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Gilets jaunes de Marseille: "Assez de miettes, prenons la boulangerie"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Quand on arrive à proximité de la place des Chartreux, ce jeudi 15 septembre à Marseille, le micro tourne déjà de mains en mains, et les prises de parole ont commencé. Derrière la petite table où sont disposés brochures et tracts politiques, deux banderoles suspendues : « S’unir ou subir » et « Assez de miettes, prenons la boulangerie ». Près de 120 personnes ont répondu à l’appel du groupe Gilets jaunes de Marseille centre. « Il fallait relancer les rencontres, il y a urgence, explique Gisèle, une Gilet jaune (GJ). On est contents, on est plutôt nombreux, et il y a des jeunes et des personnes qu’on ne connaissait pas. »
Au menu : des constats moroses sur une rentrée qui s’annonce particulièrement violente. Smic trop bas, logements indignes, factures en hausse… La liste des plaintes et doléances est longue et aucun aspect du quotidien ne semble y échapper. « On a besoin de se retrouver pour faire face à une situation qui ne va qu’empirer ! Entre les crises climatique, sociale, énergétique et économique, c’est à nous qu’ils vont tout faire payer, on doit réapprendre à se mobiliser ! » s’exclame au micro une participante.
Le pouvoir d’achat en berne est dans toutes les têtes, mais tout le monde ne le vit pas de la même manière. « Je ne peux pas trop être dans l’action, mais je suis là. Quand on est handicapé comme moi, notre pouvoir d’achat est vraiment mis à mal. En plus, je dois réparer mon fauteuil roulant, ce qui met tout simplement en danger mon budget », explique un Gilet jaune.
Quelques points font débat mais toutes et tous semblent avoir envie d’entrer rapidement dans l’action concrète. « Face à la flambée des prix de l’énergie, est-ce qu’on ne ferait pas un rassemblement devant EDF, comme en Angleterre avec le mouvement Don’t Pay UK ? 1 » questionne un participant qui voit chez les camarades britanniques une source d’inspiration. La Chambre de commerce et d’industrie (CCI), le siège de la multinationale du transport maritime CMA CGM (dont le patron Rodolphe Saadé vient de se payer La Provence), l’hôtel de ville… D’autres idées de cibles potentielles émergent.
Un ordre du jour est décidé : définir les buts communs et les revendications, décider des actions à mener et redonner forme au mouvement. S’agit-il de tout recommencer à zéro, encore une fois ? Pour Gisèle, même si le mouvement des Gilets jaunes a changé de visage, d’intensité et de mode d’action, il n’a pas disparu : « Pour nous, il n’y a pas eu de fin des Gilets jaunes ! Depuis trois ans, on est un petit noyau dur à faire du lien avec d’autres lieux et collectifs de la région, en particulier avec les territoires ruraux. On a adapté les activités en fonction des contextes et des forces en présence. »
« Pour nous, il n’y a pas eu de fin des Gilets jaunes ! »
La nuit commence à tomber, les contacts s’échangent. La foule est moins dense, l’informel prend le dessus, important dans ce qu’il permet, et la soirée se termine en chanson avec un « On est là » qui rappelle décidément bien des souvenirs. Et pour Géraldine2, elle aussi GJ, tout cela donne à rêver d’une suite : « Il faut reprendre de la force face à ce gouvernement qui est un vrai rouleau compresseur ! Ça se réveille ici et là sur les réseaux sociaux. L’heure est trop grave, il faut converger et y aller ensemble. Rendez-vous le 28 septembre prochain sur La Plaine ! »
Deux semaines plus tard, sur la place Jean-Jaurès (aka La Plaine), la plus grande de Marseille. Peu avant l’heure du rendez-vous, on peut apercevoir les derniers rayons de soleil sur le haut des façades des immeubles. Des banderoles sont déjà en place : « On ne veut pas l’aumône, on veut un autre monde », « Nous aussi on veut payer l’ISF ». Un vent froid incite au regroupement.
Deux agents de la police nationale s’immiscent au milieu de la dizaine de personnes arrivées en avance. Démarches assurées, présences intimidantes, les mains au ceinturon, ils jouent néanmoins la proximité. L’un d’eux se dirige vers les banderoles, teste discrètement la solidité de la ficelle qui les maintient en suspension et, tandis qu’elles tombent au sol, se retourne vers le groupe : « Vous croyez que je paie l’essence moins chère que vous ? Vous me mettez une étiquette parce que je suis policier ? Quand vous évoquez le pouvoir d’achat, ça me parle aussi. » un des participants auquel il s’adresse lui tourne le dos et s’éloigne, assumant de ne pas avoir grand-chose à lui dire. Il est rejoint par un autre manifestant qui tente de lui expliquer que la police ne serait pas leur ennemie.
Le policier poursuit l’échange avec le groupe. Il redescend de ses grands chevaux, et évoque le fait que le rassemblement n’est pas illégal. « Mais pourquoi vous avez arraché les banderoles alors ? » questionne un participant. « En fait, la banderole ne tenait pas », répond-t-il sans s’attarder sur le sujet. Deux voitures de la police municipales déboulent en renfort. Le flic s’éloigne, revient prendre des photos, fait signe à ses collègues que tout est sous contrôle, puis s’en va. Une voiture reste stationnée à proximité.
Quand les prises de paroles commencent, l’assistance ne dépasse pas la soixantaine de personnes. Le micro est ouvert, et les points à l’ordre du jour sont présentés. Mais, comme à l’AG précédente, les prises de parole partent sur d’autres sujets : « Demain il y a manif, mais en vrai on ne peut compter que sur nous, les syndicats veulent nous fractionner », s’exclame un participant. « Il faut bien s’unir pour ne pas subir ! C’est grâce à eux qu’on a pu s’opposer à la réforme des retraites, ils ont le mérite de bouger ! » lui rétorque une autre.
« Ça ne serait pas mieux de faire les échanges en petits groupes ? Et de s’organiser aussi en petits groupes pour faire des actions directes et éviter la répression ? » s’enflamme quelqu’un… Pas de réponse. Retour au premier point à l’ordre du jour : fixer la date de la prochaine AG. Un ange passe : aucune main ne se lève. Le vote tombe à plat. Une participante prend les choses en main et tente de remobiliser l’assemblée : « Qu’est-ce qu’on fait pour soutenir la manif de demain ?! On se donne rendez-vous pour y aller ? » Réponse d’une gilette dubitative : « Moi, les partis politiques et les syndicats je n’y crois pas ! Demain, il faut un cortège Gilets jaunes révolutionnaire ! » Pas plus d’écho… La sauce ne prend décidément pas.
L’AG a commencé depuis moins d’une heure et les échanges informels prennent discrètement le relais. Cela n’a pas échappé à Géraldine qui tente d’apporter le mot de la fin : « C’est important de venir demain, rejoignez-nous, on verra bien ce que ça donne, et rendez-vous sur les ronds-points. » Le groupe se fait moins dense pendant que les prises de parole s’amenuisent. Le ciel s’est assombri, l’ambiance refroidie. On entend monter le bruit des terrasses alentour, la musique des apéros improvisés, et le bruit des planches de skate qui claquent sur le bitume.
« C’est très dur, on est peu, se confie Géraldine. On tente de se réunir mais on aboutit à des entités qui s’opposent. On peut critiquer les syndicats, mais on doit pouvoir faire ensemble. Le problème, c’est que tout le monde n’a pas une analyse politique des inégalités économiques. En ne réveillant pas leur conscience de classe, certains restent modérés dans leurs revendications... » Attristée, elle ne baisse cependant pas les bras : « On va continuer les actions avec d’autres collectifs de Gilets jaunes. D’ailleurs, on commence à organiser l’anniversaire des quatre ans du mouvement qui aura lieu mi-novembre. » À bon entendeur...