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Les luttes des dockers de Philadelphie (début 20e siècle)

Lien publiée le 28 août 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Les luttes des dockers de Philadelphie - Chroniques critiques (zones-subversives.com)

Face aux divisions raciales et aux différents statuts professionnels, il semble important d'organiser une solidarité de classe. Au début du XXe siècle, les dockers de Philadelphie ont mené des grèves victorieuses malgré les manœuvres du patronat.

La ségrégation raciale qui traverse la société américaine se traduit également dans le monde du travail au début du XXe siècle. Les syndicats regroupent uniquement les travailleurs blancs tandis que les Afro-américains subissent les tâches les plus ingrates. En revanche, les dockers noirs et blancs de Philadelphie se côtoient sur les quais et dans leur syndicat. Les Industrial Workers of the World (IWW) insistent sur l’action collective et sur l’autonomie par rapport au gouvernement. Ce syndicat s’organise à partir des lieux de travail pour remettre en cause l’exploitation et le capitalisme.

La section 8 de Philadelphie reste interraciale et égalitaire. Les Afro-américains sont intégrés dans le syndicat et forment même une large partie des cadres dirigeants. Cette démarche s’impose également pour des raisons pratiques. Les IWW estiment que le clivage principal oppose les travailleurs aux patrons. Surtout, dans les secteurs dans lesquels les ouvriers noirs sont largement majoritaires, il semble difficile de s’organiser de manière efficace sans eux.

Malgré son idéologie révolutionnaire, les IWW s’attachent à défendre les besoins immédiats des travailleurs. S’organiser doit avant tout permettre de satisfaire des revendications immédiates, comme de meilleurs salaires ou des contremaîtres moins brutaux. Ensuite, les dockers s’attachent à contrôler leur syndicat, contre la direction centrale des IWW. Peter Cole retrace l’histoire de cette section 8 de Philadelphie dans le livre « Black and White Together… ».

                     Black and White together... : le syndicat IWW interracial du port de Philadelphie (1913-1922)

Syndicalisme de base

Les IWW créent une première section à Philadelphie en 1907. Le syndicat s’implante surtout au sein de l’industrie textile, le secteur qui comprend le plus de travailleurs. Les IWW regroupent dans cette section également d’autres secteurs comme les hôtels, les boulangeries, les chemins de fer. Mais les IWW veulent également se développer dans l’industrie du transport maritime, en raison de son importance économique au niveau national et international.

En 1913 se lance une grève des dockers à Philadelphie. Les IWW parviennent à briser les divisions corporatistes pour demander une augmentation des salaires pour tous les travailleurs du port. Plus aucun bateau ne circule et le port est bloqué. Les IWW tentent d’élargir le mouvement aux dockers de Baltimore et de New York. Mais les syndicats de l’AFL et de l’ILA s’y opposent. Des affrontements éclatent entre les dockers en lutte et les briseurs de grève soutenus par la police. Les employeurs finissent par céder aux revendications des dockers. Même si le patronat embauche des Noirs pour remplacer les grévistes, les dockers refusent les divisions raciales. Des Polonais, des Irlandais et des Afro-américains luttent ensemble.

Face aux divisions imposées par le racisme, les IWW proposent la solidarité de classe. Les Afro-américains peuvent facilement militer au syndicat et même le représenter. Les IWW refusent toute forme de ségrégation. Le seul clivage reconnu oppose les travailleurs aux patrons. Ensuite, les Polonais et les Italiens ne sont pas encore considérés comme des « Blancs » intégrés à la société américaine.

Le succès des IWW repose également sur leurs pratiques. Les ouvriers se reconnaissent dans la nécessité de l’action directe sur leur lieu de travail. Ils se méfient des politiciens et de la classe dirigeante. « La Section 8 ne perdit pas de temps pour traduire sa force toute nouvelle en une sorte de contrôle ouvrier, pratiquant l’action directe, plutôt que la signature de contrats », souligne Peter Cole. La Section 8 organise de nombreuses grèves victorieuses qui permettent des augmentations de salaires et des améliorations des conditions de travail.

               

Grèves victorieuses

En 1917, les Etats-Unis entrent en guerre. Les IWW restent attachés à une position internationaliste et anti-militariste. Cependant, les syndicalistes de la Section 8 ne refusent pas la conscription militaire. Sans rentrer dans le délire patriotique, ils ne veulent pas se marginaliser par rapport au reste de la classe ouvrière. Néanmoins, la Section 8 se prépare pour le véritable combat qui reste la lutte des classes au sortir de la guerre.

Des perquisitions et des arrestations lancées par le pouvoir fédéral visent à détruire les IWW. Cette répression profite de la situation de la guerre pour dénoncer les idées anticapitalistes comme pro-allemandes. Même si les dockers continuent de décharger le matériel militaire. Des dirigeants de la Section 8 sont jugés et condamnés. Cependant, malgré cette forte répression, le syndicat continue de mener des luttes victorieuses avec des augmentations de salaires en 1918.

La grève de 1920 semble particulièrement importante. Les patrons refusent des augmentations de salaires. 50 000 travailleurs des ports et des chantiers navals se mettent en grève. Plus de 150 navires sont bloqués. Le 27 mai, 4000 dockers de la Section 8 imposent des piquets de grève qui bloquent rapidement le port. Les patrons embauchent des jaunes pour briser la grève. Surtout, ils jouent sur les divisions ethno-raciales. Ils promettent aux Polonais de n’embaucher que des Polonais, dès qu’ils reprennent le travail. Les patrons soumettent la même proposition aux Afro-Américains.

Mais les grévistes se méfient et le syndicat parvient à préserver une unité interraciale. Cette longue grève débouche vers une victoire. En revanche, d’autres luttes échouent. Lorsque les compagnies maritimes sont de de taille nationale ou internationale, elles peuvent faire face à une grève locale et même assumer jusqu’à 50 millions de dollars de perte. Les dockers sont davantage soutenus lorsque l’économie du port se confond avec la prospérité de la ville de Philadelphie.

                

Déclin de la Section 8

 

La Section 8 de Philadelphie est percuté par deux grands mouvements. Les tensions raciales augmentent et le nationalisme noir se développe avec Marcus Garvey. L’unité interraciale du syndicat commence alors à se fissurer. Surtout, le mouvement communiste s’affirme dans le sillage de la révolution russe. Une Internationale dirigée depuis Moscou se construit. Pour les communistes américains, les IWW apparaissent comme une organisation rivale qui doit être ralliée ou affaiblie. Ils parviennent à manœuvrer pour faire exclure la Section 8, la plus importante des IWW.

Le clivage au sein des IWW rejoint celui qui oppose les staliniens aux courants anti-autoritaires. « Car cette affaire posait la question de la voie que devaient emprunter les IWW : rejoindre les communistes qui s’isolaient de la plupart des organisations de gauche dans le monde, ou bien rester dans la nébuleuse internationale des organisations anarchistes et syndicats qui tentaient de résister, sans succès, aux bolcheviques », précise Peter Cole. La Section 8 défend surtout son autonomie contre les tentatives de contrôle et de centralisation des IWW. Le syndicat de Philadelphie reste fidèle aux principes libertaires et s’appuie sur l’auto-organisation à la base. Les Wobblies de Philadelphie défendent également le syndicalisme d’industrie contre le corporatisme et les dérives sectaires.

La grève de 1922 semble particulièrement difficile pour les IWW de Philadelphie. Beaucoup de dirigeants de la Section 8 sont emprisonnés. Même si le syndicat maîtrise toujours le contrôle de l’embauche sur le port. Les dockers lancent un mouvement de grève pour la journée de 8 heures au lieu de 10 heures. Mais les patrons décident d’employer les grands moyens pour écraser le mouvement. Ils embauchent des chômeurs, souvent des Afro-américains, pour travailler à la place des grévistes. Ils recrutent même des détectives de l’agence Pinkerton pour surveiller les grévistes. Les militants des IWW rappellent l’importance de l’action directe pour défendre les conditions de travail et des salaires élevés.

                    

Divisions raciales

Mais la solidarité entre les dockers semble brisée. « Le danger, bien-sûr, était que la division entre militants s’accroisse et finissent en fossé, potentiellement racial, et destructeur », souligne Peter Cole. Les patrons ont décidé de dépenser d’importantes sommes pour remplacer les grévistes et les surveiller. Ensuite, les patrons sont soutenus par le gouvernement et le syndicat de l’ILA. Le lock-out de 1922 vise à « casser les reins des IWW » selon le témoignage de dockers. « Après avoir été l’exemple éblouissant d’une section syndicale révolutionnaire et égalitaire, la Section 8 était devenue l’illustration du désarroi des IWW face à l’offensive nationale des patrons », analyse Peter Cole.

Avec l’effondrement de la Section 8 en 1922, la ségrégation raciale s’impose à nouveau au port de Phildelphie. Les équipes ne sont plus mixtes. Le racisme et la concurrence permettent de diviser la classe ouvrière et de baisser les salaires. « Les équipes de travail séparées selon la nationalité aussi bien que selon la race… étaient amenées à se faire concurrence, dans une stratégie conçue non seulement pour miner l’unité ouvrière et faire baisser les salaires à long terme, mais encore pour stimuler la concurrence et la productivité au quotidien », observent les historiens James Barret et David Roediger. Même si les IWW ont compris que seul un syndicat interracial peut lancer des luttes collectives pour améliorer les conditions de travail.

   Christian Smalls, dirigeant du syndicat Amazon Labour Union, prend la parole lors d'un rassemblement avec des travailleurs d'Amazon devant le bâtiment de l'entreprise à Staten Island, New York (Photo, AFP).

Pratiques de lutte

Peter Cole propose un livre précieux, non seulement sur l’histoire des IWW, mais aussi sur les enjeux actuels des luttes dans le monde du travail. Les forces et les faiblesses de la section 8 des IWW se révèlent particulièrement instructives pour repenser le syndicalisme de base et les impasses idéologiques qui le menacent. D’autant plus que les problématiques du secteur portuaire évoquent celles bien actuelles de la logistique, incarnée par les entrepôts Amazon.

Les dockers de Philadelphie s’appuient sur la solidarité de classe au-delà de toutes les divisions dressées entre les travailleurs. Quelle que soit la race, le métier ou le statut, c’est la solidarité de classe qui fait la force des exploités. Le capitalisme s’appuie sur le racisme pour imposer des divisions et des hiérarchies afin de saper toute unité de lutte.

Ensuite, les dockers de Philadelphie s’appuient sur un syndicalisme de base. La lutte locale et concrète reste privilégiée. La section 8 reste particulièrement attachée à son autonomie contre la tendance centralisatrice et bureaucratique des IWW. Ce sont les syndicats de base qui doivent décider. L’auto-organisation reste incontournable pour élargir la lutte et impliquer fortement les grévistes dans l’action.

La section 8 valorise les luttes et les grèves plutôt que les grandes controverses idéologiques. Ce sont des pratiques de lutte qui sont mises en avant. L’auto-organisation et l’autonomie à l’égard des partis et des institutions montre toute sa force. Ensuite, l’action directe collective et la grève reste le moyen le plus efficace pour améliorer les conditions de travail et la vie quotidienne des exploités. C’est par la construction d’un rapport de force avec le patronat que peuvent s’imposer les revendications immédiates.

Néanmoins, l’action concrète et locale ne doit pas rester le seul horizon. Paul Mattick, militant aux IWW, évoque pertinemment les limites du syndicalisme de base. Au-delà des pratiques d’action directe qui permettent des victoires locales, il manque une perspective plus large pour envisager le renversement du capitalisme. Dans une économie mondialisée, les puissantes multinationales peuvent facilement encaisser des grèves locales. Il semble également important de s’appuyer sur les soulèvements et révoltes spontanées qui se développent à une échelle plus large. Même si les mouvements du XXIe doivent également s’appuyer sur une prolifération de grèves locales, de blocages et de pratiques d’action directe.

Source : Peter Cole, « Black and White Together… » Le syndicat IWW interracial du port de Philadelphie (montée et déclin – 1913-22), traduit par Etienne Lesourd, Les nuits rouges, 2021

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Left of Black with Peter Cole, diffusée par le John Hope Franklin Center at Duke University le 6 décembre 2019 (VO)

Radio : La chronique de Patsy (64) : Peter Cole, « Black and white together ». Le syndicat IWW interracial du port de Philadelphie (montée et déclin –1913-1922), émission diffusée sur AlterNantes FM le 30 mars 2022

Patsy, Etats-Unis : des dockers face au racisme, publié sur le site Le Monde comme il va le 2 mars 2022

Charles Jacquier, Note de lecture publiée dans le journal Le Monde diplomatique de décembre 2021

Mouvement Communiste/Kolektivně proti Kapitălu, Il y a 100 ans : La grève des dockers de Philadelphie et le local 8 des IWW, Lettre numéro 38 publiée en 2013

Une histoire du syndicat Industrial Workers of the World, publié sur le site de la revue Ballast le 22 avril 2021

Robert Paris, Les IWW et le syndicalisme révolutionnaire aux USA, publié sur le site Matière et Révolution le 7 mars 2015

Une page d’histoire… les I.W.W. américains, publié sur le site La Bataille socialiste le 24 avril 2014

Loren Goldner, Joe Hill. Les IWW et la création d’une contre-culture ouvrière, paru dans Echanges n° 111 (hiver 2003-2004)