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Vers une précarisation du métier d’enseignant

éducation

Lien publiée le 25 juillet 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Vers une précarisation du métier d’enseignant – Le Comptoir

L’état actuel du système éducatif français est alarmant. Les candidats aux concours de l’enseignement se font rares, la prochaine rentrée scolaire annonce une pénurie de professeurs et les différentes académies mettent en place des recrutements de contractuels massifs et selon des dispositifs inédits. Dans l’opinion publique, on s’inquiète peu du devenir de l’Éducation nationale tant le professeur est devenu une espèce dévoyée. Comment en est-on arrivé là ?

Le second quinquennat macronien se met en place et le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, vient d’être nommé. C’est un agrégé d’Histoire, passé par Henri-IV, l’ENS et l’EHESS. A priori, il pourrait s’atteler à redonner à l’Éducation son prestige et son accessibilité, le ministre représentant lui-même une certaine méritocratie. Mais le système éducatif français mérite un travail de fond conséquent et de nouveaux dispositifs de recrutements s’initient. Le risque de ces derniers est d’accentuer certaines inégalités déjà existantes, qu’il s’agisse des régions, des établissements, des enseignants, ou encore des élèves. On choisira, par exemple, de recruter des professeurs plus expérimentés dans des territoires favorisés. Le nouveau ministre pourrait dévier des projets initialement établis par son gouvernement mais la question demeure lorsque l’on apprend que cet homme a choisi de scolariser ses enfants dans le privé, à l’École alsacienne. Les choix individuels n’interfèrent pas nécessairement avec la politique que l’on applique. Seulement, on est en droit d’imaginer que les positions idéologiques du ministre ne s’accordent peut-être pas avec celle d’un accès à une éducation de qualité pour tous.

Pap Ndiaye, Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de France

Un concours en berne

Depuis 1997, le nombre de candidats se présentant au concours du CAPES (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) diminue – c’est également le cas concernant le concours de professeur des écoles. Cette année-là, 52 677 candidats se présentaient en France, toutes disciplines confondues, face à environ 8 000 postes disponibles. En 2021, 15 544 candidats se présentent afin d’obtenir leur place parmi les 6 750 postes offerts. Le nombre de candidats et le nombre de postes disponibles baissent chaque année. Ce qui est significatif, et déplorable, c’est de constater que les deux courbes se rapprochent. Cela est tel que le nombre de candidats risque de devenir proportionnel au nombre de postes. Ainsi, il y a parfois autant de candidats admissibles que de postes à pourvoir. Cette chute est considérable depuis une dizaine d’années, notamment dans les académies de Créteil et Versailles où l’on observe dorénavant, dans certaines disciplines, un nombre d’admissibles inférieur au nombre de postes vacants. Cette année, le ministère n’a pas communiqué le nombre d’inscrits au concours. À la rentrée 2022, on assistera à une pénurie de professeurs en Français, Mathématiques, Physique-Chimie et Allemand. Fait d’autant plus problématique quand on sait que cette rentrée verra le retour d’une heure et demie de mathématiques dans le tronc commun de Première générale. Sous l’initiative de Jean-Michel Blanquer, cette matière était devenue une option.

Quant à l’école primaire, on sait d’ores et déjà que le nombre de postes non pourvus s’élève à 1728. Dans l’académie de Versailles, ce sont 424 candidats qui ont été reçus pour 1430 postes. C’est effrayant.

Pour comprendre comment la décennie a perdu autant de candidats, il faut revenir à l’avant dernière réforme en date, durant le mandat de Nicolas Sarkozy, en 2010. Elle est celle qui a exigé la validation d’une première année de master avant de pouvoir passer le concours. Auparavant, une licence suffisait pour enseigner dans le second degré. Depuis, un niveau de formation plus élevé est exigé. Cela paraîtrait légitime et favorable à l’aboutissement d’un enseignement de qualité, certes, mais cette exigence s’accompagne d’une rémunération en baisse et d’une formation qui nécessite un investissement important lorsque l’on débute. Les candidats qui ont obtenu le concours en M1 (bac +4) doivent enseigner à mi-temps lors d’une année dite « de stage », en M2 (bac +5). En parallèle, ils assistent à des cours au sein des instituts qui forment les futurs professeurs et doivent rendre un mémoire.

Dix ans plus tard, et sans surprise, les candidats se raréfient. Une énième réforme du concours exige désormais des candidats qu’ils possèdent une deuxième année de master avant de passer le concours. Jusqu’ici, les candidats qui avaient obtenu le CAPES à l’issue du M1 devenaient fonctionnaires-stagiaires en M2 et obtenaient leur titularisation en fin d’année scolaire, après l’avis d’un inspecteur et/ou d’un tuteur. Dorénavant, ce statut n’existe plus et 2022 marque la première année du concours passé lors du M2. Les candidats doivent donc attendre une année supplémentaire pour exercer puis prétendre au statut de fonctionnaire. Cela permet à l’État de réduire le nombre de fonctionnaires sur un an, voire d’en perdre certains qui se seraient découragés en cours de route et auraient opté pour une contractualisation plus accessible et moins contraignante. Il parait difficile d’imaginer la patience et l’investissement nécessaires avant d’avoir le niveau requis pour passer le concours. Les étudiants doivent également financer leurs études et ils ne peuvent plus bénéficier du salaire jusqu’alors accordé aux étudiants de M2. Sachant que les rémunérations des titulaires, ces enseignants qui ne sont ni stagiaires ni contractuels, elles, ne suivent pas. Le niveau d’étude exigé augmente mais un professeur titulaire débutant gagne aujourd’hui l’équivalent d’1,2 SMIC quand il en gagnait 2,3 dans les années 1980. Le nouveau ministre de l’Éducation promet un salaire de 2000 euros net pour les professeurs débutants. Une somme que certains n’atteignent qu’à partir d’une quinzaine d’années d’ancienneté et pour qui il n’est pas question de revalorisation.

Concernant le contenu de la formation à laquelle doivent participer les candidats, elle s’oriente davantage vers la didactique – Science de l’enseignement et de la transmission des connaissances – et la pédagogie. La discipline qui sera enseignée prend une place moins centrale et la formation se veut plus professionnalisante. Le CAPES est également réformé avec un allègement des questions disciplinaires en faveur d’une réflexion autour de l’enseignement (en Lettres, l’épreuve d’Ancien français a été supprimée au profit d’une question de didactique).

« Dans les académies de Créteil et Versailles l’on observe un nombre d’admissibles inférieur au nombre de postes vacants. »

Difficile de faire émerger une cohérence autour d’une formation qui instaure la primauté de la pratique au détriment de la discipline enseignée et qui exige un niveau bac +5 pour une rémunération décroissante. La baisse du niveau des enseignants – qui peut induire la baisse du niveau des élèves – ne sera résolue que lorsque l’on valorisera la matière enseignée et son niveau de rémunération. Or, on choisit de mettre l’accent sur des acquis communs à toutes les disciplines et qui ne relèvent pas des savoirs mais des pratiques d’enseignement, voire de la théorie de ces pratiques.

Afin de suppléer au manque d’attractivité du métier, certaines académies ne manquent pas de recourir à des moyens étonnants.

Mise à mal des services publics

L’académie de Versailles a mis en place, cette année, et selon l’expression consacrée, un « job dating ». C’est à sa rectrice Charline Avenel, une ancienne de la promotion 2002-2004 de l’ENA, celle-là même qu’a fréquentée Emmanuel Macron, que l’on doit cette initiative. Dans une courte vidéo diffusée en ligne, la rectrice tente de gagner l’adhésion de candidats éventuels en leur vantant les mérites du métier et en suscitant leur empathie à travers divers arguments républicains. Les futurs enseignants auront à cœur d’ « assurer le bien être et la santé [des] élèves », de « s’engager au sein d’un collectif », de « s’implanter fièrement dans des territoires » et surtout « là où les élèves ont le plus besoin de l’École de la République ». Ce discours édifiant ponctué des principes d’égalité et de diversité se conclue en précisant que tout cela permettrait « une dynamique d’innovation et de transformation ». Ces principes dignes d’une logique néolibérale n’auraient alors rien à envier aux poncifs idéologiques du passé. Cette démarche qui appelle les futurs enseignants du pays à participer au bon déroulement de l’éducation des citoyens de demain s’accompagne d’une perspective de changement et de progrès. L’ajout de ces nouvelles valeurs ferait de l’Éducation nationale une entreprise comme les autres. Une entreprise qui s’engage à recruter 1300 contractuels, dans la plus grande académie de France, et à offrir des contrats d’un an renouvelables.

Youssef, 38 ans, a d’abord enseigné la philosophie en tant que contractuel dans l’Académie de Créteil, après avoir échoué au CAPES et à l’issue d’un master de philosophie. Il décide néanmoins de passer à nouveau le CAPES, cette fois celui de Lettres modernes. Il n’obtient pas la deuxième partie du concours, l’oral d’admission. Las de ces tentatives, il renonce définitivement au concours et se demande même s’il souhaite continuer dans la voie de l’enseignement. Une année s’achève avant qu’il ne découvre la campagne de recrutement de l’académie de Versailles. Il décide de se présenter au fameux « job dating » afin de devenir contractuel à nouveau et d’enseigner le français, une discipline davantage en demande de professeurs. Entouré d’aspirants très variés, Youssef passe un entretien d’une durée de 30 minutes. Il n’a pas vraiment l’impression d’être à sa place. On lui demande de détailler ses études et ses expériences avant de conclure : « votre profil est prioritaire ».

D’autres académies essayent à leur façon de résoudre ce manque d’enseignants. L’académie de Metz-Nancy a décidé de recruter sept professeurs remplaçants qui feront cours en visioconférence à des élèves situés en zones rurales. Un dispositif novateur qui ne manque pas de rappeler que les élèves français ne sont pas tous égaux face à l’éducation et que la question des territoires reste centrale dans l’affectation des professeurs et les moyens alloués à celle-ci. Par ailleurs, ce problème de recrutement n’est pas uniquement le lot de l’école publique.

Dans l’académie de Normandie, certains établissements privés envoient directement un mail à l’attention de ses parents d’élèves. Les expéditeurs précisent alors qu’ils ne parviennent plus à trouver de professeurs et demandent aux parents de relayer cette information. Les contractuels représentent 5% des professeurs du public et 19% des professeurs du privé. Ils sont moins coûteux et peuvent être renvoyés plus facilement. Ces pourcentages sont, à coup sûr, amenés à augmenter. Ainsi, les parents qui scolarisent leurs enfants dans le privé font face, eux aussi, à cette crise du recrutement. À mesure que les critères de sélection se ramifient, le manque de crédibilité des professeurs ne cesse d’enfler.

Epreuves du baccalauréat 2022

Figure défaillante du professeur

Rendre au professeur la superbe de son image nécessiterait de rendre son métier désirable. En n’offrant plus un métier de promotion sociale, l’État fait de l’enseignant un citoyen comme les autres. Un citoyen qui souffre des maux de son époque et qui n’est plus en mesure de proposer aux élèves de s’élever au-delà de leur quotidien et de leur condition. La salle de classe devient un endroit ordinaire, un lieu où tout est dit, où tout est fait. Un lieu sans borne dont le professeur n’est plus le maître.

Alors, l’instabilité de ce métier le rapproche peu à peu d’une véritable précarité. Le manque de professeur incite à reconsidérer les attendus : baisse de la barre d’admission aux concours, intérêt croissant voire prioritaire envers la gestion de classe, recrutements hors concours, primes accordées à l’enseignement en zones prioritaires. Par ailleurs, les attendus envers les élèves tendent également à être revus à la baisse. Aujourd’hui, des notes du baccalauréat sont augmentées à l’insu des correcteurs, pour ne citer que cet exemple sidérant. Ces perspectives amènent inéluctablement au déclassement des professeurs. Quid de la confiance et de l’autonomie de ceux-ci ? Leurs conditions de travail sont désastreuses et leurs perspectives d’avenir quasi inexistantes.

« À mesure que les critères de sélection se ramifient, le manque de crédibilité des professeurs ne cesse d’enfler. »

Quant aux élèves, ils n’ont peut-être plus le même enseignement et ils ne fournissent plus les mêmes efforts. Dans les années 1970, 20% des élèves obtenaient le baccalauréat. Aujourd’hui, ils avoisinent les 80%. L’accessibilité à l’éducation est un leurre. En vérité, les exigences n’y sont plus, d’un côté comme de l’autre. Ce déclassement du métier de professeur s’accompagne d’une déconsidération plus globale envers l’éducation elle-même. Il est normal de considérer qu’une société évolue et qu’il n’est pas possible de se heurter à son évolution mais, au contraire, de s’y adapter. Néanmoins, l’adaptation n’est pas toujours le vecteur d’une évolution, a fortiori, d’une évolution positive. Ici, on pourrait éventuellement évoquer une forme de déclin. Un mouvement qui ne promet plus vraiment grand chose, si ce n’est d’éviter le pire.

Ana Nguyen

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