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"L’archipélisation du pays se propage aujourd’hui à la sphère parlementaire" par Jérôme Fourquet

Lien publiée le 4 juillet 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

"L’archipélisation du pays se propage aujourd'hui à la sphère parlementaire" par Jérôme Fourquet (qg.media)

L’auteur de « L’Archipel français », Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégie à l’IFOP, répond aux questions de QG sur la composition inédite de l’Assemblée nationale, et livre des clés de compréhension décisives des mécanismes qui ont conduit 89 députés du RN dans l’hémicycle, alors que quasiment personne ne les avait vu venir. Après les banlieues rouges, une ceinture bleu marine se dessine nettement en France, tandis que les jeunes générations désertent les urnes et, plus largement, un idéal républicain jugé désuet

Les élections législatives ont mis en minorité le camp d’Emmanuel Macron, qui doit désormais faire face à un bloc de gauche important, organisé au sein de la Nupes, et à un RN battant des records en termes de nombre de députés présents à l’Assemblée nationale. Pour QG, Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et stratégie d’entreprise » à l’IFOP et auteur de l’Archipel français et de La France sous nos yeux, estime que les résultats des législatives se mettent en conformité avec le morcellement réel du pays, avec un front républicain qui a volé en éclats. Il s’inquiète aussi de la dépolitisation et de la dévitalisation de la société française dans les années à venir, le renouvellement générationnel étant marqué par une abstention massive des jeunes électeurs. Interview par Jonathan Baudoin

Jérôme Fourquet est politologue, directeur du département « Opinion et stratégie d’entreprise » de l’Institut français d’opinion publique (IFOP)

QG: Il est historique de voir un président de la République, en l’occurrence Emmanuel Macron, ne pas disposer d’une majorité absolue à l’issue d’élections législatives. Est-ce à vos yeux une démonstration de la réélection par défaut de Macron en avril dernier ?

Jérôme Fourquet: Il faut effectivement rappeler qu’Emmanuel Macron a été réélu en 2022, comme en 2017, face à Marine Le Pen, en bénéficiant d’un mécanisme de front républicain qui a vu se porter sur lui toute une partie de l’électorat mélenchoniste pour faire barrage à Marine Le Pen. Cet apport substantiel de voix ne valait pas un blanc-seing, ni d’adhésion au projet gouvernemental porté par Emmanuel Macron.

Dans le cadre de ces élections législatives qui se sont déroulées deux mois après l’élection présidentielle, avec une campagne très atone de la part de la majorité, le président de la République s’est retrouvé confronté à des oppositions diverses, de la France insoumise d’une part, jusqu’au RN d’autre part, qui compte tenu du scrutin, à savoir un scrutin à deux tours dans 577 circonscriptions, ont pu s’exprimer avec une force beaucoup plus importante que lors de la présidentielle. Les législatives sont un mode de scrutin qui favorise l’expression des mécontentements et des oppositions de manière beaucoup plus libre et débridée qu’un deuxième tour d’une présidentielle où, malgré tout, le front républicain continue de canaliser les choses.

QG: Est-ce que l’abstention massive lors de ce scrutin, majoritaire à l’échelle du pays, traduit pour vous l’exclusion des classes populaires du champ politique, ce que le politologue Daniel Gaxie appelle « le cens caché » ?

Effectivement, on constate une abstention qui est importante et qui l’est encore plus dans les milieux populaires. On a l’illustration d’une thèse, bien connue en sociologie électorale, qui veut que la participation politique et électorale soit indexée sur le degré d’inclusion socio-économique. Autrement dit, plus vous êtes diplômé, mieux vous gagnez votre vie, plus vous avez la capacité, l’envie de vous intéresser à la vie démocratique et plus vous êtes enclin à aller voter, et inversement. C’est ce qu’on a vu, une nouvelle fois, lors de ces élections avec effectivement des catégories populaires qui, pour plus de la moitié d’entre elles, ne se sont pas rendues aux urnes.

« Le président de la République s’est retrouvé confronté à des oppositions diverses qui ont pu s’exprimer avec une force beaucoup plus importante que lors de la présidentielle. »

Un constat, à ce stade. Cette situation n’a pas échappé, par exemple, à la France insoumise, qui a eu à cœur, comme lors de la campagne présidentielle, d’inciter à la mobilisation, à la participation de cet électorat populaire, notamment celui des banlieues, en s’adressant spécifiquement à lui, en essayant de déployer des efforts militants dans cette direction. Cela a fonctionné un peu, mais de manière non-optimale, car l’abstention est restée très élevée dans les quartiers de banlieue notamment aux législatives.

Une fois qu’on a dit tout ça, je pense qu’il faut regarder le phénomène de l’abstention avec d’autres grilles de lecture que seulement celle du « cens caché », du clivage social, même s’il est majeur et qu’on ne le conteste pas. La première remarque qu’on peut faire, c’est qu’il est frappant de constater que nous avons une abstention qui est massive – plus de 50% –, alors que deux mois auparavant, à l’élection présidentielle, on comptait 75% de votants et qu’on avait avant la présidentielle, un niveau d’abstention encore plus élevé aux régionales et aux départementales, où on avait atteint les 65% d’abstention. Cela veut dire qu’il y a une spécificité de l’élection présidentielle et que ce rendez-vous démocratique demeure relativement préservé de la montée de l’abstention. Il y a une sorte de sanctuarisation de ce scrutin, qui continue à drainer une part très importante du corps électoral et quand on se compare aux autres grandes démocraties occidentales où l’élection-reine est l’élection présidentielle, on n’a pas à rougir. Aux États-Unis, à peine la moitié des électeurs votent. Toujours est-il que cette sanctuarisation de la présidentielle est le syndrome de ce que j’ai appelé « allez me chercher le patron ! ». Les électeurs vont se déplacer très majoritairement pour l’élection-reine qui est, de leur point de vue, l’élection présidentielle, à savoir élire le boss, celui qui va occuper une place centrale et qui va prendre les grands arbitrages. Les autres niveaux électifs sont perçus comme des niveaux subalternes ou secondaires, procédant de décisions qui sont prises au-dessus, à savoir l’échelon présidentiel. Plus que jamais, pour les Français, la présidentielle demeure la clé de voûte de nos institutions, de notre vie politique. Cette lecture très présidentialiste des institutions de la Ve République a été sans doute renforcée lors du précédent quinquennat par une pratique très « jupitérienne » du pouvoir, pour reprendre l’expression de Macron lui-même, mais aussi par la succession de crises. Crise des Gilets Jaunes, crise sanitaire, qui ont fait se concentrer les décisions à l’Élysée. On se souvient notamment des fameux « conseil de Défense ». Une partie des Français en a tiré une leçon très pragmatique, considérant que s’il y a une élection à ne pas rater, c’est la présidentielle. Le reste est quantité négligeable. C’est ce qui permet d’expliquer l’évaporation d’un quart de l’électorat entre la présidentielle et les législatives, avec seulement deux mois d’écart.

« On observe aujourd’hui un clivage générationnel qui est encore plus marqué que le clivage sociologique, avec un taux d’abstention chez les moins de 35 ans qui a atteint 70% » Photo: Jeanne Menjoulet

Deuxième remarque sur l’abstention. On observe aujourd’hui un clivage générationnel qui est encore plus marqué que le clivage sociologique, avec un taux d’abstention chez les moins de 35 ans qui a atteint 70%. On touche ici à un autre mécanisme, qui est pour moi plus puissant que « le cens caché » de Gaxie, c’est celui du renouvellement générationnel qui permet d’expliquer la montée structurelle de l’abstention depuis 30 ans. Progressivement, les générations les plus âgées nous quittent. Or, ce sont celles qui se sont construites politiquement dans un environnement qui sacralisait le vote, avec des formules du type « des gens sont morts pour qu’on ait le droit de vote. C’est un devoir d’y aller, etc. ». On voit que nos seniors continuent d’afficher un taux de participation très élevé. Mais ils sont progressivement remplacés par des générations montantes qui entretiennent un rapport complètement distendu au vote et qui ne baignent plus dans ce qu’on pourrait appeler une espèce de mystique républicaine. J’ai souvent comparé ce qui se passait le dimanche dans un bureau de vote à ce qui se passait le même jour dans une église, c’est-à-dire un phénomène de désertion. Le président du bureau de vote se trouve confronté aux mêmes affres que le curé qui fait sa messe devant une église aux trois-quarts vide. Je pense que c’est un sujet de préoccupation majeure parce qu’au gré du renouvellement générationnel, si vous poursuivez les courbes, on peut s’orienter vers une désertion massive des urnes, hormis lors de la présidentielle, quand le corps électoral ne sera plus composé, à l’horizon de 15-20 ans, que par des générations qui ont grandi dans une société très fortement dépolitisée, dans laquelle la mystique républicaine sera totalement dévitalisée.

QG: Est-ce que ces élections sont une parfaite illustration de l’analyse que vous avez produite dans votre ouvrage l’Archipel français, sorti en 2019, durant le mouvement des Gilets Jaunes ?

Je laisse à chacun le soin de regarder si tout cela est cohérent. De mon point de vue, je pense qu’on a un paysage à l’Assemblée nationale qui s’est, cette année, fortement archipélisé, et quelque part, une mise en conformité tardive du paysage politique électoral avec la réalité profonde de la société. Comme souvent, vous avez des effets retard et des phénomènes d’inertie qui existent, qui faisaient qu’on était jusqu’ici sur le bon vieux schéma gauche-droite, qu’on était sur un scrutin majoritaire à deux tours, qu’il y avait un effet d’entraînement lié à la présidentielle quelques semaines auparavant, qu’il y avait une énorme prime aux candidats sortants, qui étaient souvent des notables. Tout cela avait retardé l’archipélisation de la scène parlementaire.

Et là, dans les circonstances assez particulières que nous avons évoquées tout à l’heure, à savoir des oppositions qui s’expriment pleinement, nous avons trois grands blocs : la gauche, autour de la France insoumise, le bloc central macroniste et le bloc RN. Ces trois blocs sont totalement autonomes, n’étant liés par aucun accord, aucune alliance les uns avec les autres. Tout cela donne une scène parlementaire très fortement éclatée, fragmentée. Au sein du bloc de gauche, il faut détailler ceux qui sont insoumis, ceux qui sont écologistes, socialistes, communistes. Idem parmi les 245 députés macronistes. Vous avez 48 Modem et une petite trentaine de députés d’Édouard Philippe. On voit que le paysage est assez émietté, archipélisé.

Réunion de Marine Le Pen avec les 89 députés RN élus lors des législatives 2022, 23 juin 2022

QG: Il est devenu coutumier de dire que le vote pour la Nupes se concentrerait uniquement sur les grandes villes et leurs banlieues, plus les outre-mer, tandis que le vote RN serait fortement issu de la ruralité. Est-ce totalement le cas selon vous ? Y a-t-il à opposer ainsi l’espace rural à l’espace urbain ?

La représentation à laquelle vous faites référence est en partie valide. Effectivement, la Nupes a engrangé un nombre de victoires important dans les grandes métropoles et leurs banlieues proches. Le cas le plus emblématique est l’Île-de-France, avec un carton plein en Seine-Saint-Denis, tout l’Est parisien, et de très bons scores dans le Val-de-Marne ou le Val-d’Oise. De même que du côté de Rennes, Nantes, Bordeaux ou Toulouse. Et on peut ajouter un fort contingent dans les DOM-TOM. Une fois qu’on a dit cela, on peut quand même noter qu’il existe d’autres points d’appui pour la gauche, version Nupes, dans des anciens terroirs historiquement de gauche. Je pense au Limousin, avec la Haute-Vienne ou la Creuse, mais aussi au Sud-Ouest, avec des sièges qui sont gagnés ou maintenus dans l’Ariège, les Landes, les Hautes-Pyrénées, ou encore en Dordogne, ou dans le centre-Bretagne. Il y a des survivances d’une gauche provinciale et plutôt rurale, qui existe toujours mais qui est quantité négligeable par rapport au nombre très important de sièges qui sont fournis par les grandes métropoles et leurs banlieues.

Pour ce qui est du RN, là aussi, la représentation que vous indiquez est aussi assez fondée, en ce sens que la quasi-totalité des cœurs des métropoles et des banlieues avoisinantes sont des terrae incognitae pour le RN. Aucun député RN à Paris, ni dans la petite couronne. Aucun dans l’agglomération lilloise. Pareillement du côté de Toulouse, de Montpellier ou de Lyon. Leur territoire de prédilection est plutôt la France rurale et périurbaine, qui est une composante importante de notre territoire et dans lequel un vote RN s’est enraciné depuis longtemps, voire est en train de prospérer. L’exemple le plus emblématique, pour moi, est le grand bassin parisien. Vous voyez qu’à bonne distance de l’ancienne « banlieue rouge », aujourd’hui aux mains de la Nupes, se dessine aujourd’hui une « ceinture bleu marine », qui a vu quatre circonscriptions sur cinq basculer au RN dans l’Eure, plusieurs circonscriptions dans l’Oise, dans le nord de l’Aube, dans certaines circonscriptions de Seine-et-Marne et de l’Essonne, ou encore dans le Loiret. On n’est pas uniquement dans des territoires ruraux, mais plutôt périurbains. On parle là de la très grande banlieue francilienne. Pas mal de ces villes sont encore reliées par le Transilien ou le RER. Beaucoup sont des petites villes avec autour de l’habitat pavillonnaire et dans ces endroits-là, tout comme dans la grande périphérie bordelaise ou la basse vallée de la Garonne, le vote RN est très puissant aujourd’hui. Cet enracinement s’est traduit dans le contexte particulier de ces élections par un gain spectaculaire en nombre de sièges à l’Assemblée.

QG: 89 députés RN viennent en effet de faire leur entrée à l’Assemblée nationale, en l’absence même de proportionnelle. C’est un choc pour beaucoup d’entre nous. Comment interprétez-vous un tel résultat ? Avions-nous oublié à quel point la France est en réalité un vieux pays conservateur, voire réactionnaire ?

Je pense que certains commentateurs sont passés un peu vite sur les résultats du second tour de la présidentielle. Marine Le Pen a quand même obtenu 41,5% des voix. Ce qui est colossal. Cela ne tombe pas du ciel et c’est très signifiant ! Le talent tactique et médiatique de Mélenchon a été de se porter candidat au poste de Premier ministre et de monopoliser la campagne des législatives autour de son alliance avec le PS et les écologistes, à savoir la Nupes. Mais cela a généré un effet en trompe-l’œil avec une polarisation médiatique sur ce qui se passait à gauche, et comme par ailleurs Marine Le Pen ne faisait quasiment pas campagne, on pensait qu’il ne se passerait rien du côté du RN. Alors qu’encore une fois, on était à 41,5% au second de la présidentielle ! Au premier tour des législatives, le RN a fait quasiment 19% des voix. C’était la seule force en progression, d’une législative à une autre. Il a pu qualifier pour le second tour plus de 200 candidats cette année contre à peine une centaine il y a cinq ans. J’ajoute que parmi les 200 candidats qualifiés, plus de 100 étaient en pole position au premier tour. C’est une rampe de lancement, une dynamique qui venait de loin et qui était très porteuse pour le RN. Nos modèles n’avaient néanmoins pas anticipé que cette dynamique se transformerait en sièges sonnants et trébuchants à hauteur de 89. Pourquoi on ne l’avait pas anticipé ? Parce que, jusqu’à présent, même quand le RN était en dynamique au premier tour, de par l’existence d’un front républicain plus ou moins efficace, ces candidats ayant pourtant le vent dans le dos, se faisaient significativement taper par un tir de barrage et n’étaient quasiment jamais élus. Or, ce qui s’est passé, c’est que cette dynamique qui venait de loin a vu un front républicain qui n’a quasiment pas, ou très mal fonctionné, à la fois de la part des électeurs Nupes qui, dans les duels En marche/RN, n’ont pas voulu voter En marche pour ne pas donner de blanc-seing à Macron et ont donc laissé un boulevard au RN, et symétriquement des électeurs En marche, dans des duels Nupes/RN, ont considéré que c’était « bonnet blanc-blanc bonnet », deux formes de radicalisme qui s’exprimaient, et qu’il n’était pas forcément opportun de voter pour le candidat insoumis ou de la Nupes pour faire barrage au RN. 

Moralité de l’histoire, le tir de barrage n’existant plus, les candidats du RN au second tour ont affiché des taux de victoire, qui ne ressemblent plus du tout à ce qu’on connaissait historiquement et qui s’apparentent désormais à des taux de victoires classiques de toute formation politique arrivant à un deuxième tour, à savoir près d’une chance sur deux. En 2017, il y avait 104 duels En marche/RN. Le RN transforma l’essai dans sept circonscriptions seulement. Cette année, sur 107 duels En marche/RN, le RN en a remporté 53 ! C’est très éclairant sur ce qui s’est passé. Une bonne dynamique présidentielle confirmée au premier tour des législatives et un tir de barrage inexistant au second tour, qui permet au RN de transformer l’essai dans des proportions qu’on n’avait jamais vues.

Ensuite, est-ce l’illustration d’un côté réactionnaire, conservateur du pays ? Je n’en sais rien. Je pointerais le fait que les deux ressorts très efficaces sur lesquels le RN a fait campagne sont, en premier lieu, la thématique sociale – pouvoir d’achat, prix des carburants, montant de la TVA sur les produits de première nécessité, disparition des services publics dans cette France rurale et périurbaine – qui a rencontré énormément d’échos. Et comme le RN marche sur deux jambes, il y a un autre aspect, plus classique, ce sont les dimensions régaliennes et identitaires – insécurité, délinquance, immigration –. Et de ce point de vue-là, je pense que ce qui s’est passé au Stade de France a contribué à la dynamique frontiste. 

Image des débordements ayant eu lieu lors de la finale de la Ligue des champions, opposant le Real Madrid à Liverpool au Stade de France, le 28 mai 2022

QG: Au vu de cet enchaînement présidentielle-législatives aux résultats contrastés, et du désintérêt croissant, massif même, des électeurs, peut-on dire que la Ve République est à bout de souffle ?

On voit que sa dimension très présidentielle continue d’être plébiscitée, avec un taux de participation qui se maintient à un niveau élevé. Néanmoins, le choc encaissé par la majorité présidentielle le 19 juin nous montre que le « fait majoritaire » n’est plus automatique, ne va plus de soi. On a, à la fois, une interrogation sur le fonctionnement de la Ve République, qui était taillée sur mesure pour fonctionner dans un paysage bipolaire. Gauche/droite, scrutin à deux tours, discipline de reports de voix, discipline républicaine à gauche, union des droites, etc. Tout cela fonctionnait dans un monde bipolaire. À partir du moment où vous avez, a minima, trois blocs, voire une société archipélisée, on voit alors que le modèle « turbule« , comme l’aurait dit Chevènement, et dysfonctionne de plus en plus.

Un deuxième point, qui dépasse d’ailleurs le cadre de la Ve République, c’est la dévitalisation de cette espèce de civilisation républicaine et démocratique, dont les fondements, aujourd’hui, apparaissent comme très relatifs, un peu désuets, obsolètes à une part croissante des jeunes générations. Et avec ça, Ve République ou non, on va au-devant de graves problèmes.

Propos recueillis par Jonathan Baudoin

Jérôme Fourquet est politologue, directeur du département « Opinion et stratégie d’entreprise » à l’Institut français d’opinion publique (IFOP). Il est notamment l’auteur des essais suivants: L’an prochain à Jérusalem? Les juifs de France face à l’antisémitisme (avec Sylvain Manternach, Fondation Jaurès et Éditions de l’Aube, 2016), Accueil ou submersion ? Regards européens sur la crise des migrants (Éditions de l’Aube, 2016), À la droite de Dieu. Le réveil identitaire des catholiques (Éditions du Cerf, 2018), L’archipel français. Naissance d’une nation multiple et divisée (Seuil, 2019), ou encore La France sous nos yeux : économie, paysages, nouveaux modes de vie (avec Jean-Laurent Cassely, Seuil, 2021)