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Joan Robinson et Michael Heinrich nous invitent à lire et relire Marx

Lien publiée le 17 septembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Joan Robinson et Michael Heinrich nous invitent à lire et relire Marx – CONTRETEMPS

L’économiste Jean-Marie Harribey, auteur de nombreux livres et articles sur le capitalisme, le travail et la valeur, discute les livres récemment parus de Michael Heinich et de Joan Robinson sur Marx.

***

Au cours des derniers mois ont été édités et réédités des livres qui entreprennent de redécouvrir Marx, débarrassé des lectures habituelles, tant apologétiques que critiques.

Le plus ancien est de l’économiste britannique Joan Robinson, Essai sur l’économie de Marx. Il fut publié pour la première fois en 1942, réédité en 1946 et il bénéficie d’une nouvelle traduction que publient Les Éditions sociales (2022, Traduction et préface d’Ulysse Lojkine). De son côté, l’économiste allemand Michael Heinrich bénéficie de la traduction de deux de ses ouvrages : le premier Comment lire Le Capital de Marx ? Livre I, Chapitre 1 et 2 (1ère édition en 2014, celle-ci à partir de la 4e édition allemande du Capital, traduite par Lucie Roignant, Éd. Smolny, 2022), le second Critique de l’économie politique, Une introduction aux trois Livres du Capital de Marx (2021, traduction d’Ivan Jurkovic, Éd. Smolny, 2022).

Ces deux auteurs n’ont pas de rapport l’un avec l’autre mais leurs ouvrages ont ceci de commun qu’ils traitent d’un même sujet – l’œuvre de Marx – qui explique pourquoi je les rassemble ici. À la fois parce que les ouvrages d’Heinrich ont un objectif pédagogique et qu’ils se situent dans la lignée de Marx, alors que celui de Robinson a une portée davantage critique, je commence ces deux recensions par les ouvrages d’Heinrich.

1. Michael Heinrich : qu’est-ce que la « critique de l’économie politique » de Marx ?

Michael Heinrich est un philosophe allemand qui, depuis sa thèse sur « La science de la valeur » chez Marx, et parallèlement à des études de mathématiques, consacre ses travaux à la présentation de l’œuvre de Marx. Très connu en Allemagne, notamment parce qu’il a participé à la préparation des œuvres complètes de Marx et d’Engels en langue originale, connues sous le nom de la MEGA2 (Marx-Engels-Gesamptausgabe)[1], plusieurs de ses livres sont disponibles en français[2].

Les deux ouvrages recensés ici sont tout à fait complémentaires. Leur édition ou leur réédition sont presque simultanées mais je conseille de commencer par Comment lire Le Capital de Marx, centré sur les deux premiers chapitres du Capital de Marx, qui sont les plus difficiles, non seulement pour les débutants, mais aussi pour les spécialistes qui n’ont jamais fini de s’affronter à leur sujet depuis la mort de Marx. On peut ainsi mieux tirer parti du second ouvrage Critique de l’économie politique, qui présente les éléments essentiels des trois Livres du Capital. Je ne propose pas ici un résumé complet des ces deux ouvrages car je ne pourrais faire qu’une simplification triviale de l’œuvre de Marx. Je vais centrer le propos sur les points les plus importants soulignés par Heinrich. On ne s’étonnera pas que ce sont aussi ceux qui sont le plus controversés dans la littérature marxiste ainsi que dans la littérature anti-marxiste. Ils portent sur la théorie de la valeur de Marx et sur ses analyses de la crise capitaliste, notamment  sur ladite baisse tendancielle du taux de profit.

1) La valeur

Le principal mérite d’Heinrich dans Comment lire Le Capital de Marx est de décortiquer méticuleusement la partie la plus conceptuelle de cette œuvre que Marx n’a jamais fini de corriger, de compléter, sans pourvoir la terminer. Marx ouvre Le Capital  par un chapitre intitulé « La marchandise », dans lequel il se démarque de l’héritage de l’économie politique classique d’Adam Smith et de David Ricardo. Ceux-ci avaient cru établir les lois naturelles de l’économie, alors que, pour Marx, elles ne sont que celles du capitalisme et sont donc socio-historiques. Ils avaient également dessiné une première version de la théorie dite de la valeur-travail fondée sur la distinction remontant à Aristote entre valeur d’usage et valeur d’échange (cette dernière dépendant du travail incorporé, disait Ricardo). Et c’est à cet échafaudage que s’attaque Marx. Pour l’instant, il n’est pas question du capitalisme, nous dit Heinrich. Marx commence par analyser la marchandise qui se présente sous deux aspects, elle est valeur d’usage puisqu’elle sera utile à quelqu’un dans la société, et elle est valeur. Le premier aspect est facile à comprendre puisqu’il tient aux caractéristiques d’utilités concrètes de la marchandise. Le second est beaucoup moins aisé à comprendre et c’est à son sujet que s’ouvre la discussion. La preuve en est d’ailleurs que Marx lui-même n’a pas cessé d’amender, voire de corriger ses formulations d’une édition à l’autre du Livre I du  Capital. Et Heinrich nous donne et commente les multiples variations de Marx au sujet de la « valeur » et de ses différentes « formes »[3]. Qu’en est-il ?

Le double aspect de la marchandise correspond au double aspect du travail : le travail concret de celui qui a fabriqué un objet destiné à être vendu ; le travail rendu abstrait par l’échange marchand, c’est-à-dire débarrassé de ses caractéristiques et qualités concrètes, pour devenir une quantité de travail commensurable avec d’autres, dénominateur commun présidant aux échanges. Et c’est ici que les difficultés conceptuelles arrivent, dont déjà les économistes classiques avaient plus ou moins conscience : jamais les marchandises ne s’échangent au prorata de la quantité de travail qu’elles ont nécessité pour les produire. Heinrich explique avec beaucoup de détails que Marx sort de cette difficulté en trois temps.         

            a) D’abord, les marchandises s’échangent dans un rapport reflétant la quantité de travail « socialement nécessaire » à un moment donné, compte tenu du niveau de la productivité du travail. Heinrich multiplie les références pour rapporter la pensée de Marx :

« Le temps de travail socialement nécessaire est le temps de travail qu’il faut pour faire apparaître une valeur d’usage quelconque dans les conditions normales d’une société donnée avec le degré moyen d’habileté et d’intensité du travail. […] C’est donc seulement la quantité de travail socialement nécessaire ou le temps de travail socialement nécessaire à la fabrication d’une valeur d’usage qui détermine la grandeur de sa valeur. La marchandise singulière ne vaut ici tout bonnement que comme échantillon moyen de son espèce. […] Le rapport de la valeur d’une marchandise à la valeur de n’importe quelle autre marchandise est donc celui du temps de travail nécessaire pour produire l‘une au temps de travail nécessaire pour produire l’autre. « En tant que valeurs, toutes les marchandises ne sont que des mesures déterminées de temps de travail coagulé ». »[4]

À lire cela on peut légitimement se demander en quoi le « travail coagulé » de Marx se différencie du « travail incorporé » de Ricardo. Cette interrogation est symptomatique de l’affrontement entre des générations de marxistes et des générations d’économistes bien-pensants : les premiers arguant que la valeur des marchandises était déterminée avant que celles-ci se présentent sur le marché ; les seconds ne connaissant que ladite loi de l’offre et de la demande qui, d’après eux, fixe les prix de marché. En quel sens Marx entend-il « socialement nécessaire » ? La quantité de travail est une mesure sociale, c’est-à dire qu’elle n’est révélée que par l’échange marchand. Si la marchandise ne réussit pas son « saut de la mort ou périlleux »[5] comme disait Marx, alors la valeur n’existe pas, le travail producteur est réduit à néant. « La réduction [des travaux concrets au travail abstrait] n’est pas le fait des possesseurs de marchandises isolés mais d’un processus social s’accomplissant dans l’échange. Le travail humain abstrait comme résultat de ce procès social de réduction n’exprime pas une propriété physiologique du travail mais une propriété strictement sociale » (MH, Comment lire…, p. 105). Heinrich souligne alors que deux problèmes surgissent : est-ce que Marx ne réintroduit pas une « propriété physiologique du travail » qu’il avait prétendu exclure en récusant toute vision ahistorique ? Et est-ce que les producteurs échangistes connaissent ce fameux quantum de travail avant d’aller sur le marché ? Si la réponse à ces questions est positive, alors la valeur est déterminée au cours du processus de production, selon le « principe d’une valeur existanteavant et indépendante de l’échange » qui « découlerait » de la production (MH, Comment lire…, p.143). Sinon, il faut voir le travail abstrait socialement nécessaire comme étant fixé sur le marché. Pour Heinrich, il n’y a pas de doute : au final, Marx penche pour la détermination sociale de la valeur sur le marché : « C’est seulement dans l’échange que l’on peut observer que le temps de travail socialement nécessaire, dans la production de toile par exemple, a varié et dans quelle mesure » (MH, Comment lire…, p. 127, aussi p. 235). Autrement dit, il n’y pas de valeur sans la validation sociale du travail opérée par l’échange marchand. C’est sans doute la raison pour laquelle Marx débute son Capital par l’analyse du mode de production marchand en général avant de dire un seul mot du mode de production capitaliste.  

De cette discussion naîtront plusieurs controverses que nous verrons plus loin. Pour l’instant, notons qu’elle a traversé le courant marxiste et la marxologie depuis quasiment l’origine. Par exemple, le courant dit « critique de la valeur », notamment avec Robert Kurz qui en fut le principal représentant en Allemagne et Anselm Jappe en France, défend toujours l’idée que « sa grandeur [de la valeur d’une marchandise] existe avant de rentrer dans l’échange, dans la marchandise particulière, même si c’est seulement l’échange qui révèle cette grandeur. » L’argument est que « l’échange n’attribue pas, en tant que relation purement intersubjective, de la valeur marchande à des objets qui, auparavant, n’étaient que des produits techniques, présociaux. Par conséquent, la diminution du travail vivant créateur de valeur dans la production est un facteur bien « objectif » qui cause une chute à long terme de la masse de valeur (et pas seulement du taux de profit, sur lequel le débat marxiste s’est longuement concentré. […] Si la valeur ne naissait que dans la circulation, elle serait en dernière analyse une « convention ». Ainsi, on escamoterait la prévision d’une limite interne absolue à la création de valeur et de survaleur, limite qui est la cause de l’effondrement du capitalisme. »[6]

À cela, Heinrich répond que, si on va jusqu’au bout de l’idée marxienne que la valeur exprime toujours un rapport social, alors « les producteurs de marchandises produisent de manière privée, indépendamment les uns des autres. Ils n’entrent dans une relation sociale non pas dès la production, mais seulement par l’échange de leurs produits. C’est seulement à ce moment-là qu’apparaît le « temps de travail socialement nécessaire ». Certes, l’échange ne détermine pas l’ampleur du temps de travail nécessaire ; celui-ci n’existe que dans l’échange (car c’est seulement dans l’échange que voient le jour les rapports moyens qui en sont à l’origine) et il détermine dans ce cadre les rapports d’échange quantitatifs. De cette manière, la grandeur de valeur de la marchandise a beau réguler ces rapports d’échange, leur existence (celle de la grandeur de valeur et des rapports d’échange) est toujours simultanée. » (MH, Comment lire…, p. 151).

Toutefois, on pourrait objecter à Heinrich que l’indépendance des producteurs n’est pleinement réalisée que dans le cadre d’une petite production marchande, alors que, dans le capitalisme développé, l’acte de production est lui aussi un acte social, doublement d’ailleurs, et cela d’autant plus que la division du travail s’est accentuée : par le fait que les capitaux sont en concurrence les uns contre les autres, et par le fait évidemment que la force de travail est en lutte contre le capital : d’une part, la force de travail est achetée par le capital, et d’autre part, les travailleurs ne sont pas isolés les uns des autres mais intégrés dans un « travailleur collectif » selon le mot de Marx. On a là l’un des points à la source des innombrables discussions sur le début du Capital : jusqu’où Marx maintient-il la distinction entre mode de production marchand et mode de production capitaliste ?

            b) Le deuxième élément par lequel Marx essaie de résoudre la difficulté tenant au fait que les marchandises ne s’échangent pas selon les quantités de travail privées va complexifier encore les choses plutôt que les simplifier. Lorsqu’on lit attentivement Marx, on s’aperçoit qu’il analyse la marchandise tantôt comme un binôme valeur d’usage et valeur d’échange (à la manière de l’économie politique classique), tantôt comme valeur d’usage et valeur. Le second pôle de ce dernier binôme a-t-il été simplement abrégé en valeur pour faire simple et plus court ou s’agit-il d’une révision de la catégorie ? À plusieurs endroits, Marx nous laisse perplexes et de nombreux traducteurs et commentateurs font comme si les formules « valeur » et « valeur d’échange » étaient synonymes[7]. Le mérite d’Heinrich est de clarifier cet imbroglio (voir notamment Comment lire…, p. 247). La production de marchandises se déroule dans le cadre d’une division du travail. Le travail qui les produit en tant que valeurs d’usage doit être validé par la vente sur le marché. Elles acquièrent à ce moment-là une forme particulière que Marx nomme « forme phénoménale », dite « valeur d’échange », qui exprime le rapport quantitatif qu’elles ont les unes avec les autres. Ce qui rend possible cette commensurabilité, c’est d’être le fruit d’un dénominateur commun, le travail rendu abstrait, nommé par Marx « valeur » en tant que fraction du travail collectif effectué dans le cadre de la division sociale du travail. On comprend mieux la synthèse que donne Marx : 

« C’est seulement au sein de leur échange que les produits du travail acquièrent une objectivité de valeur socialement identique, distincte de leur objectivité d’usage et de sa diversité sensible. Cette scission du produit du travail en chose utile et chose de valeur ne s’effectue que dans la pratique, une fois que l’échange a acquis une importance et une extension suffisantes pour que les choses utiles soient produites en vue de l’échange et que le caractère de valeur des choses soit donc déjà pris en considération dès leur production même. À partir de cet instant, les travaux privés des producteurs acquièrent effectivement un double caractère social. D’une part, en tant que travaux utiles déterminés, ils doivent satisfaire un besoin social déterminé et se voir ainsi validés comme branches du travail global, du système naturel de la division sociale du travail. D ‘un autre côté, ils ne satisfont les multiples besoins de leurs propres producteurs que dans la mesure où chaque travail privé, avec son utilité particulière, est échangeable contre toute autre sorte de travail privé utile et lui est ainsi équivalent. L’égalité toto coelo entre des travaux différents ne peut consister qu’en une abstraction de leur non-égalité réelle, qu’en leur réduction au caractère commun qu’ils ont en tant que dépense de force de travail humaine, comme travail humain abstrait. Le cerveau des producteurs privés ne reflète ce double caractère social de leurs travaux privés que sous les formes qui apparaissent pratiquement dans le trafic, dans l’échange des produits : il reflète donc le caractère socialement utile de leurs travaux sous la forme de la nécessité, pour le produit du travail, d’être utile, et utile pour d’autres ; il reflète le caractère social d’égalité de ces travaux divers sous la forme du caractère de valeur qui est commun à ces choses matériellement différentes que sont les produits du travail. »[8]

Aussi Heinrich commente à plusieurs reprises que : « L’important est de retenir la différence entre valeur d’échange et valeur la valeur d’échange d’une marchandise, d’un quarter de blé par exemple, équivaut à la quantité de valeurs d’usage que l’on obtient lors de l’échange (par exemple a quintal de fer). La valeur d’une marchandise en revanche est cette objectivité fantomatique que cette marchandise possède (au moment de l’échange) en tant qu’incarnation du travail humain abstrait. La valeur d’échange est la « forme phénoménale », le « mode d’expression » de cette valeur ; la valeur d’un quart de blé devient visible dans l’équivalence avec quintal de fer » (MH, Comment lire…, p. 76-77, aussi p. 108, 115). J’ai moi-même résumé cela ainsi : « trois niveaux d’analyse se superposent : la valeur d’usage comme condition de la valeur en tant que fraction du travail social, laquelle apparaît dans l’échange par le biais d’une proportion, la valeur d’échange qui est mesurée par la quantité de travail nécessaire en moyenne dans la société considérée »[9].

Heinrich détaille pourquoi Marx passe en revue les différentes « formes phénoménales » que revêt la marchandise : de la forme valeur simple (une quantité de marchandise exprimée en la quantité d’une autre), à la forme valeur développée (une quantité de marchandise exprimée en les quantités de toutes les autres), jusqu’à la forme valeur monnaie, équivalent général dans les échanges. C’est parce que, quelle que soit la forme prise par la valeur d’échange, la valeur est toujours le travail social abstrait : 

« Seul un acte social peut faire d’une marchandise déterminée un équivalent universel. […] C’est pourquoi l’action sociale de toutes les autres marchandises exclut de l’ensemble une marchandise déterminée dans laquelle elles exposent universellement leur valeur. La forme naturelle de cette marchandise devient par là même la forme-équivalent dont la validité sociale est reconnue. Être équivalent universel devient au travers du procès social la fonction sociale spécifique de la marchandise exclue. C’est ainsi qu’elle devient monnaie. »[10].

Le deuxième chapitre du Capital porte sur « Le procès d’échange », qu’Heinrich ne commente que très brièvement, mais sur un point important, en comparant l’argent à la « bête » de Goethe dans « Faust », Marx introduit le concept de fétichisme : « Si l’on comprend la « bête » […] comme la métaphore de l’argent, alors une réflexion importante tirée de l’analyse du procès d’échange s’exprime : ce sont les hommes qui donnent à la « bête » son pouvoir pour ensuite s’y soumettre – seul ce qui porte le « nombre » de la bête peut alors être acheté ou vendu. Ce sont aussi les hommes qui effectuent le procès d’échange. Mais au lieu de se mettre directement en rapport les uns avec les autres, ils se réfèrent à l’argent. Par cette fonction de médiation, l’argent obtient un pouvoir auquel les hommes doivent ensuite se soumettre. » (MH, Comment lire…, p. 241).

Marx annonce ainsi le troisième chapitre du Capital sur l’argent (ou la monnaie, selon les traductions) et la circulation des marchandises. C’est à ce point que s’arrête Heinrich dans le premier de ses livres que je commente ici. 

Convenons que, lorsqu’on vient à bout des deux premiers chapitres du Capital, on est pour le moins un peu essoufflé. À tel point que, nous raconte Heinrich, Engels avait écrit à Marx pour lui dire que certains passages étaient incompréhensibles, d’où leurs nombreuses récritures au fil des éditions successives, sans qu’aucune ne soit pleinement satisfaisante aux yeux de Marx lui-même et à ceux de son ami.

            c) La troisième difficulté que cherche à surmonter Marx a fait l’objet des commentaires et critiques parmi les plus nombreux. Elle correspond au problème qu’il pose dès les premiers chapitres du Livre I du Capital mais dont il ne propose une solution que dans le Livre III, publié de façon posthume par Engels. Comment rendre compte des prix des marchandises ne correspondant pas à l’équivalent monétaire des quantités de travail, fussent-elles dites « socialement nécessaires » ? Marx imagine une solution dont l’inventivité est manifeste : les prix (qu’il appelle « prix de production », comme le faisaient les classiques) se fixent en appliquant aux avances de capital un taux moyen de profit dans l’économie. Or, les avances de capital diffèrent entre les secteurs capitalistes ; aussi, les secteurs ayant une composition organique du capital (rapport de leur capital achetant les moyens de production, dit « constant » car il ne crée pas de valeur, à leur capital achetant la force de travail, dit variable car celle-ci crée de la valeur) élevée captent une part plus grande de la plus-value globale créée dans la société – grâce à une productivité du travail supérieure – que celle captée par les secteurs dont la composition organique du capital est plus faible. Malheureusement, Marx propose un modèle dit de la « transformation des valeurs en prix de production », dont il avait lui-même conscience de son caractère fruste, voire erroné. 

Beaucoup des grands noms de la théorie économique se sont emparés de cette « erreur », de Böhm-Bawerk, Tugan-Baranovsky et Bortkiewicz à Samuelson pour récuser Marx, et, entre autres, de Sraffa à Sweezy, Duménil, Okishio, Morishima, Freeman et Kliman pour proposer une solution. Avec des outils mathématiques, notamment les théorèmes de l’algèbre matricielle, inconnus à l’époque de Marx, les propositions furent nombreuses mais toujours pour une part insatisfaisantes. Heinrich, dans Critique de l’économie politique, ne fait pas écho à ces tentatives. Il se borne à résumer l’esprit dans lequel a sans doute travaillé Marx : « Dans le cadre d’une théorie monétaire de la valeur, il ne peut absolument pas y avoir de méthode spécifique de conversion des valeurs en prix de production. Bien plus, la « transformation de valeurs en prix de production » représente bien plutôt un développement conceptuel de la détermination de forme de la marchandise. […] La transition allant de la valeur et de la plus-value au prix de production et au profit moyen n’a rien d’une succession historique ou bien temporelle, elle correspond plutôt à une transition entre différents niveaux d’exposition : au niveau de la valeur et de la plus-value, la socialisation capitaliste médiatisée par l’échange est encore saisie de manière abstraite, l’échange est uniquement déterminé par le rapport entre le travail dépensé individuellement et le travail social total. Au niveau du prix de production et du profit moyen, l’échange est aussi déterminé par le rapport du capital individuel au capital social total. Ce qui s’exprime ici, c’est que l’échange ne consiste pas seulement en la socialisation de producteurs de marchandises, mais également en la socialisation de producteurs capitalistes de marchandises. » (MH, Critique…, p. 194-195).

On peut dire ainsi les choses, et c’est comme cela que les marxistes traditionnels s’en tirent depuis 150 ans. Mais c’est faire peu de cas de la double égalité à laquelle tenait Marx plus que tout : la somme des valeurs (mesurées monétairement) doit être égale à la somme des prix et la somme des plus-values doit être égale à la somme des profits. Sans cette double égalité l’affirmation selon laquelle seul le travail crée de la valeur est mise en défaut et l’origine du profit redevient mystérieuse, sauf à imaginer une « productivité » du capital. Et il ne manque pas d’auteurs ayant glosé sur un « adieu à la valeur-travail ».

À ma connaissance, la tentative aujourd’hui la plus aboutie pour résoudre cette énigme est celle de Vincent Laure Van Bambeke, améliorée encore par Norbert Ankri et Païkan Marcaggi[11]. L’originalité de la proposition est de faire dépendre la péréquation du taux de profit de deux facteurs : celui d’une mise en œuvre du capital fixe à des périodes différentes, qui oblige à tenir compte du coût historique, et celui de la réallocation permanente du capital social entre les branches capitalistes. C’est seulement à ces deux conditions que peuvent être vérifiées les deux égalités de Marx. La question de la réallocation permanente du capital entre les branches n’est alors pas indifférente à celle de l’évolution du taux de profit.

2) Les théories de la baisse tendancielle du taux de profit et des crises 

            Engels a eu beaucoup de mal à rassembler les brouillons de ce qui allait devenir les Livres II et III du Capital. C’est dans ces deux Livres qu’on trouve des éléments de compréhension des crises capitalistes que Marx a élaborés successivement au fur et à mesure qu’il les voyait se dérouler sous ses yeux, mais sans parvenir à les unifier dans une théorie globale. Parmi ces éléments, deux sont les plus discutés : y a-t-il une baisse tendancielle du taux de profit et quel rôle joue le déséquilibre entre la section qui produit les biens de production et celle qui produit les biens de consommation ?

            a) Heinrich relate très bien que Marx veut mettre au jour que, « indépendamment des causes contingentes », il y a des « caractéristiques générales du développement capitaliste qui doivent engendrer une baisse du taux de profit » (MH, Critique…, p. 196). Celle que met en avant Marx est directement issue de la théorie de la valeur-travail : au fur et à mesure que la composition organique du capital s’accroît plus vite que la valeur ajoutée (et donc que la plus-value) créée par la force de travail, le taux de profit baisse immanquablement. Bien sûr, Marx voit que le capital peut trouver des parades. Augmenter le taux de plus-value est la plus immédiate. Marx en inventoriera six au total dans le chapitre du Livre III consacré à cette « loi ». Mais Heinrich soutient l’idée qu’« au niveau de généralité depuis lequel Marx argumente dans Le Capital, il n’est pas possible de fonder une tendance durable de la baisse du taux de profit » (MH, Critique…, p. 201), et que « la théorie marxienne des crises ne repose aucunement sur cette « loi » » (MH, Critique…, p. 202). On verra plus loin que Joan Robinson avait elle aussi dissocié cette fameuse loi, non pertinente à ses yeux, des analyses plus convaincantes de Marx en termes de demande déséquilibrée par rapport à la production. L’interprétation traditionnelle de cohérence entre ces deux versions des crises n’est due, selon Heinrich, qu’au travail d’édition forcément approximatif d’Engels du Livre III.

            b) C’est donc autrement qu’il faut chercher l’origine des crises récurrentes du capitalisme. Selon Heinrich, « les arguments décisifs de Marx sur l’origine des crises sont totalement indépendants de cette « loi » » (MH, Critique…, p. 226).

Déjà, nous dit Heinrich, « lors de son analyse de la monnaie comme moyen de circulation, Marx avait décelé que la médiation de l’échange par la monnaie comportait la possibilité générale de crises : on peut vendre sa propre marchandise sans pour autant, avec l’argent qu’on a obtenu, acheter de nouvelles marchandises ; en conservant l’argent, le procès de reproduction est interrompu » (MH, Critique…, p. 226-226). Ainsi, Marx dément définitivement ladite loi de Say, chose que reprendra presque mot pour mot Keynes.

À cet élément de possibilité de la crise, il faut adjoindre ce qui la rend réelle. Heinrich souligne que « la consommation de la classe ouvrière est limitée par la logique de valorisation du capital : les capitalistes cherchent à maintenir au plus bas aussi bien les salaires que le nombre de forces de travail employées puisque le salaire n’est pour les capitalistes qu’un facteur de dépense. […] Cependant l’explication de l’existence des crises par des salaires trop bas et l’ « insuffisance de la demande » qui en résulte est insatisfaisante : les salaires sont toujours moins élevés que la valeur totale des produits » (MH, Critique…, p. 227-228). Il faut donc intégrer « la demande investissements » qui est « une variable déterminante » (MH, Critique…, p. 228).

« À une production tendanciellement illimitée fait face une consommation fondamentalement limités (non par les besoins mais par la logique de valorisation). Il en résulte une tendance à la surproduction de marchandises (surproduction par rapport au pouvoir d’achat) et à la suraccumulation de capital (de capital accumulé qui ne se valorise plus ou très mal), ce qui mène finalement à des crises » (MH, Critique…, p. 228-229).

Et c’est le grand intérêt des « schémas de la reproduction » que Marx établit dans le Livre II : la demande de la consommation ne suffit pas à analyser la crise, il faut examiner s’il y a équilibre entre la demande de biens de consommation en provenance de la section des biens de production et la demande de biens de production en provenance de la section des biens de consommation[12].

Mais Heinrich note que « les crises n’ont pas qu’un aspect destructeur. Pour le système capitaliste pris dans sa totalité, elles sont plutôt « productives » : la destruction du capital peu rentable réduit la production et la dévaluation du capital en fonction, et la baisse des salaires accroît le taux de profit pour les capitaux restants. Finalement, les intérêts baissent à nouveau puisque la demande en capital emprunté est réduite. L’ensemble crée les conditions d’un nouveau sursaut qui est souvent accompagné d’innovations techniques : une demande accrue de nouvelles machines stimule l’investissement dans la section I (la section consacrée à la production des moyens de production), et l’emploi d’une plus grande quantité de forces de travail a pour conséquence d’accélérer l’accumulation dans la section II (de production de moyens de consommation). Mais ce sursaut culminera finalement dans une prochaine crise. » (MH, Critique…, p. 229). C’est la raison pour laquelle Heinrich affirme qu’il n’a pas chez Marx une théorie de l’effondrement, car on ne trouve qu’une seule occurrence en faveur de la thèse de l’effondrement, dans les Grundrisse, et que ne rependra jamais Marx ultérieurement (MH, Critique…, p. 233)[13].

On le voit, les thèses de Marx pensées comme une critique de l’économie politique annoncent simultanément beaucoup de celles que développera le keynésianisme. Et c’est le moment d’examiner ce qu’en pense Joan Robinson.

2. Joan Robinson : oui mais à Marx

Joan Robinson (1903-1983) était une économiste britannique qui fut l’une des fondatrices du courant que l’on appelle post-keynésien. Elle fut membre du cercle d’économistes entourant Keynes, avec notamment Kaldor, Kahn, Sraffa, au moment de la préparation et de la discussion du la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaiede celui-ci, auxquelles elle prit une part décisive. On lui doit aussi des analyses originales sur la concurrence imparfaite et l’accumulation du capital[14], toutes critiques de la théorie néoclassique. C’est aussi elle qui démontra l’inanité de la notion de fonction de production, comme celle de Cobb-Douglas[15], si prisée par les néoclassiques. Son parcours est étonnant car, comme Keynes, elle fut formée à l’école d’Alfred Marshall et d’Arthur Pigou, maîtres incontestés au début du XXe siècle de l’orthodoxie néoclassique. Et c’est en découvrant le travail de l’économiste polonais Michal Kalecki[16]qu’elle décida de se plonger dans celle-ci, dont elle tira son Essai sur l’économie de Marx. Elle s’était aperçue que Kalecki avait forgé avant Keynes, à partir des schémas de la reproduction de Marx, le concept de « demande effective ». C’est le début pour elle d’un compagnonnage marxo-kalaecko-keynésien, non exempt de critiques envers Marx mais permettant de sortir celui-ci de l’opprobre dont la majorité des économistes le couvrait.

Dans l’avant-propos de son Essai, Robinson annonce le but de son entreprise : « Mon intention est donc d’expliquer ce que je comprends de Marx dans un langage intelligible à l’économiste universitaire. » (p. 50). Et dans la préface à la seconde édition, elle résume les principales remarques qu’elle adresse à Marx et qu’elle va détailler ensuite dans l’ouvrage. Selon elle, l’appareil analytique de Marx souffre de plusieurs défauts. En particulier, si Marx a « une analyse pénétrante de l’exploitation » (p. 36), elle pèche par sa vision des salaires en distinguant capital constant et capital variable, « distinction qui appartient au plan métaphysique de sa pensée » (p. 39). Elle souligne cependant que « les outils intellectuels de Marx sont bien plus rudimentaires [que ceux des néoclassiques], mais son sens de la réalité est bien plus robuste, et son propos culmine au-dessus de leurs controverses alambiquées par sa grandeur simple et sobre » (p. 54).

Elle commence par donner au lecteur quelques définitions de base permettant de se familiariser avec le vocabulaire de Marx tout en établissant si possible une passerelle avec  les autres lectures de l’économie. Produit net pour valeur ajoutée, capital constant pour les équipements productifs, capital variable pour les salaires, surplus pour les profits. La proximité s’arrête là car elle va soulever plusieurs problèmes concernant notamment la valeur, les salaires et la dynamique du capitalisme[17].

1) La valeur : une métaphysique ?

Dans son troisième chapitre, Robinson juge que la théorie de la valeur-travail de Marx passe « du dogmatisme simple du premier volume du Capital aux formulations alambiquées du volume III » (p. 62). Elle estime « purement dogmatique l’assertion » de Marx selon laquelle « il faut réduire les valeurs d’usage à quelque chose qui leur est commun et dont elles représentent une quantité plus ou moins grande » (p. 64). Pourquoi selon elle ? Parce que « c’est une pure question de définition » (p. 66). En effet, dit-elle, « quel est le rapport de la valeur au prix ? » (p. 66). « Marx doit considérablement triturer la définition de la valeur pour maintenir que les prix tendent à correspondre aux valeurs » (p. 67). Et « le problème principal, Marx ne tente même pas d’en parler dans le Livre I. Il vient de la tendance du taux de profit à s’égaliser entre les différents secteurs. […] Dans le Livre I, Marx laisse cette question sans réponse. Dans le Livre III, il montre que le capital par travailleur varie selon les conditions techniques, alors que la concurrence entre capitalistes tend à établir un taux de profit uniforme. Le taux d’exploitation, par conséquent, ne peut pas être uniforme, et les prix relatifs ne correspondent pas aux valeurs. » (p. 68).

En quelques lignes, Robinson conteste à la fois la méthode de Marx et la logique de son argumentation. D’une part, elle récuse ce qui aux yeux de Marx était essentiel, à savoir découvrir le principe nécessairement abstrait qui préside aux échanges. Tout au plus,  Robinson voit dans le travail une unité de mesure, pourtant bien incommode selon elle. Ce jugement de Robinson appelle une première  remarque : Marx sépare, comme nous l’avons vu avec Heinrich, le début du Livre I des développements du Livre III, parce qu’il ne s’agit pas à ce stade de proposer une théorie des prix relatifs, mais de trouver le dénominateur commun de l’ensemble de la structure sociale, dans laquelle la division du travail s’approfondit sans cesse. Il est vrai qu’avec l’énoncé du Livre I selon lequel c’est le travail socialement nécessaire qui constitue le fondement  de la valeur, on ne sait pas encore que Marx entendra dans le Livre III ce concept comme incluant la péréquation du taux de profit résultant de la réallocation permanente du capital entre les secteurs capitalistes. Autrement dit, Robinson fait un reproche à Marx contestable puisque la formation d’un taux de profit moyen dans l’économie qui résulte du processus d’ensemble du capital » (Livre III) ne peut être comprise qu’après avoir analysé le processus de production du capital (Livre I) et le processus de circulation du capital (Livre II). Ainsi, successivement : comment le capital est-il produit (par la plus-value), comment il circule dans les branches, comment la dynamique du capital se reproduit mais de manière contradictoire ? Or, Robinson fait comme si la problématique de Marx était encore celle des classiques qui, eux, s’évertuaient à trouver une théorie micro-économique des prix, ou même comme Ricardo un « étalon invariable des valeurs ».

D’autre part, Robinson conteste une hypothèse de Marx : il raisonne en postulant un taux d’exploitation de la force de travail uniforme dans l’économie. Marx, dit-elle « s’est empêtré lui-même dans cette difficulté artificielle » car « il n’y a pas de justification à cette hypothèse. Si les salaires sont égaux dans tous les secteurs, le surplus par travailleur (le taux d’exploitation) varie avec la productivité nette par travailleur et, en général, celle-ci est plus élevée lorsque le capital par travailleur est plus élevé. » (p. 69). Un point méthodologique doit être clarifié ici pour distinguer deux problèmes que Robinson mélange dans son objection. Le taux d’exploitation rapporte la plus-value au capital variable, c’est-à dire au salaire ; donc, d’un point de vue statique, on peut très bien avoir un taux d’exploitation uniforme et une différence de salaire entre les secteurs si celle-ci s’accompagne d’une différence de surplus proportionnelle ; et, en dynamique, on peut imaginer que la plus-value varie dans le même sens que le salaire. Il semblerait même que Marx ait répondu par avance à l’objection :

« L’égalisation des salaires et des journées de travail – et par conséquent des taux de plus-value – entre diverses branches de la production, voire entre divers capitaux investis dans une même sphère de production, est certes freinée par toutes sortes d’obstacles locaux ; néanmoins elle s’opère toujours davantage à mesure que la production capitaliste se développe et que tous les rapports économiques sont subordonnés à ce mode de production. […] Dans ce genre d’analyses, on suppose toujours que les conditions réelles correspondent à leur concept, ou ce qui revient au même, ces conditions ne sont exposées que dans la mesure où elles sont typiques pour propre cas général. La différence des taux de plus-value et, par conséquent des degrés d’exploitation de la force de travail, variables suivant les pays, n’entre pas dans le cadre de la présente étude. »[18]

L’objection de Robinson n’est donc pas techniquement très solide, mais, sans doute, sa pensée profonde est que « le fait de l’exploitation rend le profit possible, mais il n’y a pas de raison de traiter le taux d’exploitation comme antérieur, logiquement ou historiquement, au taux de profit » (p.70). On reconnaît là exactement la discussion examinée longuement plus haut à propos de l’opposition entre « valeur déjà créée avant que la marchandise soit vendue » et « valeur dont l’origine est certes dans le travail mais qui n’a de constance réelle que par la validation sociale sur le marché ». Robinson ramène donc Marx à un niveau épistémologique qu’il s’est justement évertué à dépasser, ce que nombre de marxistes ultérieurs n’ont pas vu ou voulu voir[19]

Pour l’instant, disons que sa formule « l’exploitation rend le profit possible » correspond exactement à l’esprit du Livre I, mais qu’elle entre en contradiction avec ce qu’écrit Robinson ensuite : « Que nous choisissions de dire que le capital est productif, ou que le capital est nécessaire pour rendre le travail productif, cela n’a pas grande importance. » (p.71). On voit par là la limite d’une analyse strictement économique, voire comptable, alors que l’enjeu est de dénicher les rapports sociaux derrière les éléments techniques[20]. De la même façon, il se pourrait bien que Robinson se fourvoie quand elle anticipe les propos de beaucoup d’écologistes actuels en assénant : « Il est certain que la négligence de l’agriculture dans les Écritures de Marx est en partie responsable de leur piètre performance en pratique. Le refus d’attribuer une valeur aux ressources naturelles engendrerait, selon des critiques d’aujourd’hui, une grande inefficacité dans la planification » (p. 198). À l’exception de l’économie politique et de sa critique marxienne, la confusion entre richesse et valeur et le non-sens de la « valeur économique intrinsèque de la nature » parcourent la quasi-totalité de la théorie économique, le post-keynésianisme de Robinson inclus[21].

D’ailleurs, Robinson poursuit immédiatement en infirmant presque son propos antérieur :

« Ce qui est important est d’affirmer que posséder du capital n’est pas une activité productive » (p. 71). Pour aussitôt effectuer une nouvelle volte-face. « La productivité croissante du travail sous le capitalisme donne lieu à une réelle ambiguïté dans le langage de Marx. En mesurant le produit en terme de valeur, il court-circuite le problème de la construction d’un indice agrégé. […] Tant que le nombre d’heures travaillées, d’intensité donnée, est constant, la valeur totale créée chaque année est constante. Mais avec le temps, le produit en termes réels s’accroît. La valeur des marchandises diminue continûment et, si les salaires réels restent constants, la valeur de la force de travail diminue également. Donc le pouvoir d’achat, en termes de force de travail, d’un capital variable d’une valeur donnée augmente. Choisir une mesure du produit réel implique nécessairement un certain arbitraire, et le problème n’est pas résolu en raisonnant en termes de valeur, car le taux de conversion entre la valeur et le produit change constamment. » (p. 73).

Le problème logique que soulève Robinson, mais qu’elle ne résout pas, est qu’on ne peut pas, d’un côté, définir le salaire réel comme son pouvoir d’achat et comme la valeur de la force de travail à un moment donné, et, de l’autre, faire diverger au même instant salaire réel et pouvoir d’achat rendant inopérant le concept de valeur de la force de travail et, au-delà, le concept de valeur lui-même. Robinson a raison si l’on s’évertue à considérer la valeur comme le nombre d’heures de travail incorporées. Mais le problème se résout dès lors que la valeur des marchandises, donc du produit, ne peut s’entendre que monétairement et non pas en nombre d’heures, c’est-à-dire qu’elle est « passée » par le marché pour être socialement validée, véritablement pour exister réellement. Cela signifie que la quantité de travail socialement nécessaire doit être entendue comme l’équivalent monétaire de la quantité de travail socialement nécessaire. Il en est de même pour la valeur de la force de travail : jamais Marx n’a considéré les salaires autrement que monétairement.

Robinson pense étayer sa démonstration ainsi : « Postulons un salaire horaire nominal constant. Alors, si les salaires réels sont constants, les prix doivent l’être également […]. À temps de travail donné, à mesure que le produit réel qui en est tiré augmente, un taux constant de création de valeur (v+s) a pour contrepartie une masse croissante de monnaie, et la valeur d’une unité de monnaie diminue. Le taux d’exploitation croissant se traduit alors par un v constant et un s croissant en termes de monnaie. » (p. 73-74). La difficulté méthodologique précédente réapparaît ici : pourquoi Robinson assimile-t-elle l’hypothèse, certes simplificatrice à l’échelle de l’économie, d’uniformité du taux d’exploitation en un instant donné à sa fixité dans le temps ? Que sont le v constant et le s croissant de Robinson sinon le renforcement du taux d’exploitation de Marx ? Il est donc malvenu de critiquer celui-ci qui n’a cessé de faire l’inventaire de toutes les façons qu’ont les capitalistes pour augmenter de manière absolue et manière relative la plus-value. D’ailleurs, dans une de ses annexes intitulée « Le marxisme comme religion et comme science », Robinson touche sans aucun doute juste quand elle critique les marxistes ayant discouru sur la baisse absolue ou relative des salaires : « Si Marx avait vraiment voulu prédire que le taux d’exploitation augmenterait dans une certaine mesure, mais beaucoup moins que la productivité, ce qui donnerait lieu à une hausse significative des salaires réels, il aurait pu le dire directement. » (p. 199). Il me semble que cette possibilité est plus qu’implicite dans la notion de plus-value relative.

Dès lors, si l’on prend au pied de la lettre le propos de Robinson au sujet de la discussion sur le travail productif qui « n’a[urait] pas grande importance », on peut démontrer que, quelle que soit l’unité de mesure, la part des salaires dans la valeur nette v / (v+s) est toujours égale à 1 / (1 + taux de plus-value)[22]. Qu’on exprime la plus-value en heures de surtravail et les salaires en travail nécessaire à l’échelle de l’économie ou qu’on les exprime en monnaie, ce rapport restera le même.

Dans un appendice à ce chapitre intitulé « La valeur dans une économie socialiste », Robinson soutient que Marx considère que « sous le socialisme, les revenus de la propriété seront abolis et que chaque individu recevra une part du produit total correspondant à la contribution qu’il a lui-même apportée  […] et qu’il faudrait faire correspondre les prix aux valeurs des marchandises » (p. 78 aussi p. 46). On ne peut lui en faire grief, mais Robinson n’a sans doute pas lu la Critique du programme de Gotha[23], dans laquelle Marx s’emporte contre ces vues de l’esprit des socialistes allemands qui, notamment, font l’impasse sur l’investissement nécessaire[24].

La conclusion de Robinson de son chapitre sur la valeur est nette : « aucun argument substantiel de Marx ne dépend de la théorie de la valeur-travail » (p. 76). En paraphrasant Galilée, on pourrait dire : « et pourtant, le travailleur travaille… ».

2) L’influence des salaires réels ou l’ambiguïté de Marx

On vient de le voir, le questionnement de Robinson sur la théorie de la valeur l’a conduite à remettre en question la conception des salaires de Marx. Dans le dixième chapitre de son livre, elle y revient et demande : « Comment une variation des salaires nominaux affecte-t-elle les salaires réels ? Et comment une variation des salaires réels affecte-elle l’emploi ? Sur ces questions Marx et l’économiste orthodoxe sont d’accord, et c’est des deux ensemble que s’écarte la théorie contemporaine. » (p. 140). 

La réponse orthodoxe est que la hausse des salaires réels réduit la production et l’emploi. Et, pour Marx, la hausse des salaires réels contracte le profit et donc ralentit le rythme de l’accumulation ; par suite, l’augmentation de l’armée de réserve provoque une nouvelle baisse des salaires réels. Mais Robinson croit déceler chez Marx une confusion entre un cycle long et un cycle des affaires : « La confusion entre ce cycle long, qui serait possible dans un monde soumis à la loi de Say, et le cycle court de la demande effective, explique l’attitude ambiguë de Marx envers le problème de la sous-consommation. Il accepte parfois la loi de Say et parfois la rejette. On suspend la loi de Say, la demande effective domine – la pauvreté des travailleurs est la cause ultime de toutes les crises. Sortirait-on donc de la crise en augmentant le pouvoir d’achat des travailleurs ? On réintroduit la loi de Say, et la réponse est non. La production totale étant donnée, des salaires réels plus élevés impliquent des profits plus bas, et des profits plus bas – de nouveau en retirant la loi – impliquent une crise. » (p. 144).

Ainsi, Robinson pointe une contradiction dans le fait que Marx admet qu’une hausse de la consommation consécutive à la hausse des salaires entraîne une baisse correspondante dans la consommation de biens de luxe et de biens de production, laissant la production totale inchangée, conformément à loi des débouchés de Say. De ce fait, selon Robinson, Marx ne devrait plus soutenir que « la hausse des salaires entraîne une crise » (p. 146) sous peine d’incohérence.

Il reste à examiner « l’effet de la hausse des salaires nominaux sur l’emploi [qui] est extrêmement difficile » (p. 148). Parce que la concurrence est imparfaite, « beaucoup de prix ne réagissent pas immédiatement à une variation du coût salarial. C’est en général le cas des loyers, qui jouent un rôle important dans la valeur réelle du salaire nominal. Il paraît donc raisonnable de supposer qu’après une hausse des salaires nominaux, normalement les salaires réels augmenteront, au moins pour un certain temps. » (p. 148). La conclusion de Robinson est alors résolument keynésienne : puisque la hausse des salaires stimule la consommation, il est plus vraisemblable que l’investissement et l’emploi soient stimulés plutôt que de voir une crise. Ainsi se noue une « relation curieuse » (p. 149) entre Keynes et Marx : « Marx, comme les économistes orthodoxes, soutient qu’une hausse des salaires nominaux entraîne une hausse des salaires réels, et qu’une hausse des salaires réels engendre du chômage. Keynes soutient qu’une hausse des salaires nominaux a peu d’effet sur les salaires réels, mais qu’une hausse des salaires réels tend à accroître l’emploi. Ils tombent tous deux d’accord qu’une hausse des salaires nominaux serait peu utile en temps de crise, Marx parce qu’il pense que cela augmenterait les salaires réels, Keynes parce qu’il pense que cela ne les augmenterait pas. Mais ils sont en désaccord complet sur l’effet d’une baisse des salaires nominaux lors d’une crise. Pour Marx, elle apporte un soulagement temporaire et permet à l’expansion de reprendre son cours « dans les limites capitalistes », alors que pour Keynes, cela ne peut que nuire. » (p. 149-150). Partant de cette divergence entre Marx et Keynes, il restera à examiner comment Robinson voit la dynamique du capitalisme analysée par Marx.

Dans une annexe intitulée « Marx et l’économie moderne », Robinson revient encore sur la séparation de Marx entre travail nécessaire et surtravail, en disant que « le modèle de Sraffa de 1960[25] coupe court à ces difficultés » (p. 212) ou qu’il a résolu « le fameux problème de la transformation des valeurs en prix » (p. 38). Là où Robinson a en partie raison même si sa formule ne convient pas : « la transformation va des prix aux valeurs, non l’inverse » (p. 39). On ne peut connaître l’équivalent monétaire du travail socialement nécessaire qu’après coup, mais, d’une part, il n’y a pas plus de séquences temporelles dans un sens que dans l’autre, et, d’autre part, le moment où l’on prend la mesure de cette équivalence n’efface pas le travail qui a été effectué auparavant ni le surtravail prélevé.

Surtout, elle n’a pas vu que si Sraffa peut calculer un système de prix à partir des seules données physiques des marchandises nécessaires à la production, sans passer donc par les valeurs-travail, c’est parce qu’il a adopté implicitement une hypothèse d’état stationnaire où les conditions de production se reproduisent à l’identique d’une période à l’autre[26]. Raison de plus d’examiner la dynamique du capitalisme.

3) La dynamique du capitalisme et ses conséquence sur l’emploi

Ce point est présent dans plus de la moitié de l’ouvrage de Robinson et occupe entièrement les chapitres 4, 5, 6, 8, 10 et 11. Sur cet aspect essentiel, elle adresse encore à Marx des observations méthodologiques et théoriques. Elles portent sur le taux de profit, la théorie de l’emploi et celle de la demande effective ; en un mot, comment évolue le capitalisme ? On va le voir, l’analyse de Robinson est dans la suite logique de ses remarques critiques sur la valeur.

            a) Dans l’équation simple de Marx, la valeur = c + v + s, Robinson lui objecte de confondre flux de capital et stock de capital (p. 59, aussi p. 40 et 160), ce qui rend imprécise la notion de composition organique du capital. Ce reproche est incompréhensible puisque Marx distingue clairement les deux :

« Ce qui est comparé à la valeur du produit, c’est la valeur des éléments de production consommés pour sa formation. Or nous avons vu que la partie du capital constant employé, composée des moyens de travail, ne donnait qu’une fraction de sa valeur au produit, tandis qu’une autre fraction perdurait sous son ancienne forme d’existence. Comme cette dernière fraction ne joue aucun rôle dans la constitution de valeur, il faut en faire abstraction ici. En tenir compte dans le calcul ne changerait rien. Supposons que c = 410 £, dont 312 £ de matériau brut, 44 £ de matières auxiliaires et 54 £ de machinerie s’usant dans le procès, mais que la valeur de la machinerie réellement employée se monte à 1 054 £. Comme avance génératrice de la valeur du produit, nous ne comptons que la valeur de 54 £ que la machinerie perd à fonctionner et confère par conséquent au produit. »[27]

            b) Cependant, là n’est pas le plus important. Robinson mène une discussion approfondie des relations entre le taux de plus-value et le taux de profit, c’est-à-dire entre le surplus net par travailleur et le capital employé, et aussi entre l’accroissement de la productivité du travail et l’emploi pour un volume de capital employé. Et c’est ici que la question des salaires discutée auparavant va être cruciale. Robinson reproche à Marx de ne pas avoir anticipé « la tendance significative à la hausse des salaires réels sous le capitalisme » (p. 87). A-t-elle raison ? Si l’on se rapporte au texte du Livre I dont elle donne la référence elle-même, Marx répond, en quelque sorte par avance :

« La valeur de la force de travail est déterminée par la valeur d’un quantum déterminé de moyens de subsistance. Ce qui change en même temps que la force productive du travail, c’est la valeur de ces moyens de subsistance, et non leur masse. La masse proprement dite peut, tandis que s’accroît la force productive du travail, croître en même temps pour le travailleur et pour le capitaliste dans une proportion identique, sans qu’il y ait le moindre changement de grandeur entre le prix de la force de travail et la survaleur. »[28]

Robinson considère que Marx reste prisonnier de l’idée que les salaires restent et resteront fixés au niveau du plancher du minimum de subsistance, tandis que le niveau supérieur dépendra du rapport de force entre travailleurs et capitalistes. Elle précise même que « lorsque Marx fait référence à un élément « historique et moral » dans la détermination du salaire de subsistance, on pense souvent que cela signifie que la valeur du travail tend à augmenter, à mesure que le capitalisme se développe, avec le niveau de vie ordinaire. Je ne vois pas de justification à cette interprétation, et si elle était adoptée, elle réduirait à la circularité le propos de Marx, car ce serait le niveau des salaires réels qui déterminerait la valeur de la force de travail. » (p. 85, note 79). Je ne vois pas la circularité dont parle Robinson, parce qu’il n’y a pas, à mon sens, de « détermination » ni dans un sens ni dans l’autre ; Marx définit – et non pas détermine – le salaire comme la valeur de la force de travail, celle-ci étant déterminée par deux facteurs mêlés : la valeur des biens de subsistance nécessaires et l’état de la lutte de classes. C’est lui qui a rompu la circularité dans laquelle s’était enfermé Adam Smith pour qui le salaire dépendait du prix du blé et le prix du blé dépendait du salaire. La rupture est intervenue avec l’invention du concept de force de travail. Il est d’ailleurs symptomatique que Robinson parle ici tantôt de valeur du travail, tantôt de valeur de la force de travail, à moins que ce soit un défaut de traduction.

            c) L’examen de ladite loi de la baisse tendancielle du taux de profit est, on s’en doute, le passage obligé d’une critique portée à Marx. À bon droit, compte tenu des remarques déjà notées dans la première partie de ce texte consacrée à Heinrich. Mais à condition d’en restituer fidèlement les éléments. Par exemple, en ne faisant pas de la baisse du taux de profit « un phénomène de profits décroissants » (p. 90, aussi p. 92 et 20 dans la citation donnée par son traducteur). La première objection à cette « loi » est de dire « qu’il est possible que, tout compte fait, pour chaque unité de produit, les inventions réduisent le coût du capital autant que le coût du travail, car il est possible qu’elles améliorent l’efficacité du travail dans la production de machines autant que dans leur utilisation » (p. 90). Or, comme le reconnaît Robinson, c’est précisément la troisième cause qu’énumère Marx qui joue en sens contraire de la baisse du taux de profit[29]. Mais, ajoute-t-elle aussitôt, il s’agit d’une « tautologie » (p. 91). Pire, la baisse du rapport s / (c+v) entre en contradiction avec le fait que, pour un taux d’exploitation constant, « les salaires réels tendent à s’accroitre avec la productivité » et donc « le travail reçoit une proportion constante d’un total croissant » (p. 91). Robinson a raison si, dans le même temps, le capital avancé reste constant. Or, justement, il avance sur le long terme, nous répète Marx, donc, sous réserve que la composition organique du capital augmente en valeur (ce qui n’est pas toujours le cas, redit Marx), l’objection de Robinson tombe.          

La discussion rapportée plus haut sur l’évolution des salaires réels est reprise par Robinson : « Avec des salaires réels constants, lorsque le capital par personne s’accroît, le taux de profit s’accroît ou non, selon que le ratio de la hausse relative du produit à la hausse relative du capital excède ou non la part du profit dans le produit » (p. 92, souligné par moi). On reste donc dans le cadre d’une analyse de « tendances » et de « contre-tendances ». 

Mais Robinson va plus loin car « si le savoir se développe à mesure que le capital s’accumule, la tendance aux rendements décroissants n’est pas nécessaire. Or avec des rendements constants la baisse tendancielle du taux de profit est impossible – toujours dans l’hypothèse où l’on ignore le problème de la demande effective. Ce qu’on peut dire tout au plus, c’est que les profits peuvent baisser dans certaines périodes, lorsque le capital par personne s’accroît très vite par rapport au progrès technique. Du point de vue de Marx, néanmoins, le savoir technique n’est pas un facteur indépendant, et une accumulation rapide stimule vivement les inventions économes en travail. » (p. 93). Mais en quoi cet argument réfute-t-il Marx ? Si l’on raisonne, comme le suggère Robinson, dans une économie macroéconomiquement à rendements constants, une part des profits dans le produit qui s’élève (baisse) signifie une part des salaires qui diminue (augmente). Dès lors, on peut comprendre l’attachement de Marx à décortiquer le phénomène dit de plus-value relative. Et le traducteur de Robinson, Ulysse Lojkine, ne manque pas de relever : « Il est remarquable en ce sens que Joan Robinson, si habile à dénicher des passages méconnus des Livres II et III, ne commente pas la section centrale du Livre I du Capitalconsacrée à la survaleur relative. » (p. 27 de la préface). En outre, si les inventions économisent du travail, il s’agit d’une cause de l’augmentation de la productivité du travail. Faire comme si Marx ignorait la productivité du travail est alors pour le moins curieux.

Cette curiosité se comprend avec la suite avancée par Robinson : « De plus, c’est précisément le but de tout l’appareil de la théorie de la valeur de refuser d’attribuer une productivité au capital. Elle ne laisse pas de place au concept de productivité marginale d’un facteur de production. Une théorie de la baisse de productivité marginale du capital serait bien loin de celle de Marx. » (p. 93). Au moins trois remarques peuvent être faites à cet endroit. Premièrement, la mesure de ladite productivité du capital chère aux néoclassiques est l’inverse mathématique du coefficient de capital (capital/produit), qui, lui, a un sens en économie hétérodoxe. Deuxièmement, invoquer la baisse de la productivité marginale du capital à l’échelle microéconomique dans un régime à rendements constants macroéconomiquement est l’une des faiblesses de la théorie néoclassique. Troisièmement, ici, Keynes se révèle supérieur à Robinson, en balayant la notion de facteur de production, dont Say fut le promoteur inlassable.

Que reste-t-il alors de la discussion sur le taux de profit menée par Robinson ? Elle ne conteste pas qu’il existe des tendances et des contre-tendances (p. 94). Sa critique essentielle qu’elle résume dans la préface à la seconde édition de son Essai est de considérer incompatibles trois phénomènes que Marx retient : stagnation des salaires réels, taux d’exploitation constant et hausse de la composition organique du capital. Sa conclusion est que « dans les économies industrielles développées, les données disponibles ne semblent pas indiquer clairement de biais persistant de l’accumulation vers les méthodes plus intensives en capital. » (p. 41). Quid de l’accumulation du capital alors et de ses crises ?

c) La réponse ne peut être recherchée qu’en introduisant la « demande effective ». C’est le cœur de l’analyse keynésienne, et Robinson loue Marx d’en avoir percé le secret à l’aide d’un « raisonnement simple et judicieux » (p. 99), qu’il nomme les schémas de la reproduction » dans le Livre II[30]. Non seulement, dit-elle, « Marx était sur la voie de l’idée selon laquelle les variations de l’investissement sont la clef du cycle des affaires » (p. 102), mais il montre que l’absence d’équilibre [entre les sections de biens de production et de biens de consommation] est la cause des crises, ce qui constitue une menace permanente à la stabilité du système » (p. 104).

Robinson esquisse un scénario qui aurait pu être développé par Marx s’il avait développé son intuition de l’incitation à investir. La consommation des travailleurs est limitée par leur pauvreté, entraînant une contraction de la demande de biens de production ; il s’ensuit que le capital constant des industries de consommation n’augmente pas suffisamment pour absorber la production de biens de production. La répartition entre salaires et profits (défavorable aux salaires) est donc bien à la source du « déséquilibre entre les deux groupes d’industrie » (p. 106). « Si les capitalistes étaient toujours prêts à investir leur surplus sous forme de biens capitaux, indépendamment de la perspective du profit, la production de capitaux compenserait l’écart entre consommation et capacité de production » (p. 107). Autrement dit, si les capitalistes n’étaient pas des capitalistes… ? Robinson répond : « Pour boucler le raisonnement, il faut donc montrer que l’investissement dépend du taux de profit, et que le taux de profit dépend, en dernière instance du pouvoir d’achat. En somme, il faut avancer une théorie du taux de profit fondée sur le principe de la demande effective. » (p. 107). Il reviendra à Kalecki de préciser, sinon d’inverser, le raisonnement : le profit se hisse à hauteur de l’investissement, ce que Kaldor exprimera par « les travailleurs dépensent ce qu’ils gagnent, les capitalistes gagnent ce qu’ils dépensent ».

Qu’est-ce qui, dans ce « bouclage du raisonnement » ne figure pas dans les schémas de la reproduction élargie ? Les keynésiens ne pensent-ils pas trop souvent redécouvrir ce que Marx avait vu ? En revanche, et sur ce point, il faut sans doute donner raison à Robinson, Marx ne réussit pas à (ou n’a pas eu le temps d’) articuler la possibilité du déséquilibre entre pouvoir et vouloir d’achat explicite dans ses schémas du Livre II avec son analyse de la baisse du taux de profit du Livre III. Aussi, dit-elle, « Keynes donne un fondement à l’intuition de Marx selon laquelle l’écart chronique entre le pouvoir de produire et celui de consommer est la racine profonde des crises » (p. 128).

Il existe donc un point de rencontre entre Marx et Keynes, explique Robinson : « c’est le taux d’investissement qui détermine le taux d’épargne et non l’inverse. […] Le raisonnement développe l’analyse de la reproduction dont Marx avait posé le fondement en termes d’équilibre entre le secteur des biens de consommation et celui des biens d’investissement. En particulier, le raisonnement de Keynes conforte l’énoncé de Marx, selon lequel l’excès de survaleur par rapport à la consommation des capitalistes (le taux d’épargne) est borné par la somme des dépenses en nouveaux biens capitaux (investissement domestique), l’excès des exportations sur les importations (investissement étranger) et la production d’or. La théorie keynésienne élabore de nouveaux raffinements et complications, comme l’effet de l’épargne des travailleurs, des allocations chômage et de l’endettement public, négligés par Marx. Mais ces grandes lignes apparaissent déjà dans l’analyse, chez Marx, de l’investissement comme « achat sans vente » et de l’épargne comme « vente sans achat ». […] Si Marx lui-même ne s’intéressait pas à l’analyse monétaire du taux d’intérêt, elle n’est pourtant pas incompatible avec son système. À la « théorie quantitative de la monnaie », […] il opposait que la quantité de monnaie en circulation est déterminée par la demande de monnaie – c’est-à-dire des habitudes commerciales, l’état de l’activité et le niveau des prix. La différence entre la monnaie en circulation et la monnaie existante est absorbée par la « thésaurisation ». Lorsque la demande de monnaie en circulation s’accroît, la thésaurisation se réduit. Sur ce point Keynes est en accord rigoureux avec Marx. […] La théorie de Keynes donne un fondement solide à la thèse de Marx : « « la véritable barrière de la production capitaliste c’est le capital lui-même » » (p. 123-129[31]).

Conclusion

 Pour parler de Marx, il faut partir des points qu’il avait choisis : l’historicisation des catégories et la valeur. D’abord, aussi bien Heinrich que Robinson marquent la première rupture accomplie par Marx : les catégories économiques ne sont pas universelles, elles sont une construction sociale. Mais, alors que le premier se situe dans le fil de la pensée de Marx concernant le dépassement des contradictions du capitalisme par le socialisme et le communisme, la seconde opte pour la mise en place de nouvelles règles de gestion du capitalisme. Comme le remarque Ulysse Lojkine dans sa préface à l’Essai de Robinson, « nous atteignons ici le point le plus difficile du débat, car à la question philologique sur le texte de Marx et son sens, à la question analytique sur la cohérence de telle ou telle représentation formelle des échanges dans une société capitaliste, s’joute désormais la question proprement philosophique sur les catégories à employer pour penser une totalité sociale prise dans un processus de transformation historique endogène » (p. 25).

Ensuite, la valeur est le passage obligé des commentaires et/ou des critiques. La valeur, non pas tant comme une théorie explicative des prix relatifs (encore qu’elle surpasse sur ce plan-là toutes les théories orthodoxes) que comme médiatrice des rapports économiques, qui eux-mêmes représentent l’état des rapports sociaux et de la division du travail. C’est bien sûr le point de vue de Michael Heinrich. Est-ce celui de Joan Robinson ? En apparence, non, puisqu’elle juge cette théorie de Marx purement métaphysique, mais, finalement, elle admet que « la part des travailleurs dans le produit dépend de leur pouvoir de négociation » (p. 138). N’est-ce pas une manière quelque peu euphémisée de remettre la lutte des classes au centre de la discussion ?

Ainsi, parmi les dernières questions que pose Joan Robinson, il y a celle-ci : « Si le problème de la marge du profit pouvait être résolu, cela isolerait un facteur majeur de la distribution du revenu social entre les classes, et ce serait un préalable à une enquête sur les déterminants du taux de profit sur le capital. Il est possible, cependant, qu’une telle analyse ne suffise pas à percer le mystère des parts constantes du capital et du travail, et qu’une méthode entièrement nouvelle soit nécessaire à sa résolution. » (p. 151-152, souligné par moi). Le mystère se dissipe si l’on voit que, sur une longue période, le rapport de forces entre travail et capital est assez stable.

Dans sa préface, Ulysse Lojkine, avait d’ailleurs ouvert la discussion en disant qu’il « fallait considérer la forme valeur comme une forme sociale contradictoire tendant à sa propre abolition, et non simplement, comme chez Robinson, comme une unité de mesure convertible dans d’autres unités et applicable à différents modes de production. » (p. 27). En effet, pour les besoins de ses démonstrations, Robinson réduit toujours la théorie de la valeur de Marx à « une théorie du prix relatif des marchandises » (p. 35).

Ce qui nous ramène à Michael Heinrich dont une grande part du propos consiste à expliciter la partie la plus énigmatique du Capital, celle qui cherche à forger l’idéal-type du capital, au sens de Max Weber, avant d’en voir le développement historique concret. Si l’on voulait paraphraser Jean Jaurès, on pourrait dire : « un peu de théorie éloigne de la réalité, beaucoup en rapproche ». 

Aussi, après ces longs détours, Marx et les lectures qu’on en fait peuvent-ils aider à comprendre l’évolution du capitalisme contemporain ? Baisse des gains de productivité du travail, dégradation des conditions de travail, réintroduction de mécanismes de plus-value absolue mêlés aux mécanismes de plus-value relative selon les secteurs, accumulation du capital par élargissement de l’espace de valorisation, dispersion des chaînes de valeur à l’échelle mondiale, crise écologique, voilà quelques-uns des traits du capitalisme actuel. Pour en rendre compte, les analyses qui puisent au sein du fonds marxien, que ce soit celles des post-keynésiens ou celles des régulationnistes-institutionnalistes, ne sont pas les plus mal placées face à la lobotomie opérée par la théorie néoclassique. À condition de garder en tête que la valeur est avant tout un rapport social. Un retour raisonné à Marx est donc raisonnable.

Notes

[1] La première MEGA fut commencée dans les années 1920 par le directeur de l’Institut Marx-Engels de Moscou David Borissovitch Riazanov, mais celui-ci fut fusillé sur ordre de Staline en 1938. Il fallut attendre les années 1960 pour que naisse la MEGA2 sous l’impulsion des instituts du marxisme-léninisme de Berlin-Est et de Moscou ; ce projet fut repris par la Fondation internationale Marx-Engels d’Amsterdam après la disparition de l’Union soviétique et de la RDA. Il est prévu de réunir les œuvres complètes de Marx et Engels en 114 volumes, dont un peu plus de la moitié est parue.

[2] On pourra lire aussi de M. Heinrich en complément Le Capital après la MEGA2, dans Ce qu’est Le Capital de Marx, Les Éditions sociales, 2017 (Les Parallèles /Marx 2018, traduction de Jean Quétier), p. 7-90.

[3] Dans Ce qu’est Le Capital de Marxop. cit., Alix Bouffard, Alexandre Feron et Guillaume Fondu, dans « Les éditions françaises du Capital », p. 91-145 , attirent l’attention sur la difficulté de traduire en français les termes allemands très souvent composés de deux mots assemblés, commeWertform, qui devient en français « forme-valeur » sans que l’on sache s’il s’agit de « forme de la valeur » ou de « marchandise sous forme de valeur », ou encore de Mehrwert ayant soulevé une discussion pour savoir s’il fallait traduire par « plus-value » ou « survaleur ». 

[4] K. Marx, Le Capital, Livre I, PUF, 1993, p. 44-45. Avec une version voisine dans Œuvres, Gallimard, La Pléiade, tome I, 1965, p. 566-567, mais sans la dernière phrase entre guillemets de Marx que celui-ci tire de sa Contribution à la critique de l’économie politique datant de 1859. Heinrich cite Marx p. 80 de Comment lire… Pour faire cette recension, j’ai vérifié toutes les citations de Marx, le plus souvent dans les deux sources de Lefebvre et de Rubel.

[5] K. Marx, Le Capital, Livre I, PUF, p. 120, ou La Pléiade, p. 645.

[6] A. Jappe, « Préface » à R. Kurz, La substance du capital, L’Échappée, Col. Versus, 2019, p. 21. Voir aussi A. Jappe, « Fétichisme et dynamique autodestructrice du capitalisme, entretien avec Anselm Jappe » de J.-M. Harribey, Les Possibles, n° 15, automne 2017, à l’occasion de la publication d’A. Jappe, La société autophage, Capitalisme, démesure et autodestruction, La Découverte, 2017.

[7] Par exemple, Maximilien Rubel, éditeur de Marx dans la collection La Pléiade, intitule le premier paragraphe du premier chapitre Capital, ce chapitre clé si difficile, « Les deux facteurs de la marchandise : valeur d’usage et valeur d’échange ou valeur proprement dite (substance de la valeur, grandeur de la valeur) » (La Pléiade, p. 561), alors que Jean-Pierre Lefebvre l’intitule : « Les deux facteurs de la marchandise : valeur d’usage et valeur (substance de la valeur, grandeur de la valeur) » (PUF, p. 39), en tout point conforme à l’édition originale en allemand : « Die zwei Faktoren der Ware : Gebrauchswer und Wert (Wertsubstanz, Wertgröße) ».

[8] K. Marx, Le Capital, Livre I, PUF, p. 84. C’est moi qui souligne « le caractère de valeur des choses soit donc déjà pris en considération dès leur production même. » C’est ce genre de formulation que je souligne qui peut créer l’ambiguïté, mais l’important, selon moi, est le terme « caractère », c’est-à-dire que la production de marchandises est réalisée (a fortiori dans le capitalisme) dans le but de produire de la valeur, mais, et là s’arrête l’ambiguïté, ce n’est pas à ce stade que se validera et que se mesurera cette valeur, mais dans l’échange marchand.

[9] J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Les Liens qui libèrent, 2013, p. 56 et p. 32 du fichier numérique en libre accès.

[10] K. Marx, Le Capital, Livre I, PUF, p. 98-99. M. Rubel, dans La Pléiade, p. 622, traduit l’allemand Geld par argent.

[11] V. Laure Van Bambeke, La valeur du travail humain, Essai sur la refondation de l’expression monétaire de la valeur-travail, L’Harmattan, 2021. N. Ankri et P. Marcaggi, « From Marx’s fundamental equalities to the solving of the transformation problem, Coherence of the model », 2022. Recension de la démarche de Van Bambeke dans J.-M. Harribey, « La théorie de la valeur-travail à nouveau reformulée par Vincent Laure van Bambeke », Revue d’Histoire de la pensée économique, 2022-2, n° 14.

[12] Dans les équations de la reproduction élargie de Marx, cela donne : VI + (1-aPlI = CII + PlII (où est le capital variable, C le capital constant, Pl la plus-value et la part de plus-value accumulée).

[13] Une fois de plus, Heinrich se démarque des théoriciens du courant de la « critique de la valeur », pour qui il doit y avoir nécessairement effondrement.

[14] J. Robinson, L’Économie de la concurrence imparfaite, 1933, Dunod, 1975 ; L’Accumulation du capital, 1956, Dunod, 1977. À noter qu’elle choisit ce dernier titre en hommage à Rosa Luxemburg qui avait aussi publié un livre avec le même titre en 1913 (Maspero, 1972).

[15] Dans sa version la plus simple, la fonction dite de Cobb-Douglas met en relation le volume de la production et les quantités de capital (K) et de travail (L) utilisés, associées au facteur de progrès technique (A) dont la progression est constante : Q = A. Ka. Lb , a et b mesurant les élasticités partielles de la production par rapport à chaque facteur et dont la somme est égale à 1 dans le cas d’une fonction à rendements constants qui permet de justifier que les rémunérations du travail et du capital soient égales à leur productivité marginale respective. Robinson a mis à bas cette fonction qui suppose un taux d’actualisation appliqué à un stock de capital mis en œuvre à des époques différentes ; or ce taux dérive du taux de profit que la fonction se propose justement de calculer. Logiquement impossible ou raisonnement circulaire.

[16] M. Kalecki, Selected Essays on the Dynamics of the Capitalist Economy, 1933-70, The University Press, Cambridge.

[17] Je ne suis pas toujours l’ordre des chapitres car je préfère regrouper les thématiques.

[18] K. Marx, Le Capital, Livre III, dans Œuvresop. cit., tome II, p. 936.

[19] Je signale que le concept de validation sociale est au cœur de la révision de la notion de travail productif que j’ai proposée au sujet des services monétaires non marchands ; cf. La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. ; Le trou noir du capitalisme, Le Bord de l’eau, 2021 ; En finir avec le capitalovirus, L’alternative est possible, Dunod, 2021 ; et « Dans les services monétaires non marchands, le travail est productif de valeur », La Nouvelle Revue du Travail, n° 15, 2019. 

[20] Au passage, rappelons ce que Keynes écrivait dans sa Théorie générale, op. cit, p. 223 : « Nos préférences vont par conséquent à la doctrine pré-classique que c’est le travail qui produit toute chose, avec l’aide de l’art comme on disait autrefois ou de la technique comme on dit maintenant, avec l’aide des ressources naturelles, qui sont libres ou grevées d’une rente selon qu’elles sont abondantes ou rares, avec l’aide enfin des résultats passés incorporés dans les biens capitaux, qui eux aussi rapportent un prix variable selon leur rareté ou leur abondance. Il est préférable de considérer le travail, y compris bien entendu les services personnels de l’entrepreneur et de ses assistants, comme le seul facteur de production ; la technique, les ressources naturelles, l’équipement et la demande effective constituant le cadre déterminé où ce facteur opère. » Dans La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit., j’ai commenté en détail cette affirmation de Keynes, replacée dans son contexte de la Théorie générale.

[21] Les post-keynésiens d’aujourd’hui n’ont pas encore avancé sur ce terrain-là ; voir mon La richesse, la valeur et l’inestimable, op. cit. et ma recension « L’économie post-keynésienne en bonne voie… », Contretemps, 21 novembre 2018, du livre dirigé par É. Berr, V. Monvoisin et J.-F. Ponsot, L’économie post-keynésienne, Histoire, théories et politiques, Seuil, 2018.

[22] v / (v+s) = (v/v) / (v/v + s/v) = 1 / (1 + s/v).

[23] K. Marx, Critique du programme du parti ouvrier allemand, 1875, dans Œuvres, Gallimard, La Pléiade, tome I, 1965.

[24] Robinson présente un commentaire de l’analyse de Marx de la rente différentielle de type I à l’aide d’un exemple chiffré (p. 81-82). Mais celui-ci n’est pas en mesure de rendre compte de la production capitaliste. De plus, lorsqu’elle estime que « suivre le critère de la valeur conduirait à un vain gaspillage et à une mauvaise allocation des ressources sociales entre leurs usages » (p.82), elle a encore en tête la valeur au sens de travail incorporé.

[25] P. Sraffa, Production de marchandises par des marchandises, Prélude à une critique de la théorie économique, 1960, Dunod, 1970.

[26] Voir V. Laure Van Bambeke, La valeur du travail humain, op. cit.

[27] K. Marx, Le CapitalLivre I, p. 238. Il est vrai que, dans le Livre III, quand il présente la péréquation du taux de profit, ses exemples numériques, sans doute par souci de simplification de l’exposé, résument le capital constant avancé au capital constant consommé.

[28] IbidLivre I, p. 585.

[29] Sous le titre « Baisse du prix des éléments du capital constant », K. Marx, Le Capital, Livre III, Éd. sociales, 1976, p. 231, ou dans Œuvres, tome II, op. cit., p. 1019. Marx énumère dans ce chapitre six causes pouvant contrebalancer la « loi ».

[30] Voir ci-dessus dans la recension des livres d’Heinrich.

[31] Le propos de K. Marx est dans le Livre IIIop. cit., p. 244, ou Œuvres, tome II, op. cit., p. 1032.