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Dimitri Manessis, Les secrétaires régionaux du Parti communiste français (1934-1939).

Lien publiée le 5 juin 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Dimitri Manessis, Les secrétaires régionaux du Parti communiste français (1934-1939). Du tournant antifasciste à l’interdiction du Parti, Préface de Jean Vigreux, Dijon, EUD, 2022, 336 pages, 23 €. | Dissidences : le blog (hypotheses.org)

Dimitri Manessis, Les secrétaires régionaux du Parti communiste français (1934-1939). Du tournant antifasciste à l’interdiction du Parti, Préface de Jean Vigreux, Dijon, EUD, 2022, 336 pages, 23 €.

Un compte rendu de Morgan Poggioli

Décidemment, 2022 est une année riche en publications pour Dimitri Manessis. Après la biographie de Rino Della Negra1 avec Jean Vigreux en février, il publie aujourd’hui un ouvrage, issu de sa thèse soutenue en décembre 2020 sous la direction du même Jean Vigreux.

Ce travail doctoral s’appuie sur un impressionnant corpus archivistique issu des fonds du Komintern2 (disponibles sur https://pandor.u-bourgogne.fr/), des questionnaires biographiques, des archives publiques de surveillance, des mémoires de militants ainsi que la presse locale et nationale. Complétant ainsi l’étude pionnière de Bernard Pudal sur les membres du Comité central3, Dimitri Manessis nous offre un portait collectif de ces cadres thoréziens intermédiaires pendant le Front populaire, période où le PCF devient un parti de masse et où la « nationalisation » du parti renforce son encrage local en donnant une importance nouvelle et considérable à ses secrétaires régionaux.

L’ouvrage s‘articule autour de trois parties permettant de mieux connaître ces responsables (origines sociales, parcours scolaires et professionnels, expériences militantes) ; d’appréhender quelles sont exactement leurs fonctions et leurs missions (dans et hors de l’appareil) et enfin de comprendre comment ces responsables locaux, interfaces entre la base et le sommet du parti, font face aux bouleversements de la période à commencer par le tournant antifasciste de 1934 après la ligne « classe contre classe », puis la victoire du Front populaire et évidemment aux crises de la période : de la guerre d’Espagne aux Accords de Munich et de la chute du Front populaire à l’interdiction du parti au début de la Seconde Guerre mondiale.

L’approche prosopograhique opérée par l’auteur, grâce à un travail de recensement /identification de près de 200 secrétaires régionaux, éclaire d’un jour nouveau ces responsables politiques. Sans rentrer dans le détail de tous les aspects traités dans l’ouvrage (nous encourageons le lecteur à s’y plonger), nous souhaitons surtout mettre en avant les aspects les plus marquants des résultats obtenus. Tout d’abord Dimitri Manessis nous révèle que seul 1/3 des secrétaires régionaux de la période sont des permanents, aux appointements limités voire aléatoires, loin donc de l’image d’apparatchiks, sans compter les réticences exprimées par nombre d’entre-eux au moment de leur passage vers le statut de « militant professionnel », exprimant alors un refus de parvenir hérité du syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre encore largement partagé dans le mouvement ouvrier d’alors.

La seconde image, non pas battue en brèche mais renforcée cette fois-ci, est celle du responsable communiste d’origine ouvrière : 70% d’entre eux en sont en effet issus. Cela permet alors une représentation politique jusqu’alors inégalée de la classe ouvrière, leur permettant à la fois d’accéder pour beaucoup à des responsabilités inenvisagées/inenvisageables, de suppléer aux carences d’une scolarité souvent interrompue aux alentours de 12 ans (même si l’auteur révèle une instruction des responsables communistes supérieure à la moyenne avec 30% d’entre-eux ayant obtenu le CEP) grâce aux différentes écoles mises en places par le PCF (régionale, centrale voire internationale). Cette culture ouvrière est d’ailleurs heurtée par la transformation du parti en organisation de masse : d’abord par un recrutement plus large des adhérents, ensuite par le souci de respectabilité engendrant pour les responsables l’abandon de la traditionnelle casquette pour le costume et le chapeau (les témoignages sur le passage à ce nouvel habit(us) sont très parlants). Cette mutation textile ne touche pas les femmes qui restent extrêmement minoritaires à ce stade de responsabilité (seulement 2 recensées) mais renforce par contre la vision très masculine et virile de la fonction et de l’éthos ouvrier.

Enfin pour ce qui touche aux mutations politiques cette fois, Dimitri Manessis montre comment les responsables du PCF parviennent à s’adapter aux changements stratégiques (antifascisme, Front populaire, main tendue aux catholiques), aux prix parfois de compromis mais sans omettre les oppositions qui ont pu s’exprimer. Il aborde également le rôle du Centre et de ses instructeurs qui, s’ils exercent un contrôle certain, peuvent aussi être sollicités en recours/secours ou en soutien. Car les missions des responsables régionaux s’avèrent extrêmement nombreuses, en plus de leur activité professionnelle que la grande majorité conserve, alliant travail d’organisation, électoral, voire illégal dans le cadre de l’aide à l’Espagne républicaine, à tel point que le surmenage militant n’est pas un phénomène anecdotique.

A l’issue de la lecture, on ne peut que féliciter l’auteur pour son travail alliant le collectif et le singulier, le Centre et la périphérie, le local et le national (voire l’international), le public et le privé. Il nous donne à voir le portait-type du secrétaire régional communiste du Front populaire tout en montrant la pluralité ou les exceptions de situations qui peuvent coexister à l’intérieur de ce corps politique intermédiaire. En dehors de la pluralité des engagements (syndical, associatif, organisations de masse de la galaxie communiste), abordée dans l’ouvrage mais qui aurait pu être développée davantage, rien ne manque à cette étude prosopographique brillante. Et cette limite n’est peut-être d’ailleurs qu’un clin d’œil adapté au mot d’ordre de juin 1936 du cadre communiste par excellence, Maurice Thorez : c’est à dire qu’il faut savoir terminer une thèse quand les principaux objectifs ont été atteints !

1Voir notre compte-rendu : https://dissidences.hypotheses.org/14816

2Ces archives sont disponibles sur https://pandor.u-bourgogne.fr/

3Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie politique du PCF, Paris, PFNSP, 1989.