeure prisonnière d’une approche purement technique et dépolitisée de l’économie et reste arc-boutée sur une vision passéiste de l’économie incapable d’intégrer les défis majeurs que nous devons affronter.

[1] https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/politique-economique-a-gauche-la-grande-peur-de-gagner/.

[2] https://melenchon.fr/2022/05/29/contre-le-programme-nupes-un-contre-chiffrage-tres-bricole/

[3] https://tnova.fr/economie-social/finances-macro-economie/reponses-aux-commentaires-de-j-l-melenchon-sur-lanalyse-du-programme-economique-de-la-nupes/.

[4] Pour l’effet des chocs sur le reste des variables économiques d’intérêt le lecteur peut lire la totalité des résultats dans les documents de travail publiés par ces institutions.

[5] https://blogs.mediapart.fr/economistes-parlement-union-populaire/blog/010622/l-inflation-symptome-d-un-modele-neoliberal-en-bout-de-course.

[6] Comme sur la couverture d’ouvrages à succès qui aimaient, dès les années 2000, à se faire peur ! https://www.grasset.fr/livres/le-jour-ou-la-france-fait-faillite-9782246711216.

[7] Pour plus de détails sur ces propositions alternatives, voir les notes d’Intérêt général « Dette publique : en finir avec les manipulations », https://interetgeneral.net/publications/pdf/15.pdf, et « 100 Jours pour une rupture : quand la gauche essaiera », https://interetgeneral.net/publications/pdf/23.pdf.

[8] Terra Nova reconnait fonder son analyse à partir du chiffrage de l’institut (libéral) Montaigne. Contrairement à ce qu’affirme Terra Nova, nous avons contesté à plusieurs reprises ce chiffrage car l’institut Montaigne, qui n’a pas analysé l’ensemble de nos mesures de recettes, les a pourtant souvent sous-estimées tandis que les dépenses étaient au contraire surestimées.

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