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Le second déclin du Royaume-Uni

Royaume-Uni

Lien publiée le 25 octobre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Le second déclin du Royaume-Uni | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

Par Robert Boyer

Serait-ce la plus grande erreur de politique économique des temps modernes ? C’est en tout cas ainsi qu’a été qualifié le projet de budget de la nouvelle et éphémère dirigeante britannique Liz Truss, présenté le 23 septembre dernier et sur lequel elle est revenue en urgence face aux réactions des marchés financiers.

Oui, sans doute était-ce une erreur politique majeure. Mais il est des leçons plus essentielles, nombreuses et préoccupantes. Ce pourrait être le signe d’un déclassement durable du Royaume Uni, voire de la remise en cause de son unité.

Une théorie monétaire moderne mise en échec

Le premier enseignement porte sur le cruel démenti que la brutale chute de la livre par rapport au dollar apporte à une théorie hier en vogue : la « théorie monétaire moderne ». Elle affirmait que tout déficit public trouve automatiquement son financement grâce à la monétisation des titres publics émis pour le financer. La politique budgétaire domine la politique monétaire, en quelque sorte, la seconde devenant l’auxiliaire de la première.

Or avec le retour de l’inflation, expression d’une régulation par la pénurie liée à la crise énergétique, l’annonce d’un accroissement du déficit public vient buter sur le resserrement de la politique monétaire. Surpris, les financiers fuient les titres britanniques, ce qui se traduit par un effondrement de la livre anglaise car elle n’est pas l’égale du dollar qui continue à être le pivot des relations monétaires internationales.

Ce trait pointe vers un second enseignement : de longue date, la plupart des gouvernements sont soumis au jugement de la finance internationale. Le nouveau gouvernement de Liz Truss pensait jouir d’une crédibilité bâtie dans la durée.

Or l’annonce d’un plan de réduction de la fiscalité pour les plus riches, financé par endettement, a sonné l’alarme pour les milieux financiers. Ce pari était d’autant plus risqué que le déficit de la balance des paiements britannique s’élevait déjà à 5,2 % du PIB, donc que le pays est dépendant d’un flux permanent de capitaux étrangers.

Le pouvoir d’influence – voire le pouvoir tout court – des marchés financiers se mesure à la rapidité avec laquelle, après une brève hésitation, la Première Ministre est revenue sur la décision de supprimer la taxation à 45 % des hauts revenus.

Dans la panique, la Banque d’Angleterre a annoncé un soutien de 65 milliards pour l’achat de la dette publique à vingt ans. L’effondrement de la livre s’est interrompu, et grâce à ce double mouvement la monnaie britannique a pu rétablir son niveau. Pour autant la crise de confiance est loin d’être surmontée.

Ne jamais contrarier les totems des investisseurs !

Les macroéconomistes et les autorités de régulation ont proposé diverses méthodes d’évaluation de la soutenabilité d’une trajectoire de finances publiques. Or, en la matière, et c’est une troisième leçon, les symboles et les totems comptent plus que les ratios traditionnels de type dépenses publiques sur PIB.

Car le ratio britannique est très proche de celui de la France. Il est remarquable qu’une mesure creusant le déficit de seulement 2 à 3 milliards de livres ait servi de point focal et déclenché le brutal retrait des capitaux. Les représentations portées par les acteurs les plus puissants importent donc plus que les diagnostics tirés de modèles de simulation des économistes.

Le désarroi du gouvernent britannique rappelle également l’importance qu’a la coordination de la politique monétaire et budgétaire, thématique qui avait été quelque peu négligée tout au long de la dernière décennie tant les banques centrales étaient déterminantes dans la stabilisation de la conjoncture et la réponse aux crises.

En effet, l’absence de coordination ex ante entre l’office chargé de s’assurer de la responsabilité fiscale et les décisions du Chancelier de l’échiquier [le ministre des Finances de l’exécutif britannique, NDLR], oblige la Banque d’Angleterre à intervenir en catastrophe pour soutenir le cours de la livre.

Ce fractionnement des responsables de la politique économique est à l’origine de la perte de crédibilité du gouvernement de Liz Truss. Les marchés financiers seront-ils assez patients pour attendre, jusqu’au 23 novembre, l’évaluation de la soutenabilité du programme proposé par le nouveau gouvernement conservateur ? Sera-t-il recalibré à la lumière des exigences des marchés financiers ?

L’annonce d’un changement de stratégie ne définit pas nécessairement le chemin par lequel l’économie britannique devait surmonter les obstacles structurels à sa croissance. C’est toute la question du conflit des temporalités entre le temps du politique et celui de l’économie.

Les déclarations de la Première Ministre semblent définir une possible nouvelle configuration, mais la maladresse dans sa présentation éloigne de la trajectoire désirée. En effet, le temps des financiers continue à rythmer les débats politiques.

Adieu au pragmatisme

L’histoire longue du Royaume-Uni témoignait d’une approche relativement raisonnable dans l’orientation et la mise en œuvre des politiques économiques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui car prévaut un dogmatisme dangereux pour l’équilibre de la société.

N’est-il pas surprenant que Liz Truss continue à croire à la théorie du ruissellement en vertu de laquelle détaxer les riches finit par contribuer à la prospérité des pauvres ? L’expérience des deux dernières décennies invalide cette croyance.

Stimuler l’offre par la réduction de la fiscalité sur les riches n’est pas toujours efficace, prend du temps et surtout ne répond pas à la pénurie énergétique qui demeure l’une des sources essentielles du regain de l’inflation, ce qui mobilise l’opinion publique contre le gouvernement.

La croyance en des idées simplistes et sans fondement est mauvaise conseillère : « Le Royaume-Uni est un pays à fiscalité élevée et faible croissance, mon projet est d’enrayer le déclin du pays grâce à une économie à faible fiscalité et forte croissance » ne cesse de clamer la Première Ministre, confondant syllogisme et analyse économique.

Une élite politique déconsidérée

Depuis 2010, l’élite politique britannique a adopté une approche opportuniste et idéologique des conflits et des contradictions qui traversent la société. David Cameron organise un référendum sur le Brexit dans l’espoir de rétablir son autorité sur les rebelles du Parti travailliste… Sans imaginer qu’il puisse le perdre et compromettre ainsi la continuité de la politique européenne du Royaume-Uni.

Theresa May lui succède. favorable au maintien dans l’Union européenne, elle accepte néanmoins d’organiser les négociations du Brexit et doit céder la place à Boris Johnson. Pour ce dernier le Brexit n’est qu’un moyen d’accéder au pouvoir : il multiplie les mensonges en surestimant les bénéfices de la sortie de l’Europe et promeut une solution incohérente pour l’Irlande du Nord, tout à la fois partie prenante du Royaume-Uni post-Brexit et membre du grand marché européen. Il en profite pour dénoncer le traité international qu’il a lui-même signé.

De son côté, Liz Truss entendait être la second Dame de fer en renouvelant une large part des politiques de Margaret Thatcher. S’occuper des riches alors qu’une partie croissante des citoyens a du mal à boucler son budget et réclame une amélioration des services publics a pour effet de susciter un regain d’intérêt pour le Parti travailliste qui caracole dans les sondages d’opinion.

Une bifurcation historique pour le Royaume-Uni ?

Tous ces indices convergent vers le diagnostic d’un second déclin du Royaume-Uni, après celui initié à la fin du XIXe siècle. Il avait été scellé à la fin de la Seconde Guerre mondiale et n’avait été redressé que sous la main de fer de Margaret Thatcher.

Le Brexit a encore réduit le dynamisme économique du Royaume-Uni, ce dont témoigne la chute des gains de productivité, encore plus marquée que dans les pays de vieille industrialisation. Les tensions sur le partage du revenu national pèsent sur la couverture sociale et les dépenses publiques pour la santé, l’éducation, le logement que réclament les citoyens.

Les conflits de classe entre l’élite et le peuple butent sur les défauts du système électoral, qui transforme une minorité dans la société en une large majorité politique, compliquant durablement la défense de l’intérêt général bien compris. Le Parti conservateur n’a plus de boussole, ce qui accélère l’alternance politique, sans que pour autant elle laisse anticiper une meilleure intermédiation du système politique.

Le gouvernement britannique, qui jouait un rôle de bascule dans les négociations européennes, a beaucoup perdu de son influence avec le Brexit. Le projet d’une « Global Britain » est loin d’avoir compensé cette perte. Les espoirs mis dans un redéploiement en direction du Commonwealth risquent d’être déçus alors que se réduit la probabilité de signer des traités de libre-échange tant avec les Etats-Unis qu’avec le Sud-Est asiatique. Last but not least, les maladresses des gouvernements favorisent les forces centrifuges que constituent la demande d’indépendance de l’Ecosse et la possibilité d’une réunification de l’Irlande.

Et pourtant Boris Johnson se rêvait comme moderne Winston Churchill, Liz Truss comme nouvelle Margaret Thatcher ! Il n’est pas exclu que, pour les historiens du futur, le déclassement du Royaume-Uni soit attaché au nom de ces deux Premiers Ministres.