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Baisser toujours plus les prélèvements obligatoires sur les entreprises
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Après avoir baissé fortement la part employeur des Cotisations sociales (via les allègements généraux puis le CICE) et après avoir baissé le taux de l’Impôt sur les sociétés (IS), il faut passer à de nouveaux prélèvements si on veut continuer à diminuer la contribution des entreprises aux budgets collectifs. Pour ce faire, la nouvelle cible est trouvée : ce sont « les impôts de production ». Une récente tribune dans le journal Le Monde reconnaît l’inefficacité de certaines des mesures précédentes (en accord avec nos travaux) mais soutient au passage la volonté du gouvernement de continuer la suppression progressive de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), présente dans le projet de loi de finance sur lequel le 49.3 a été utilisé. L’argumentaire pour les supprimer, développé notamment par deux notes du CAE (ici et là) repose sur deux jambes : ils seraient plus forts en France que dans les pays voisins et ils seraient particulièrement dommageables à l’économie. Ce billet va chercher à mieux comprendre la robustesse de ces deux jambes.
Tout d’abord, la comparaison internationale est peu parlante car la dénomination « impôts de production » recouvre un très grand ensemble de prélèvements très hétérogènes. Cette dénomination est plus un slogan marketing qu’un vrai concept économique. Le point commun est surtout qu’il ne s’agit pas d’impôts sur les revenus. Ils adviennent en amont de la réalisation des profits par les entreprises, au cours du processus productif. On trouve ainsi des taxes sur les facteurs de production, mais pas seulement. Pour cette première partie de taxe sur les facteurs, on peut considérer trois sous-parties : le travail, les équipements et l’immobilier. Mais les principales cibles des notes du CAE demandant la suppression des impôts de production ne sont pas des taxes sur les facteurs, mais sont la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et la CVAE.
Les taxes sur les salaires
Les taxes sur les salaires sont assez variées. La majeure partie est en fait constituée de prélèvements visant le travail pour des raisons spécifiques, principalement le Forfait social en compensation de cotisations sociales non perçues et la Taxe sur les salaires en compensation d’une TVA difficilement calculable pour les services financiers. Ces impôts de substitution représentent 71 % de la catégorie impôts sur les salaires et le quart de l’ensemble des impôts de production tels que définit dans les notes du CAE. Il existe en plus le Versement mobilité, prélevé au profit des collectivités locales : un prélèvement très similaire aux cotisations sociales, d’ailleurs recouvré par les Urssaf, qui rapporte de l’ordre de 9 milliards d’euros par an. Les sommes sont reversées aux autorités organisatrices de la mobilité pour financer les réseaux de transport en commun.
Pour connaître l’effet économique de ces prélèvements, les très nombreuses réformes d’allègements des cotisations sociales – principalement en France mais également à l’étranger – nous offrent de grands terrains d’expérimentation. Dans un livre récent, nous présentons avec Bruno Palier une méta-analyse de ces études empiriques, qui expose la très grande faiblesse du lien effectif entre cotisations sociales et emploi. Pour les allègements sur un large spectre de salaires, le cas du CICE montre même une absence totale d’effet emploi. L’argumentation théorique considère que ce ne sont que les cotisations sur les salaires très proches du SMIC qui ont un effet, ce que semblait confirmer une étude initiale des premiers allègements du début des années 1990 en France. Toutefois, une réévaluation de ces réformes avec des bases de données plus riches et des méthodologies plus modernes montre qu’il ne s’agit pas réellement d’un mécanisme lié au facteur travail mais d’un effet de court terme restreint aux entreprises les plus en difficultés pour lesquelles une aide financière, quelle que soit sa forme, détend les contraintes de liquidité. On peut en tirer comme conclusion que le Versement mobilité, qui est une taxe sur l’ensemble des salaires à taux relativement faible, doit avoir au pire un effet très limité sur l’emploi que doivent plus que compenser les infrastructures de transport qu’il finance.
Les taxes sur les équipements
Sur les équipements demeure aujourd’hui l’Imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER). Il s’agit d’une taxe versée aux collectivités locales dans lesquelles sont installés les équipements. Les équipements de production d’électricité (éoliennes, hydroliennes, centrales nucléaires, thermiques, photovoltaïques, hydrauliques ou géothermiques) sont imposés en fonction de leur puissance potentielle ; les transformateurs électriques en fonction de la tension amont ; les répartiteurs principaux de la boucle locale de cuivre (téléphonie) en fonction du nombre de lignes en service ; les stations radioélectriques de manière forfaitaire ; les tarifs sont spécifiques à chaque équipement pour les installations gazières (installations de gaz naturel liquéfié, stockage souterrains de gaz naturel, gazoducs et oléoducs...) et le matériel ferroviaire roulant. Créé en 2010 lors de la réforme de la Taxe professionnelle (TP), ce prélèvement obligatoire est par définition très stable dans le temps mais très inégalement réparti sur le territoire. Il rapporte 1,4 milliards d’euros par an. Vu la spécificité des installations et des entreprises assujetties et son montant relativement modeste, il ne semble pas devoir être remis en cause.
La TP était elle-même une taxe sur les équipements. Une part de son assiette était en effet la valeur d’achat des équipements avant qu’elle ne soit supprimée et partiellement remplacée par la CVAE en 2010. La motivation de cette réforme était déjà le caractère supposé néfaste d’une taxe sur les facteurs, d’où son remplacement par une taxe sur la valeur ajoutée, qui était considérée comme moins problématique (et qui normalement ne devait plus être considérée comme un impôt de production). Cette réforme a permis d’effectuer une évaluation de l’impact économique de la TP : on a effectivement trouvé un effet sur les résultats des entreprises, mais comme dans le cas des premiers allègements de cotisations, cet effet est très peu spécifique. Il s’agit d’un effet diffus de desserrement des contraintes de liquidité pour les entreprises les moins productives, et non directement d’un effet de pénalisation des investissements dans les équipements.
Les taxes sur l’immobilier
Enfin, deux principales taxes concernent le foncier et l’immobilier. Le cas de la Taxe foncière (TF) est débattu : s’agit-il d’un impôt sur le patrimoine ou sur un facteur de production ? Certains tentent de décomposer entre la taxe foncière payée par les entreprises ou les particuliers, mais cela ne constitue pas une catégorisation pertinente vis-à-vis de l’imposition des facteurs car de l’immobilier d’entreprise est détenu par des particuliers quand de l’immobilier d’habitation est détenu en tant que réserve de valeur par des entreprises. Or, la détermination de TF particuliers ou entreprises dépend du propriétaire et non de l’utilisation. La TF finance les collectivités locales à hauteur de 35,5 milliards d’euros en 2021.
De son côté, la Cotisation foncière des entreprises (CFE) impose l’utilisation de foncier et d’immobilier par les entreprises, et correspond directement à l’imposition de ce facteur de production. Ses recettes ont chuté à 5,7 milliards d’euros en 2021 du fait de la réforme divisant par deux l’assiette de cette cotisation pour les locaux industriels. Les recettes s’établissaient au-dessus de 7 milliards d’euros les années précédentes. Sur ce marché l’offre évolue nettement moins vite que la demande. Ainsi, des impôts ou subventions sur les marchés immobiliers ne modifient que très marginalement le prix effectivement payé par les locataires. C’est ainsi que de très nombreuses études sur l’immobilier d’habitation ont montré que les aides aux logements avaient plus d’impact sur les revenus des bailleurs que sur les loyers nets de subventions effectivement payés par les locataires (notamment ici et là). Moins d’études ont analysé le cas de l’immobilier d’entreprise, mais on peut citer le rapport d’évaluation servant de base documentaire à la note du CAE suscitée, qui ne trouve pas d’effet de la CFE sur l’activité des entreprises : ni sur l’emploi, ni sur le chiffre d’affaire ni sur les exportations.
Taxes sur le chiffre d’affaire et la valeur ajoutée
Comme il est écrit plus haut, la dénomination d’impôts de production ne se restreint pas aux taxes sur les facteurs mais est élargie à des assiettes fiscales qui pourraient apparaître comme des éléments du résultat des entreprises, à l’instar du chiffre d’affaire. L’idée est que le chiffre d’affaire n’est pas pleinement un élément de résultat mais encore un élément de la production, dans le sens où il ne représente que la valeur totale de ce qui est produit mais auquel il faudrait retirer la valeur des intrants pour déterminer le résultat effectif de l’entreprise en termes de création de valeur (et donc de faculté contributive). Le principal impôt de la sorte est la C3S, correspondant à 0,16 % du chiffre d’affaires des entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse 19 millions d’euros annuels. Il y a eu 21 000 entreprises contributrices en 2021 pour un montant prélevé de 3,6 milliards d’euros.
La valeur ajoutée est une notion intermédiaire entre le chiffre d’affaire et le revenu dans le sens où est déduite la valeur des intrants matériels mais où elle continue d’inclure la masse salariale. Comme évoqué plus haut, le remplacement de la TP par la CVAE devait faire sortir l’imposition locale des entreprises de la catégorie impôts de production. Toutefois, elle reste incluse dans cette catégorie pour deux principales raisons. Premièrement l’assiette est la valeur ajoutée brute, et non la valeur ajoutée nette des amortissements, ce qui conduit à taxer en partie les investissements en capital fixe (donc des facteurs de production). Deuxièmement, le taux appliqué à cette assiette fiscale dépend du chiffre d’affaire de l’entreprise, et non directement du niveau de la valeur ajoutée. Du point de vue des collectivités locales, la CVAE est en cours de disparition, elle rapportait encore environ 15 milliards d’euros aux collectivités territoriales en 2019 et 2020 avant de chuter à 7,5 milliards d’euros en 2021. Le projet de loi de finance pour 2023 prévoie de continuer sa suppression progressive.
Concernant ces impôts, je ne connais qu’une étude qui a cherché à mesurer les effets sur l’activité économique : celle qui sert de base à la note du CAE recommandant les suppressions, en priorité, de la C3S et de la CVAE. Grâce à une analyse de la réforme exonérant de C3S les entreprises réalisant moins de 19 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel, elle met effectivement en évidence un impact négatif de la C3S sur les exportations. A contrario, aucun effet négatif de la CVAE n’a pu être observé. Cela peut venir du fait que la dimension chiffre d’affaire de cette taxe reste limitée : si le taux est tout d’abord croissant, il atteint en fait très rapidement son maximum et donc ne dépend pas de variations du chiffre d’affaire pour la majeure partie de la production française.
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Ainsi, il semble difficile de justifier la suppression de la CVAE sous un motif d’efficacité économique alors même que l’analyse empirique des défenseurs de sa suppression ne parvient pas à mettre en avant le moindre effet négatif de la CVAE sur la production. En réalité, la motivation de la suppression des impôts de production est de l’ordre de la redistribution. Les propriétaires du capital ont déjà bénéficié de baisses de l’imposition de leurs entreprises : baisse du taux d’IS et des cotisations employeurs, déjà évoquées. Ils ont également été directement avantagés par la suppression de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF, dont un rapport de l’IPP remis à France Stratégie confirme l’absence d’effet sur les investissements) et par l’imposition très allégée de leurs dividendes grâce au Prélèvement forfaitaire unique (PFU, pour lequel une étude récente montre même qu’il peut avoir un effet négatif sur les investissements). Cela ne semble pourtant pas suffire et il faut encore baisser leur contribution aux budgets collectifs, cette fois par les taxes locales payées par leurs entreprises.