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Sterdyniak: Taxer les superprofits

économie

Lien publiée le 14 septembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Taxer les superprofits ! | Le Club (mediapart.fr)

Henri Sterdyniak, membre du collectif des Économistes atterrés explique pourquoi il faut taxer les superprofits et revenir sur la libéralisation du marché de l'électricité.

La hausse des prix de l’énergie et des matières premières devrait représenter en 2022[1] une ponction de l’ordre de 2,5 % du PIB français. Cette ponction va peser sur les ménages, la plupart des entreprises et les administrations publiques ; elle va accentuer les risques de récession. Les gagnants sont, principalement, les pays producteurs. En même temps, certaines entreprises, essentiellement du secteur de l’énergie et des transports enregistrent des profits fabuleux.

Ces profits sont pour une grand part le produit de rentes ; les entreprises bénéficient des tensions entre l’offre et la demande sur des marchés où celles-ci sont, à court terme, pratiquement inélastiques aux prix. Ces profits ne sont pas justifiés, même dans une optique libérale. Les superprofits, issus de la crise Covid ou de l’agression russe contre l’Ukraine s’ajoutent aux superprofits réalisés en situation économique « normale » des firmes multinationales et des grandes entreprises qui bénéficient de leur pouvoir de monopole.

Ces superprofits donnent un pouvoir excessif aux dirigeants de ces entreprises ( ?). Ils sont en partie redistribués à des actionnaires (dont le mérite est nul) ; en partie placés sur les marchés financiers contribuant à l’instabilité financière et à la spéculation ; en partie réinvestis selon les stratégies de ces entreprises, qui ne correspondent pas aux objectifs de la transition écologique. Une (faible) partie est utilisée pour faire du lobbying, pour contrôler les médias[2].

Distinguons trois cas. Il est légitime que les laboratoires pharmaceutiques tirent un certain profit de leurs découvertes. Mais celles-ci découlent en grande partie de recherches fondamentales publiques. L’UE, ou mieux l’OMS, devrait pouvoir racheter les brevets des vaccins et des médicaments utiles à des prix raisonnables, garantissant aux laboratoires un profit satisfaisant, mais pas exorbitant, de façon à ce que ceux-ci soient disponibles pour tous, en particulier pour les pays pauvres. Il devrait en être de même, selon des modalités appropriées, pour tous les brevets d’intérêt universel.

Certaines grandes entreprises Internet enregistrent durablement des profits importants grâce à leur pouvoir de monopole (Amazon, Apple, Google, Meta, Microsoft,…). Elles sont riches quand les États sont pauvres. Cela donne à leurs dirigeants un pouvoir incontrôlé d’orienter la recherche scientifique, la culture, les médias… La France et l’UE devraient se battre dans les arènes internationales pour qu’un taux spécifique d’imposition leur soit appliqué (50 % plutôt que les 15 % de l’accord conclu en octobre 2021 sous l’égide de l’OCDE), de sorte qu’une part importante de leurs profits puisse être investie dans les secteurs prioritaires pour l’humanité, le développement et la transition écologique.

De façon plus générale, dès qu’une entreprise dégage durablement des profits excessifs (par exemple, un taux de profit sur les fonds propres supérieur à 5 %), une situation de monopole doit être suspectée, ce qui devrait provoquer, soit une intervention de l’Autorité de la concurrence pour mettre un terme à cette situation, soit une taxation de ces superprofits (au taux de 50 %, par exemple, pour la part qui dépasse ces 5 %).

Certains font remarquer que les profits sont taxés en France à 47,5 % en ajoutant le taux de l’impôt sur les sociétés, IS (à 25 %) et le taux du prélèvement forfaitaire unique, PFU (30 %) qui frappe les dividendes. C’est oublier que certains profits sont transférés dans des paradis fiscaux, qu’une partie importante des profits ne sont jamais distribués, donc ne supportent pas le PFU, et que les grandes entreprises (et leurs dirigeants) sont des agents économiques en elles-mêmes, indépendamment de leurs actionnaires.

La France a massivement aidé les entreprises au moment de la crise sanitaire. Il serait normal que le Budget bénéficie pleinement de leur retour à une bonne santé. En fait, le passage de 33,33 % à 25 % du taux de l’IS, décidé sous François Hollande et achevé cette année, coûtera une vingtaine de milliards au Budget en 2022.

Dans la période récente, les superprofits des entreprises énergétiques et de transport qui découlent uniquement des tensions sur les marchés, donc de la Covid ou de l’agression contre l’Ukraine, devraient être surtaxés. Les armateurs européens (en particulier) bénéficient d’un traitement fiscal privilégié.

Les profits actuels des entreprises du secteur de l’électricité proviennent des règles du marché européen de l’électricité, inspirés des principes néolibéraux. Ce marché est basé sur le principe de la tarification au coût marginal (c’est-à-dire, en pratique, au coût de la production par des centrales à gaz). Les producteurs gagnent la différence entre leur coût de production et le coût marginal (mais certains pays subventionnent les énergies renouvelables, EnR). Les distributeurs (dit fournisseurs alternatifs) fixent leurs prix de vente sur la base des prix de gros, avec des contrats de plus ou moins long terme, de sorte que les ménages se trouvent devoir choisir entre propositions différentes offrant des tarifs plus ou moins garantis. L’importance des marchés à terme fait que les marchés de gros sont dominés par des comportements spéculatifs dans des périodes de fortes incertitudes comme actuellement.

Il en est résulté une forte instabilité du prix de l’électricité, qui se trouve dépendre du prix du gaz, mais qui fluctue aussi en fonction de l’offre et de la demande. Les producteurs privés n’ont pas investi, même si leur coût global de production anticipé était inférieur au coût marginal, en raison des fortes incertitudes sur l’évolution du coût marginal et sur les politiques nationales en matière énergétiques. Les pays n’ont pas augmenté suffisamment leurs investissements dans ce secteur, que ce soit en nucléaire ou en EnR, comptant sur les producteurs privés nationaux ou sur les importations. Enfin, les fournisseurs alternatifs spéculaient sur l’évolution du prix de gros de l’électricité par rapport aux prix de détail qu’ils proposaient ; ils se sont concurrencés par des offres qu’ils n’étaient pas certains de pouvoir honorer. Le gouvernement français a imposé à EDF de leur fournir de l’électricité à bas prix pour leur éviter la faillite quand les prix de gros de l’électricité ont augmenté. Certains ont finalement choisi de rompre des contrats avec leurs clients.

Revenir sur la libéralisation du marché de l’électricité est indispensable. Chaque pays devrait pouvoir en assurer un prix stable aux ménages et aux entreprises, basé sur le coût moyen de production et une marge permettant de financer les investissements nécessaires. Pour mettre fin à l’utilisation de l’énergie fossile, toutes les projections disponibles tablent sur une forte hausse de l’utilisation de l’électricité, ce qui suppose d’en relancer la production sur la base des EnR et du nucléaire[3] (le gaz n’étant qu’un appui temporaire).

Pour donner quelques ordres de grandeur concernant l’économie française, l’EBE du secteur Énergie devrait être supérieur en 2022 de 34 milliards à son niveau de 2019 actualisé ; celui du secteur Transport de 30 milliards. Le total des profits de TotalEnergie, Engie et CMA-CGM est passé de 9 milliards d’euros en 2019 à 22 milliards en 2021 et devrait atteindre 59 milliards en 2022.  

Sur le plan technique, on pourrait envisager une taxation supplémentaire à 25 % des superprofits (l’écart entre le profit de 2022 et le profit moyen de 2017-18-19 actualisé de 10%) ; le gain pourrait être de 15 milliards, ce qui est important, même si cela ne permettait pas de compenser la hausse des prix des produits énergétiques, puisque la grande partie va aux pays producteurs.  

Le produit des taxes sur les superprofits pourrait être utilisé pour verser des prestations aux ménages les plus pauvres afin de compenser les hausses de prix pour eux (ce qui est préférable à des baisses de prix indifférenciées qui encouragent la demande d’énergie fossile).  Contrairement à ce que l’on entend parfois, il n’est pas souhaitable que ces profits soient redistribués aux seuls salariés de ces entreprises, augmentant leurs salaires de manière injustifiée par rapport aux salaires des travailleurs des autres secteurs.

La taxation porterait sur le profit global des grandes entreprises ayant leur siège en France (selon les principes actés dans l’accord d’octobre 2021). Il faut prendre en compte trois points. Une telle taxation mise en place uniquement en France pourrait inciter les entreprises à terme à déplacer leur siège social, ce qu’il faudrait essayer d’empêcher par de lourdes menaces. Portant sur l’ensemble des profits réalisés par la société, elle serait contraire au principe de taxation à la source ; il faudra donc autoriser les entreprises à déduire des 50 % de taxation des superprofits les taux payés dans les pays sources. La France n’a pas d’entreprises productrices de gaz ou de pétrole sur son territoire ; EDF a déjà été prélevée d’environ 8 milliards par relèvement du plafond de l’ARENH (de 100 à 120 TWh).

Certes, une taxation des superprofits décidée à l’échelle de l’UE serait préférable ; toutefois, elle devait être mise en œuvre au niveau national. Concernant l’électricité en particulier, chaque pays est dans une situation particulière, de sorte qu’une contribution uniforme apparaît illusoire.

Les mesures décidées dans les autres pays européens

Face à la hausse des prix de l’énergie, les pays membres déjà mis en place des politiques très disparates, sans attendre une intervention de la Commission européenne. Ainsi, pour les ménages, la hausse des prix de l’énergie en glissement annuel en août 2022, a été de 46,5 % en moyenne dans la zone euro, mais de 108 % aux Pays-Bas, de 66 % en Belgique, 59 % en Italie, 58 % en Espagne, 42 % en Allemagne, 26,5 % en France, 19 % en Suède, 2 % en Hongrie ; de 50,5 % au Royaume-Uni.

Plusieurs pays européens ont déjà décidé des mesures de taxation des superprofits, chaque pays ayant sa définition propre. Au Royaume-Uni, les entreprises exploitant le gaz et le pétrole en mer du Nord devront payer une surtaxe de 25 % (qui s’ajoutera à leur taxation spécifique de 40 %) ; cette surtaxe devrait rapporter 6 milliards de livres.

L’Espagne va taxer les profits des banques (4,8 % de leur profit) et des (les ?) entreprises du secteur de l’énergie (1,2 % de leurs ventes) pour 7 milliards d’euros. L’Italie met en place une taxe de 25 % sur les superprofits des entreprises du secteur de l’énergie (qui devait rapporter 11 milliards d’euros) mais, que celles-ci ont attaquée en justice comme discriminatoire.

La Belgique envisage une contribution exceptionnelle de 25 % sur la hausse de la marge brute de tous les fournisseurs, les producteurs et négociants d’électricité, de gaz naturel et de pétrole. Les Pays-Bas taxeraient pour 2 milliards d’euros les entreprises des secteurs du pétrole et de gaz (en particulier les exploitants du gisement de Groningue).  

Début septembre, le gouvernement allemand a annoncé qu’il envisage de mettre en place une contribution obligatoire des entreprises qui bénéficient du prix élevé du gaz alors qu’elles produisent de l’électricité à partir du charbon, du nucléaire ou d’énergies renouvelables. 

Un impôt européen ?

Le 5 septembre, Emmanuel Macron avait renvoyé la balle au niveau européen. Une nouvelle fois, l’Union européenne apparaît clairement comme un prétexte pour ne pas agir sur le plan national. Selon Emmanuel Macron et Olaf Scholz, le chancelier allemand, l’UE pourrait mettre en place une contribution sur les producteurs d’électricité, dont le produit serait reversé aux pays membres qui pourraient l’utiliser pour réduire les hausses de prix pour les ménages et les entreprises. Le terme Contribution au lieu de Taxation permettrait d’éviter que l’unanimité soit requise au Conseil.

Le 9 septembre, la réunion de la formation Énergie du Conseil de l’UE s’est terminée par un communiqué indiquant : « Les ministres ont invité la Commission, d'ici la mi-septembre, à :

  1. a) Proposer des mesures visant à plafonner les revenus des producteurs d'électricité inframarginaux à faibles coûts de production et à introduire une contribution de solidarité des entreprises d'énergie fossile, qui serait utilisée pour atténuer l'impact des prix élevés de l'énergie sur les clients 
  2. Proposer une intervention d'urgence et temporaire, y compris un plafonnement du prix du gaz ».

Les fournisseurs de gaz (Russie, mais aussi Norvège) menacent de suspendre leur ventes si un plafonnement des prix est imposé ;  s’opposent donc à ce plafonnement les pays dépendant toujours du gaz russe (Hongrie, République tchèque ; Autriche). Les producteurs d’électricité sont déjà soumis à taxation dans plusieurs pays européens. Il serait question de  plafonner leur revenu à 200 €/MWh, le surplus étant taxé à 100%. La contribution demandée aux entreprises pétrolières et gazières ne porterait que sur leurs profits déjà soumis à l’IS.

Compte tenu des disparités dans le mix énergétique. Il est peu probable que les 27 États membres puissent s’entendre dans un délai satisfaisant, tant sur la structure de ces contributions, que sur la répartition de leurs produits. Au mieux, un accord serait possible entre certains États membres sur la base d’une coopération renforcée. Ce serait cependant renoncer à taxer les superprofits des autres secteurs.

[1] Le prix du pétrole est passé de 65 dollars le baril en moyenne en 2021 à 94 dollars (+45%), après un passage à 110 dollars. Le prix du gaz naturel à Rotterdam est passé de 25 à 95 $/MWh (une multiplication par 3,8). Le taux de change de l’euro a baissé de 16,7 % par rapport au dollar entre 2021 septembre 2022, passant de 1,2 à 1 euro. Le prix de gros de l’électricité est actuellement de 500 €/MWh (après avoir dépassé 1000 €) contre 50 en 2021.

[2]  Vincent Bolloré contrôle CNEWS, Europe 1, le JDD, Paris Match et Hachette ; BFM et RMC sont possédées par Patrick Drahi ; Les Échos et Le Parisien par LVMH (donc Bernard Arnault) ; Le Figaro par le groupe Dassault. La CMA-CGM vient de racheter Le Provençal.

[3] Certains économistes atterrés estiment qu’il sera possible de sortir du nucléaire à long terme ; d’autres que cette forme d’énergie restera indispensable.