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    Plénel: Pour l’union des gauches, contre une présidence qui divise

    Lien publiée le 17 juin 2022

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Pour l’union des gauches, contre une présidence qui divise | Mediapart

    Au second tour des législatives, le vote pour l’union des gauches et des écologistes est une nécessité éthique et une exigence politique : dire non aux impostures d’une présidence qui divise ; dire oui à un changement démocratique par la voie parlementaire.

    En politique, les périodes de transition, durant lesquelles un vieux monde se meurt tandis qu’un nouveau tarde à naître, donnent toujours le spectacle d’un affaissement de la morale la plus élémentaire. Les principes n’y ont plus cours, la vérité cède le pas aux calomnies, la dignité n’est plus de saison. Or c’est précisément ce que donne à voir la majorité présidentielle sortante depuis le premier tour des élections législatives.

    Élu par deux fois grâce à un vote de principe face à l’extrême droite, Emmanuel Macron laisse son propre camp jeter aux orties les valeurs qu’il brandissait à son profit sous la forme d’une injonction républicaine. Dans la majorité de la soixantaine de circonscriptions où des duels opposent au second tour un candidat de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes) à une candidature du Rassemblement national (RN), la coalition présidentielle se dérobe, voire donne un coup de pouce à l’extrême droite xénophobe, identitaire et autoritaire.

    Lors de la convention de la Nupes à Aubervilliers, le 7 mai 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

    À ce cynisme politicien s’ajoutent les discours les plus grossiers, d’une vulgarité intellectuelle sans nom. Sans y mettre bon ordre, le parti du président laisse certains de ses candidats éliminés ou menacés portraiturer l’opposition de gauche en croquemitaine monstrueux, dans des philippiques où les mots en « isme » deviennent des épouvantails ayant perdu leur sens commun. Ce n’est là rien d’autre qu’une sinistre redite, en farce tragique, de l’antienne des conservatismes face au possible d’un changement démocratique et social : « Plutôt Hitler que le Front populaire » (lire l’analyse de Fabien Escalona sur le retour du péril rouge).

    Sur le tarmac d’Orly, dans un impensable mélange des genres entre ses responsabilités de chef d’État et ses manœuvres de politicien en campagne, Emmanuel Macron a lui-même joué de ce registre, mardi 14 juin, avant de s’envoler pour la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine.

    Présentant la guerre en cours sous l’euphémisme d’« un désordre », sans prendre la peine d’en désigner le responsable, il a réclamé « une majorité solide pour assurer l’ordre » car « rien ne serait pire que d’ajouter un désordre français au désordre mondial »« Dimanche, aucune voix ne doit manquer à la République » : pis, dans son appel final à un « sursaut républicain », il n’a pas hésité à transformer ses adversaires de gauche en ennemis de la République.

    Vieux refrain de tous les conservatismes, ce discours en chef du parti de l’ordre ajoutait l’indécence à l’archaïsme. Alors même que la présidence française de l’Union européenne ne s’est guère distinguée face à l’agression de la Russie, sinon par son souci empressé de ne pas humilier le fauteur de guerre russe, il faut avoir perdu tout sens de la mesure pour comparer la situation créée en Europe par l’invasion russe de l’Ukraine à celle qui surviendrait en France après une victoire, même relative, de l’union des gauches et des écologistes. Il faut aussi avoir oublié la dignité de sa fonction, institutionnellement comptable de l’unité du pays, pour oser décréter l’exclusion de ses opposants du camp républicain.

    « La République est envahie par les réactionnaires de tous genres. Ils l’adorent d’un brusque et terrible amour. Ils l’embrassent pour l’étouffer. » Cet avertissement d’Émile Zola, en pleine bataille pour l’innocence du capitaine Dreyfus contre, déjà, le parti de l’ordre, est toujours d’actualité. La République que brandit Emmanuel Macron est un ordre mort : celui de l’immobilisme social, des empêchements démocratiques et des empuantissements idéologiques. Arcboutée sur la défense des privilèges et des injustices, elle se dresse contre la vitalité de la société, ses aspirations et ses émancipations, ses impatiences et ses espérances, dont l’union inespérée des gauches et des écologistes est à la fois le produit et l’expression.

    Le compliment mérite d’être retourné à l’envoyeur : la présidence d’Emmanuel Macron est l’incarnation du désordre. Elle n’a cessé de le répandre et de le créer. En dévitalisant la démocratie – le niveau sans précédent de l’abstention en témoigne après des campagnes électorales privées d’une véritable confrontation des idées et des programmes. En humiliant le peuple – jamais la répression étatique n’a atteint ce niveau de violence dans le déni officiel des abus de pouvoir policiers.

    En répandant la haine – c’est sous cette présidence que l’idéologie d’extrême droite a été banalisée médiatiquement et notabilisée politiquement, jusque dans ses thématiques identitaires (lire le parti pris de Stéphane Alliès sur le trio Valls, Blanquer et Zemmour). En faisant la courte échelle au néofascisme – élue pour lui faire barrage, cette présidence a réussi l’exploit d’augmenter l’emprise de l’extrême droite, qui est désormais au seuil d’une présence parlementaire sans précédent historique (lire les analyses de Fabien Escalona et Donatien Huet et de Lucie Delaporte). En se dérobant face à l’urgence climatique – au point de tourner le dos à la Convention citoyenne pour mener une politique de casse anti-écologique (voir l’édito vidéo de Jade Lindgaard).

    Bref, en ruinant le crédit de la politique – paroles reniées, promesses contredites, manipulations grossières, mots vidés de leur sens… Le summum a été atteint par l’annonce présidentielle d’un Conseil national de la refondation (CNR), dont le sigle est volontairement calqué sur celui du Conseil national de la Résistance. Et cela à l’approche d’élections législatives supposées renouveler l’assemblée où l’on élabore, délibère et vote des lois.

    La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral.

    Pierre Mendès France

    Adepte de l’absolutisme présidentiel, Emmanuel Macron signifiait ainsi par avance son mépris du pouvoir législatif. Il fut un temps lointain, celui de son raid présidentiel de 2017, où Emmanuel Macron plaçait dans son panthéon politique, outre le général de Gaulle, fondateur de la VRépublique, le plus constant adversaire de ce présidentialisme confiscatoire : « Nul plus que Pierre Mendès France n’avait le sens de la justice », écrivait-il alors, à l’enseigne d’une improbable Révolution (XO Éditions, 2016).

    D’outre-tombe, ce réformiste à principes, qui n’a jamais pactisé avec la démagogie et le mensonge, vient aujourd’hui l’admonester : « La démocratie, c’est beaucoup plus que la pratique des élections et le gouvernement de la majorité : c’est un type de mœurs, de vertu, de scrupule, de sens civique, de respect de l’adversaire ; c’est un code moral » (La vérité guidait leurs pas, Gallimard, 1976).

    Le code qui régit la Macronie est manifestement devenu amoral. Dans le sillage des campagnes de diabolisation lancées dès que surgirent les premières difficultés au début du premier quinquennat, dont la disqualification « séparatiste » et l’étiquette « islamo-gauchiste » furent les emblèmes, vertu, scrupule, sens civique et respect de l’adversaire n’ont définitivement plus cours.

    Sinon comment comprendre que des responsables politiques, supposés connaître l’histoire et savoir lire, puissent oser transformer en enfer totalitaire le programme social-écologique de la Nupes, dont la radicalité réformiste reste profondément démocratique ? Il suffit de lire une récente tribune du New York Times, qui n’est pas un brûlot gauchiste, pour prendre la mesure de l’image de médiocrité rabougrie qu’ils donnent ainsi de la France, de son débat public et de ses gouvernants.

    Cet abandon des principes et ce mépris de la vérité s’accompagnent d’un renoncement à toute dignité politique, dont la question des violences sexistes et sexuelles est l’impitoyable révélateur.

    Comme l’enfant du conte qui énonce que le roi est nu, quand les courtisans font semblant de l’ignorer, une lycéenne du Tarn, Laura, a courageusement démasqué l’imposture d’un pouvoir qui prétend défendre la cause des femmes en maintenant en fonction des ministres mis en cause, de façon documentée et répétée, pour leur comportement envers elles. La lecture des lois qui, en ce domaine, s’imposent aux entreprises suffit à établir que le gouvernement ne respecte pas les règles qu’il a lui-même édictées et auxquelles tout employeur doit se plier, indépendamment de toute saisine ou débouché judiciaires.

    Un jour viendra peut-être où l’on aura toutes les clés pour comprendre l’égarement d’une présidence uniquement préoccupée de sa survie au jour le jour, quand l’époque, ses défis et ses urgences nécessiteraient une ambition, une vision et une hauteur. Dans l’immédiat, il nous revient, par nos votes, de sanctionner cette imposture en restaurant la politique comme projet collectif, horizon partagé et cause commune.

    Pour ce faire, le choix de l’union des gauches et des écologistes s’impose sans qu’il signifie un chèque en blanc à celles et ceux qui en seront les représentant·es élu·es.

    Voter pour un changement par la voie parlementaire, par la revitalisation d’une démocratie délibérative, par la construction de majorité d’idées, à rebours des risques inhérents à la personnalisation présidentielle.

    Aux raisons de conviction, tout à fait respectables s’agissant d’un programme d’urgence sociale et écologique dont les premières mesures sont politiquement légitimes et économiquement cohérentes (lire les analyses de Mathieu Dejean et de Romaric Godin), s’ajoutent trois raisons de principe que peuvent partager nombre de citoyen·nes au-delà d’étiquettes ou de sensibilités partisanes.

    D’abord, voter pour la Nupes, c’est voter pour un changement par la voie parlementaire, par la revitalisation d’une démocratie délibérative, par la construction de majorités d’idées, à rebours des risques inhérents à la personnalisation présidentielle, génératrice d’excès ou d’abus de pouvoir.

    Ensuite, voter pour la Nupes, c’est voter pour une majorité pluraliste, garantissant l’autonomie de ses composantes politiques, favorisant la diversité de ses expressions, construisant des convergences, à rebours des disciplines automatiques et désastreuses qu’entraîne une majorité présidentielle.

    Enfin, voter pour la Nupes, c’est voter pour une dynamique politique de la société elle-même, de son expression autonome, de ses luttes et de ses mobilisations, dans l’espoir d’impulser une représentation active des classes populaires, à rebours d’une politique professionnelle, confisquée par des élu·e·s faisant carrière.

    Ce vote de principe ne vaut ni adhésion ni soumission. Toujours nées des réalités que documente notre travail journalistique, les prises de position de Mediapart – avant-hier pour François Hollande contre Nicolas Sarkozy, hier pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen – ne nous ont jamais empêchés d’exercer, avec d’autant plus de vigilance et d’indépendance, notre examen critique des politiques menées par le camp qui en bénéficiait tout comme de celles et ceux qui en avaient la charge.

    « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » : en bientôt 15 ans d’existence, Mediapart a toujours suivi cette recommandation d’Albert Londres, y compris envers les formations politiques qui composent la Nupes. Demain, elle s’appliquera d’autant plus à l’union des gauches et des écologistes qu’elle est en cohérence avec l’exigence démocratique qui nous amène à prendre position pour ce changement parlementaire.

    Edwy Plenel