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Quel avenir pour l’Éducation nationale ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Quel avenir pour l’Éducation nationale ? | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
La fin de cette année scolaire a été marquée par la crise du recrutement de profs. Un évènement qui n’est pas une surprise mais une étape capitale de la stratégie du pouvoir.
Des milliers de postes mis au concours (CAPES, CRPE, CAPLP) se retrouvent vacants. Ainsi en maths, 816 candidatEs sont admissibles pour 1 035 postes à pourvoir. En allemand, 83 admissibles pour 215 postes proposés. Le nombre de candidatEs est divisé par deux par rapport à l’année dernière. Toutes les matières sont touchées, dans des proportions différentes. À la rentrée, des centaines de postes ne seront pas pourvus. Idem dans le 1er degré : à Versailles pour le concours de ProfesseurEs des écoles, il y a 484 admissibles pour 1 430 postes, à Créteil 521 admissibles pour 1 079 postes. Même l’académie de Paris ne pourra pas pourvoir tous les postes pour la première fois avec 180 admissibles pour 219 postes. Des milliers de postes d’enseignantEs pour la rentrée prochaine sont déjà perdus. Et cela sera pire après les épreuves orales d’admission, touTEs les admissibles ne seront pas recrutéEs.
Cette situation met à nu une crise qui couve depuis plusieurs années et qui s’aggrave de manière dramatique cette année. La question du recrutement des enseignantEs est un problème structurel, qui d’ailleurs touche d’autres pays industrialisés. Selon l’INSEE, le métier d’enseignant est le deuxième métier qui devra le plus embaucher entre 2019 et 2030, derrière les agents d’entretien et devant les aides à domicile. En effet, sans même embaucher davantage pour par exemple faire baisser le nombre d’élèves par classe, ce sont 323 000 enseignantEs qui vont partir en retraite avant 2030, ce qui voudrait dire plus de 30 000 recrutements par an. Or, cette année, il y avait seulement 24 000 postes proposés aux concours de recrutement et on sait déjà qu’au final on sera largement en dessous des 20 000 postes réels pourvus.
Une stratégie de casse
Cette situation est tout sauf imprévue et est le résultat des choix politiques des gouvernements successifs qui ont été depuis longtemps alerté par les organisations syndicales. En effet, plusieurs facteurs jouent sur l’attractivité du métier d’enseignantE. Première raison évidente, la faiblesse des rémunérations proposées : 1 450 € net soit 1,14 fois le SMIC en début de carrière pour un recrutement à Bac +5. Deuxième raison, la dégradation des conditions de travail avec une augmentation des effectifs par classe et la multiplication des tâches, alors que le ministère lui-même estime le temps de travail moyen d’un enseignant à environ 42 h par semaine et 18 jours de travail pendant les vacances scolaires. C’est le résultat de la baisse des moyens affectés à l’éducation qui représentait 7,7 % du PIB en 1995 et seulement 6,6 % du PIB aujourd’hui.
Au lieu de trouver des solutions à cette crise, le ministère Blanquer a fortement aggravé la situation ces cinq dernières années avec en particulier la réforme de la formation et du recrutement des enseignantEs. Le master MEEF a été refondu avec une contractualisation et une précarisation des étudiants et les concours ont été repoussés d’un an passant du M1 à la fin de M2. Depuis au moins 3 ans, la plupart des syndicats avaient dénoncé cette réforme et alerté le ministère sur le fait qu’elle allait rendre encore moins attractif le métier. L’échec de cette année est donc tout sauf une surprise. Pour compenser ces manques, de nombreuses académies ont lancé des plans massifs de recrutement d’enseignantEs contractuelLEs, c’est-à-dire de collègues précaires, sous-payés, avec une formation au rabais. Ainsi l’académie de Versailles recrute 2 000 personnels de l’Éducation nationale par des « job-dating » ! À Paris, académie qui n’avait quasiment jamais recruté de contractuels dans le premier degré, il y a un plan de recrutement de 270 contractuelLEs alors qu’à peine plus d’une centaine d’enseignantEs titulaires, fonctionnaires stagiaires, seront admisEs au concours.
Ceci n’est pas un épiphénomène mais bien une stratégie voulue par le gouvernement. Cela s’inscrit dans la Loi de la transformation de la Fonction publique du 6 août 2019 qui vise à remplacer progressivement les emplois de fonctionnaires par des emplois contractuels, les emplois de fonctionnaires restant limités aux fonctions régaliennes (police, justice, armée…). Au niveau de l’Éducation, la dernière réforme des Master MEEF et des concours (la 3e en 10 ans !) sert justement à développer la contractualisation. La précarité devient la voie d’entrée dans le métier. Par exemple les nouveaux M2 doivent assurer un tiers temps d’enseignement en totale responsabilité pour 720 € net/mois sous statut de contractuel (et non de fonctionnaire stagiaire comme précédemment) tout en suivant leurs études et en préparant un concours de recrutement. Si on voulait faire fuir les futurs candidats au métier d’enseignement, on ne s’y prendrait pas autrement. Même le comité de suivi de la réforme (piloté par des hauts fonctionnaires) a reconnu que « la question de revoir l’organisation du M2 “se pose clairement” ».
Une remise en cause qui peut avoir des conséquences profondes
Tout pousse donc au recrutement de précaires au détriment de postes de fonctionnaires : la part des contractuelLEs à l’Éducation nationale est passée de 14,5 % à 22 % en 5 ans. Ceci a un double intérêt pour le ministère : économique et idéologique. D’une part cela lui coûte beaucoup moins cher que l’embauche de fonctionnaires : le salaire incluant les cotisations sociales, et en particulier les retraites, est divisé par deux pour l’employeur. Et d’autre part cela va limiter les libertés (entre autres pédagogiques) des enseignantEs qui vont se transformer en simples exécutants des directives et programmes ministériels.
Le ministère sait bien que la plupart des enseignantEs ne vont pas accepter cela. Il a conscience de la forte capacité de mobilisation des 850 000 enseignantEs, comme l’a montré par exemple la journée de grève majoritaire du 13 janvier, contre la politique sanitaire de Blanquer. Il ne va donc pas remettre en cause frontalement le statut de fonctionnaire des profs. Comme à France Télécom lors de la privatisation en 1991 ou plus récemment à la SNCF, c’est le statut des nouveaux embauchés qui va être modifié. Cela aboutit à faire coexister sur un même lieu de travail, pour le même métier, deux types de statuts : les anciens sous statut fonction publique (ou assimilé comme à la SNCF) et les nouveaux sous statut contractuel (qui correspond au droit privé). La réforme de la formation et des concours est un des instruments du gouvernement pour introduire ainsi, par une voie détournée, le recrutement de plus en plus généralisé de contractuelLEs à l’Éducation nationale. L’expérience nous a montré qu’en quelques années cette mise en concurrence, en opposition, de deux statuts différents aboutit à une dégradation des conditions de travail de toutes et tous. Et c’est ce que veut mettre en œuvre Emmanuel Macron pour son second quinquennat. C’est le sens de ce qu’il appelle le nouveau « Pacte enseignant ». Cela vise à détricoter le statut de la fonction publique : embauche par le chef d’établissement, prime au mérite… Il parle ainsi d’augmenter les salaires mais en réalité cela revient à travailler plus pour gagner plus, alors que les profs travaillent déjà en moyenne 42 h / semaine ! La modernisation dont il parle n’est qu’une dégradation supplémentaire des conditions de travail. Et cela ne résoudra en rien la crise du recrutement et le manque d’attractivité du métier d’enseignant. La seule stratégie de Macron, que ne semble pas contester le nouveau ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, c’est « diviser pour mieux régner » et opposer les différents statuts les uns aux autres.
Pourtant des solutions (au moins partielles) existent pour tenter de remédier à cette crise du recrutement. Il y a bien sûr urgence à augmenter les salaires des enseignantEs, améliorer les conditions de travail pour rendre le métier plus attractif. Cela voudrait dire abroger les réformes Blanquer de ces cinq dernières années. Une réforme simple de la formation des enseignantEs a été proposée par la FERC CGT et le SNUipp-FSU, il s’agit de rétablir un concours de recrutement de fonctionnaires au niveau Licence (Bac +3) et ensuite de rémunérer sous statut de fonctionnaire stagiaire pendant deux ans les futurs profs pour une réelle formation et une entrée progressive dans le métier, sans transformer les stagiaires en « bouche-trous »… Le coût d’une telle réforme est en fait relativement modique : environ 1,5 milliard d’euros par an, à comparer aux dizaines de milliards d’euros donnés au patronat dans le cadre du « quoi qu’il en coûte ».
La casse des statuts n’est pas une fatalité
Pour l’instant, la plupart des enseignantEs et des syndicats n’ont pas pris conscience des implications des changements du recrutement et des dangers de la contractualisation. Il est urgent de s’opposer à la réforme de la formation des profs et d’exiger son abrogation. Il y a également urgence à organiser et défendre nos collègues recrutéEs sous statut de contractuelLE. Ce ne sont pas elles et eux les responsables de la situation. Ces dernières années, on a ainsi vu justement des secteurs touchés par la contractualisation se mobiliser de manière exemplaire, comme les AESH (accompagnantEs des élèves en situation de handicap). Les AESH ne bénéficie pas d’un temps plein, sont rémunéréEs au Smic horaire pour un temps partiel de 24 h/semaine, donc pour un salaire d’environ 800 € net/mois, et avec une grande précarité (CDD pendant 6 ans). Ces collègues, soutenuEs par certains syndicats, mènent une lutte de longue haleine contre la précarité et ont obtenu certaines avancées mais continuent à revendiquer un vrai statut pour de vrais emplois. Les AED (Assistants d’éducation, anciens surveillants du second degré), également sous statut contractuel, se battent aussi contre la précarité depuis plusieurs mois. Il faut populariser et unifier ces différents mouvements. Il faut travailler pour une prise de conscience des enseignantEs et de la population que la défense des statuts n’est pas une lutte « corporatiste » mais bien un des moyens décisifs pour défendre le système public d’éducation, gravement menacé après 5 ans de l’offensive Blanquer. Le 13 janvier a été un début.