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"EDF : une fausse nationalisation en attendant la vraie découpe"

Lien publiée le 13 juillet 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

"EDF : une fausse nationalisation en attendant la vraie découpe" (marianne.net)

Par Aurélien Bernier

"EDF : une fausse nationalisation en attendant la vraie découpe"

Élisabeth Borne a annoncé « l'intention de l'État de détenir 100 % du capital d'EDF ». Si l’on voulait renforcer l’autonomie du pays et opérer une vraie transition énergétique, c’est tout autrement qu’il faudrait s’y prendre, analyse Aurélien Bernier, auteur de « Les voleurs d’énergie » (Utopia, 2018).

Dans son discours de politique générale prononcé le 6 juillet 2022, la Première ministre Élisabeth Borne annonçait « l'intention de l'État de détenir 100 % du capital d'EDF » afin que l’énergéticien puisse mener « des projets ambitieux et indispensables pour notre avenir énergétique ». Déjà actionnaire à hauteur de presque 84 %, l’État devra racheter les 16 % restants, d’une valeur (au 7 juillet 2022) de 5,4 milliards d'euros, auxquels devrait s’ajouter une prime aux actionnaires qui pourrait porter la facture à 7 milliards.

La souveraineté, la maîtrise des prix de l’électricité, la guerre de la Russie en Ukraine, la décarbonation de l’économie… tout est bon pour justifier cette « nationalisation ». Les véritables raisons sont pourtant moins glorieuses, et au prix du rachat en Bourse, s’ajouteront forcément des contreparties exigées par l’Union européenne.

LA SITUATION D'EDF

Le principal problème auquel est confronté le gouvernement est la situation financière d’EDF. Avec plus de 42 milliards de dette comptable, sans doute plus du double de dette économique fin 2022, le groupe a vu la notation de ses obligations abaissée en début d’année, et ce malgré la garantie de l’État.

L’électricien est plombé par ses difficultés dans le secteur nucléaire, celles des chantiers EPR qui accumulent les retards et les surcoûts, mais aussi celles des centrales françaises en service touchées par des défauts de corrosion. Surtout, il paie un lourd tribut à la concurrence imposée par Bruxelles, particulièrement en cette période de flambée des prix : obligé par la loi à vendre une partie de sa production nucléaire à ses concurrents privés à très bas prix (un dispositif baptisé Arenh pour Accès régulé au nucléaire historique), il enregistre un énorme manque à gagner.

Or, pour réaliser le nouveau programme nucléaire voulu par Emmanuel Macron, EDF va devoir emprunter. Le coût de construction des six réacteurs EPR annoncés d’ici 2050 est estimé à 52 milliards d’euros. À ce prix, le taux accordé par les prêteurs a une importance considérable. Si l’État détient 100 % des actions, prêter à EDF équivaut à prêter à l’État : les détenteurs de capitaux seront davantage rassurés et les taux seront plus bas.

L’opération de « nationalisation » simplifiera aussi la gouvernance de l’entreprise. Avec l’Arenh, l’État sacrifie les recettes d’EDF pour sauver une partie des profits de ses concurrents privés. Avec le bouclier tarifaire qui gèle les tarifs réglementés de vente de l’électricité pour les ménages, il fait également jouer au groupe public un rôle d’amortisseur social de la crise des prix de l’énergie. Autant de dividendes en moins pour les actionnaires minoritaires, parmi lesquels on compte quelques-uns des plus gros fonds de placement au monde : les américains BlackRock et Vanguard, le néerlandais APG… À ces nécessiteux, le gouvernement Borne offre une généreuse porte de sortie.

PROJET « HERCULE » ET UNION EUROPÉENNE

Mais il reste encore une étape déterminante à franchir : obtenir l’accord d’une Union européenne comme toujours obsédée par la concurrence et le démantèlement des monopoles publics. Cette Union européenne pour laquelle les activités de réseau d’EDF ont été juridiquement séparées (formant Enedis d’une part et RTE de l’autre), à la demande de qui l’Arenh a été inventé, qui exigeait l’ouverture au privé des concessions de barrages et qui voulait la vente d’une partie des activités d’EDF. Autant d’exigences qui furent regroupées sous le nom de projet « Hercule » : une réorganisation du groupe synonyme de démantèlement, qui avait occupé l’actualité en 2020 et 2021 avant d’être suspendue le temps des élections nationales françaises de 2022.

Depuis, les prix de l’énergie ont flambé et plusieurs concurrents privés d’EDF ont mis la clé sous la porte (Hydroption, Bulb Energy, OUI énergie) ou, faute de rentabilité suffisante, cessé leur activité dans l’électricité (E. Leclerc énergies ou encore la marque du groupe Casino, GreenYellow). Alors que vingt-cinq années de politiques de libéralisation avaient péniblement entamé le monopole d’EDF, ce dernier, qui fait office de fournisseur en dernier ressort, regagne aujourd’hui des clients ! Une situation intolérable pour les commissaires européens, qui ne laisseront pas l’entreprise française s’en tirer à si bon compte.

RENONCEMENT

La contrepartie de la « nationalisation » du nucléaire sera, à coup sûr, un renoncement à d’autres activités : hydraulique, énergies renouvelables, réseau de distribution, services… D’ailleurs, le vendredi 8 juillet, s’exprimant sur RTL, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher semblait prendre les devants : « Il n'y a jamais eu de projet de démantèlement d'EDF. Le projet Hercule était un projet de renforcement ». Alors, pourquoi ne pas le remettre au goût du jour ? semble-t-elle insinuer.

Si le fait de sortir les actionnaires privés du capital d’EDF n’est pas une mauvaise nouvelle, il faudrait être sacrément myope pour y voir une véritable nationalisation. D’abord parce qu’EDF restera une société anonyme et ne reviendra pas au statut d’établissement public (EPIC), ce qui laisse au gouvernement la possibilité de vendre à nouveau du capital si la situation financière du groupe s’améliore à l’avenir. Ensuite parce que l’entreprise continuera à être un amortisseur de crise aux mains du gouvernement : au lieu de taxer les richesses (les profits de TotalEnergies, par exemple), on pourra maintenir un bouclier tarifaire financé, au bout du compte, par le contribuable. Enfin parce que cette modification relativement mineure dans la structure du capital laisse le système énergétique européen inchangé, toujours basé sur la concurrence et sur des prix de Bourse fluctuant en fonction de la conjoncture et de la spéculation.

C’EST TOUT AUTREMENT QU’IL FAUDRAIT S’Y PRENDRE

Pire, la contrepartie européenne (un autre plan « Hercule » ou assimilé) nous ferait franchir une étape dans la libéralisation de l’énergie : cette fois, les groupes privés ne se contenteraient plus de revendre de l’électricité achetée en Bourse ou auprès d’EDF, ils pourraient prendre le contrôle d’importants moyens de production hydrauliques ou thermiques en France (ce qui n’est pas encore réellement le cas, sauf pour Engie, anciennement opérateur historique gazier, et dans lequel l’Était conserve pour l’instant une part de capital).