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Énergie : imposer un secteur 100% durable et socialisé
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Énergie : imposer un secteur 100% durable et socialisé | L’Anticapitaliste (lanticapitaliste.org)
La « crise énergétique » démontre une fois de plus que les intérêts privés d’une poignée de capitalistes sont opposés à ceux du reste de l’humanité et sont incompatibles avec l’urgence climatique. Passer des « énergies de stock » limitées (l’extractivisme effréné du capitalisme) à des « énergies de flux » renouvelables (disponibles dans la géosphère : éolien, hydraulique, solaire, thermique…) est désormais incontournable. Il faut aussi et surtout réorganiser la production, les transports, l’urbanisme, l’agriculture… avec pour boussole une efficacité et une sobriété énergétique qui n’ont strictement rien à voir avec celles imposées par le gouvernement. Dans ce dossier Énergie, nous présentons des arguments et nos propositions de rupture écosocialiste, pour en comprendre les enjeux et convaincre qu’en 2022, l’anticapitalisme est une évidence.
Dossier préparé par la Commission nationale Écologie du NPA
Les causes de l’augmentation indécente des prix de l’électricité
Depuis plus d’un an, les prix de l’énergie s’envolent et les pénuries s’aggravent en Europe (Grande-Bretagne, France…) et ailleurs dans le monde (États-Unis, Chine, Inde…). Début septembre 2021, les prix de l’électricité sur les marchés de gros ont battu un record historique en dépassant la barre des 100 €/MWh. À titre de comparaison, selon les données de RTE, ils avoisinaient 47 €/MWh au 1ᵉʳ janvier 2021. En août 2O22, ils frôlaient les 750 €/MWh. Ils se situent aujourd’hui autour de 300 €/MWh. Et on peut penser qu’en Europe les prix continueront à rester élevés, au moins jusqu’à la fin de l’hiver.
Les répercussions de ces hausses sont multiples : explosion des bénéfices pour les actionnaires des grands groupes énergétiques, menaces importantes pour les fournisseurs d’énergie « indépendants » qui répercutent les hausses sur leurs clients… Mais aussi atteintes graves aux budgets des collectivités locales et très grosses difficultés pour les ménages, en particulier les plus précaires, malgré les boucliers tarifaires et autres mesures d’accompagnement mises en place par certains gouvernements.
Des causes conjoncturelles et surtout structurelles
Une hausse de la demande après la pandémie de covid se combine avec plusieurs sources de perturbations de l’offre et entraîne une spéculation forte sur les marchés. Outre la guerre en Ukraine, motif avancé pour justifier la hausse des prix de l’électricité, plusieurs causes en France expliquent cette augmentation : la spéculation sur les combustibles fossiles, la forte croissance des prix du carbone sur le marché du CO2, la faible disponibilité du parc nucléaire, ou encore le déficit hydrique des barrages à cause de la sécheresse… Mais la conjoncture n’explique pas tout de l’envolée incontrôlée des prix de l’électricité.
Le premier responsable c’est le TCE (traité sur la charte de l’énergie), ratifié en 1994 pour sécuriser l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest en énergies fossiles et favoriser la coopération transfrontalière des États en matière énergétique. C’est un bouclier solide pour les « investisseurs » du secteur de l’énergie. Il leur permet de se retourner contre les États qui mèneraient des politiques climatiques en défaveur de leur business. En attaquant les États en justice, les géants de l’énergie peuvent ainsi réclamer des milliards d’euros de « compensation » aux gouvernements. Outre le frein aux politiques en faveur du climat, le TCE est un formidable cadeau aux groupes de l’énergie. En 2021, les affaires jugées jusqu’alors ou en passe de l’être représentaient un montant de 85 milliards de dollars à la charge des États.
Cependant, la source principale du problème est structurelle : l’ouverture à la concurrence des marchés européens de l’électricité. Une directive européenne de 1996 formalise cette mise en concurrence et acte la fin du monopole d’EDF. D’autres fournisseurs allaient pouvoir vendre de l’électricité aux particuliers comme aux entreprises, sans être producteurs mais en tant que simples intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Dans le passé, EDF vendait son électricité directement aux consommateurs à un prix reflétant les coûts de production. Maintenant, EDF vend son électricité à perte aux fournisseurs qui la revendent à leur tour aux consommateurs, en se servant au passage.
Le « marché de l’énergie », une pompe à fric
Deux dispositifs le permettent : l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) et les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE), une méthode de calcul qui fixe à l’opérateur historique EDF ses prix de vente, alors que les autres fournisseurs restent maîtres des leurs.
Avec le dispositif ARENH, EDF doit céder à ses concurrents une part de sa production d’électricité nucléaire (120 TWh/an) à un prix fixé à 42 € le MWh, inférieur au coût de production de ses centrales nucléaires. Quand le marché de l’électricité était bas, ce dispositif ne posait pas de gros problème. Aujourd’hui, le MWh peut se négocier à 200 € et plus : on voit le bénéfice qu’en tirent les fournisseurs privés — qui achètent à 42 € et revendent au prix du marché — et les pertes proportionnelles d’EDF.
La loi NOME (nouvelle organisation du marché de l’électricité) de 2010 impose d’aller plus loin en définissant un nouveau mode de calcul des tarifs de vente d’EDF, toujours pour faciliter l’entrée de concurrents sur le marché.
Ce mode de calcul intègre le coût d’approvisionnement de ces « fournisseurs alternatifs » sur les marchés de gros. Cela revient à moduler les augmentations des tarifs EDF pour que les concurrents puissent être compétitifs et les inciter ainsi à entrer sur le marché.
Le résultat ? Une prime aux fournisseurs privés, un fardeau de plus en plus lourd pour EDF… et des prix à la consommation qui s’envolent.
Enfin, pour garantir la rentabilité des centrales au gaz, le marché de l’électricité européen fonctionne selon le système de « l’ordre de mérite ». Pas selon les besoins des usagers bien sûr, mais pour garantir les profits. Le cours du MWh est calculé en fonction du dernier MWh produit. Celui-ci est différent selon les sources d’énergie : faible pour les renouvelables, moyen pour le nucléaire, élevé pour les énergies fossiles (gaz principalement). Si la demande d’électricité est faible, les énergies renouvelables et éventuellement la production nucléaire suffisent : le prix est alors faible. Mais lorsque la demande est plus forte, on remet en route des centrales thermiques. Le prix de vente de l’électricité sur le marché s’aligne alors sur le coût de production des centrales thermiques. Et tous les acteurs de la chaîne de production/distribution en profitent, puisque le MWh produit à bas coût est vendu au prix le plus cher. Tous les acteurs ? Non, car ce sont bien sûr les usagerEs et les contribuables qui d’une manière ou d’une autre paient la facture.
Au total, traité sur la charte de l’énergie, ouverture à la concurrence, primes aux fournisseurs privés et alignement sur le prix du gaz sont autant de causes structurelles de l’augmentation sévère des prix de l’énergie et en particulier de l’électricité. En relançant les fossiles, en accordant un label « vert » au gaz et au nucléaire, les dirigeants européens nous attaquent sur deux flancs : en servant les intérêts capitalistes et en sabotant toute politique climatique.
Le « nucléaire à marche forcée », enfumage énergétique
En visioconférence, Macron a supplié le chancelier Scholtz de conclure un deal : « L’Allemagne a besoin de notre gaz et nous, nous avons besoin de l’électricité produite dans le reste de l’Europe, et en particulier en Allemagne » (conférence de presse, 5/09/2022). Pourtant, depuis la guerre en Ukraine, Macron n’a de cesse de fanfaronner que notre pays est à l’abri de la crise, grâce à l’électricité nucléaire, qui « garantit l’indépendance énergétique de la France ».
Un mensonge éhonté car depuis 2001, 100 % de l’uranium qui alimente les centrales nucléaires d’EDF est importé : du Niger (d’où la présence militaire néocoloniale française), du Kazakhstan, d’Ouzbékistan et d’Australie. Encore plus tordu, pendant que Macron s’agite dans les médias pour renforcer les sanctions contre la Russie, il continue d’acheter à Poutine de l’uranium de retraitement, enrichi à l’usine de Tomsk, en Sibérie. Le 13 septembre, une cargaison a été déchargée au port de Dunkerque1. Le terrorisme d’État de Poutine, qui bombarde la centrale ukrainienne de Zaporijjia, séquestre son personnel et kidnappe son directeur, n’empêche pas Macron d’en faire un partenaire commercial tout à fait respectable pour le business nucléaire. Cette politique d’hypocrisie et de mensonges permanents ramène l’injonction qui nous est faite d’« accepter de payer le prix de la liberté » à ce qu’elle est vraiment : un cynisme qui pue le mépris de classe. Quant aux médias dominants, qui « traquent les fausses informations » sur les réseaux sociaux, ils respectent l’omerta sur ce fatras de fake news assumées à la tête de l’État.
Le fiasco continue : six nouveaux EPR prévus quand celui de Flamanville ne fonctionne toujours pas
Après le « grand débat », la convention citoyenne pour le climat, les États généraux de la Santé, l’enfumage va encore plus loin avec la politique énergétique : « un déploiement à marche forcée de la stratégie nucléaire », dixit Macron le 22 septembre dernier. Plus que jamais au service des groupes capitalistes qui font de la filière nucléaire un business juteux, mais énervé par les fiascos à répétition, il veut passer en force. Et le 26 septembre, il a présenté au CNTE (Conseil national de la transition écologique) son projet de loi pour s’affranchir des enquêtes publiques et démarrer la construction de 3 paires de réacteurs EPR en contournant la loi littoral et le code de l’environnement. L’EPR de Flamanville, c’est déjà 12 ans de retard, un coût multiplié par 6 (plus de 20 milliards d’euros), et il ne fonctionne toujours pas ! Avant de rêver de ces 6, puis 8 autres, EPR2, il faudrait d’abord éliminer toutes les malfaçons de l’EPR de Flamanville : qu’EDF répare les soudures du circuit secondaire principal, fasse requalifier et remplace les assemblages combustibles du cœur nucléaire (fragilité détectée sur l’EPR chinois en 2021), trouve une solution technique pour permettre au système de pilotage de fonctionner correctement… au plus tôt en 2024 ! C’est aussi l’année imposée par l’ASN (Autorité du sûreté nucléaire) pour remplacer le couvercle de la cuve, non conforme, par un autre commandé en 2017 aux forges japonaises. De gros travaux, avant les essais qui livrent souvent de mauvaises surprises… Les 6 EPR2 ne seraient pas mis en service avant 2040. Conçus pour fonctionner 60 ans, ils devront sans doute s’arrêter avant faute de combustible, car les réserves d’uranium exploitables seront épuisées vers 2070, avant le pétrole… Quant aux déchets nucléaires et autres combustibles Mox usagés (prévus aussi pour les EPR), ils continuent de s’accumuler, au point de bloquer toute la filière. Le gouvernement, qui veut imposer leur enfouissement dans une décharge nucléaire (projet Cigéo, dans la Meuse), militarise les villages de la région et réprime les opposants.
Un cynisme sans Borne
Quant aux 56 réacteurs actuels, leur production est au plus bas depuis trente ans : autour de 40 % de leur puissance totale. Les problèmes de vieillissement (corrosion-fissuration des tuyauteries du système d’injection de sécurité) et le réchauffement climatique (manque d’eau de refroidissement et températures élevées) ont conduit à l’arrêt de nombreux réacteurs, malgré les dérogations accordées par l’ASN. Désormais, le nucléaire est une énergie intermittente, avec un taux de disponibilité comparable à celui des éoliennes en mer. Et depuis 2021, la production électrique mondiale « solaire + éolien » a dépassé celle du nucléaire. Craignant le black-out, le gouvernement Borne a concocté un « plan de sobriété énergétique » non pas pour résoudre la crise climatique, mais pour préserver les intérêts économiques des entreprises. Les usagers que nous sommes sont priés de mettre la doudoune, tandis que, du 15 octobre au 15 avril, les ballons d’eau chaude sanitaire seront coupés à distance via le « compteur communiquant » Linky, ce qui donne raison aux centaines de collectifs anti-Linky qui dénoncent depuis des années ce dispositif intrusif de contrôle social. Alors, pour masquer le fiasco du tout-nucléaire et l’absence totale de plan de reconversion énergétique, le gouvernement continue de mentir : « EDF s’est engagé à démarrer tous ses réacteurs pour cet hiver »2. Une promesse impossible à tenir, d’autant que, sur l’exemple des travailleurs de Total, des grèves se préparent dans les centrales EDF.
L’énergie, une question essentielle
Toute société a besoin d’énergie pour fonctionner : pour tous les gestes de la vie quotidienne, pour les conditions et les possibilités du travail … C’est une des bases matérielles de notre existence, de nos luttes. Indispensable, sa production depuis la révolution industrielle est en grande partie responsable du changement climatique : une contradiction sans issue tant que l’énergie est soumise à la loi du profit.
Les mesures immédiates pour répondre à l’urgence sociale et à l’urgence climatique existent : sortie du traité sur la charte de l’énergie (TCE), taxation des profits, prise en charge de l’amélioration de l’efficacité énergétique (bâtiments, industrie…), rénovation et isolation des habitations, développement des transports en commun, innovations urbaines et développement raisonné des énergies renouvelables.
Sur le fond, nous savons qu’aucun compromis n’est possible entre le capitalisme et la survie de l’espèce humaine. Il n’ y a pas de miracle technologique qui permettrait de sortir de cette contradiction : sauver le système ou le climat.
À long terme, notre réflexion sur ce que sera la production d’énergie dans une société écosocialiste est contrainte par deux limites :
– un impératif : pour préserver l’environnement il faut sortir des fossiles (pétrole, gaz, charbon…) et gérer les conséquences sur l’emploi ;
– un choix : le refus du nucléaire civil et militaire, à cause des risques sanitaires et écocidaires (les déchets à long terme, l’accident majeur à court terme)… sans parler de son incapacité à répondre à l’urgence climatique (le risque nucléaire ne protège pas du risque climatique).
Cette double contrainte — ni fossile ni nucléaire — est lourde de conséquences quant aux solutions à apporter. Le recours aux énergies renouvelables ne suffira pas à répondre aux besoins énergétiques, s’ils ne sont pas modifiés en profondeur. La société devra rompre avec la logique productiviste-extractiviste qui est l’ADN du capitalisme, et créer les conditions d’une démocratie radicale : les producteurEs-usagerEs s’informent, discutent, arbitrent, deviennent acteurs des décisions qui pèsent sur la vie de chacunE.
Comme dans d’autres secteurs stratégiques, l’expropriation et le contrôle des travailleurEs sur le secteur de l’énergie devra être une priorité, condition nécessaire pour développer une politique énergétique alternative efficace et égalitaire, qui préserve la nature et la biodiversité.
C’est à ces conditions qu’on peut espérer maintenir une planète habitable pour toutes et tous — pour longtemps.
Nos propositions immédiates
Le coût climatique de l’énergie impose de modifier en profondeur le système productif, les choix en matière d’énergie et des biens à produire. L’urgence climatique exige d’en finir avec le pétrole, le charbon et le gaz. L’énergie, indispensable à nos vies, ne peut être soumise à la loi du profit.
C’est pourquoi l’expropriation des groupes capitalistes de l’énergie est nécessaire pour mettre en place un véritable service public de l’énergie prenant en charge production d’énergie, recherche et développement d’énergies renouvelables, mais aussi, et surtout, une politique globale de sobriété énergétique.
Nous proposons un plan pour obtenir 100 % d’énergies renouvelables en 2050, qui combine sortie des énergies fossiles et arrêt du nucléaire (c’est possible en 10 ans1), à commencer par l’EPR de Flamanville, la fermeture de tous les réacteurs de plus de 30 ans, l’abandon des projets d’enfouissement des déchets radioactifs de haute activité.
Nous proposons de socialiser le secteur de l’énergie pour avoir les moyens d’un contrôle des salariéEs et des usagerEs, d’un débat démocratique pour décider des besoins réels : plan d’isolation des logements et locaux, suppression de la publicité et de certaines productions inutiles, sur les choix : quelles énergies renouvelables ? Quelles conditions de production ? Quelle planification ? Ces questions doivent être prises en charge démocratiquement.
Toutefois, la condition incontournable pour répondre aux urgences sociales et écologiques est de s’en prendre aux plus riches. Les capitalistes font un très mauvais usage de leur fortune et des richesses produites, tant pour leur consommation que pour leurs investissements. De quoi financer largement le secteur public, socialisé, dans lequel la logique du commun permet le contrôle et les choix politiques démocratiques en fonction des besoins sociaux et écologiques et non des profits. De quoi assurer aussi la gratuité pour les besoins de base, le meilleur moyen, le plus égalitaire, d’assurer à chacunE la satisfaction de ses besoins élémentaires. C’est valable pour l’énergie : nous en proposons la fourniture gratuite jusqu’à un quota standard.
- 1.Dossier L’Anticapitaliste n° 592