[RSS] Twitter Youtube Page Facebook de la TC Articles traduits en castillan Articles traduits en anglais Articles traduits en allemand Articles traduits en portugais

Newsletter

Ailleurs sur le Web [RSS]

Lire plus...

Twitter

"Une chimère aussi monstrueuse que débile appelée l’Homme" par Alain Accardo

Lien publiée le 21 septembre 2022

Tweeter Facebook

Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

"Une chimère aussi monstrueuse que débile appelée l'Homme" par Alain Accardo - QG - Le média libre

L’existence individuelle et collective que nous connaissons n’est qu’une courte parenthèse, un rapide battement de paupières de l’Univers, une conséquence infinitésimale dans son imbrication infinie. Que faire de ce constat vertigineux, maintenant que le temps des grands récits religieux est passé en Occident, et que l’argent règne quasi seul en maître sur les imaginaires? Dans un texte saisissant, Alain Accardo explore sur QG un matérialisme conséquent, à la mesure d’une humanité dont les rails sont plus que jamais posés dans le vide

On va encore me reprocher quelques inepties.

« Inepties » ? Le terme est impropre. C’est plutôt aux idées et aux sentiments logés, jour après jour, dans les cervelles disponibles et dans les cœurs incertains, par les hauts-parleurs de l’idéologie ambiante, que l’on devrait réserver l’usage de ce mot ! Encore ces derniers jours nos médias ont fait s’agenouiller une partie des Français devant le trône d’Angleterre comme si c’était leur propre reine qui était morte, sans même qu’une de nos personnalités les plus éminentes, si chatouilleuses en matière de dévotion républicaine, ose suggérer à haute voix que dans des pays comme l’Angleterre ou la France, au XXIe siècle, c’est le principe monarchique lui-même qui devrait être rangé au rayon des « inepties ». 

« Inepties » ? Prenez un primate de n’importe quelle espèce et saturez-le de ces pensées et de ces émotions qui, chez nous, sont entretenues à grands frais par les rédactions de presse et leur com’ quotidienne, et aussi par l’école, les clubs et les mouvements sportifs, les associations et une kyrielle d’autres institutions politiques et culturelles avec leurs establishments (partis, syndicats, organisations professionnelles, clergés religieux ou laïques, aréopages, académies, cénacles artistiques, etc.), qui se voient invités à donner en permanence au commun des mortels le spectacle de leur importance, et vous en ferez à coup sûr un être à peu près totalement inepte, un humain achevé, un sujet plein à ras bord de sornettes et de balivernes mais vide et vain, capable de tout et propre à rien ! C’est ce dont l’évolution biologique des espèces, combinée avec la « civilisation », a finalement réussi à accoucher, cette sorte de chimère, aussi monstrueuse que débile, baptisée Homo sapiens, à laquelle nous nous flattons d’appartenir sans réaliser que cette filiation ne fait jamais de nous que des spécimens d’une engeance infirme, perverse et dangereuse. Les Hommes ont beau être des tueurs, pourvus néanmoins d’états d’âme, des assassins, pétris toutefois de scrupules et des meurtriers, accessibles malgré tout au remords, ils n’en restent pas moins de sanguinaires bêtes de proie !

« Il me semblerait plus juste de donner à notre espèce l’appellation d’Homo Loquens, ou Loquax, voire Loquacissimus, tant la parole articulée et surabondante est essentielle à notre existence » Photo: Tim Evanson

Tout se passe comme si la transmission des patrimoines culturels, en quoi consiste pour l’essentiel le processus de civilisation des mœurs, avait bloqué la sélection biologique dans notre espèce et empêché le phylum (souche d’où est issue une série généalogique, NDLR) de l’Homo sapiens de bifurquer une fois de plus sur notre arbre généalogique pour donner une espèce d’hominidé nouvelle et peut-être mieux pourvue en structures nerveuses centralisées (et donc mieux équipée pour la « sapience ») que celle de Sapiens sapiens. Mais peut-être le déterminisme biologique a-t-il besoin de davantage de temps pour opérer…

En vérité, cette catégorisation de Sapiens qui met l’accent sur le développement cérébral et la capacité de réflexion me paraît être excessivement généreuse et même un peu usurpée. Il me semblerait plus juste de donner à notre espèce l’appellation d’Homo Loquens, ou Loquax, voire Loquacissimus, tant la parole articulée et surabondante est essentielle à notre existence, pour le meilleur et surtout pour le pire. Que constatons-nous en effet sinon que, depuis le néolithique, grosso modo, les sociétés humaines, bien que, génétiquement, elles ne forment qu’une seule et même espèce, ont été incapables de vivre dans l’harmonie et la concorde, a fortiori dans la fraternité et l’amour et qu’à défaut d’inscrire ces vertus dans l’essence même de l’espèce (« dans son ADN » comme disent les médias), elles en ont, au mieux, fait des principes généraux, des devises abstraites et des valeurs universelles, c’est-à-dire des ingrédients pour une forme d’irénisme œcuménique, capable à la rigueur d’inspirer des proclamations onusiennes solennelles entre deux conflagrations (sur l’inusable thème du « plus-jamais-ça ! »), mais en aucun cas de régir effectivement et de façon durable des relations internationales toujours aussi brutales et mensongères. 

« Chez le genre humain, le côté violent et instable de Mr Hyde l’emportera toujours sur le caractère paisible et bienveillant du Docteur Jekyll »

Il y a beau temps que nos prédécesseurs sur la planète ont constaté que « l’Homme est un loup pour l’Homme ». Pour être exact, il faut rappeler que dès le début ce constat a été corrigé par l’affirmation que « l’Homme est un dieu pour l’Homme », affirmation qui ne dit pas tout à fait le contraire de la précédente, car les dieux ne sont pas toujours animés de bonnes intentions. Et donc, depuis des millénaires, par la voix de ses plus prestigieux représentants, l’Humanité se partage, selon l’occasion, entre ces deux points de vue. Personnellement je tendrais à me ranger du côté de ceux qui, tout bien considéré, si on en juge par notre effrayant passé et notre présent non moins inquiétant, sont plutôt d’avis que dans les démêlés internes du genre humain, le côté violent et instable du criminel Mr Hyde l’emportera toujours sur le caractère paisible et bienveillant du bon Docteur Jekyll. La jungle ou la préhistoire, comme on voudra l’appeler, nous n’en sommes pas encore vraiment sortis, bien que, présomptueusement, nous prétendions nous en être déjà tirés.

Mais quoi, m’opposeront les éternels objecteurs, que leur optimisme humaniste, obstiné et candide, conduit à extrapoler à l’histoire tout entière des civilisations, quelques courts épisodes historiques de répit entre populations exténuées de tueries et de dévastations réciproques, que faites-vous de tous les admirables progrès de cette conscience universelle dont les nations ont gravé les commandements dans le marbre de leurs constitutions ? Que faites-vous de ce droit des gens, de ces droits de la personne humaine, de ces droits de l’Homme et du Citoyen, de ces droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, de toutes ces avancées juridiques et morales qui ont fini par faire le tour de la planète et par s’imprimer dans les cœurs ?

« Nos médias ont fait s’agenouiller une partie des Français devant le trône d’Angleterre comme si c’était leur propre reine qui était morte » Photo : Kvasir79

Je répondrai à cette rassurante objection qu’un droit-pour-tous n’est rien qu’un flatus vocis s’il n’est en permanence vécu comme un ardent devoir par le plus grand nombre ; qu’il faut à cette fin un investissement éducatif autrement plus important et plus cohérent que celui qui a été consenti jusqu’ici ; et enfin qu’il faut avoir vraiment des oeillères pour oser seulement mettre en balance, aujourd’hui autant qu’hier, les déchaînements constants et massifs de la violence dans l’histoire des peuples et des individus, et les tentatives timides, sporadiques et toujours extrêmement précaires pour instaurer la paix, la liberté et la justice, à grande échelle et à long terme. Qu’il s’agisse de pax americana aujourd’hui, ou de pax romana il y a vingt siècles, la paix établie n’a jamais été que l’ordre imposé manu militari, par le vainqueur, au prix d’un sur-armement écrasant, créant de nouveaux déséquilibres, des convoitises et des menaces nouvelles plus qu’il n’assure de protection et de stabilité. La géographie politique et humaine de la planète entière a été modelée continûment, au fil des siècles, par les guerres et le déferlement des instincts, des pulsions, des terreurs, des passions et des appétits les moins avouables, au mépris des droits les plus sacrés et des engagements les plus solennels.

Y a-t-il eu une période, une seule, dans l’histoire du genre humain, au cours de laquelle on ait vu s’établir durablement sur la majeure partie de la planète, des relations paisibles et désintéressées entre les peuples, caractérisées par le respect mutuel, la solidarité, l’entraide, la volonté de partage, le souci de corriger les iniquités et l’amour sincère du prochain ? Jamais. Nulle part.

Je ne nie pas qu’il y ait eu par endroits, par moments, des efforts visant à civiliser, adoucir, organiser, rationaliser et euphémiser les rapports sociaux ou les relations inter-personnelles dans le genre humain, précisément pour atténuer autant que possible un degré de violence devenu insoutenable et rendre un peu plus fonctionnels les systèmes d’exploitation mis en place par les vainqueurs. Apparemment toute domination qui veut durer doit, à un moment ou un autre, se préoccuper de ménager les « ressources humaines », comme diraient aujourd’hui nos ineffables DRH. Je prétends seulement que – comme tout le monde peut le constater – les résultats de ces efforts restent dérisoires et fragiles face à la violence intrinsèque inhérente à des rapports sociaux fondés sur le principe même de la subordination, de l’exclusion et de la ségrégation entre populations aux intérêts irréconciliables. A telle enseigne qu’après quelque dix millénaires passés à s’entre-déchirer et à s’auto-détruire, à se décomposer et à se reconfigurer de toutes les manières, le genre humain découvre avec effarement qu’il a installé les conditions de son propre anéantissement et que celui-ci pourrait bien ne plus tarder beaucoup. Quant à la caritas humani generis, dont le monde occidental et chrétien a toujours aimé à se gargariser (tout en exploitant et en opprimant avec férocité le Tiers-monde au moins autant que son propre prolétariat), inutile de remonter aux entreprises coloniales de l’Angleterre, du Portugal, de l’Espagne ou de la France du XVIe siècle pour en tâter l’étoffe : le traitement par les pays riches des problèmes liés à l’arrivée des populations de migrants actuels, en est une édifiante illustration, d’une terrible actualité.

« Qu’il s’agisse de pax americana aujourd’hui, ou de pax romana il y a vingt siècles, la paix établie n’a jamais été que l’ordre imposé manu militari »

Mais bon, évitons de reprendre ici l’antienne chantée déjà plus d’une fois ailleurs. J’aimerais aujourd’hui préciser mon point de vue en y ajoutant quelques réflexions de nature un peu plus « philosophique » afin d’éclairer davantage, pour les autres et pour moi-même, mon propre cheminement et plus particulièrement ce qui pourrait apparaître à certains – à tort selon moi – comme un changement de perspective dans ma vision des choses.

En effet, plutôt que d’un changement dans ma façon de voir le monde, il me semble plus exact de parler d’une correction de certains défauts de la vision que j’en avais précédemment et qui, bien qu’elle se voulût déjà expressément matérialiste, était encore trop imprégnée de l’idéalisme propre à l’humanisme rationaliste de ma tradition intellectuelle. 

Le propre de cette tradition, étendue aujourd’hui à la majeure partie du monde « civilisé », est de procéder en quelque sorte par incrémentation, (si l’on peut se permettre ici cette analogie avec l’informatique), des différentes cultures les unes par rapport aux autres de sorte qu’elle parvient à faire dialoguer sans trop d’effort les expressions les plus anciennes de la conscience humaine avec les plus modernes, les plus primitives avec les plus avancées, en dépit de différences énormes et d’oppositions irréductibles entre les unes et les autres. Comme si l’Humanité n’était qu’un seul et même Homme, cheminant sans interruption sur la même voie et intégrant avec toujours plus de cohérence les données multiples de son expérience millénaire.

« Comme si l’Univers n’avait jamais eu d’autre finalité que d’engendrer l’espèce humaine »

Je crois avoir compris, en lisant Norbert Elias, que c’était ce genre de critique qu’il adressait à tous ceux qui déclaraient ne pas arriver à comprendre pourquoi un peuple aussi civilisé que le peuple allemand avait pu sombrer dans la barbarie nazie. Elias leur faisait remarquer, à juste raison, que leur incompréhension tenait au fait qu’on entretient le plus souvent une idée fausse de ce qu’est la civilisation, conçue comme un processus univoque et irréversible, qui ne cesse de gagner du terrain, de façon mécanique et quasi automatique, ajoutant ses avancées présentes à ses progrès passés, sans jamais connaître de phases de régression. Or il n’en est rien. Sans entrer ici dans l’examen détaillé de l’argumentation d’Elias, (cf. son étude de la dé-civilisation de l’Allemagne nazie, dans Les Allemands) je me bornerai à remarquer que la vision linéaire et continuiste si l’on peut dire, de la civilisation, a ses avantages comme ses inconvénients, mais n’a été rendue possible que parce que l’objet principal, pour ne pas dire exclusif, de toute culture humaine a été l’Humanité elle-même, sous toutes les latitudes, à toutes les époques et sous ses multiples aspects : « Qui sommes-nous, d’où venons-nous, à quoi sommes-nous destinés, que savons-nous, que devons-nous faire, et pourquoi ainsi et pas autrement et comment nous sauver, à qui devons-nous allégeance, etc. ? », c’est à ces questions existentielles et quelques autres, toujours les mêmes, que la culture n’a cessé d’apporter des réponses, d’où son anthropocentrisme permanent et le nombrilisme parfois délirant que celui-ci n’a cessé d’alimenter, de l’Antiquité à nos jours, à travers mythologies, religions, métaphysiques et même prétendues « sciences humaines », comme si l’Univers n’avait jamais eu d’autre finalité que d’engendrer l’espèce humaine et de se mettre à son service. Les cultures humaines n’ont eu de cesse qu’elles n’aient dénaturé l’Homme pour mieux le surnaturaliser.

Aujourd’hui encore, malgré les progrès du savoir scientifique et les gifles retentissantes qu’il a administrées à la vanité humaine, on peut voir persister cette disposition spontanée à se prendre à la fois pour le nombril de la Création et pour son point d’aboutissement, depuis l’éclosion du Fiat lux jusqu’à son « point oméga », dans un syncrétisme surprenant où Teilhard de Chardin viendrait donner la main à Hegel. Il n’est pas jusqu’à une certaine interprétation du marxisme lui-même, dans la mesure où il lui est arrivé de se réclamer d’un hégélianisme remis à l’endroit et d’un humanisme conséquent, qui n’ait à sa façon contribué à donner au matérialisme moderne une sorte de gauchissement téléologique en y introduisant la capacité d’agir selon des stratégies rationnelles délibérées, d’où cette teinture de finalisme, cette apparence d’intentionnalité, qu’on la qualifie ou non de « dialectique » (on a pu aller jusqu’à parler de « messianisme » prolétarien, à cause de l’homo novus que la Révolution était censée devoir enfanter).

Mémorial dédié aux 6 millions de juifs assassinés sous le Troisième Reich, inauguré en 2005 à Berlin. Photo: Wolfgang Staudt

Je ne serais pas hostile à ce point de vue, mais dans une perspective praxéologique, c’est-à-dire pour autant qu’il peut mobiliser des peuples de la planète Terre et les inviter à se saisir de leur devenir (comme ce fut le cas avec les luttes de libération nationale un peu partout et comme c’est encore le cas, en dépit des dérives communautaristes actuelles, avec les luttes de classes contre la mondialisation capitaliste). Marx et Engels avaient évidemment raison, ce sont les peuples qui font l’histoire, sans très bien savoir ce qu’ils font et notre monde sera ce que nous serons capables d’en faire. Nous sommes assez mal partis, et de bien bas, il faut avoir l’honnêteté de le dire, mais nous devons bien nous persuader que cette histoire n’a de réelle importance que pour nous seuls, les Humains et qu’en soi, elle n’en a pas plus que celle des dinosaures ou des lichens et des fougères et que si d’aventure elle avait quelque importance pour d’autres que nous, nous n’aurions aucun moyen de jamais le savoir. Ce qui implique qu’il ne nous est intellectuellement pas permis d’extrapoler le sens que nous pouvons, ou voulons donner à l’histoire terrestre de l’Humanité, du plan de l’observation empirique au plan d’un paradigme philosophique. Très franchement je ne suis plus du tout certain, comme je tendais à le croire en un autre temps, que la dialectique de l’histoire puisse se confondre avec celle de la nature. Il me semble plutôt qu’il y a de l’une à l’autre un saut, un seuil correspondant à un changement qualitatif qui porte l’humain à un ordre de réalité différent de son environnement objectif naturel et qui se traduit par le saut de l’être au devoir-être, du fait à la valeur. Ce saut, qu’on ne peut que se borner à constater sans pouvoir se l’expliquer vraiment, rend les différents ordres, plans ou perspectives incommensurables logiquement les uns avec les autres et donc invalide tout essai d’extrapoler d’un plan à un autre, par exemple de la nature à la culture et réciproquement.

En parvenant avec Homo Sapiens au stade de la conscience réfléchie, la matière vivante est passée de la nécessité subie à la nécessité choisie pour des raisons perçues tantôt comme « bonnes » (le Bien, la Vertu) tantôt comme « mauvaises » (le Mal, le Péché). À partir de là, c’est la bouteille à l’encre, Babel et la grande confusion ! Il faudrait être plus précis et plus explicite dans l’expression de cette pensée, car on touche là à un point délicat par où il est toujours possible de réintroduire dans la vision des choses tout ou partie de la fantasmagorie idéologique « pré » ou « anti »-scientifique de naguère. Mais nous en sommes précisément au stade où le travail critique de la raison (la Science) entrepris au cours des siècles, a sinon fini de dissoudre le ciment des illusions religieuses et métaphysiques qui faisait tenir ensemble les composantes de la réalité perçue, du moins sérieusement fragilisé leur capacité de nous convaincre. Ce faisant, nous avons ruiné le régime de la transcendance théologique au profit d’un nouveau régime où les discours de omni re scibili (« De toutes les choses qu’on peut savoir », devise de Pic de la Mirandole, NDLR) ne sont plus soumis à aucune censure d’un Sur-moi quel qu’il soit, plus exactement un régime où ne subsiste plus aucune autorité unanimement reconnue capable d’imposer à tous les esprits la reconnaissance des mêmes valeurs.

Pour le dire plus trivialement mais peut-être plus explicitement, je dirais que s’il est capital pour le genre humain de choisir clairement et délibérément une orientation plutôt qu’une autre, cela ne relève plus que de sa seule responsabilité et ne concerne plus que lui. Du moins, en principe. L’univers, qu’on l’entende à la façon relativiste, ou à la façon quantique, ou de quelque façon que l’on voudra, se fiche éperdument, selon toute probabilité, de notre misérable existence et de nos préférences. C’est là qu’est le nœud du problème.

Je crois en effet qu’il est temps pour notre espèce d’encaisser son dernier coup de pied au derrière, celui qui lui permettra de franchir la distance la séparant encore de la vérité ultime (que les penseurs matérialistes seuls jusqu’ici ont été assez cohérents intellectuellement pour affronter, depuis au moins Démocrite) : à savoir que l’existence de l’Humanité est une conséquence infinitésimale dans la concaténation infinie des causes et des effets de l’univers. Le genre humain n’est rien de plus qu’un accident de la matière, un épisode dans « l’aventure du protoplasme » (comme aimait à dire Jean Rostand), une péripétie dont la contingence le dispute à la nécessité, pour reprendre l’analyse de Jacques Monod dans Le Hasard et la Nécessité (1970) et, en tant que telle, un processus ni plus ni moins important, signifiant, précieux ou digne d’attention que des milliards d’autres phénomènes. Discerner dans la multiplicité grouillante des choses et des êtres des différences de toutes sortes, de grandeur, d’ordre, de valeur, de sens et hiérarchiser le tout, établir des taxinomies en fonction de critères particuliers, en rapport avec nos intérêts, c’est là le propre de ce qu’il est convenu d’appeler culture, travail symbolique qui en apprend plus, dans tous les cas, sur ses auteurs que sur ses objets. D’où l’attention anthropologique que nous lui portons.

Il devrait être évident – mais il ne l’est pas du tout – que ce sont les préférences inspirées à chaque groupe humain par sa situation historique concrète dans le temps et dans l’espace qui sont à l’origine des valeurs si importantes dans l’existence de chacun.

« Un monde avec une certaine moralité me paraît plus beau qu’un monde dépourvu de moralité »

Mais, à moins de pousser le délire transhumaniste jusqu’à nous imaginer éternels, on peut poser avec assurance qu’un jour il n’y aura plus personne pour s’intéresser à l’histoire humaine et préférer tel aspect ou tel moment à tel autre. Ce jour-là, qui à l’échelle des durées astronomiques ne peut être qualifié que de prochain, c’en sera fini de l’interlude qui nous a tant occupés et que nous avons joué avec tant de sérieux pendant quelques fugaces millénaires. Sic transit gloria mundi

Nous devrions assurément y penser davantage et nous pénétrer de cette certitude : le monde humain, individuel et collectif, que nous connaissons, n’est qu’une courte parenthèse, un rapide battement de paupières de l’Univers. Quelques-uns pourraient en conclure que cela n’entraîne pour nous aucune obligation particulière. Je fais, quant à moi, partie de ceux qui voient dans cette fugacité une raison de plus pour ne pas faire n’importe quoi, bien peser chacun de ses choix et s’y tenir. En attendant la fin des temps, il importe de gérer au mieux de nos capacités, le temps qui reste. Par devoir envers soi-même et ses semblables. Devoirs qui persistent, inchangés. Je ne crois pas que personne (en dehors des adeptes des différentes mythologies) sache ni puisse découvrir à quoi rime exactement cette conviction de devoir faire certaines choses et pas d’autres. Mais personnellement je tiens à conserver ce germe de moralité, d’où qu’il me soit venu. Et s’il me fallait absolument justifier cette prise de position décisoire, je dirais, en désespoir de cause, qu’un monde avec une certaine moralité me paraît plus beau, plus agréable et plus accompli qu’un monde dépourvu de moralité. Après tout, on sait depuis longtemps qu’à un certain niveau d’approfondissement, les valeurs fondamentales de l’éthique et de l’esthétique peuvent se rejoindre et se confondre. Je n’ignore évidemment pas que la foi religieuse tire l’essentiel de sa force de cette volonté si largement répandue chez les Humains, en tous temps et en tous lieux, de soustraire leur propre histoire à la précarité et à la contingence qui caractérisent tout ce qui existe.

En fait, pour être sincère, je crains que le genre humain, au stade actuel de son évolution intellectuelle et morale, caractérisé par l’exacerbation individualiste et la frénésie des désirs hédonistes, ne soit plus en mesure, s’il l’a jamais été, d’endurer le surcroît de désenchantement provoqué par une nouvelle gifle à son narcissisme. Prendre vraiment conscience que nous ne sommes pas grand-chose, individuellement ni collectivement, cela n’a jamais été possible, pour autant que l’on puisse en juger, qu’au prix d’une compensation d’amour-propre par le renforcement de croyances religieuses et mythologiques d’un extravagant créationnisme (nés d’un « souffle divin », façonnés « à l’image du Créateur », destinés à « dominer le monde », à devenir « maîtres et possesseurs de la Nature », etc.), mais tellement vivaces qu’elles ont résisté jusqu’à aujourd’hui, en dépit de l’affaiblissement de la foi religieuse dans les populations modernes. Le ciron humain est capable de s’accommoder de son insignifiance, voire de son humiliation présente, pour peu que des voix autorisées lui assurent qu’il trouvera sa récompense ailleurs, dans une autre vie, et pour peu qu’on lui ménage un accès aux réjouissances d’ici-et-maintenant, pour le faire patienter. Discothèques, matchs de foot et jeux vidéos ont avantageusement remplacé à cet égard le pain et les jeux du cirque d’autrefois. 

Il est trop tard, semble-t-il, pour renverser la vapeur d’un train qui va désormais trop vite pour continuer à poser ses rails devant lui à mesure qu’il avance, comme il a fait pendant des siècles, de révélations en conversions, de conquêtes en adhésions, de réformes en restaurations ou d’aggiornamentos en renaissances. De toute évidence, nous avons commencé à poser nos rails dans le vide. Expérience nouvelle et vertigineuse, qui risque de tourner court. Privés d’un viaduc permettant de traverser l’abîme, mais bénéficiant encore un peu de la vitesse acquise, nous conservons notre illusion d’être sur un tremplin en évitant de penser aux ténèbres glacées (au propre et au figuré) où nous nous engloutissons toujours davantage avec des frissons d’excitation et des giclées d’adrénaline. 

Il est même assez sidérant de voir à quel degré de bêtise et d’abjection peut tomber un peuple dont l’histoire a donné à croire qu’il était capable d’atteindre, dans certaines circonstances et sur certains plans, à un niveau élevé d’intelligence et de moralité. Nous nous prenions, nous Français et quelques autres avant nous ou avec nous, pour des enfants chéris du Ciel, des peuples élus, des commensaux des dieux. Nous nous regardions comme des modèles exemplaires, des parangons de civilisation. Tout se passe aujourd’hui comme si, par une espèce de sortilège que rien ne peut plus exorciser, les sociétés humaines étaient placées alternativement, par le développement même de leur mode de production, devant le choix d’une des deux versions, l’une « propre », « correcte », « éthique » et l’autre « sale », « irresponsable » et « immorale » de leur évolution en tous domaines et comme si elles étaient irrésistiblement et systématiquement entraînées à choisir le scénario comportant le bilan global le plus décevant. Il est permis de dire désormais, avec le recul dont nous disposons, que ce choix systématiquement pernicieux est l’expression même de l’efficace capitaliste qui a toujours conduit, par essence, les collectivités humaines et leurs membres à privilégier l’accomplissement du pire des modèles humains possibles, par la poursuite et l’accumulation du profit économique à court terme, au mépris de toute autre considération et au détriment d’un progrès humain plus moral ou spirituel, inévitablement plus lent, plus difficile et plus immédiatement coûteux.

« La numérisation a enlisé un peu plus encore les dominés sociaux dans le sentiment de leur irrémédiable insuffisance »

S’il ne fallait donner qu’une seule illustration actuelle de ce phénomène de choix forcé (à savoir de propension irrésistible à tirer la carte du pire scénario) on pourrait se borner à évoquer l’exemple particulièrement significatif par son ampleur et sa nouveauté de la numérisation et de l’informatisation massives de la vie sociale au cours des dernières décennies. Tout le monde a sans doute en mémoire le discours enchanteur et à peu près unanime qui a accompagné et soutenu, jusqu’à aujourd’hui encore, cette transformation technologique du mode de vie: le numérique, l’ordinateur, le portable, Internet, les réseaux sociaux, l’interconnexion généralisée et autres merveilles d’ingénierie informatique devaient entraîner une foule de conséquences éminemment positives, bénéfiques, libératrices, dans tous les azimuts de la pratique sociale et au total, c’était toute la vie démocratique qui devait s’en trouver vivifiée à la grande satisfaction, pensait-on, de tous les citoyens, à qui on promettait d’entrer dans un nouvel éden, un monde de convivialité, de collégialité, de transparence, bref, de communication et de communion démocratique. Alors que, une fois de plus, il ne s’agissait que de l’ouverture d’un nouveau marché de consommation de masse livré à l’appétit des grands et petits investisseurs. Très rapidement il est apparu que si certains effets novateurs de l’informatisation pouvaient être regardés ponctuellement comme des améliorations des pratiques et des usages en vigueur, globalement on devait constater que conformément à la logique gouvernant de longue date le marché capitaliste, là où le « progrès » technologique bénéficiait un peu à la vie démocratique, il bénéficiait infiniment plus à la domination ploutocratique (comme, par exemple, avec l’accélération du trading informatique). Dans l’ensemble, il est d’ores et déjà patent que l’esprit public et la mentalité démocratique, à en juger par leurs expressions sur le plan institutionnel et politique comme sur celui des moeurs, n’en ressortent pas grandis mais au contraire abîmés, dégradés davantage encore, au bénéfice des oligarchies, des lobbies, des cartels, des enrichis en capital financier et culturel et des « élites » diverses. Loin d’aider les classes populaires dépossédées à réduire les écarts sur tous les plans de la vie sociale, où leur condition se caractérise par la privation, le choix du nécessaire, la frustration et le renoncement, la numérisation a enlisé un peu plus encore les dominés sociaux dans le sentiment de leur irrémédiable insuffisance, tandis qu’à l’autre bout du continuum des dignités et des honneurs s’étale le bonheur indécent des nouveaux riches, toujours plus riches, gavés et inconscients. Nul doute qu’à sa façon faussement neutre et objective, le « progrès technologique » ne soit devenu, une fois de plus, comme la télévision en son temps, un instrument à la fois économique et idéologique de surveillance, de division et d’aliénation des masses, avec cet effet pervers imprévu que celles-ci ne croient plus à la démocratie et même se tournent de plus en plus vers ceux qui voudraient bien en finir avec l’idéal démocratique parce qu’en effet, cet idéal est aujourd’hui parvenu à l’acmé de sa contradiction centrale: en encourageant chacun à faire de soi « le plus irremplaçable des êtres », selon le slogan gidien des Nourritures terrestres, il a contribué à instaurer un régime de concurrence généralisée impitoyable qui ne peut se résoudre que par une forme plus ou moins violente d’élimination mutuelle et une minoration, voire un mépris, de la part des individus pour leurs obligations envers la collectivité. On voit aujourd’hui avec évidence que la démocratie est un régime pour schizophrènes qui, sur le modèle américain, confondent Dieu et Mammon, encensent les pauvres le dimanche au Temple et idolâtrent les riches tous les autres jours à la Bourse. 

Installation d’une antenne 5G permettant d’améliorer la rapidité de transmissions des données mobiles, Maidstone, Royaume-Uni. Photo: J K Thorne

Ce qui fait la force du capitalisme industriel et financier en tant que régime libéral, c’est qu’il a su fédérer toutes les aspirations, toutes les ambitions, sur la base d’un seul et même dénominateur commun, sur toute la planète : l’argent et le désir d’être riche qu’il alimente. Aucun Olympe ne serait plus aujourd’hui assez vaste pour contenir tous les aspirants à la divinisation, c’est-à-dire à la richesse, que fabrique le capitalisme. Les places sont de plus en plus chères, à mesure que les titres se dévalorisent. L’idéal démocratique, adultéré et pénétré par ce que l’on a appelé le nouvel esprit du capitalisme, a d’ores et déjà déstabilisé l’ensemble des structures traditionnelles de domination, en incitant – entre autres effets majeurs – à faire passer, (plus ou moins selon le secteur considéré), les rênes du pouvoir des mains habituellement masculines à des mains féminines. 

On aurait le droit de tenir sans réserve cette offensive féministe et les victoires qu’elle a d’ores et déjà remportées, pour un grand progrès dans la lutte séculaire contre les inégalités, dont tout démocrate sincère aurait à se réjouir. Mais une remarque s’impose qui devrait tempérer pour le moins la confiance dans le féminisme politique et entretenir le scepticisme quant à ses capacités objectives et subjectives de mettre fin à la domination sociale. Cette remarque est la suivante : la critique féministe a remis en question – et c’est tant mieux – toutes les structures traditionnelles de la domination sociale. Toutes, SAUF – quel terrible lapsus, quel oubli révélateur – celles du pouvoir de l’argent (par l’accumulation et la transmission de la propriété capitaliste) qui s’en trouvent plutôt renforcées, du fait de la conjonction du capital culturel avec le capital financier, par le biais des alliances matrimoniales, des stratégies scolaires, des « profils de carrière », etc. Pour le dire plus prosaïquement, du point de vue de la reproduction capitaliste, il importe peu que ce soit une « fille à papa » ou un « fils à maman » qui « fasse le job » d’hériter et de gérer la transmission de la fortune acquise. Dans tous les cas la succession se fera dans les règles et le Capital restera en de bonnes mains. Bien sûr, il se produit toujours des cas où les héritiers dilapident le capital acquis au lieu de le faire fructifier. Mais ils ne sont statistiquement pas en nombre suffisant pour inverser les rapports de domination. Toute notre histoire séculaire est là pour témoigner que, presque toujours et presque partout, de génération en génération, le pouvoir sous toutes ses formes reste, avec le consentement de la plupart, aux mains des familles de nantis, des dynasties d’aristocrates ou des lignées de bourgeois, tous grands propriétaires, eux-mêmes héritiers d’antiques clans guerriers, envahisseurs et conquistadores ayant imposé par la force, la ruse et autres violences, leur domination patricienne. Comme son nom l’indique celle-ci se transmet des pères aux enfants dûment préparés à leur succéder. Il suffit d’être né(e) de façon topique, là où il faut, quand il faut, en bon rang dans la bonne famille. On peut le vérifier sous toutes les latitudes, à toutes les époques. Bref, les féministes devraient s’aviser que les analyses relatives à la sociogenèse du petit-Bourgeois Gentilhomme sont, mutatis mutandis, exactement applicables à son pendant féminin, la petite-Bourgeoise Gente Damoiselle.

Jusqu’ici, chez nous, les classes dominantes, grâce à leur monopole étatique de la violence légitime et à leur savoir-faire en matière de tambouille électorale (alliances, mœurs parlementaires, modes de scrutin, découpages et répartition des sièges, stratégies d’union, désistements, etc.), ont pu contenir les revendications démocratiques dans les bornes du jeu établi, « républicain » et consensuel. Mais des précédents historiques nombreux, partout dans le monde, montrent à l’évidence, à la façon de l’épisode archétypique de la réaction versaillaise contre la Commune de Paris, que lorsque les masses populaires prennent la phrase démocratique au mot, et se donnent comme objectif, non plus seulement les sempiternelles augmentations du pouvoir d’achat (réduit aux augmentations de salaire) mais le pouvoir politique lui-même, la bourgeoisie régnante n’hésite pas à faire appel à ses Messieurs Thiers ou Pinochet pour exterminer la « canaille » des faubourgs et la « racaille » des banlieues. Avec la même cruauté dont les légions envoyées par Rome en renfort à Crassus usaient contre les esclaves de Spartacus, en les crucifiant pour l’exemple le long des routes.

Augusto Pinochet devant Le palais de la Moneda, Santiago, Chili.
Photo: fpealvarez

Dans les sociétés développées et moyennisées comme la société française, le double mouvement de désagrégation-intégration culturelle des générations issues de l’ancien prolétariat, (par l’École, le Sport, le Spectacle, la Presse et autres filtres intellectuels et artistiques), rend hautement improbable l’hypothèse d’un sursaut révolutionnaire digne de ce nom, c’est-à-dire qui serait autre chose qu’une émotion passagère suscitée et exploitée par les journalistes, les designers, les conseillers et les coachs médiatiques au service de leurs employeurs officiels. D’ailleurs le concept même de révolution a pratiquement perdu ses connotations politiques, économiques et sociales de naguère, pour ne plus conserver que le sens figuré, très affaibli, qu’il a fini par prendre dans le domaine intellectuel et artistique où les différentes fractions de la petite bourgeoisie rivalisent de « créativité » et d’une ardeur révolutionnaire toute symbolique. Il ne se passe de jour que des petits-bourgeois en mal de notoriété n’inventent, dans un domaine ou un autre, esthétique de préférence, quelque chose qui n’a de « révolutionnaire » que l’étiquette que les médias y accolent. Et même dans l’ordre esthétique, il est clair que pour les nouvelles générations, il n’y a plus guère qu’une seule recette pour faire figure d’artiste « révolutionnaire » : le procédé du métissage, appliqué indistinctement, mécaniquement et sans grand travail et qui, dans sa forme élémentaire la plus paresseuse, consiste à associer des éléments jusque-là dissociés. Le résultat du mélange est aussitôt présenté comme une « révolution ». C’est en somme ce que naguère on eût appelé « pot-pourri », une sorte de réalisation au moindre coût du bon vieil idéal surréaliste de « la rencontre fortuite sur une table de dissection, d’un parapluie et d’une machine à coudre ». Comme le soulignait Reverdy, « Plus les rapports des deux réalités sont lointains et justes, plus l’image sera forte ».

Cela, Aristote l’avait déjà compris qui s’intéressait au travail de la métaphore bien avant que Reverdy et Breton ne nous fissent part de leur émerveillement devant la beauté insolite des images de Lautréamont. Hélas, avec le temps et la multiplication des tentatives avortées, la révolution a cessé d’être une idée neuve pour n’être plus qu’un procédé marketing éculé.

Avec l’espèce humaine, le monde du vivant, à l’apogée de son évolution, avait même réussi à inventer l’Amour et l’Espérance, la Joie et l’Abnégation, expériences et accomplissements de soi imparfaits mais qui touchent à des sommets tant en matière d’éthique que d’esthétique, d’émotion que d’intelligence. Mais le Désespoir, la Haine de soi et des autres ont fini par l’emporter après le triomphe du scénario capitaliste-productiviste et de son implacable logique de concurrence, d’appropriation privée, de ruine et d’exclusion mutuelles.

Nous n’avons aucun moyen de savoir si cela présente quelque importance objective que ce soit, au regard du Cosmos ou même seulement de notre misérable petit système planétaire de banlieue galactique. Cela n’a jamais eu d’importance que pour nous, « pauvres pécheurs », débiles au point d’être incapables de décider si cela en valait la peine ou au contraire ne justifiait pas le dérangement.

Qu’on me permette de revenir, pour finir, sur un dernier point.

« La nature humaine a horreur du vide. D’où sa dégringolade accélérée vers des ersatz d’idéaux »

Il est clair, en tout cas à mes yeux, que l’une des caractéristiques essentielles de notre être et de notre condition, c’est la finitude. Nous sommes bornés de toutes les façons, dans le temps et dans l’espace, intérieurement et extérieurement, physiquement et mentalement. Tout dans notre univers est fini et même si étroitement que nous ne pouvons pas même concevoir quelque chose qui serait infini ou plutôt nous ne pouvons en avoir qu’un concept vide, ne correspondant à aucune expérience sensible, aucun contenu empirique, comme cet espace et ce temps dont nous parlent les cosmologistes et qui n’ont de réalité que dans leurs équations, si cela a une réalité. L’infini n’est dans notre entendement qu’une catégorie vide, un concept sans intuition, une case dans laquelle nous fourrons tout ce qui, sur le plan de l’expérience sensible, nous semble, à tort, être immensément, démesurément grand, long, interminable, et semble ne devoir jamais s’arrêter, mais qui n’est pas pour autant infini. C’est sans doute pourquoi, quand l’espèce humaine s’est mise à fantasmer sur les puissances divines dont elle peuplait l’univers, dans son effort pour le comprendre et se comprendre elle-même, elle leur a prêté des propriétés dont aucun humain n’avait la moindre expérience, comme celle d’être infini, tout-puissant, immortel, etc., sans aucune de ces limites spatio-temporelles qui caractérisent l’espèce humaine et la condamnent à une existence de bonsaï.

A cet égard, le succès du monothéisme en religion a efficacement contribué à ancrer la croyance que seule une puissance divine absolue, relative à rien d’autre qu’elle-même, invincible et éternelle, avait pu façonner, à son image, mais une taille au-dessous, la « créature » humaine en particulier et toute création en général. Une telle croyance, malgré la prégnance qu’elle a conservée aujourd’hui encore dans les esprits, a beaucoup souffert évidemment de la diffusion de la connaissance scientifique. Croire en un dieu tout-puissant est vraiment un acte de foi qui défie la raison et ne persiste, semble-t-il, que parce qu’il sert de socle intangible à tout le reste. Autant dire qu’il répond à un tabou.

On touche là au point névralgique de la conscience humaine. Sans la croyance à la toute-puissance (l’éternité, l’omniscience, la providence, etc.) de Dieu, tout se passe comme si le monde humain était incapable de se soutenir et devait s’effondrer dans le vide ou le Néant. D’où le dilemme de l’esprit contemporain : ou bien on doit, pour faire ce qu’on est socialement tenu de faire, croire dans le Dieu de ses pères, ou bien on doit lui substituer un autre fondement capable de supporter tout l’édifice de l’univers naturel et de la civilisation. On retrouve là la mission que s’était fixée, pratiquement dès ses origines présocratiques la philosophie classique, occupée pendant tant de siècles, à bâtir des métaphysiques, des arrière-mondes spéculant sur la raison d’être de tout ce qui existe et de tout ce qui advient. Nous savons aujourd’hui que cet impressionnant assemblage n’était – parfois à l’insu même de ses imaginatifs architectes – qu’un échafaudage d’hypothèses et d’hypostases servant à consolider par des arguments d’apparence rationnelle la statue divine plus ou moins vacillante, à telle enseigne que la philosophia perennis s’acquit (au Moyen-âge) le titre significatif de « servante de la théologie » (ancilla theologiae).

Dès lors qu’on ne peut plus, ni s’appuyer sur (ou s’abriter derrière) la volonté divine, ni se réclamer de quelque principe métaphysique fétichisé c’est-à-dire perçu comme transcendant et absolu (la Liberté, la Justice, le Respect des personnes, la Propriété, le Droit, etc.) on est dans le vide. Or la nature humaine a une insurmontable horreur du vide. D’où la dégringolade accélérée, sous l’appellation moins dégradante de modernité, de l’ensemble des sociétés humaines, le long de ce que l’on pourrait appeler l’échelle des ersatz, des imitations d’idéal ou, si l’on préfère, des succédanés du capital qui viennent tour à tour, la mode aidant, se substituer à notre base de sustentation civilisationnelle. Avec le triomphe du capitalisme mondialisé, les niveaux de l’échelle ont été pratiquement tous remplacés par les différentes espèces de capital, (économique, social, culturel, etc.) et plus particulièrement par l’Argent, succédané universel de tous les degrés d’élévation de l’être humain, équivalent général de tout ce qui permet, sur la Terre, au stade actuel de son naufrage, de continuer à croire qu’on peut vivre sans Dieu, mais pas sans argent.

« Sans la croyance à la toute-puissance de Dieu, tout se passe comme si le monde humain était incapable de se soutenir et devait s’effondrer dans le vide ou le Néant. » Photo : M M

Mon propos est justement de prendre acte de la transformation qui affecte l’évolution de l’espèce Homo Sapiens, qu’on pourrait caractériser comme une crise insurmontable de la société capitaliste provoquée par le blocage et le pourrissement de sa contradiction centrale entre le capital vivant et le capital mort. La masse prodigieuse et toujours croissante de celui-ci, orientée vers le cycle Argent > Marchandises > Argent +, c’est-à-dire vers la spéculation financière et la consommation distinctive des privilégiés, plutôt que vers la recherche d’un bien-être commun et d’un bien-vivre égalitaire ou d’un vivre-ensemble démocratique, est en train d’étouffer l’ensemble des structures sociales, d’asphyxier toute autre aspiration que celle à l’enrichissement en argent et à l’hédonisme outrancier qu’il permet.

Blocage parce que, dans l’état présent des intérêts et des mentalités des différentes classes sociales, la situation est nettement à l’avantage des plus riches qui utilisent toutes les ressources, financières, politiques et autres pour empêcher toute évolution qui leur serait défavorable. Empêché d’évoluer par le blocage d’un pouvoir institutionnellement verrouillé aux mains de la classe possédante et dirigeante, le corps social tout entier croupit sur place, se décompose et s’enfonce toujours plus dans la matérialité d’un monde sans âme. D’aucuns veulent y voir une sorte de « retour à la Nature », du moins à ce qu’ils ont hypostasié sous cette appellation. Ce qui complique dramatiquement les choses, c’est que seule une minorité de citoyens est conceptuellement outillée pour juger sainement de la situation et imaginer d’y remédier. C’est en effet le processus de blocage et de décomposition lui-même (la « modernité ») qui est perçu par la plupart comme l’expression continue d’une émancipation des peuples, comme la marque même du « progrès » c’est-à-dire de ce que l’on tient désormais pour la vie sans limites, sans plus rien qui la contraigne en dehors de l’argent qu’on a « gagné », peu importe comment. Comme le souligne avec justesse une métaphore bien connue: trop de gens croient aujourd’hui qu’ils s’émancipent quand ils ne font que « se déboutonner ». Une évolution lexicale intéressante confirme la tendance du sens commun à confondre le laisser-faire classique cher au système libéral avec un principe de vie généralisé à l’ensemble de nos activités, la règle étant désormais, quoi qu’on fasse, de « se lâcher » c’est-à-dire de s’éviter tout effort, toute contrainte et toute retenue.

« Osciller entre le sentiment de la déréliction et celui de totale licence ouvre la porte à des scénarios de régression barbares »

Tout se passe comme si l’évolution du vivant en général était gouvernée par une double pulsion affective irrésistible, à la fois vers la liberté-jouissance et vers l’ordre-sécurité, dont les effets se contrarient ou se composent selon le moment et selon le domaine, avec des conséquences qui aux yeux de l’historien, du sociologue ou de l’anthropologue peuvent paraître inattendues. En vertu des changements intervenus depuis au moins le siècle dernier, et même avant, sur le plan des mentalités collectives et individuelles, les esprits oscillent perpétuellement entre le sentiment de la déréliction (« Dieu nous a abandonnés, nous sommes perdus ») et le sentiment de totale licence (« Dieu est mort, tout est permis »). Dans la pratique cela conduit à une même perte de sens et ouvre la porte à des scénarios de régression plus barbares les uns que les autres.

J’aimerais ajouter que, contre toute apparence d’être engagée dans une impasse sans autre issue que le retour à l’obscurantisme et au sous-développement ou à une oppression totalitaire pas même déguisée en régime démocratique, une société humaine civilisée conserve, peut-être, une petite chance de continuer à exister et à avancer dans la voie d’un véritable progrès humain. J’y ai fait allusion un peu plus haut en évoquant le succès du monothéisme en religion. J’ai souligné à ce sujet que selon le récit biblique (auquel je ne fais référence que pour son autorité aux yeux des occidentaux, mais cela était déjà vrai semble-t-il de nombre de récits mythologiques du polythéisme) les créatures humaines étaient censées avoir été façonnées à l’image de leurs démiurges. Même sans prendre au pied de la lettre cette façon prétentieuse et auto-mystificatrice de s’exprimer, on peut l’interpréter comme la reconnaissance qu’il y a dans l’être humain une capacité d’agir de beaucoup supérieure, en intelligence logique et en intérêt pour le prochain, à ce qu’il démontre habituellement (sauf exception) et qui reste en général médiocrement « humain-trop humain ». Les croyants, surtout les chrétiens, conscients de ce fâcheux déficit moral, arguent qu’il a pour cause qu’il ne suffit pas d’être à « l’image de Dieu » (quoi que cela veuille dire) pour agir bien, encore faut-il en avoir reçu « la grâce » (c’est-à-dire la force agissante). Ce qui revient à dire, en termes non confessionnels, que les êtres humains disposent en propre d’une energeia ou de ressources psychiques, (quelle qu’en soit la provenance), très supérieures à celles qu’ils mettent en œuvre dans les circonstances ordinaires de leur existence. Dans la vie quotidienne, en effet, les individus ont un peu trop tendance à se réfugier dans cet asile d’irresponsabilité et de démission que sont les « décrets de la Fortune », les « arrêts du Destin », les « coups du Sort », les « desseins de la Providence », et autres prétendues manifestations de la volonté insondable des puissances supérieures invoquées par des acteurs toujours dépassés, qui cherchent à se dédouaner de leurs propres erreurs ou de leurs lâchetés.

Tant qu’à faire son nécessaire examen de conscience, il serait temps que le genre humain procède une bonne fois à son aggiornamento philosophique, c’est-à-dire à une nouvelle Renaissance qui, plus de cinq siècles après viendrait, sinon achever, du moins poursuivre et corriger la métamorphose entamée et laissée en plan aux XVe-XVIe siècles en occident. Nous sommes mûrs pour finir de dépouiller la chrysalide de l’homo religiosus qui nous emmaillote encore dans un statut hybride, ni chair ni poisson, où nous cumulons les handicaps sans optimiser les avantages. Il ne s’agit pas de répudier le renfort d’humanité apporté par la religion lorsque celle-ci prêche l’amour et non la haine, la fraternité et non le mépris. mais de l’assumer, laïquement si l’on peut dire. En quoi le principe de charité et de générosité envers autrui serait-il plus difficile à faire accepter par la raison que par le cœur. On ne peut croire au(x) dieu(x) seulement à demi. Puisque nous sommes des animaux, des créatures de l’évolution des espèces, acceptons de nous prendre pour ce que nous sommes ou plutôt cessons de nous prendre pour des anges déchus, des esprits purs proscrits de l’Eden par leurs déviances ou leurs désobéissances, assumons enfin notre appartenance au monde de la matière dont nous commençons à peine à entrevoir les mécanismes. Toute cette fantasmagorie de mythes abracadabrants dont nous avons voulu, pendant des millénaires, ennoblir nos origines, nous devons bien l’admettre à présent, n’aura pas ajouté beaucoup de noblesse, de dignité ni d’amour du prochain à l’histoire réelle des peuples. Mais il semblerait que nous soyons enfin au stade où nous pouvons nous regarder en face, en assumant une vision matérialiste de notre propre histoire. En n’omettant pas de préciser que nous ne nous reconnaissons absolument pas dans le matérialisme caricatural, sordide et insultant que la théologie chrétienne et la philosophie d’inspiration chrétienne (y compris le spiritualisme) ont jeté en pâture, et en toute mauvaise foi (c’est le cas de le dire), à l’Occident chrétien dont nous sommes bien placés aujourd’hui pour savoir quel usage aberrant il en a fait.

« Et si en réalité, ils s’imaginaient qu’ils vont sauver le système capitaliste de sa finitude et le transformer en « capitalisme intergalactique » ? » Photo : Wendelin Jacober

Mais dans l’état actuel des mentalités, il semble exclu qu’un tel processus puisse s’accomplir de façon parfaitement pacifique. Trop de forces sur la planète, et trop puissantes, restent attachées au monde ancien et à son chaos générateur de toutes sortes de privilèges et de profits. Les Etats-Unis d’Amérique en restent l’éloquente illustration.

Ce qui est frappant en effet pour l’observateur des comportements humains sur la longue durée, c’est l’incapacité des peuples à tirer toutes les conséquences de leur expérience historique et à apprendre de leurs erreurs. La cause principale, peut-être même exclusive, d’une telle inertie, c’est le fait que les erreurs commises ne révèlent qu’après coup toute leur nocivité. Il faut du temps généralement pour prendre vraiment la mesure des choses, identifier les problèmes et imaginer des solutions, un temps souvent beaucoup plus long qu’on aurait pu le penser et pendant lequel tout suit son cours et tend à s’invétérer davantage. Plusieurs générations peuvent ainsi se succéder sans qu’on ait seulement l’idée qu’il est possible de changer quelque chose au statu quo. A cet égard, contrairement à une idée toute faite caractéristique du jeunisme intéressé de notre époque, « la jeunesse » n’est pas nécessairement un vecteur sociologique de changement social et moins encore de « progrès ». Soûlées de bruit, de fureur sportive, de gesticulations artistiques, dans un enfer audio-visuel incessant sous l’influence de la mode toutes tendances conjuguées, les fractions les plus jeunes du public sont exposées en permanence au pilonnage publicitaire, à des fins toujours intéressées économiquement. Eduquer toute une jeunesse à se comporter en insatiables consommateurs et à adopter n’importe quelle innovation technologique pourvu qu’elle double clique ou qu’elle tik-toke plus vite et plus giga que la précédente, n’est pas forcément la meilleure façon d’aider au développement spirituel de l’individu, ni le meilleur service à rendre à la collectivité, à moins que celle-ci ne soit une société de consommation capitaliste, ce qui est précisément notre cas. En France comme partout ailleurs dans le monde, car on sait aujourd’hui ce que signifie l’expression « capitalisme mondialisé ». Elle signifie soumission inconditionnelle des peuples à l’argent et émulation généralisée dans la course à l’enrichissement. On en est là et il ne semble pas qu’il y ait une seule force sociale organisée sur la planète pour changer cette trajectoire catastrophique, du moins dans un laps de temps prévisible et raisonnable et sans recourir à la critique des armes qui semble être devenue, plus encore que par le passé, l’ultima ratio, le recours exclusif des Maîtres du monde, ce monde sourd et aveugle à la montée des souffrances et des misères humaines tout autant qu’à celle des océans.

« Les multimilliardaires tentent aujourd’hui de transformer le capitalisme mondialisé en capitalisme intergalactique »

A différents moments, au fil des millénaires, des peuples ont senti s’aiguiser la conscience qu’ils prenaient de l’irrémédiable finitude humaine. A chaque fois ils ont réagi par le déni, en récusant cette finitude sur le mode du fantasme et de la fiction mythologique. Ils se sont inventé des missions sacrées, des mandats impératifs d’ouvrir au genre humain de nouveaux espaces sur la planète. Pour certains ce furent des espaces géographiques, prometteurs de contrées et de richesses nouvelles en abondance, pour d’autres ce furent des espaces de pensée et de savoir qui s’ouvraient à l’intelligence. Mais dans tous les cas, il s’agissait de repousser les limites matérielles et symboliques sur lesquelles butait l’Humanité de leur époque. Ces entreprises d’élargissement de l’espace vital des peuples avaient des motivations diverses et souvent même moralement injustifiables, mais elles ont puissamment contribué à orienter le cours de l’histoire de la plupart des pays et des populations. Si criminels qu’ils soient, le génocide et l’esclavagisme ont contribué à faire des Etats-Unis d’Amérique la première puissance mondiale. Mais le monde a pleinement accepté ce fait historique (idem pour toutes les grandes puissances).

Ce qu’il importe de souligner ici c’est la fonction d’évasion que jouent ces entreprises dans l’histoire des sociétés aux prises avec les difficultés de leur finitude. Il est quand même remarquable que dans la plupart des cas où des peuples ont entrepris de conquérir et de s’emparer de terres étrangères, ils aient pris soin d’arborer la bannière de la « civilisation » et de transformer ainsi leur démarche en croisade légitime, aux yeux du monde mais aussi à leurs propres yeux. Cela éclaire d’un jour nouveau, plus cru mais plus révélateur, des entreprises aussi manifestement insensées que celles des archi-milliardaires de notre époque qui cherchent à embarquer les nations dans une nouvelle croisade pour repousser plus loin les inexorables limites de la vie humaine (transhumanisme) et les non moins contraignantes limites de l’aventure spatiale (colonisation de l’espace interplanétaire).

En apparence, le projet fou d’offrir aux Humains l’immortalité et l’immensité infinie de l’Univers, permet à nos ultra-riches, de prendre place sur le podium parmi les héros de tous les temps, les médaillés de platine du citiusaltiusfortius toutes catégories.

Et si en réalité, ils s’imaginaient, peut-être en toute sincérité, mais pas moins absurdement, qu’ils vont sauver le système capitaliste de sa finitude et le transformer, de « capitalisme mondialisé » en « capitalisme intergalactique » ? De même que Christophe Colomb et les nouveaux capitaines hauturiers du XVe siècle ouvraient sans le savoir expressément un monde au capitalisme commençant, de même Elon Musk et ses émules cherchent-ils à ouvrir un espace salvateur au capitalisme finissant sur la Terre… Si c’est pour nous faire une seconde version, spatiale celle-là, des États-Unis d’Amérique, non merci Elon, on a déjà donné ! Quant à l’immortalité, qu’on laisse les humains « s’endormir du sommeil de la terre », c’est l’ultime service qu’on puisse leur rendre !

Alain Accardo

Sociologue, professeur émérite à l’université de Bordeaux, proche de la pensée de Pierre Bourdieu, Alain Accardo a notamment participé aux côtés de celui-ci à « La Misère du monde ». Collaborateur régulier du Monde Diplomatique et de La Décroissance, il est notamment l’auteur de : « Le Petit-Bourgeois gentilhomme » et « Pour une socioanalyse du journalisme », parus aux éditions Agone