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Mickaël Löwy: Onze fausses pistes sur le climat

écologie

Lien publiée le 23 octobre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Inprecor

On trouve dans les divers discours sur le climat un grand nombre de lieux communs, mille fois répétés sur tous les tons, qui constituent des fausses pistes et qui conduisent, volontairement ou pas, à ignorer les vrais enjeux, ou à croire à des pseudo-solutions. Je ne me réfère pas ici aux discours négationnistes, mais à ceux qui se prétendent « verts » ou « soutenables ».

Michael Löwy Photothèque Rouge/MILO

Ce sont des affirmations de natures très diverses : certaines sont de vraies manipulations, des fake news, des mensonges, des mystifications ; d’autres sont des demi-vérités, ou un quart de vérité. Beaucoup sont pleines de bonne volonté et de bonnes intentions – matériel dont est pavée, comme l’on sait, la route vers l’enfer. C’est d’ailleurs sur cette route que nous nous trouvons : si l’on continue avec le business as usual – même peint en vert – d’ici quelques décennies nous nous trouverons dans une situation bien pire que la plupart des cercles de l’enfer décrits par Dante Alighieri dans sa Divine Comédie.

Les onze exemples suivants ne sont que quelques-uns de ces lieux communs à éviter.

1. « Il faut sauver la planète. »

On le rencontre partout : sur des panneaux, dans la presse, dans les magazines, dans les déclarations de dirigeants politiques, etc.

En fait c’est un non-sens : la planète Terre n’est nullement en danger ! Quel que soit le climat, elle continuera tranquillement à tourner autour du soleil dans les prochains millions d’années. Ce qui est menacé par le réchauffement global, ce sont des multiples formes de vie sur cette planète, y compris la nôtre : l’espèce Homo Sapiens.

« Sauver la planète » donne la fausse impression qu’il s’agit de quelque chose qui nous est extérieur, qui se trouve quelque part ailleurs et qui ne nous concerne pas directement. On ne demande pas aux gens de s’inquiéter pour leur vie, ou celle de leurs enfants, mais pour une vague abstraction, « la planète ». Pas étonnant que les personnes les moins politisées réagissent en se disant : je suis trop occupé avec mes problèmes pour m’inquiéter de « la planète ».

2. « Faites un geste pour sauver la planète. »

Ce lieu commun, infiniment ressassé, est une variante de la formule antérieure.

Il contient une demi-vérité : il faut que chacun contribue personnellement à éviter la catastrophe. Mais il véhicule l’illusion qu’il suffit d’accumuler les « petits gestes » – éteindre les lumières, fermer le robinet, etc. – pour éviter le pire. On évacue ainsi – consciemment ou pas – la nécessité de profonds changements structurels dans le mode de production et consommation actuel ; changements qui mettent en question les fondements mêmes du système capitaliste, fondé sur un seul critère : la maximisation du profit.

3. « L’ours polaire est en danger. »

C’est une photo que l’on trouve partout, répétée à satiété : un pauvre ours polaire qui essaye de survivre au milieu de blocs de glace à la dérive. Certes, la vie de l’ours polaire – et de beaucoup d’autres espèces des régions polaires – est menacée. Cette image peut susciter la compassion de quelques âmes généreuses, mais pour la majorité de la population c’est une affaire que ne les concerne pas.

Or, la fonte des glaces polaires est une menace non seulement pour le brave ours polaire, mais à terme pour la moitié, sinon plus, de l’humanité qui vit dans des grandes villes au bord de la mer. La fonte des immenses glaciers du Groenland et de l’Antarctique peut faire monter le niveau de la mer de quelques dizaines de mètres. Or, il suffit de quelques mètres pour que des villes comme Venise, Amsterdam, Londres, New York, Rio de Janeiro, Shanghai, Hong Kong soient submergées. Certes, cela ne va pas arriver l’année prochaine, mais les scientifiques ne peuvent que constater que la fonte de ces glaciers s’accélère… Il est impossible de prévoir à quelle rapidité elle aura lieu, beaucoup de facteurs sont pour le moment difficiles à calculer.

En mettant en avant uniquement le pauvre ours polaire, on occulte qu’il s’agit d’une affaire terrifiante qui nous concerne tous…

4. « Le Bangladesh risque de souffrir beaucoup avec le changement climatique. »

Il s’agit d’une semi-vérité, pleine de bonne volonté : le réchauffement global va affecter surtout les pays pauvres du Sud, qui sont les moins responsables des émissions de CO2. C’est vrai que ces pays seront les plus atteints par les catastrophes climatiques, les ouragans, la sécheresse, la réduction des sources d’eau, etc. Mais il est faux que les pays du Nord ne seront pas affectés, dans une très grande mesure, par ces mêmes dangers : n’a-t-on pas assisté à de terribles incendies de forêts aux États-Unis, au Canada, en Australie ? Les vagues de chaleur n’ont-elles pas fait de nombreuses victimes en Europe ? On pourrait multiplier les exemples.

Si l’on entretient l’impression que ces menaces ne concernent que les peuples du Sud, on ne pourra mobiliser qu’une minorité d’internationalistes convaincus. Or, tôt ou tard, c’est l’ensemble de l’humanité qui sera confrontée à des catastrophes sans précédent. Il faut expliquer aux populations du Nord que cette menace pèse sur eux aussi, très directement.

5. « Vers l’année 2100, la température risque de monter à + 3,5 °C (au-dessus de la période préindustrielle). »

C’est une affirmation qui se trouve, hélas, dans beaucoup de documents sérieux. Cela me semble une double erreur :

• Du point de vue scientifique : on sait que le changement climatique ce n’est pas un processus linéaire : il peut connaître des « sauts » et des accélérations soudaines. Beaucoup de dimensions du réchauffement ont des rétroactions, dont les conséquences sont imprévisibles. Par exemple, les incendies de forêts émettent d’énormes quantités de CO2, qui contribuent au réchauffement, intensifiant ainsi les incendies de forêts. Il est par conséquent très difficile de prévoir ce qui se passera dans quatre ou cinq années, comment prétendre prévoir à un siècle de distance ?

• Du point de vue politique : à la fin du siècle, nous serons tous morts, ainsi que, pour les plus âgés d’entre nous, nos enfants et nos petits-enfants. Comment mobiliser l’attention et l’engagement des gens pour un avenir qui ne les concerne pas, ni de près ni de loin ? Il faudrait donc s’inquiéter pour les générations à venir ? Noble pensée, longuement argumentée par le philosophe Hans Jonas : notre devoir moral envers ceux qui ne sont pas encore nés. Une petite minorité de gens très respectables pourraient être touchés par cet argument. Pour le commun des mortels, ce qui se passera en 2100 n’est pas une affaire qui l’intéresse beaucoup.

6. « En 2050 nous allons atteindre la neutralité carbone. »

Cette promesse de l’Union européenne et de divers gouvernements en Europe et ailleurs ne relève pas de la demi-vérité, ni de la naïve bonne volonté : c’est une pure et simple mystification. Pour deux raisons :

• À la place de s’engager maintenant, immédiatement, pour les changements urgents exigés par la communauté scientifique (le GIEC) pour les 3 à 4 prochaines années, nos gouvernants promettent des merveilles pour 2050. C’est évidemment beaucoup trop tard. D’ailleurs, comme les gouvernements changent tous les 4 ou 5 ans, quelle garantie pour ces engagements fictifs dans 30 années ? C’est une façon grotesque de justifier l’inaction présente par une vague promesse lointaine.

• En outre, la « neutralité carbone » ne signifie pas une réduction drastique des émissions, bien au contraire ! C’est un calcul trompeur fondé sur les offsets, les « mécanismes de compensation » : l’entreprise XY continue à émettre du CO2, mais plante une forêt en Indonésie, censée absorber l’équivalent de ce CO2… si elle ne prend pas feu. Les ONG écologiques ont déjà suffisamment dénoncé la farce des offsets, je n’insiste pas. Mais cela montre la parfaite mystification contenue dans la promesse de « neutralité carbone ».

7. « Notre banque (ou entreprise pétrolière etc.) finance les énergies renouvelables et participe ainsi à la transition écologique. »

Ce lieu commun du greenwashing relève lui aussi de la tromperie et de la manipulation. Certes, les banques et multinationales investissent aussi dans les énergies renouvelables, mais des études précises d’ATTAC et autres ONG ont montré qu’il s’agit d’une petite – parfois minuscule – partie de leurs opérations financières : le gros continue d’aller vers le pétrole, le charbon, le gaz… C’est une simple question de rentabilité et de compétition pour des parts de marché.

Tous les gouvernements « raisonnables » – contrairement à Trump, Bolsonaro et compagnie – jurent aussi, sur tous les tons, qu’ils se sont engagés dans la transition écologique et les énergies renouvelables. Mais dès qu’il y a un problème de fourniture d’une énergie fossile – le gaz récemment, à cause de la politique russe agressive – on se réfugie dans le charbon, en réactivant les centrales électriques à lignite, ou bien on implore la (sanglante) famille royale d’Arabie Saoudite d’augmenter la production de pétrole.

Les beaux discours sur la « transition écologique » occultent une désagréable vérité : il ne suffit pas de développer les énergies renouvelables. Tout d’abord, celles-ci sont intermittentes : le soleil ne brille pas toujours en Europe du Nord… Certes, des avancées techniques existent sur ce terrain, mais elles ne peuvent pas tout résoudre. Et surtout, les renouvelables exigent des ressources minières qui risquent de s’épuiser. Si le vent et le soleil sont des biens illimités, ce n’est pas du tout le cas des matériaux nécessaires pour les utiliser (lithium, terres rares etc.). Il faudra donc envisager une réduction de la consommation globale d’énergie, et une décroissance sélective : mesures inimaginables dans le cadre du capitalisme.

8. « Grâce aux techniques de capture et séquestration du carbone on évitera la catastrophe climatique. »

C’est un argument de plus en plus utilisé par les gouvernements et qu’on trouve même dans certains documents sérieux (par exemple du GIEC). C’est l’illusion d’une solution technologique miracle, qui sauverait le climat, sans besoin de changer quoi que ce soit dans notre mode de production (capitaliste) et dans notre mode de vie.

Hélas, la triste vérité c’est que ces techniques miraculeuses de capture et séquestration du carbone atmosphérique sont loin d’être une réalité. Certes, quelques tentatives ont eu lieu, quelques projets sont en cours ici ou là, mais pour le moment on ne peut pas dire que cette technologie est efficace et opérationnelle. Elle n’a pas encore résolu les difficultés, ni de la capture ni de la séquestration (dans des régions souterraines imperméables aux fuites). Et il n’y a aucune garantie qu’à l’avenir elle pourra le faire.

9. « Grâce à la voiture électrique, on va réduire substantiellement des émissions de gaz à effet de serre. »

C’est encore un exemple de demi-vérité : certes, les voitures électriques sont moins polluantes que les thermiques (à l’essence ou au diesel) et donc moins ruineuses pour la santé des habitants des villes. Cependant, du point de vue du changement climatique, leur bilan est bien plus mitigé. Elles émettent moins de CO2, mais contribuent à un désastreux « tout électrique ». Or, l’électricité, dans la plupart des pays est produite avec… des énergies fossiles (charbon ou pétrole). Les émissions réduites des voitures électriques sont « compensées » par l’augmentation des émissions résultant de la plus grande consommation d’électricité. En France, l’électricité est produite par l’énergie nucléaire, une autre impasse. Au Brésil, ce sont les méga-barrages destructeurs de forêts et donc responsables d’un bilan carbone peu reluisant.

Si l’on veut réduire drastiquement les émissions, on ne peut pas échapper à une réduction significative de la circulation des voitures privées, grâce à la promotion de moyens de transport alternatifs : transports publics gratuits, zones piétonnes, voies cyclables. La voiture électrique entretient l’illusion qu’on peut continuer comme avant, en changeant de technologie.

10. « C’est par des mécanismes de marché – comme les taxes carbone ou les marchés de droits d’émission, ou encore l’augmentation du prix des énergies fossiles – qu’on arrivera à réduire les émissions de CO2. »

Chez des écologistes sincères, c’est une illusion ; dans la bouche des gouvernants, c’est encore une mystification. Les mécanismes de marché ont partout démontré leur parfaite inefficacité à réduire les gaz à effet de serre. Ce sont non seulement des mesures antisociales, qui veulent faire payer aux classes populaires le prix de la « transition écologique », mais surtout elles sont incapables de contribuer substantiellement à une limitation des émissions. L’échec spectaculaire des « marchés de carbone » institués par les accords de Kyoto en est la meilleure démonstration.

Ce n’est pas par des mesures « indirectes », « incitatives », fondées sur la logique du marché capitaliste, qu’on pourra mettre un frein à la toute-puissance des énergies fossiles, qui font marcher le système depuis deux siècles. Il faudra, pour commencer, exproprier les monopoles capitalistes de l’énergie, créer un service public de l’énergie, qui aura pour objectif la réduction drastique de l’exploitation des fossiles.

11. « Le changement climatique est inévitable, on ne peut que s’adapter. »

On trouve ce genre d’assertion fataliste dans les médias et chez des « responsables » politiques. Par exemple, Christophe Béchu, ministre de la transition écologique du nouveau gouvernement Macron, déclarait récemment : « Puisqu’on n’arrivera pas à empêcher le réchauffement climatique, quels que soient nos efforts, il faut qu’on parvienne à limiter ses effets tout en s’y adaptant ».

C’est une excellente recette pour justifier l’inaction, l’immobilisme et l’abandon de tout « effort » pour tenter d’éviter le pire. Or, les scientifiques du GIEC ont bien expliqué que si le réchauffement a en effet déjà commencé, il est encore possible de ne pas dépasser la ligne rouge des 1,5 °C – à condition de commencer immédiatement à réduire de manière très significative les émissions de CO2.

Certes, il faut tenter de s’adapter. Mais si le changement climatique devient incontrôlable et s’accélère, « l’adaptation » n’est qu’un leurre. Comment « s’adapter » à des températures de 50 °C ?

On pourrait multiplier les exemples. Tous mènent à la conclusion que si l’on veut éviter le changement du climat, il faut changer le système, c’est-à-dire le capitalisme, et le remplacer par une autre forme de production et de consommation. C’est ce que nous appelons écosocialisme. Mais c’est le sujet d’un autre texte…

Paris, 27 août 2022

* Michael Löwy, militant de la IVe Internationale, est sociologue et philosophe écosocialiste. Né en 1938 à São Paulo (Brésil), il vit à Paris depuis 1969. Directeur de recherche (émérite) au CNRS et enseignant à l’École des hautes études en sciences sociales, il est l’auteur de très nombreux livres parus en vingt-neuf langues. Rappelons les plus récents : Écosocialisme – l’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, Paris 2011, Mille et une nuits (nouvelle édition augmentée : Paris 2020, Le temps des cerises) ; la Cage d'acier : Max Weber et le marxisme wébérien, Paris 2013, Stock Affinités révolutionnaires : Nos étoiles rouges et noires (en collaboration avec Olivier Besancenot), Paris 2014, Mille et une nuitsle Sacré fictif – Sociologie et religion : approches littéraires, Paris 2017, Éditions de l’éclat (avec Erwan Dianteill) Rosa Luxemburg, l'étincelle incendiaire, Paris 2018, Le temps des cerises ; la Lutte des dieux – Christianisme de la libération et politique en Amérique latine, Paris 2019, Van Dieren Éditeur ; Kafka, Welles, Benjamin – Éloge du pessimisme culturel, Éditions le Retrait, 2019 ; La Comète incandescente. Romantisme, surréalisme, subversion, Éditions le Retrait, 2020.