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Afrique de l’Ouest : le Burkina Faso à la croisée des chemins
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La chute, le 2 octobre, du lieutenant-colonel Damiba, au pouvoir depuis huit mois au Burkina Faso, est la conséquence de son incapacité à répondre aux attentes du pays et à sa tentation de restaurer l’ordre ancien du temps de la dictature de Compaoré. Si le nouveau pouvoir de la junte est désormais stabilisé, partis politiques, syndicats et organisations de la société civile restent vigilants et entendent continuer leur combat.
Le capitaine Ibrahim Traoré, nouveau chef du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), a été intronisé président de la Transition. Plusieurs responsables religieux ont joué un rôle de médiation entre le nouveau putschiste et l’ancien. Damiba a posé sept exigences parmi lesquelles la continuité du processus de transition, le respect des engagements internationaux souscris par le Burkina, la garantie de sa sécurité pour lui et ses proches. L’état-major de l’armée, après hésitation, a apporté son soutien au nouvel homme fort. Enfin, le facilitateur de la Cédéao1 Mahamadou Issoufou a avalisé cette sortie de crise.
L’échec de Damiba
La démission rapide de Damiba s’explique notamment par l’étiolement du soutien populaire dont il avait bénéficié lors de sa prise de pouvoir. Il promettait la restauration de la sécurité et de l’intégrité du territoire mais la situation n’a eu de cesse de se dégrader comme en témoigne l’attaque, le 26 septembre, du convoi de Gaskindé causant la mort de 27 militaires et 10 civils. Les véhicules se rendaient dans la ville de Djibo en proie à un blocus organisé par les djihadistes.
Le 4 août, date symbolique qui marque l’arrivée au pouvoir de Thomas Sankara en 1983, une trentaine d’organisations politiques, syndicales et associatives ont fondé le Front patriotique. Cette structure a critiqué sévèrement la politique suivie par Damiba, particulièrement l’invitation de Blaise Compaoré à Ouagadougou, vue comme un véritable déni de justice. Exfiltré par l’armée française à Abidjan en Côte d’Ivoire suite à la révolution de 2014, Compaoré a été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour son implication dans le meurtre de Thomas Sankara. Ainsi cette alliance déclarait :
« Notre patrie est dans une impasse politico-judiciaire. Le MPSR, son gouvernement, avec à sa tête le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, ont non seulement montré leurs limites face au grand péril qui menace les fondements de la patrie, mais se sont tristement illustrés dans le discrédit de la décision de justice en référence au mandat d’arrêt international lancé contre l’ex-président Blaise Compaoré. »
Tentative de retour à l’ordre ancien
Quelques semaines plus tard, le Front patriotique se prononçait pour l’éviction de la junte au pouvoir, parlant d’une politique contre le terrorisme « faite de mensonge d’État, de manipulation, d’affairisme et de corruption ».
Le Balai citoyen, une des organisations de la société civile qui a eu un rôle important lors de la révolution de 2014, voyait dans les mesures prises par Damiba, notamment la restriction des libertés publiques et la récente condamnation de Ollo Mathias Kambou dit Kamao pour outrage au chef de l’État, une dérive autoritaire. La décision de gratifier certains soldats des forces spéciales de primes, qui a provoqué la mutinerie débouchant sur le coup de force contre Damiba, est analysée par cette organisation comme une stratégie de clientélisme dans l’armée qui rappelle l’ère de Blaise Compaoré.
Une vigilance face au nouveau pouvoir
Si la prise de pouvoir par Ibrahim Traoré s’est accompagnée de manifestations de soutien, ces dernières étaient loin d’être massives. Il y a surtout parmi les Burkinabé une forme de lassitude et d’inquiétude tant sur les questions de sécurité, d’autant que les groupes djihadistes gagnent du terrain, que sur la dégradation des conditions de vie, les problèmes de ravitaillement et la baisse du pouvoir d’achat. Dans son communiqué, l’Unité d’action syndicale qui regroupe une dizaine d’organisations réitère ses demandes concernant le rétablissement de la sécurité et « la prise de mesures efficaces contre la vie chère et contre les crimes économiques ».
L’organisation du Balai citoyen adopte une attitude de prudence et considère que« cette situation est propice à une remise à plat de la transition avec l’implication pleine et entière du peuple souverain ». C’est bien l’enjeu du moment. En effet, la lutte contre les groupes djihadistes, avant d’être une question militaire, est un sujet politique. La force de ces groupes réside dans l’incapacité de l’État à promouvoir une politique sociale, d’éducation, de santé et de justice capable d’arbitrer les conflits entre les communautés. Au Burkina, on espère que les nouveaux dirigeants emprunteront un autre chemin que celui du tout sécuritaire.
- 1.Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.