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Pierre Bois et les grèves à Renault
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Pierre Bois et les grèves à Renault - Chroniques critiques (zones-subversives.com)
La grève de 1947 à Renault-Billancourt reste un moment fondateur qui permet de briser l'hégémonie stalinienne sur la classe ouvrière. Un comité de grève s'organise en dehors de la CGT. Cette lutte devient également fondatrice pour le courant trotskyste de Lutte ouvrière.
Pierre Bois reste considéré comme une figure fondatrice du courant de Lutte ouvrière. Il participe à la grève de Renault Billancourt en 1947. Une lutte qui a permis de briser l’emprise des staliniens dans cette usine emblématique. Il devient un des fondateurs du groupe Voix ouvrière en 1956, puis de Lutte ouvrière en 1968. Jusqu’à sa mort en 2002, il reste un des principaux dirigeants de cette organisation. Pierre Bois retrace son parcours politique dans son autobiographie Une vie de militant ouvrier communiste révolutionnaire.
Militant trotskyste
Né en 1922, Pierre Bois grandit dans une famille ouvrière. Il milite dès l’adolescence au Parti communiste. Il devient cheminot. En 1939, après le pacte germano-soviétique et le début de la guerre, le PC est dissous. L’URSS s’allie avec Hitler contre l’impérialisme. Cependant, en 1942, Staline privilégie le combat contre le nazisme aux côtés des puissances impérialistes. Les réseaux communistes se reconstituent dans la France occupée. Des tracts sont jetés à la volée par les cheminots communistes. Les gens les ramassent avant de prendre leur train pour aller au travail.
Mathieu Bucholz, un ancien camarade de Pierre Bois, lui fait découvrir les idées trotskystes. Il insiste sur la contradiction entre l’internationalisme communiste et la politique nationaliste du PC. Pierre Bois se met à lire des ouvrages théoriques et voit Bucholtz deux fois par semaine. Son groupe vise à former des militants sur une base révolutionnaire, de type bolchevique et disciplinée. En 1939, les organisations de la IVe Internationale se sont effondrées. Barta et Irène reprennent le flambeau des idées trotskystes. En 1940, ils commencent à écrire un journal nommé L’Ouvrier. En 1942, le Groupe communiste édite son organe la Lutte de classes.
Cette nouvelle organisation contacte et recrute plusieurs camarades. Elle distribue des tracts dans certaines entreprises pour faire partager ses idées aux ouvriers. Les trotskystes doivent fuir la police, mais aussi les militants communistes qui contrôlent les FFI et les réseaux de la Résistance. Les staliniens peuvent emprisonner et même assassiner des militants trotskystes. Pierre Bois travaille dans une usine automobile. Il adhère à la CGT. Mais il est rapidement exclu par la direction communiste qui découvre ses idées trotskystes. Il parvient à se faire recruter dans la grande usine de Renault Billancourt.
Militantisme à Renault Billancourt
En 1945, après la guerre, le contexte ne semble pas favorable. Les communistes participent au gouvernement. Le général de Gaulle s’appuie sur le PC pour canaliser les potentialités de révolte des anciens résistants. Surtout, les communistes et leur syndicat de la CGT appellent à la reprise de la production nationale et s’opposent aux grèves. L’Etat bourgeois favorise l’inflation à travers la création monétaire. Ce qui débouche vers un appauvrissement de la classe ouvrière. Le ministre communiste Ambroise Croizat estime que, pour augmenter leurs salaires, les ouvriers doivent travailler davantage. Les contremaîtres de Renault, compromis avec la collaboration, sont remplacés par les staliniens qui encadrent les ouvriers. « Ce sont eux qui poussent à la production, croyant déjà arrivée l’heure du stakhanovisme », ironise Pierre Bois.
Les militants trotskystes de l’Union communiste (UC) restent discrets dans l’usine. Ils se heurtent au monopole communiste. Ils distribuent des tracts et vendent leur journal, mais se font agresser par les staliniens. « Les réactions des ouvriers étaient favorables aux militants révolutionnaires, mais peu osaient prendre ouvertement le parti de les défendre, conscients de la pression qu’ils auraient à subir à l’intérieur de l’usine », observe Pierre Bois. Un groupe d’ouvriers se forme. Ils s’opposent au capitalisme, mais ne se réclament pas d’une idéologie communiste associée aux garde-chiourmes staliniens.
En 1947, les ouvriers contestent la prime de production qui est attribuée de manière arbitraire. Cependant, le syndicat CGT refuse d’en discuter. Les ouvriers décident donc de s’organiser en dehors du syndicat. Un groupe révolutionnaire diffuse le journal La Voix des travailleurs de chez Renault. Des réunions regroupent des trotskystes, mais aussi des militants anarchistes et bordiguistes. Cependant, chacun tente de faire prévaloir son point de vue idéologique. Les débats théoriques priment sur la tentative de construire des cadres d’auto-organisation avec les travailleurs de l’usine. La revendication immédiate de l’augmentation des salaires doit passer par la grève. En revanche, les anarcho-syndicalistes de la CNT appellent à la grève de manière incantatoire sans le moindre objectif.
Grève de 1947
Un comité de grève se forme pour porter à la direction la revendication d’une augmentation des salaires. Mais cette structure n’est pas reconnue par le chef du département. « Les représentants du comité de grève lui font observer qu’ils ont été élus non en faveur d’une loi bourgeoise mais par les travailleurs eux-mêmes », précise Pierre Bois. Face au refus de la direction d’augmenter les salaires, la grève devient la seule arme.
Le mouvement est lancé. Seuls les dirigeants de la CGT s’y opposent. Les ouvriers coupent l’électricité et bloquent les camions avec des piquets de grève. Le mouvement se propage dans différents ateliers. La grève regroupe dix mille travailleurs. Après avoir dénoncé le mouvement, la CGT décide d’en prendre la tête pour mieux le contrôler. Cependant, les syndicalistes appellent à la reprise du travail. Seul le secteur de Collas, à l’origine de la grève, continue la lutte. Mais il peut s’appuyer sur la solidarité des autres ouvriers qui financent une caisse de grève.
La direction finit par céder avec une augmentation de salaire et le paiement des jours de grève. Cette victoire exprime la force de la lutte collective. « Mais les travailleurs de Collas étaient aussi heureux et fiers d’avoir vaincu les contraintes. A la fois celles de la maîtrise et celles de la bureaucratie », souligne Pierre Bois. Une assemblée générale, chaque jour, permet l’auto-organisation. Elle décide de lancer des piquets mais aussi des délégations pour propager la grève dans les autres ateliers, puis vers les autres entreprises. La grève de 1947 permet de renouer avec la conflictualité sociale dans un contexte de pacification politique.
Syndicalisme de base
Pierre Bois aspire à continuer la lutte dans son usine après la grève de 1947. Mais la CGT refuse la création d’une nouvelle section syndicale qui pourrait échapper à son contrôle. Barta, dirigeant de l’Union communiste, semble réservé sur la création d’un nouveau syndicat. En revanche, Pierre Monatte, qui anime la revue La Révolution prolétarienne, incite Pierre Bois à créer son propre syndicat. Le jeune ouvrier lance le Syndicat démocratique de Renault (SDR) qui compte 1300 adhérents, principalement à Collas.
En novembre 1947, une nouvelle grève éclate. Mais la CGT veille à verrouiller le comité de grève. Le SDR reste marginalisé et seul un petit mouvement sous contrôle syndical apparaît. La CGT semble conserver son emprise dans l’usine Renault. Néanmoins, Barta reste optimiste et insiste sur le développement de l’Union communiste. Il estime que l’activité syndicale doit être délaissée pour favoriser la construction du parti. En 1949, la CGT reste largement majoritaire dans les élections des délégués. Barta, bien que brillant théoricien, joue un rôle autoritaire y compris au sein du SDR. Il impose un suivisme à l’égard de la CGT.
En février 1950, un nouveau conflit éclate pour une augmentation de salaires. La grève est majoritaire. Les ouvriers occupent l’usine et installent des piquets de grève. Mais la direction appelle une armée de policiers pour évacuer l’usine. La CGT s’oppose à un élargissement de la grève à d’autres entreprises. Un mouvement plus large devient difficile à contrôler pour les directions syndicales. Ensuite, le mouvement s’effrite progressivement. Le dernier millier d’ouvriers en lutte décide de reprendre le travail après 1 mois de grève. Alors que c’est le tâtonnement du côté des grévistes, le patronat peut s’appuyer sur la police et les médias. « Cette grève nous a permis de mieux voir les défauts de notre cuirasse. Si les travailleurs ont la masse et la combativité de leur côté, la bourgeoisie possède des moyens et l’organisation », analyse Pierre Bois.
En 1954, le militant ouvrier se rapproche du groupe Socialisme ou barbarie qui comprend plusieurs travailleurs de Renault. Ils publient le bulletin Tribune ouvrière. Sa diffusion se limite à la régie Renault. Ce groupe comprend des trotskystes, mais aussi des anarchistes et des bordiguistes. Malgré cette diversité idéologique, il reste attaché à la lutte des classes et à une perspective révolutionnaire. Il évoque des sujets comme la lutte anticoloniale en Algérie mais aussi la grève à Saint-Nazaire en 1955.
Luttes ouvrière et perspectives révolutionnaires
Pierre Bois propose un beau témoignage qui retrace le parcours d’un ouvrier révolutionnaire. Le récit reste centré sur son militantisme à Renault Billancourt. Sa description des luttes dans la « forteresse ouvrière » reste précieuse. Pierre Bois insiste sur l’importance de partir de la réalité de l’usine et du vécu de l’exploitation. Il évoque même ses polémiques avec Barta, fondateur prestigieux de Lutte ouvrière, qui adopte une posture plus idéologique et déconnectée des problèmes de la vie quotidienne. Barta préfère recruter de nouveaux adeptes pour son groupuscule à travers un discours abstrait plutôt que de s’appuyer sur les potentialités des luttes ouvrières pour développer une conscience révolutionnaire.
Ce clivage entre la construction de l’organisation et la politisation à travers les luttes reste toujours central dans le mouvement révolutionnaire actuel. Les grèves se déclenchent alors pour des augmentations de salaires, un objectif qui semble modéré et réformiste. Pourtant, Pierre Bois décrit bien comment l’intensité de la lutte permet d’ouvrir de nouvelles perspectives. Les ouvriers prennent conscience de leur force collective qui peut faire trembler le patronat et l’ordre capitaliste.
La grève de Renault en 1947 reste considérée comme mythique pour les trotskystes et libertaires. C’est un mélange original de volontarisme militant et de spontanéité. Cette lutte parvient à déborder l’encadrement stalinien de la CGT au cœur même de son bastion ouvrier. Des réseaux de militants révolutionnaires se forment pour lancer un mouvement de grève depuis la base. Mais ces militants voient la lutte se propager rapidement. Ensuite, les révolutionnaires tentent de créer des cadres qui permettent des pratiques d’auto-organisation. Un comité de grève, en dehors de la CGT, devient un modèle d’autonomie ouvrière. Mais c’est la grève et l’action directe collective qui permettent de faire plier la direction.
Pierre Bois décrit des pratiques de lutte pertinentes, même si le monde du travail a évolué. Le contexte de l’après-guerre reste souvent décrit comme les Trente glorieuses, avec le modèle du fordisme triomphant qui apporte paix et prospérité. Les luttes ouvrières deviennent alors offensives. Elles ne découlent pas de résistances face à des plans de licenciements. Mais elles se déclenchent pour des augmentations de salaires et des améliorations des conditions de travail.
Ensuite, Renault Billancourt a fermé. Beaucoup de grandes usines ont disparu en France. Le monde du travail devient plus éclaté et fragmenté. Les petites entreprises remplacent les grosses usines qui concentrent de nombreux ouvriers. Ensuite, les statuts se multiplient avec l’intérim, la sous-traitance et les contrats précaires. Même si des luttes sectorielles continuent de faire plier les directions des entreprises. Néanmoins, il devient plus difficile de créer une solidarité de classe et de propager un mouvement de grève.
Déjà, en 1947, et depuis une usine emblématique, la conflictualité ne parvient pas à se diffuser aux usines alentours ou de la même entreprise. Pourtant, c’est bien à partir des problèmes du quotidien que peuvent émerger des mouvements de grève et de révolte. Les luttes locales permettent de prendre conscience de la force collective des exploités, de sortir de la résignation, de développer des pratiques d’action directe et d’auto-organisation. Ce sont donc des moments qui favorisent la prise de conscience et annoncent les grandes révoltes à venir.
Source : Pierre Bois, Une vie de militant ouvrier communiste révolutionnaire, Les Bons Caractères, 2020
Articles liés :
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Le syndicalisme révolutionnaire dans les luttes
Une histoire des communistes français
Pour aller plus loin :
Vidéo : La grève des usines Renault, Journal Les Actualités Françaises - 15.05.1947, diffusée sur le site de l'INA
Radio : 1947, La grève oubliée, émission Affaires sensibles diffusée sur France Inter
Pierre Bois, La grève des usines Renault, Barta – Textes de l'UC, publié le 25 mai 1947
Robert Kosmann, BOIS Pierre, dit Arnaud, dit Caral, dit Vic, dit Vauquelin, publié sur le site du Maitron le le 20 octobre 2008
Robert Paris, Pierre Bois, notre camarade, publié sur le site Matière et révolution le 24 janvier 2012
Guillaume Davranche, Avril 1947 : La grève Renault enflamme la France, publié dans le journal Alternative Libertaire n°161 en avril 2007
Gil Devillard : « Chez Renault, militer dans le groupe Makhno, ce n’était pas de tout repos ! », publié sur le site de l'Union communiste libertaire le 16 février 2017
Grèves de 1947-1948 en France : la bourgeoisie “démocratique” renforce son État policier contre la classe ouvrière, publié sur le site du Courant Communiste International le 5 mars 2019
Robert Paris, Comment Barcia-Hardy a construit le mythe fondateur de Lutte Ouvrière en présentant comme son œuvre la grève Renault de 1947, publié sur le site Matière et révolution le 21 octobre 2014