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    Clarifications dans l’ancien bloc de gauche

    Lien publiée le 5 juin 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Clarifications dans l’ancien bloc de gauche | Le Club (mediapart.fr)

    « La période actuelle est-elle une période de trouble politique ou au contraire de clarification ? » : billet publié par Clément Carbonnier le 3 juin 2022 dans son blog Alternatives Economiques.

    La période actuelle est-elle une période de trouble politique ou au contraire de clarification ? Si on part du cadre d’analyse de Bruno Amable et Stefano Palombarini, une autre manière de poser la question est de savoir si la création du bloc macroniste est une passade avant un retour à un classique affrontement droite-gauche ou au contraire si le système à trois blocs (nationaliste, néolibéral[1], social-planificateur) est pérenne, avec la disparition de l’ancien bloc de droite voué à se répartir entre les blocs néolibéral et nationaliste et l’ancien bloc de gauche à se répartir entre les blocs néolibéral et social-planificateur.

    Je rejoints la seconde conception, notamment pour ce qui concerne la clarification à l’intérieur de l’ancien bloc de gauche. La période inter-élections actuelle, avec les positionnements vis-à-vis de l’alliance Nupes, apporte son supplément de clarification. Pendant la campagne présidentielle, beaucoup de critiques des tenants de l’ancien bloc de gauche se référaient officiellement à la personnalité supposée du candidat Jean-Luc Mélenchon. Aujourd’hui, on voit apparaître une tentative sans ambiguïté de faire peur en se basant sur le programme. C’est bien le programme, et surtout son caractère social visant à ébaucher quelques mécanismes de coordination économique hors marché, qui fait peur.

    De ce point de vue, au milieu du fort nombre de paniques néolibérales (voire notamment la présentation générale de Romaric Godin), le cas du laboratoire d’idée Terra Nova est particulièrement intéressant. Intéressant parce qu’une note récente de ce groupe se classe elle-même en critique « depuis la gauche » du programme de la Nupes, mais montre en réalité combien cette dite critique constitue en fait un ralliement fort aux idées néolibérales. Intéressant aussi parce que parmi les phénomènes de clarification, le quinquennat Hollande a joué un rôle primordial et qu’une note pendant sa campagne, justement de Terra Nova, est souvent considérée comme l’archétype du virage assumé de la « gauche de gouvernement ».

    Je vais donc commenter ici cette nouvelle note anti-Nupes sur quatre points : 1. l’affirmation que la France Insoumise (FI) aurait effectivement appliqué la stratégie proposée par la note Terra Nova de 2011 ; 2. le fait que la très grande majorité de l’argumentaire vise à créer un sentiment de panique en prédisant un effondrement de la France sur le modèle grec ; 3. le fait que les rares arguments portant sur les mécanismes économiques qui expliqueraient cet effondrement reposent sur une vision idéologique dont les expériences des dernières décennies ont démontré le caractère erroné ; 4. la conception des services publics et de l’intervention publique esquissée dans cette note de Terra Nova.

    1. La FI aurait mené la stratégie Terra Nova 2011

    La note récente de Terra Nova affirme dès le début que la gauche de gouvernement (entendue comme le PSEELV et le PCF) :

    « s’est divisée sur des problématiques artificielles, y compris parfois celles importées de la droite de la droite, de sorte que ceux qu’elle aurait dû défendre, – les jeunes, les pauvres, les banlieues, les victimes de discriminations… – se sont retrouvés dans le récit politique de La France Insoumise (qui, soit dit en passant, a été l’exécutant paradoxal de la ``stratégie Terra Nova’’ de 2011 que tout le monde décrie). Tout cela explique l’échec, mais ne mérite pas la disparition. »

    Pour reprendre la question de l’introduction, l’affirmation que cela « ne mérite pas la disparition » est à lire comme la croyance en un futur retour à un système à deux blocs droite-gauche alors qu’actuellement le bloc de gauche connaîtrait l’échec car il s’éparpille sur des questions venues de la droite au lieu de se retrouver sur les points qui l’unissent. Mon avis, déjà développé dans des billets précédents (notamment ici et ), est au contraire que le fait de ne mettre en avant que ces questions venues de la droite est une tentative de cacher de très profonds désaccords sur les questions économiques et sociales. Quand ce débat économique et social n’est plus possible à éviter, ceux qui se drapaient dans une posture « républicaine » (entendre autoritaire) et « laïque » (entendre aveugle aux discriminations quand ce n’est pas directement favorable à celles-ci) révèlent une profonde hostilité aux politiques réellement sociales.

    C’est bien pour cela que l’affirmation que la FI « a été l’exécutant paradoxal de la ``stratégie Terra Nova’’ de 2011 » est profondément cynique. Pour bien le comprendre, et comprendre aussi ce besoin de clarification dans l’ancien bloc de gauche, il est utile de revenir sur cette note « de 2011 que tout le monde décrie ». Même si plusieurs options étaient alors évoquées, la stratégie réellement prônée était très claire, notamment à travers l’ordre de présentation entre une stratégie centrale et des stratégies d’élargissement. La stratégie centrale était présentée dans une partie titrée « La stratégie centrale ``France de demain’’ : une stratégie de valeurs » et les extraits ci-dessous la résume :

    « Une ligne de conduite incontournable pour la gauche est de s’adosser à son nouvel électorat ``naturel’’ : les jeunes, les minorités et les quartiers populaires, les femmes, les diplômés. […] Quelle stratégie la gauche doit-elle adopter pour faire le plein de son nouvel électorat naturel ? Elle doit opter pour une stratégie de valeurs, tout d’abord. […] Pour faire le plein, la gauche doit dès lors faire campagne sur ses valeurs, socioéconomiques mais surtout sur la promotion des valeurs culturelles qui rassemblent toutes les composantes de son nouvel électorat. Elle doit dès lors mettre l’accent sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation et avoir un discours d’ouverture sur les différences, une identité nationale intégratrice. »

    Cette stratégie semblait compatible avec une stratégie d’élargissement visant les classes moyennes :

    « Une stratégie d’élargissement vers les classes moyennes implique donc d’insister sur un narratif autour des valeurs culturelles, et de mettre sous l’éteignoir les propositions économiques et sociales trop marquées à gauche, qui pourraient les faire fuir. »

    À l’opposé, faire campagne sur les propositions économiques et sociales ferait partie d’une tentative d’élargissement vers les classes populaires, qui est rejetée sans ambiguïté :

    « Disons-le clairement : il n’est pas possible aujourd’hui pour la gauche de chercher à restaurer sa coalition historique de classe. La classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs, elle ne peut plus être comme elle l’a été le moteur entraînant la constitution de la majorité électorale de la gauche. La volonté pour la gauche de mettre en œuvre une stratégie de classe autour de la classe ouvrière, et plus globalement des classes populaires, nécessiterait de renoncer à ses valeurs culturelles, c’est-à-dire de rompre avec la social-démocratie. […] Les classes populaires conjuguent des valeurs socioéconomiques de gauche et des valeurs culturelles de droite. La bonne stratégie est dès lors d’axer la campagne sur les priorités économiques et sociales, autour d’un Etat protecteur, et de faire oublier ses convictions culturelles, notamment sur l’immigration ou l’islam. […] Cette stratégie vers les classes populaires est difficile. Elle va à contre-courant : la dynamique électorale est très négative dans les deux catégories populaires, employés et ouvriers, qui évoluent rapidement vers la droite ; il sera difficile de renverser la tendance. Elle est compliquée à articuler avec la stratégie centrale vers la ``France de demain’’ : la première nécessite de faire campagne sur les valeurs socioéconomiques, la seconde sur les valeurs culturelles ; les propositions économiques ne sont pas les mêmes entre la volonté de protection des uns et la volonté d’émancipation des autres, entre la protection des statuts et des avantages sociaux des ``insiders’’ fragilisés et l’assistance aux ``outsiders’’. »

    Quand on relit cette « stratégie Terra Nova de 2011 que tout le monde décrie » (à juste titre), il est impossible de déclarer qu’elle a été exécutée par la FI. Lors de cette campagne notamment, la FI a choisi de ne transiger sur aucune des deux valeurs classiques de la gauche. Elle n’a pas esquivé les questions de racisme et de sexisme (ce qui lui a d’ailleurs valu l’ire de la gauche dite « républicaine ») mais a présenté un programme résolument social, ce qui lui vaut aujourd’hui l’ire des mêmes personnes (preuve finalement que ces questions ne sont pas si opposées). Au contraire de ce qui est présenté dans cette note, la FI a défendue l’idée que le réinvestissement dans les services publics était avantageux à la fois pour ceux que Terra Nova appelle les insiders fragilisés et ceux qu’il appelle les « outsiders », reprenant ainsi le vocabulaire de ceux qui défendent la baisse des protections sociales pour égaliser (vers le bas) les conditions des dits insiders avec celles des dits outsiders.

    2. Principal argument : les marchés financiers et l’Europe nous l’interdisent

    Finalement, la critique par la récente note de Terra Nova repose sur deux éléments, l’un financier et l’autre économique. L’argument financier est un contre-chiffrage très douteux, issu d’hypothèses peu transparentes, mené non par Terra Nova mais par l’Institut Montaigne, un laboratoire d’idées très libéral. La première partie de la note consiste à l’exposer pour dire qu’en cas d’application du programme de la Nupes, la France courrait à la banqueroute du fait de finances publiques catastrophiques et de rétorsions des marchés financiers. Alors, la France ne pourrait que connaître le destin de la Grèce :

    « L’exemple le plus pertinent reste néanmoins celui de la Grèce, qui a enregistré des déficits publics assez structurels, autour de 5 %, puis 10 % du PIB dans les années 2000 et au début des années 2010, tout en truquant ses comptes publics pour afficher une meilleure conformité. La révélation des déficits passés et l’accès au pouvoir d’un parti engageant un programme pour les augmenter a conduit à la crise de 2015. »

    Tout d’abord, l’usage de cet exemple rappelle l’argument des critiques de la cure d’austérité imposée à la Grèce par la Troïka (UE, BCE, FMI), qui avançait que ce n’était pas le meilleur traitement selon le modèle même de cette Troïka mais qu’il était motivé par l’envie de faire un exemple pour décourager toute tentative de déviation vis-à-vis de l’orthodoxie budgétaire.

    Surtout, cet exemple est très loin d’être opérant. La France n’est pas la Grèce. La part de la France et de la Grèce dans le PIB de l’Union Européenne n’ont rien à voir, et partant leurs pouvoirs de négociation (ou de menace) n’ont rien à voir. De plus, sauf si les auteurs possèdent des informations que nous n’avons pas, les comptes français ne sont pas suspectés de truquages massifs et de dettes cachées. Enfin et surtout, la France a un pouvoir de financement public (à travers un potentiel fiscal ou des dépenses inutiles que nous évoquerons plus loin) bien supérieur à la Grèce.

    Ainsi, s’il ne faut surtout pas sous-estimer le pouvoir de nuisance des marchés financiers et leur volonté probable de s’attaquer à toute réforme sociale un peu notable, les moyens de se prémunir de ces attaques existent. Une note récente du laboratoire d’idée Intérêt Général s’attaque frontalement à cette question, en décrivant par le menu les attaques potentielles auxquelles un véritable programme de gauche serait confronté, notamment de la part des marchés financiers, et les manières d’assurer la stabilité des finances publiques dans ce cadre. Ces questions macroéconomiques ne sont pas ma spécialité et je renvoie le lecteur intéressé à cette note argumentée. Il est toutefois notable qu’à l’opposé des arguments de fond d’Intérêt Général, on ne trouve dans la note de Terra Nova qu’une succession d’affirmations non étayées sur la certitude de la banqueroute, grâce à la référence ad nauseam à l’exemple Grec qui n’a pourtant rien à voir.

    Un autre exemple de l’extrême légèreté dans l’exposition (sinon la compréhension) des questions de finances publiques peut être trouvé dans la comparaison faite avec le premier mandat présidentiel de François Mitterrand, qui montre une utilisation au mieux caricaturale, voire complètement erronée, des chiffres de comptabilité nationale :

    « [La] Parenthèse [de la rigueur] a dû se refermer un jour, sinon nous ne serions pas à 113 % de dette publique, ni à un volume de dépenses publiques représentant 59 % du PIB contre 46 % en 1980. »

    De nombreux travaux expliquent pourtant que ces chiffres peuvent être trompeurs lorsqu’ils sont utilisés si grossièrement : pas seulement des travaux critiques mais y compris des études de France Stratégie, organisme de prospection dépendant du premier ministre. Ainsi, une étude de 2019 compare les postes de dépenses publiques français avec ceux de ses voisins européens. La principale différence en valeur absolue (mais seulement seconde différence en valeur relative) concerne les retraites, qui sont toujours plus généreuses que celles de nos voisins même si elles le sont bien moins qu’après le premier mandat mitterrandien. La part dans le PIB a augmenté du fait d’un vieillissement de la population supérieur à la baisse de générosité du système, jusqu’à présent.

    Mais la seconde différence en valeur absolue, et principale différence en valeur relative, est celle des subventions à l’économie. C’était déjà le cas avant la crise sanitaire. À l’opposé, sur l’éducation ou la recherche et l’innovation par exemple, la France dépense bien moins que ses voisins. Si on regarde en dynamique par rapport aux années 1990, on a ``maîtrisé’’ nos dépenses publiques de santé (malgré un vieillissement de la population et une amélioration des capacités technologiques de soin) et on a baissé (en proportion du PIB) l’ensemble des autres dépenses publiques, y compris d’éducation et recherche ! Ce tableau général correspond bien à un virage néolibéral : les dépenses publiques restent élevées, non pour les services publics ou les infrastructures, mais pour soutenir des marchés privés inefficaces.

    3. Un modèle de base en tête, baisser le coût du travail

    D’ailleurs, la note de Terra Nova ne remet pas en cause ces dépenses publiques de subvention à l’économie, car finalement le seul raisonnement économique qu’on y trouve est qu’il faut baisser les coûts des entreprises à tout prix. Le mécanisme sous-jacent est un modèle économique simpliste : moindre coût implique plus forte production. Ainsi, toute hausse d’impôt serait néfaste à l’économie et toute baisse favorable. Cet argument semble être un tel réflexe que la note l’emploie pour la question des multinationales pour lesquelles elle annonce sans l’étayer que les réformes fiscales « se traduiraient immédiatement par une disparition, ou une forte diminution de l’assiette. ».

    Or, il est question ici non pas de hausse des taux, mais de récupération d’assiette fiscale placée, virtuellement et comptablement mais non réellement, à l’étranger. De nombreux économistes spécialistes du sujet (dont Emmanuel Saez et Gabriel Zucman de l’Université de Berkeley dans un livre et le site associé ou le Conseil d’analyse économique avec une note et un focus), s’accordent sur le fait qu’il existe des solutions pour augmenter les recettes via l’augmentation de l’assiette fiscale des multinationales.

    Ainsi, la note de Terra Nova s’aligne derrière la stratégie française du low cost : baisse des infrastructures, de l’éducation, de la formation et de la recherche en parallèle d’une baisse des coûts des entreprises et surtout du coût du travail, processus que nous décrivons en détail dans notre récent livre avec Bruno Palier. L’argumentation de cet alignement repose sur une vision simpliste de l’économie :

    « les entreprises du secteur exposé à la concurrence internationale sont sensibles à leur compétitivité-couts (entre autres). Celles du secteur abrité peuvent plus facilement transmettre leurs hausses de couts dans les prix aux particuliers, mais il en résulte une hausse de l’inflation, et, à budget constant, une diminution des quantités consommées. Rien de tout cela ne mobilise de doctrine économique ni d’idéologie politique. C’est juste de la comptabilité, ou l’application des modèles les plus simples d’offre, de demande et de prix. »

    C’est tellement simpliste qu’ils ne pensent pas que ce soit de l’économie et ne soupçonnent pas que cela puisse être de l’idéologie, ce serait juste du « gros bon sens » ! Sauf que de véritables études empiriques sur le sujet montrent que la perte de compétitivité à l’export de la production française est surtout due à sa baisse de compétitivité hors prix (en qualité, liée à un défaut d’innovation du fait justement de la stratégie du low cost). De même, les modifications de coût du travail sur le secteur abrité ne génèrent pas seulement de l’inflation et une moindre production mais aussi une modification de la distribution de la valeur entre les salaires des employés les moins qualifiés d’une part et les salaires des plus qualifiés et les marges bénéficiaires d’autres part.

    C’est bien ce que rapporte notre étude empirique sur le CICE publiée dans une revue américaine d’économie standard. Mais Terra Nova préfère se référer à des évaluations bien trop optimistes du CICE (contestées dans le corps même du rapport de France Stratégie qui les met en exergue dans son résumé à la presse, voir notamment mon billet détaillé sur la question) pour prétendre que subventionner l’économie est une stratégie efficace, avec des arguments économiques dignes du café du commerce :

    « Même si l’idée d’une réaction de l’offre et de la demande aux prix est assez universellement acceptée en économie, beaucoup voudraient que les lois universelles s’arrêtent aux portes du marché du travail. Et donc, que si quoi que ce soit est 10 % plus cher, on cherchera à s’en passer un peu plus…mais pas le travail. Ou que si les procédures de divorce sont incertaines et coûteuses, ou peuvent dans des cas extrêmes ruiner un conjoint, on se mariera moins… mais cela ne s’applique pas à l’embauche. »

    Outre les nombreuses études économiques empiriques qui le démontrent dans de multiples pays et contextes (dont certaines ont valu le Prix Nobel d’économie à leur auteur à l’automne dernier), il existe de nombreuses explications théoriques qui expliquent l’impact faible sinon nul du coût du travail sur l’emploi (notamment un article théorique sur la question de complémentarité des facteurs de production).

    4. La protection sociale est un investissement

    Cette vision simpliste très orientée par l’idéologie néolibérale permet à Terra Nova d’adopter dans sa note l’idée que la protection sociale ne serait qu’un poids pour l’économie en oubliant notamment que les cotisations sociales sont bien une forme de rémunération : rémunération différée (retraite) ou en nature (assurances sociales), mais bien une rémunération payée par l’employeur à l’employé.

     « Car il ne faut pas que les lamentations du MEDEF nous fassent oublier ce que disait autrefois très justement la CGT : ce sont bien les salariés qui, sur le moyen terme, « paient » les cotisations sociales employeurs, qui représentent la part différée de leur salaire ; quand il arbitre entre une machine et un salarié, ou entre un salarié français et un salarié étranger, c’est le coût total du salaire que l’employeur utilise – salaire ou cotisations sociales, peu lui chaut, c’est le total qu’il cherche à contrôler, ou qu’il compare à des solutions d’implantation ou de mécanisation alternatives. »

    Encore une fois on observe un modèle simpliste qui oublie qu’on parle généralement de coût du travail au niveau du SMIC, à travers le salaire minimum lui-même ou les allègements de cotisations sociales. À ce niveau, les cotisations sociales sont bien payées par les employeurs. Et la substitution à d’autres facteurs de production se vérifie de moins en moins voire plus du tout, comme l’atteste le monceau d’études empiriques que j’analyse dans un chapitre de notre récent livre. De plus, cette conception simpliste oublie qu’un des problèmes majeurs de la production française réside dans notre système d’éducation et de formation.

    « Et sur le plan politique, on peut regretter que la communication autour de ce choix justifiable ait fait profondément régresser le niveau du débat public ; au fond, elle a durablement rompu le lien entre la production et la consommation (on peut être payé en restant chez soi, et souvent sans travailler), entre les recettes et les dépenses publiques (aucun projet de recette n’est à la taille des dépenses engagées, alors à quoi bon ?) et entre l’impôt et la solidarité (c’est l’« Etat » qui doit payer). Il en résulte une sorte d’infantilisation de nos concitoyens qui aboutit à cette situation paradoxale où la presse demande aux candidats ce qu’ils comptent faire pour créer du pouvoir d’achat – comme s’ils y pouvaient quoi que ce soit –, et non comment mieux répartir la richesse créée ou mettre en place les conditions pour qu’il s’en crée davantage. »

    Ce paragraphe est particulièrement trompeur. Les mesures de financement sont bien présentes dans le programme de la Nupes (retour sur les allègements de cotisation et nouveaux impôts) puisque que Terra Nova critique leurs effets supposés. Les mesures de salaire minimum sont bien des mesures de répartition de la richesse, comme d’ailleurs les mesures fiscales. Le réinvestissement dans les services publics (de santé, d’éducation, de recherche) concerne à la fois la redistribution des richesses et la manière d’en produire plus, ou des différentes…

    *

    *        *

    Il apparaît donc que la critique de Terra Nova, comme beaucoup de critiques actuelles, n’est pas une critique interne à un bloc politique (l’ancien bloc de gauche) visant à perfectionner ou corriger des erreurs techniques et pratiques. Il s’agit bien d’une critique de fond quant au modèle de société voulu, avec un choix entre deux modèles : d’une part un modèle reposant sur les fonctionnements de marché avec l’État aux services de ceux-ci, dont les détails pratiques sont à discuter à l’intérieur du bloc néolibéral ; d’autre part un modèle d’économie mixte dans lequel la collectivité prend une part active et hors marché sur un certain nombre de questions stratégiques comme la distribution des richesses, les infrastructures, la production de services publics (et non seulement leur délégation), l’éducation et la formation, la recherche et l’innovation, dont les détails pratiques sont à discuter à l’intérieur du bloc social-planificateur.

    [1] Pour ceux qui seraient mal à l’aise avec l’emploi du terme néolibéral dans ce contexte, je renvoie à un billet précédent sur le sujet qui définit le terme et justifie son emploi.