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Le Futur du travail
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Le Futur du travail, par Juan Sebastian Carbonell (revolutionpermanente.fr)
Réorganisation du travail et du monde du travail, fragmentation des tissus productif et renouvellement de la conflictualité ouvrière, autant d’idées au coeur de l’ouvrage éclairant de Juan Sebastian Carbonell, récemment publié aux Editions Amsterdam.
Deux dynamiques du travail, son automatisation, d’une part, et sa fragmentation, d’autre part, occupent une place très importante dans les débats au sein de la gauche. Et la chose est compréhensible : la dislocation du tissu industriel des années 1960-70, l’émergence des économies dites « du numérique » et leur cohorte de misères sociales et d’exploitation ont de quoi susciter l’inquiétude, voire la colère. Cependant, force est de reconnaître que ces mouvements de réorganisation et de transformation du travail jouent aussi un rôle de masque idéologique. Certains apologistes de la disparition du travail dans les méandres de l’algorithme pensent pouvoir prédire la libération prométhéenne de l’humanité par la technologie, d’autres, plus pessimistes, voient au contraire dans les progrès de l’intelligence artificielle et des plateformes numériques le double fléau d’un chômage de masse inexorable et de la neutralisation des capacités traditionnelles de résistance des travailleurs par leur atomisation et leur isolement « numérique ».
Dans Le futur du travail, paru en février aux Editions Amsterdam, Juan Sebastian Carbonell se propose de confronter ces deux prophéties à la réalité d’un « monde du travail » en mutation, et d’analyser, derrière les phénomènes réels de sa décomposition, les mouvements non moins réels mais souvent cachés de sa recomposition et des possibilités concrètes de résistance et d’émancipation des travailleurs. Loin de l’idée d’un travail condamné (pour le pire) à la disparition, l’auteur met en lumière et insiste a contrario sur sa centralité, dans le coeur même des fabriques de ces géants (Amazon, Uber, Tesla, pour ne citer qu’eux) qui le dissimulent idéologiquement plus qu’ils ne le dépassent. Mieux, J.S. Carbonell va montrer que l’essor du numérique et de la logistique correspond en fait à une recomposition, sur une échelle considérablement élargie, de certaines modalités classiques du travail industriel. Bien entendu, l’ouvrage se garde de tout enthousiasme naïf à propos de ces nouvelles concentrations ouvrières mais entend, par delà l’examen précis des conditions féroces d’exploitation qui y règnent, réhabiliter la possibilité politique de l’émancipation de ces travailleurs par eux-mêmes.
Derrière les machines : fin du travail ou travail sans fin ?
C’est donc de cette question cruciale de la disparition du travail que J.S. Carbonell se propose de partir. Cruciale, en effet, dans la mesure où en elle se croisent les préoccupations des salariés, qui voient leur travail devenir plus intense, plus précaire ou tout simplement disparaitre, celles des intellectuels qui en analysent les formes et les mutations ainsi que des idéologues contemporains du système capitaliste, et autres chefs d’industrie, hautement préoccupés qu’ils sont par la maximisation du profit capitaliste et la contention des conflits sociaux. Dans le premier chapitre intitulé « la fin du travail n’aura pas lieu », l’auteur montre l’inanité de l’hypothèse du « grand remplacement technologique », soit l’idée selon laquelle le travail humain serait en passe de disparaître massivement au profit d’automates et machines en tout genre. Cette conséquence (le remplacement du travail humain par la machine), insiste l’auteur, n’est pas un fantasme mais sa réalité ne se manifeste que si l’on considère le phénomène à l’échelle des branches et des métiers particuliers. A l’échelle mondiale, en effet, c’est un autre constat qui s’impose. Ce paralogisme, lié à l’échelle que les observateurs adoptent, participe, selon l’auteur, de la dissimulation de trois autres types de conséquences : la « déqualification / requalification [du travail], son intensification et son contrôle (p. 26) ».
J.S. Carbonell note en effet que l’instauration de nouvelles machines, quoiqu’elles puissent contribuer à réduire localement la main d’oeuvre, contribuent toujours dans le même temps à la création de nouveaux emplois dans d’autres branches. Il écrit à ce propos :
« une question qui reste ouverte et à laquelle les apologistes des nouvelles technologies s’intéressent peu est donc celle de la nature et de la qualité des emplois dont cette nouvelle technologie est susceptible de favoriser la création » (p. 41).
L’auteur montre que l’instauration de machines toujours plus perfectionnées requiert par exemple une plus grande quantité de composantes électroniques, matières premières et travaux de maintenance (ce qui engage du travail vivant) et qu’elles ouvrent aussi la voie à de nouvelles possibilités techniques et d’usage.
« Par exemple, écrit-il, l’invention de l’automobile a rendu obsolète le métier de charretier et l’ensemble du transport à cheval dans la plupart des grandes villes du monde. Mais, en même temps, l’industrie automobile naissante et toutes les industries associées (construction d’autoroutes, stations services, péages, garages, etc.) ont contribué à créer de l’emploi. » (pp. 41-42)
Localement, l’usage de la machine contribue certainement à détruire certains emplois, cependant, en tant que marchandise, elle requiert une grande quantité de travail pour être produite, travail qui n’existait pas avant son instauration dans l’industrie. Du reste, son usage requiert bien souvent lui aussi la création de nouveaux emplois pour assurer son fonctionnement, sa maintenance et, le cas échéant, le traitement des informations qu’elle produit.
L’émergence d’une nouvelle technique ne peut en effet être considérée du seul point de vue de l’activité manuelle qu’elle supplante, dans la mesure où toute technique s’accompagne toujours d’une redéfinition du champ des possibilités matérielles. Au paradigme de l’extinction technique du travail humain, J.S. Carbonell propose celui, beaucoup plus pertinent, de sa requalification dynamique. La machine, en effet, n’est pas neutre. Elle prend place dans un procès de travail commandé par l’intérêt privé des propriétaires. La machine, en conséquence, loin de supplanter le travail humain, représente plutôt avant tout un outil pour en extraire davantage de valeur, le déqualifier, et le contrôler. Or, c’est précisément cette dimension hautement politique que les prophéties sur la fin universelle du travail contribuent à dissimuler.
Mais, par delà ces limites techniques, pourquoi le capitalisme ne pourrait-il pas se passer entièrement de main d’oeuvre, et généraliser ces lights-out manufacturing, c’est-à-dire ces usines fonctionnant sans ouvrier, de façon entièrement automatique ? Le projet à de quoi susciter l’enthousiasme des chantres du capitalisme et l’inquiétude de celles et ceux qui le combattent. Mais, en fait, une telle économie ne pourra jamais voir le jour. L’auteur affirme que les raisons de cette impossibilité sont avant tout économiques, et remarque que « le digital manufacturing est loin d’avoir tenu ses promesses en matière de transformation de l’industrie. La situation est semblable à celle qui a freiné l’installation massive de caisses automatiques : la stagnation économique, caractérisée par le déclin du taux de croissance sur une longue période, décourage la réalisation d’investissements productifs par les entreprises ». (p. 44)
C’est à cette question que Marx répondait, déjà, dans les chapitres XV et XVI du premier livre du Capital où il affirme contre l’intuition que « la machine ne produit pas de valeur, mais transmet simplement la sienne à l’article qu’elle sert à fabriquer » . Seule la force du travailleur, le travail dit vivant, ajoute de la valeur aux marchandises car ce qui sert à la maintenir en état de fonctionnement, donc à satisfaire ses besoins sociaux-biologiques moyens, vaut moins que ce qu’elle peut produire en une journée de travail sous les ordres du capital. Au contraire, la machine ne peut pas transférer plus de valeur qu’elle n’en a elle-même. Son rôle, comme le rappelle très justement J.S. Carbonell, est plus politique que strictement technique. En fait, la machine permet d’extraire proportionnellement plus de valeur d’un travailleur en homogénéisant et en contrôlant le procès de travail sur des échelles considérablement plus vastes que celles qui prédominaient avant leur introduction. Elle fonctionne donc comme un levier d’extraction de plus-value. Mais si l’industrie tout entière était automatique, de l’extraction des matières premières à la mise en circulation des marchandises, aucun profit ne pourrait être engrangé, puisque la somme des marchandises équivaudrait, toute chose égale par ailleurs, à la stricte proportion de l’usure de l’ensemble de la chaine automatique nécessaire à sa fabrication.
C’est sur cette idée très féconde que se clos le premier chapitre du Futur du travail. C’est un présupposé, démenti par l’analyse, qui nous pousse à considérer prioritairement les machines sous l’angle du danger qu’elles représentent pour l’ensemble du travail humain, et à laisser de côté la dimension éminemment politique de leur usage au sein de l’usine. Ce funeste usage n’est cependant pas inscrit en elles comme leur essence, et l’on est en droit de se demander, avec l’auteur, ce qu’elles « pourraient devenir entre les mains des syndicats, ou des travailleurs eux-mêmes » ? (p. 52)
Ruptures et continuités au coeur du salariat
J.S. Carbonell consacre les deux chapitres suivants de son ouvrage aux mutations qui concernent les conditions de travail et d’emploi ainsi qu’à l’ampleur de la dislocation des formes dominantes du salariat, en particulier des contrats à durée indéterminée (CDI). C’est notamment la notion de « précariat », notion qui entend circonscrire une nouvelle réalité du travail, balayant les anciennes formes du travail salarié industriel au profit d’un nouveau corps de travailleurs exploités, numériquement isolés des uns et des autres, arrachant péniblement et un à un les lambeaux d’un salaire aux pièces, sans contrepartie de protection sociale ou de congés payés. Si cette précarisation du travail est une éminente réalité, là encore sa forme tend aussi à masquer un certain nombre de continuités avec les précédentes. C’est la notion même de précariat, dont l’intention conceptuelle est de rendre compte d’une disparition plus ou moins achevée du prolétariat, réputé pour sa conscience de classe et sa vocation collective. L’auteur remarque que le précariat désigne une masse informelle d’individus, définie négativement et qui échapperait aux traditionnels antagonismes de classe (surtout par impuissance). L’essor du numérique et de toutes ces « nouvelles économies » favoriseraient l’émergence et l’essor de cette nouvelle condition, distincte des précédentes et en particulier de celle du prolétaire. Quoique les défenseurs de la notion, à l’instar de Guy Standing, envisagent comme possible l’émergence d’un « pour soi » de la conscience du précariat, c’est-à-dire d’une forme d’autonomie politique, l’exposé de sa définition insiste en fait surtout sur l’impuissance de cette « non classe de prolétaires post-industriels », comme le dit Gorz, à côté de laquelle l’emploi salarié apparait comme un privilège.
Mais là encore cette analyse, comme le montre très bien J.S. Carbonell, se heurte à l’examen des faits. Tout d’abord, celle-ci masque (mal) que l’emploi salarié stable demeure encore la norme, quoique l’éclatement et la flexibilisation du travail soit une réalité, y compris dans des secteurs traditionnellement mieux protégés par des acquis sociaux. Ensuite, et c’est là un point à la fois intéressant et fécond, l’auteur montre que l’émergence de ces franges les plus précaires du monde du travail correspond aussi à l’élargissement de l’échelle générale de la production. Ainsi, note-t-il, bien que le taux de chômage soit passé, de 1968 à 2015, de 1% à près de 10%, le taux d’inactivité a quant à lui baissé de 27% à 11,5%, notamment sous l’effet de l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. La précarisation de l’emploi n’est donc pas, si on suit l’auteur, un phénomène uniforme permettant de justifier l’existence de la notion de précariat, notion qui pourrait, selon ses défenseurs, supplanter celle du prolétariat, c’est-à-dire de la classe constituée par les individus forcés, dans le monde entier, de vendre leur force de travail pour arracher au capital leur droit à l’existence. Certains emplois industriels se voient déqualifiés, voire détruits, certains nouveaux métiers sur le mode de l’auto-entrepreneuriat (la livraison à vélo notamment) émergent dans les grandes villes, le droit du travail se trouve attaqué, le taux des salaires abaissé, mais toutes ces réalités ne contribuent pas à constituer un segment social exclusif mais forment au contraire, selon l’auteur, l’ensemble des mutations et des attaques auxquelles le prolétariat se trouve sans cesse exposé sous le régime d’exploitation capitaliste. Précarité et salariat, salaire aux pièces et salaire aux temps cohabitent en réalité au sein du même espace de travail et de la même réalité de classe.
Néanmoins, ces continuités, qui sont même remarquables si l’on considère de près les similitudes — révoltantes — entre les conditions de travail de ces nouveaux prolétaires de la livraison ou de la logistique et celles des ouvriers du XIXème et du XXème siècle, ne doivent cependant pas masquer les caractéristiques sui generis de ces « nouveaux prolétaires du numérique ».
Les « mines » du XXIème siècle
L’essor du numérique et d’Internet constitue à n’en pas douter la condition de possibilité de nombre de mutations de la chaine productive qui ont eu lieu durant ces dernières décennies. Non seulement le prolétariat n’a pas disparu, mais il s’est même agrandi, et par la même occasion complexifié, sous l’effet de l’élargissement de l’échelle de la production mondiale, dont le numérique constitue à n’en pas douter un outil décisif.
« Au lieu d’une disparition, affirme l’auteur, il faudrait plutôt parler d’une prolifération du travail à l’échelle mondiale, dans de nouveaux secteurs d’activité et sous de nouvelles formes. Le sens commun parle de ces changements en termes d’ubérisation, de plateformisation ou d’amazonification, autant de néologismes qui cherchent à saisir le phénomène qui consiste à mettre au travail de nouvelles populations en contournant le droit du travail au travers de plateformes numériques, et à exercer une pression à la baisse sur les prix et les salaires en imposant une logique de juste-à-temps, des cadences infernales et des horaires impraticables ». (p. 87)
Cette observation pousse à considérer, dans sa spécificité non pas sociale mais technique, ces franges toujours plus grandes de travailleurs « du numérique ». Pourtant, la « dématérialisation » de la réalité de ce travail n’est qu’en grande partie une apparence. J.S. Carbonell se propose d’analyser (chapitres 3 et 4) ces deux archétypes de l’économie numérique que sont d’une part le système de Work-on-demand via app, dont l’entreprise Uber constitue le visage prédominant, et d’autre part celui de la plateforme logistique de vente en ligne, dont le géant Amazon est bien sûr le principal représentant.
Dans un cas comme dans l’autre, le travail n’a rien d’immatériel, il n’est « pas dans le cloud » (p. 92), comme l’écrit très justement l’auteur, ni « au dessus des rapports sociaux [mais] repose en réalité sur le travail de millions de personnes (p. 93) ». Dans le premier cas, celui des applications de services à la demande, la « dématérialisation » prend surtout la forme d’une externalisation de la quasi-totalité des moyens de travail. Organisant presque exclusivement des travailleurs non salariés, cadences infernales et bas salaires sont la norme de ces plateformes qui mettent tout particulièrement en lumière le caractère parasitaire du capital. Propriétaires de leurs moyens de travail (vélos, outils, automobiles), « indépendants », les travailleurs de ces plateformes se trouvent en réalité tenus par le moyen d’un « management algorithmique autoritaire » qui s’arroge un droit presque exclusif d’accès à la clientèle, fabriquant par ce biais un chantage à l’inactivité. L’architecture de cette nouvelle économie correspond là aussi à une « extension du domaine du marché » (p. 95), c’est-à-dire à l’élargissement de l’échelle productive et la mobilisation d’une main d’oeuvre dispersée. Ce dernier point qu’aborde l’auteur est particulièrement intéressant dans la mesure où il me l’accent sur la mise en forme d’une armée quasi industrielle de travailleurs dans des secteurs (la livraison, le transport de passagers, le travail à domicile, la réparation ou l’entretien) qui étaient jusque là très largement dominés par des modalités artisanales. Il s’agit bien là, en fait, de nouvelles concentrations ouvrières quoique celles-ci soient organisées au sein de structures très différentes de celles des grandes usines des Trente Glorieuses.
L’autre archétype de cette nouvelle économie est représenté par les gigantesques hubs logistiques, dont la nature et la portée sociale, économique et politique sont abondamment discutées dans le chapitre 4 de l’ouvrage. Véritables Léviathans économiques, ces grands entrepôts de la logistique mondiale atteignent quant à eux des degrés de concentration de main d’oeuvre (regroupant parfois plusieurs dizaines de milliers de travailleurs sur un seul site) proprement spectaculaires. Mais cette réalité fait l’objet d’une brutale dénégation de la part du discours patronal et commercial qui préfère mettre l’accent sur la « fluidité » ou sur « l’économie « en réseaux » (p. 117), dissimulant ainsi l’enfer des cadences et les légions de travailleurs qui, réparties sur toute la planète, assurent le fonctionnement de cette immense chaîne d’approvisionnement. L’auteur écrit ainsi très justement que « d’un côté, le capitalisme logistique insiste sur la légèreté et la mobilité, de l’autre, il masque la matérialité et la lourdeur des opérations d’entreposage et de manutention » (p. 117)
Mais ce monde dissimulé sous l’artifice commercial et l’interface technique n’en demeure pas moins de plus en plus visible. D’un côté la société prend chaque jour un peu plus conscience de l’existence matérielle concrète de ces travailleurs, dont beaucoup subissent des conditions de travail très dures, de l’autre, et c’est sans aucun doute l’aspect le plus important, les travailleurs eux-mêmes prennent peu à peu conscience de leur être de classe et de leur condition commune, ce qui conduit à des grèves, parfois victorieuses, ainsi qu’à des tentatives de syndicalisation.
L’émergence de cette conscience, ardemment combattue par les géants de la logistique, va de pair avec la conscience du caractère crucial et stratégique de « ce capitalisme de la chaine d’approvisionnement ».
En finir avec le travail ou le libérer ?
Cet ouvrage très fécond pose de nombreux jalons pour l’analyse du capitalisme contemporain et ses perspectives historiques d’émancipation, loin des déformations idéologiques qu’occasionne le mythe de la fin du travail humain. J.S. Carbonell consacre ainsi le dernier chapitre du Futur du travail à la critique et l’examen des perspectives politiques qui émergent face aux mutations contemporaines du capitalisme et à la recomposition du travail et du prolétariat.
Deux perspectives dominant les débats y sont soumises à la critique afin d’envisager une troisième voie. La perspective d’un revenu universel comme celle de l’abolition du travail se fondent toutes deux sur la négation partielle ou totale de la réalité matérielle et politique du monde du travail, et en particulier de ce nouveau prolétariat, jeune et peu qualifié, vis-à-vis duquel elles entretiennent, parfois à leur corps défendant, un certain scepticisme politique. L’auteur montre que les revendications politiques pour un revenu universel commettent l’erreur de poser le problème de la misère sous l’angle d’une socialisation universelle du revenu mais sans poser celui, pourtant consubstantiel, d’une socialisation du profit et des moyens d’existence de la société. En ces termes exclusivement monétaires, le revenu universel acte en quelque sorte la perspective d’une précarisation grandissante du travail, comme s’il s’agissait d’une nécessité naturelle. Or, en fait, non seulement le travail a toujours été précaire mais cette précarité peut être combattue et ne constitue pas un destin inexorable.
Les perspectives politiques qui prônent l’abolition du travail, en fait surtout la démission individuelle, découlent du même présupposé. L’une comme l’autre actent l’impuissance des travailleurs comme classe pour ne considérer l’émancipation que sous l’angle de la réforme institutionnelle ou de la résistance individuelle. Pourtant, l’examen critique et précis des mutations du travail, à l’échelle mondiale, montre l’étendue du prolétariat et indique ses possibilités politiques d’émancipation. Dans le procès de travail, dans le coeur même de la machine économique réside la possibilité de sa transformation, les travailleurs possédant entre leur main l’immense majorité des moyens de son existence et de son avenir.