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Crise révolutionnaire au Sri Lanka : quelques réflexions, par Vincent Présumey.
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Le renversement du président répressif et corrompu du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, par une insurrection populaire spontanée, avec l’image symbolique, qui fit le tour du monde, des occupants du palais présidentiel plongeant dans sa piscine, et sa fuite le 14 juillet 2022, est un coup de tonnerre mondial, une formidable victoire démocratique et prolétarienne. Bien entendu, elle ne règle aucun problème politique mais elle les pose frontalement. Sur fond d’aggravation de toutes les contradictions du capital, climatiques comme économiques, c’est le second évènement clef de l’année en cours avec la résistance populaire ukrainienne qui a empêché l’asservissement de l’Ukraine par Poutine.
La mise en fuite d’un chef d’État, comme Ben Ali (Tunisie) début 2011 et Ianoukovitch (Ukraine) en 2014, se produit pour la première fois sur la grande arène asiatique de la lutte des classes. Évènement majeur.
Les problèmes politiques sont posés mais non réglés, la preuve : l’assemblée nationale, elle-même corrompue et répressive, a désigné un autre président, son ancien premier ministre Ranil Wickremesinghe. Celui-ci tente de mettre à profit le ressac de la mobilisation au lendemain de sa première grande victoire, pour contre-attaquer : évacuation de la place de Galle Face Green, la place Tahir ou le Maidan sri-lankais, mandats d’arrêt contre les animateurs de la Coordination des étudiants qui a joué un rôle clef dans la centralisation du mouvement, déploiement de l’armée qui vise aussi à réaffirmer la fidélité des soldats s’il faut tirer sur le peuple. Les manifestations sont donc en train de reprendre, et à nouveau d’affronter la répression ; les discussions dans la population et les insurgés s’efforcent, forcément, de définir les prochains objectifs après ce grand pas en avant immédiatement suivi, forcément, de ce qui apparaît comme un pas en arrière.
Plusieurs partis politique, de droite ou de gauche, alors qu’aucun d’eux, de même que les directions syndicales nationales, n’ont pris part au mouvement populaire, reprochent à Wickremesinghe de tourner le dos à l’ « union nationale » nécessaire. Au plan international, ONU et FMI expriment leur « inquiétude » et conditionnent de nouveaux prêts, qui continueront à enfoncer le pays dans la misère, à la « stabilisation » dont ils craignent que Wickremesinghe ne soit pas un agent favorable, tout au contraire.
Bien des choses sont dites dans la presse internationale. Ce serait une « mauvaise gestion », voire même une « fuite en avant dans l’agriculture bio », qui auraient mis le Sri Lanka dans cette situation. En fait, c’est le capitalisme et la place de plate-forme intermédiaire clef de ce pays, entre Inde, finance nord-américaine et Chine, qui ont suscité une version locale de la crise globale particulièrement grave. Celle-ci n’aurait posé aucun problème à ladite presse internationale si Rajapaksa avait pu continuer à réprimer comme il le faisait, par l’armée, la police, ses bandes privées et la terreur contre les tamouls (principale minorité nationale de l’île). Mais, s’appuyant sur les mouvements d’ensemble des prolétaires dans tout le sous-continent indien, notamment sur le long et puissant mouvement paysan indien, une lame de fond a résisté à la répression et manifesté pour la survie, unissant tous les opprimés cinghalais ou tamils, et a fini par prendre le dessus. C’est cela qui n’était pas prévu par les grands de ce monde.
On peut aussi lire que ce serait les « classes moyennes » qui se seraient soulevées, une affirmation qui n’a guère de sens quand la grande majorité est réduite au chômage et à la mendicité. C’est le prolétariat qui s’est soulevé, et le fait que les étudiants jouent un grand rôle dans le mouvement devrait nous rappeler les vieux exemples d’union entre intelligentsia et prolétariat de l’histoire des révolutions !
On peut lire encore que la Chine aurait déstabilisé le pays, dans la presse anglo-saxonne ou pro-Modi (le président indien), ou inversement que l’ « Occident » aurait fomenté des désordres, dans la presse sous influence chinoise. En réalité, les uns et les autres ont peur, d’abord pour la perte de leur « avoir sur investissement », c’est-à-dire la non-perception des intérêts payés par le pillage du pays, ensuite à cause de l’image de plus en plus nette d’une révolution qui vient, et pas qu’au Sri Lanka.
Fait typique de notre époque, ce formidable mouvement prolétarien et démocratique s’est développé pratiquement sans le soutien de quelque organisation que ce soit issue du passé du mouvement ouvrier et socialiste (tout en étant irrigué par la présence de bien des militants restés, eux, fidèles).
Si on veut l’aider sérieusement à aller de l’avant et à ne pas se faire tromper et être battu, inutile de le bombarder d’objectifs exaltants. La question centrale est celle du pouvoir politique : chasser Wickremesinghe s’impose spontanément comme une nécessité, mais l’obstacle par lequel après un président corrompu chassé, un autre est installé, s’appelle le parlement, qui élit le président, et dans lequel se trouvent toutes les forces, de droite et de gauche, qui se sont opposées au mouvement de la majorité. Par conséquent, le rappel de tous les parlementaires et la tenue de nouvelles élections générales sous le contrôle du peuple organisé dans ses comités de quartier et protégé par ses équipes d’auto-défense, et stimulant cette organisation nécessaire, semble être la voie pour faire un nouveau pas en avant.
C’est là un mot d’ordre démocratique qui vise la question du pouvoir. En cela, la révolution prolétarienne au Sri Lanka est à l’unisson des mouvements de fond qui parcourent le monde entier. Un tel pas en avant aurait une portée immédiate décisive pour l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Népal, les Maldives et le Myanmar.
VP, le 23/07/2022.