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L’émergence du mouvement anticolonial palestinien face au sionisme (1882-1948)

Palestine

Lien publiée le 9 septembre 2022

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L’émergence du mouvement anticolonial palestinien face au sionisme (1882-1948) – CONTRETEMPS

Extrait du livre d’Ilan Pappé : Les dix légendes structurantes d’Israël (Nuits rouges, 2022).

4. « Le sionisme n’est pas du colonialisme »

La terre de Palestine n’était pas vide à l’arrivée des premiers colons en 1882. Cette réalité était bien connue des dirigeants sionistes. Une délégation envoyée en Palestine par les premières organisations sionistes rapportait à ses membres : « La mariée est belle mais elle est mariée à un autre homme[1]. » A leur arrivée, les premiers colons furent surpris de rencontrer des habitants qu’ils considéraient comme des envahisseurs et des étrangers. Selon eux, les Palestiniens de souche avaient usurpé leur patrie et n’avaient aucun droit sur la terre. Ils représentaient un problème qui devait et pouvait être résolu.

Cette situation épineuse n’était pas unique : le sionisme était un mouvement similaire à ceux qui ont colonisé les deux Amériques, l’Afrique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le colonialisme de peuplement diffère du colonialisme classique à trois égards. Le premier est que les colonies ne dépendent qu’initialement et temporairement de l’empire pour leur survie. Dans certains cas, comme en Palestine et en Afrique du Sud, les colons n’appartenaient pas à la même nation que la puissance impériale.

Le plus souvent, ils se sont dressés contre elle en tant que nouvelle nation, parfois à travers une lutte de libération (comme pendant la Révolution américaine par exemple). La deuxième différence est que le colonialisme de peuplement est motivé par le désir de s’approprier des terres dans un pays étranger, alors que le colonialisme classique convoite les ressources naturelles des pays qu’il convoite. La troisième différence concerne la manière dont ils considèrent la finalité de la colonisation. Contrairement aux projets coloniaux classiques au service d’un empire ou d’une mère-patrie, les colons sont des réfugiés qui cherchent non seulement un foyer, mais une patrie. Le problème était que les nouvelles « patries » étaient déjà occupées par d’autres personnes. En réponse, les communautés de colons faisaient valoir que la nouvelle terre leur appartenait par droit divin ou moral, même si, dans d’autres cas que celui du sionisme, elles ne prétendaient pas y avoir vécu il y a des milliers d’années. Souvent, la méthode employée pour surmonter de tels obstacles était l’extermination progressive des indigènes[2].

L’un des principaux spécialistes du colonialisme de peuplement, Patrick Wolfe, affirme que les projets coloniaux sont motivés par ce qu’il appelle « la logique de l’élimination », appuyée sur des justifications morales et des moyens pratiques pour éliminer les indigènes. Comme le montre Wolfe, cette logique s’est parfois traduite par de véritables génocides, à d’autres moments, par du nettoyage ethnique ou un régime oppressif refusant tout droit aux indigènes[3]. J’ajouterais qu’une autre logique imprègne celle de l’élimination : la déshumanisation. En tant que victime de persécutions en Europe, il fallait d’abord déshumaniser une nation ou une société entière, avant de pouvoir lui faire subir la même chose, ou pire. En raison de cette double logique, des nations et des civilisations entières ont été anéanties par le mouvement colonialiste dans les Amériques. Les indigènes des Amériques, au sud et au nord, furent massacrés, convertis de force au christianisme, et finalement confinés dans des réserves. Un sort similaire fut réservé aux aborigènes d’Australie et, dans une moindre mesure, aux Maoris de Nouvelle-Zélande. En Afrique du Sud, ce processus a abouti à un système d’apartheid, tandis qu’un système plus complexe était imposé aux Algériens pendant environ un siècle.

Le sionisme n’est donc pas un phénomène isolé, mais un exemple d’un processus plus large. Cela est important non seulement pour la compréhension des modalités du projet colonial, mais aussi pour notre interprétation de la résistance palestinienne à ce projet. Si l’on affirme que la Palestine était une terre sans peuple qui attendait un peuple sans terre, alors les Palestiniens sont privés de tout argument pour se défendre. Tous leurs efforts pour s’accrocher à leur terre deviennent des actes violents sans fondement contre les propriétaires légitimes. A ce compte, il est difficile de séparer la discussion sur le sionisme en tant que colonialisme de la question des Palestiniens en tant que peuple indigène colonisé. Les deux sont liés dans la même analyse. Le récit israélien officiel ou la mythologie fondatrice refuse d’accorder aux Palestiniens ne serait-ce qu’un minimum de droit moral de résister à la colonisation juive de leur patrie qui a commencé en 1882. Dès le début, la résistance palestinienne a été décrite comme étant motivée par la haine des Juifs. Elle a été accusée de promouvoir une campagne antijuive protéiforme de terreur qui a commencé à l’arrivée des premiers colons et s’est poursuivie jusqu’à la création de l’Etat d’Israël. Les journaux intimes des premiers sionistes racontent une histoire différente. Ils sont remplis d’anecdotes révélant comment ils furent bien accueillis par les Palestiniens, qui leur offraient l’hospitalité et, dans de nombreux cas, leur apprenaient comment cultiver la terre[4]. Ce n’est que lorsqu’il fût devenu clair que les colons n’étaient pas venus vivre aux côtés de la population autochtone, mais à sa place, que la résistance palestinienne a commencé. Et qu’elle prit rapidement la forme d’une lutte anticolonialiste.

L’idée que les Juifs appauvris avaient droit à un refuge n’était pas contestée par les Palestiniens et ceux qui les soutenaient. Cependant, les dirigeants sionistes ne leur ont pas rendu la pareille. Alors que les Palestiniens avaient aidé les premiers colons et ne refusaient pas de travailler avec eux, dans quelque cadre que ce soit, les idéologues sionistes étaient très clairs quant à la nécessité d’écarter les Palestiniens du marché du travail et de sanctionner les colons qui employaient encore des Palestiniens ou qui travaillaient à leurs côtés. C’était l’idée de l’avoda ivrit (travail hébreu), qui signifiait principalement la nécessité de mettre fin à l’avoda aravit (travail arabe). Gershon Shaar, dans son ouvrage de référence fondamental sur la deuxième Aliyah, (la vague d’immigration sioniste, entre 1904 à 1914), explique bien comment cette idéologie s’est développée et a été mise en pratique[5]. Le leader de cette vague d’immigration, David Ben Gourion faisait constamment référence à la main-d’œuvre arabe comme à une maladie contre laquelle le seul remède était la main-d’œuvre juive. Dans d’autres lettres de colons, les travailleurs hébreux sont décrits comme le sang sain qui immunisera la nation contre la pourriture et la mort. Ben Gourion faisait également remarquer que l’emploi du terme « Arabes » lui rappelait la vieille histoire juive d’un crétin qui avait ressuscité un lion, lequel l’avait ensuite dévoré[6].

La réaction positive initiale des Palestiniens déconcertait certains des colons eux-mêmes tout au long de la période de domination britannique (1918-48). L’impulsion colonialiste initiale était d’ignorer la population indigène et de créer des communautés fermées. Cependant, la vie offrait diverses opportunités. Il existe de nombreuses preuves de coexistence et de coopération entre les Juifs nouvellement arrivés et la population autochtone presque partout. Les colons juifs, en particulier dans les centres urbains, ne pouvaient pas survivre sans lier des relations, au moins économiquement, avec les Palestiniens. Malgré les nombreuses tentatives des dirigeants sionistes pour perturber ces interactions, des centaines d’entreprises communes furent créées au cours de ces années. Il faut noter aussi des coopérations dans le domaine syndical et l’agriculture. Mais, sans un soutien politique venant d’en haut, cela ne pouvait ouvrir la voie à une solution différente en Palestine[7].

Mais les dirigeants politiques palestiniens devenaient de plus en plus hostiles à ces initiatives conjointes à mesure que le mouvement sioniste devenait plus agressif. La lente prise de conscience par l’élite politique, sociale et culturelle palestinienne que le sionisme était un projet colonialiste renforça le sentiment d’identité nationale commune en opposition aux colons. Et finalement, il y eut une pression palestinienne venue d’en haut pour mettre fin à la coopération entre les deux communautés. Le mouvement politique palestinien mit du temps à émerger, se développant à partir des Associations islamo-chrétiennes[8], dans plusieurs villes du pays. Les principes directeurs de ce petit groupe étaient principalement modernes et laïques, ancrés dans une conscience patriotique et panarabe qui se renforça après la IIe Guerre mondiale.

La première poussée de nationalisme panarabe s’était produite dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle portait avec elle l’espoir de transformer le monde ottoman en une république arabe indépendante, un peu comme les États-Unis d’Amérique, ou en un empire arabo-ottoman, comme l’Autriche-Hongrie de l’époque. Lorsqu’il s’est avéré que cet élan ne pouvait pas aller contre les intérêts impériaux de la Grande-Bretagne et de la France, qui souhaitaient diviser le Moyen-Orient ottoman entre eux, une version plus locale du nationalisme s’est développée, adaptée à la carte créée par les frontières administratives et la division de la région entre les puissances coloniales. Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, le premier élan nationaliste arabe est connu comme la qawmiyya, avec comme variante locale ultérieure, la wataniyya. La communauté palestinienne fut active dans les deux. Ses intellectuels adhérant aux diverses organisations et mouvements qui recherchaient l’unité, l’indépendance et l’autodétermination arabes. Ainsi, avant même que la Grande-Bretagne ne délimite, avec l’aide d’autres puissances européennes, l’espace géopolitique appelé Palestine, il y avait une existence palestinienne particulière qui se manifestait dans les coutumes des gens, leur dialecte arabe et leur histoire commune.

Nombre d’intellectuels et de militants rêvaient d’une république arabe unie. D’autres étaient séduits par l’idée d’une Grande Syrie, dont la Palestine ferait partie, avec Damas pour capitale. Lorsque les Britanniques ont débarqué et que la communauté internationale, par le biais de la Société des Nations, a commencé à discuter de l’avenir de la région, des Palestiniens influents lancèrent un journal appelé Southern Syria, envisageant de créer un parti sous ce nom[9].  En 1919, lorsque le président des États-Unis Woodrow Wilson dépêcha la Commission d’enquête King-Crane, pour connaître les souhaits des Palestiniens, ses membres découvrirent que la majorité d’entre eux voulait l’indépendance de leur territoire.

Qu’ils fussent panarabistes, patriotes palestiniens ou partisans de la Grande Syrie, tous étaient réunis dans leur volonté de ne pas intégrer un État juif. Les dirigeants palestiniens s’opposaient à toute solution politique qui donnerait une partie de leur petit pays à la communauté des colons. Comme ils le déclaraient clairement lors de leurs négociations avec les Britanniques à la fin des années 1920, ils étaient prêts à partager avec ceux qui étaient déjà arrivés, mais ne pouvaient en accepter davantage[10]. La voix collective des Palestiniens, face aux Britanniques et aux sionistes, était portée par le Conseil exécutif de la Conférence nationale palestinienne qui se réunissait chaque année pendant une décennie, à partir de 1919. Toutefois, avant que cela ne se produise, les Britanniques avaient tenté de faire conclure un accord qui mettait les deux parties à égalité. En 1928, les dirigeants palestiniens, en dépit des souhaits de la majorité de leur peuple, acceptèrent d’accorder aux colons juifs une représentation égale dans les organes du futur État. La direction sioniste ne fut favorable à cette idée que tant qu’elle soupçonnait les Palestiniens de vouloir la rejeter. La représentation partagée allait à l’encontre de tout ce que le sionisme était censé être. Aussi, lorsque la proposition fut acceptée par la partie palestinienne, les sionistes la rejetèrent-ils.

Cela entraîna les émeutes de 1929, au cours desquelles des Juifs furent massacrés à Hébron, ainsi qu’un nombre beaucoup plus élevé de Palestiniens[11]. Mais il y avait d’autres raisons à cette vague de violences, la plus grave depuis le début du mandat britannique. Elle avait été déclenchée par la dépossession des tenanciers palestiniens de terres appartenant à des propriétaires absents et à des notables locaux, qui avaient été achetées par le Fonds national juif. Les tenanciers qui avaient vécu pendant des siècles sur ces terres furent contraints de partir vivre dans des bidonvilles. C’est dans l’un de ceux-ci, au nord-est de Haïfa, que le prédicateur syrien en exil, Izz Eddin al-Qassam, recruta ses premiers adeptes pour mener une guerre sainte islamique contre les Britanniques et le mouvement sioniste au début des années 1930. Son nom passa à la postérité lorsqu’il fut adopté par l’aile militaire du Hamas.

Après cette date, la direction palestinienne fut institutionnalisée sous la forme du Haut Comité arabe, un organe qui représentait tous les partis et mouvements politiques de la communauté. Jusqu’en 1937, il continua à tenter de trouver un compromis avec le gouvernement britannique, mais les sionistes et les impérialistes avaient alors cessé de prendre en compte le point de vue palestinien et s’accordaient à vouloir déterminer unilatéralement l’avenir du territoire. A cette époque, le mouvement national palestinien considérait le sionisme comme un projet colonialiste qui devait être défait. Pourtant, même en 1947, lorsque la Grande-Bretagne décida de soumettre la question aux Nations-Unies, les Palestiniens suggérèrent, avec d’autres États arabes, la fondation d’un État unitaire en Palestine pour remplacer le Mandat. L’ONU délibéra sur le sort de la Palestine pendant sept mois et dut trancher entre deux options : celle présentée par les Palestiniens d’un État unitaire qui absorberait les Juifs déjà installés mais ne permettrait pas un regain de colonisation sioniste ; l’autre voulant une partition du territoire en un État arabe et un État juif. L’ONU préféra cette dernière option, et le message adressé aux Palestiniens était donc le suivant : vous ne pouvez pas vivre sur les mêmes terres que les colons, tout ce que vous pouvez espérer est d’en sauver la moitié et de leur en abandonner l’autre moitié.

Ainsi, on peut décrire le sionisme comme un mouvement de colonisation et le mouvement national palestinien comme un mouvement anticolonialiste. Dans ce contexte, nous pouvons comprendre le comportement et les politiques du leader de la communauté, Hadj Amin al-Husseïni, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, sous un angle différent de celui du récit dominant. Comme de nombreux lecteurs le savent, l’une des allégations courantes propagées sans cesse par les Israéliens est que ce leader palestinien était un sympathisant nazi. Le mufti de Jérusalem n’était certes pas un ange. Très tôt, il avait été choisi par les notables de Palestine, et par les Britanniques, pour occuper ce poste religieux, le plus élevé de la communauté, qu’il tint pendant toute la période mandataire (1922-48) et qui lui a apporté le pouvoir politique et un statut social élevé. Il tenta de protéger la communauté contre la colonisation sioniste, et lorsque, dans les années 1930, des gens tels que Izz Eddin al-Qassam appelaient à la lutte armée, il sut détourner la majorité de cette option violente. Néanmoins, lorsqu’il approuva l’idée de mener des grèves, des manifestations et d’employer d’autres moyens pour essayer d’infléchir la politique britannique, il devint l’ennemi de l’empire et dut fuir Jérusalem en 1938[12]. Dans ces circonstances, il fut bien contraint d’accepter l’aide des ennemis des Britanniques, en l’occurrence l’Italie et l’Allemagne. Alors qu’il bénéficia de l’asile politique en Allemagne pendant deux ans, il subit l’influence de la doctrine nazie et ne faisait plus la distinction entre le judaïsme et le sionisme. Ses discours de propagande prononcés sur une radio allemande et ses campagnes de recrutement de musulmans dans les Balkans pour combattre avec la Wehrmacht ont sans doute entaché gravement sa réputation. Mais il n’a pas agi différemment des dirigeants sionistes des années 1930, qui ont eux-mêmes cherché à s’allier avec les nazis contre les Britanniques, ou de tous les autres mouvements anticolonialistes qui voulaient profiter de la guerre pour se débarrasser de leurs oppresseurs[13].

En 1945, le mufti revint à la raison et tenta d’organiser les Palestiniens à la veille de la Nakba (la Catastrophe), mais il avait perdu beaucoup d’influence, et le monde auquel il appartenait, celui des notables urbains arabes ottomans, avait disparu. S’il mérite des critiques, ce n’est pas pour ses erreurs concernant le sionisme. C’est pour son manque de sympathie à l’égard des paysans de Palestine, et pour ses désaccords avec d’autres notables, qui ont affaibli le mouvement anticolonialiste. Mais rien de ce qu’il a fait ne justifie la notice qui lui est consacrée dans l’américano-sioniste Encyclopedia of the Holocaust[14], la plus longue après celle d’Hitler[15]. En fin de compte, ni ses erreurs ni ses réalisations n’eurent beaucoup d’impact sur le cours de l’histoire palestinienne. Avec toutes ses fautes, avant qu’il ne s’échappe de Palestine en 1938 et, dans une certaine mesure, en exil par la suite, il dirigea bien un mouvement de libération anticolonialiste. Le fait qu’il était mufti – qui croyait donc également que la religion devrait être utilisée dans la lutte contre un mouvement colonialiste qui convoitait sa patrie et menaçait l’existence de son peuple – n’est pas significatif. Les mouvements de libération tels que le FLN en Algérie avaient un lien fort avec l’Islam, tout comme de nombreux autres dans le monde arabe luttant pour leur indépendance vis-à-vis de l’Italie, de la Grande-Bretagne et de la France après la Seconde Guerre mondiale. L’engagement du mufti en faveur de la violence, ou celui d’autres leaders comme al-Qassam (tué par les Britanniques en 1935 et enterré près de Haïfa), ne sont pas exceptionnels dans l’histoire des luttes anticolonialistes. Les mouvements d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est n’étaient pas des organisations pacifiques et misaient sur la lutte armée autant que sur le processus politique. Si le mufti avait pu retourner en Palestine, il se serait rendu compte que le sionisme était non seulement un projet de colonisation réussi, mais surtout qu’il était à la veille de son plus crucial projet existentiel.

En 1945, les sionistes avaient attiré plus d’un demi-million de colons dans un pays dont la population comptait environ 2 millions d’habitants. Certains étaient venus avec la permission du gouvernement mandataire, d’autres sans. La population autochtone locale ne fut pas consultée, et ses objections à la transformation de la Palestine en un État juif ne furent pas prises en compte. Les colons réussirent à bâtir un État dans l’État – en construisant toutes les infrastructures nécessaires –, mais ils échouèrent sur deux points. Ils ne réussirent à acheter que 7 % des terres. En outre, ils étaient toujours une minorité (un tiers des habitants) dans un pays dont ils voulaient être la nation exclusive.

Comme pour tous les mouvements coloniaux antérieurs, la réponse à ces problèmes fut la double logique de l’anéantissement et de la déshumanisation. La seule façon pour les colons d’étendre leur emprise sur la terre au-delà des 7 % et de s’assurer une majorité démographique exclusive était d’expulser les natifs de leur patrie. Le sionisme est donc un projet de colonisation, qui n’est pas encore achevé. La Palestine n’est pas entièrement juive démographiquement, et bien qu’Israël la contrôle entièrement par divers moyens, l’État d’Israël continue de coloniser – en installant de nouvelles colonies en Galilée, dans le Néguev et en Cisjordanie, dans le but d’y augmenter le nombre de Juifs –, de déposséder les Palestiniens, en niant leur droit à leur patrie.

***

Illustration : « Espoir révolution », Hamed Abdalla, 1954. Avec l’aimable autorisation de Samir Abdalla.

Notes

[1] Benjamin Beit-Hallahmi, Original Sins: Reflections on the History of Zionism and Israel, Londres: Palgrave Macmillan, 1992, p. 74.

[2] Patrick Wolfe, « Settler Colonialism and the Logic of Elimination of the Native », Journal of Genocide Research, 8 : 4 (2006), pp. 387–409.

[3] Ibid.

[4] Voir Pappe, « Shtetl Colonialism. »

[5] Pour une discussion de ces travaux et l’introduction précoce du paradigme colonialiste dans la recherche sur le sionisme, voir Ram, « The Colonisation Perspective in Israeli Sociology. »

[6] Natan Hofshi, « A Pact with the Land », in The Book of the Second Aliya, p. 239.

[7] J’ai examiné ces relations en détail dans A History of Modern Palestine, pp. 108–16.

[8] En janvier 1919 se tint à Jérusalem le premier Congrès de ces associations avec pour objectif de promouvoir le développement de la Palestine en matière d’agriculture, d’industrie, d’économie et de commerce et de former une jeunesse consciente de sa nationalité.

[9] Khalidi, Palestinian Identity, p. 239.

[10] Voir Pappe, A History of Modern Palestine, pp. 109–16.

[11] Voir Ilan Pappe, The Ethnic Cleansing of Palestine, Oxford: Oneworld, 2006, pp. 29–39.

[12] Voir Pappe, The Rise and Fall of a Palestinian Dynasty, pp. 283–287.

[13] Le 2 novembre 1943, al-Husseini déclara que « les musulmans devraient suivre l’exemple des Allemands qui ont trouvé une solution définitive au problème juif ». Recherché par les Britanniques comme collaborateur des nazis et par les Yougoslaves comme criminel de guerre, il fut arrêté par les troupes françaises dans la région de Constance en mai 1945 et ramené en France, où il fut logé dans une villa de la région parisienne. La France refusa de l’extrader, et il partit libre pour l’Égypte, un an plus tard, muni d’un faux passeport fourni par ses protecteurs.

[14] Encyclopedia of the Holocaust. New York : Macmillan, 1990.

[15] Pour une analyse approfondie, voir Ilan Pappe, The Idea of Israel : A History of Power and Knowledge, Londres et New York : Verso, 2010, pp. 153–78.