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D’où vient l’inflation ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
D'où vient l'inflation ? (revolutionpermanente.fr)
L’analyse de l’inflation et de ses mécanismes est un enjeu important dans la compréhension de la crise économique. Pour donner quelques clés, nous publions ci-dessous la retranscription d’une présentation effectuée par Damien Bernard lors de l’université d’été de Révolution Permanente.
Crédits photo : La Izquierda Diaro
Guerre en Ukraine, crise économique, nouvelles dynamiques de lutte des classes : la situation internationale est marquée par une instabilité globale et la réactualisation des tendances aux crises, guerres et révolutions. Si le début de l’année 2022 a mis au premier plan la guerre en Ukraine, l’état de l’économie constitue aussi l’un des points chaud de la situation mondiale.
La première cause de cela est le retour d’une inflation globale et généralisée à l’échelle mondiale, que l’on avait plus observée au sein des pays impérialistes depuis près de 40 ans. L’OCDE a ainsi rapporté que 38 de ses états membres subissaient une inflation annuelle de + 9,6 %. Pour l’Union européenne, le taux d’inflation annuel a atteint le niveau record de 9,8 % en juillet. Le FMI prévoit que l’inflation atteindra 8,3 % au niveau mondial en 2022, et a relevé d’un point ses prévisions pour 2023.
Etant donnée que le caractère changeant de la situation, l’analyse qui suit sera forcément partielle, mais tentera de donner une première grille de lecture de la crise en cours.
Une inflation « ouverte » qui se généralise
Pour se saisir des dynamiques en cours, il est nécessaire de caractériser au mieux la nature de la crise inflationniste.
Un premier chiffre pour illustrer le retournement historique auquel nous assistons : alors qu’entre 2010 et 2020, l’indice des prix à la consommation a progressé de 12,2 % dans la zone euro, il a progressé de 11,3 % depuis janvier 2021. En d’autres termes, en seulement 18 mois, les prix ont augmenté quasiment autant que les dix dernières années.
Il faut remarquer le caractère global de cette inflation. Si elle est essentiellement tirée par l’énergie et les produits alimentaires (qui ont respectivement augmenté de 33,1 % et de 5,7 % en un an), l’inflation déborde clairement ces secteurs. Elle s’est non seulement diffusée à l’ensemble de l’économie, mais trouve d’autres foyers, comme en témoigne l’augmentation des prix des services et des biens manufacturés, en hausse respective de 3,2 % et de 2,6 % en mai.
D’autres éléments démontrent le caractère généralisé de l’inflation. Aux Etats-Unis, moins sujets aux hausses de prix spectaculaires de l’énergie (qui n’a augmenté que de + 3,9%), l’inflation globale est de + 9,1%. L’ensemble des composantes ont progressé : alimentation (+ 1,2% sur un mois), véhicules neufs (+ 1%), transport (+ 1,3%), services de santé (+ 0,4%) ou encore le logement (+ 0,6%). En Europe, l’inflation « cœur », qui ne prend pas en compte les éléments les plus volatiles comme l’énergie et l’alimentation, atteint 3,7 %.
Le retour de l’inflation à haut régime dans les pays impérialistes
Contrairement à ce qu’affirment certains articles de presse, nous ne nous trouvons pas dans une inflation de type « galopante » ou d’hyperinflation. Ce type de situation, que l’on a pu voir notamment dans l’Allemagne de 1923, décrit une inflation « hors de contrôle » où les taux vont de 50 % jusqu’à des milliers de %. L’hyperinflation se caractérise notamment par le fait que, les prix augmentant sans cesse, la monnaie est complètement dépréciée et reste constamment en circulation. Personne ne voulant la détenir, la monnaie est sans cesse échangée contre des marchandises. Cela a des conséquences politiques. Dans ce type de situation, les revendications que nous pouvons défendre comme l’échelle mobile des salaires sont nécessaires mais insuffisantes, dans la mesure où l’instabilité est telle que les salaires devraient être réévalués quotidiennement.
L’inflation actuelle se situe autour de 10 % et peut être caractérisée comme une inflation de type ouverte et généralisée. Après l’inflation « rampante » qui a débuté en décembre 2021, l’inflation est devenue « généralisée » après la guerre en Ukraine. Il faut noter que ce type de situation n’empêche pas des chutes de prix sectorielles ou périodiques. Une caractéristique importante à prendre en compte pour ne pas surinterpréter telle ou telle chute de prix, comme le font certains analystes.
Quelles sont donc les racines de la crise en cours ? Pour revenir à un tel cycle inflationniste dans des pays impérialistes, il faut remonter à la crise des années 70-80, période plus connue comme le – mal nommé – « choc pétrolier ». La crise était alors caractérisée par une situation économique particulière appelée « stagflation », situation où se conjugue stagnation de l’activité (faible croissance économique) et hausse des prix (inflation).
Une période troublée, qui a constitué une crise majeure pour la bourgeoisie. Après près de 30 années de croissance historique et de relative stabilité (les « trente glorieuses »), la « stagflation » venait contrecarrer les théories économiques libérales, selon lesquelles l’inflation et la stagnation économique ne peuvent coexister. Inflation signifiait forcément boom économique, pas une stagnation de l’économie, encore moins une récession. Pourtant, cette situation particulière a perduré tout au long des années 70 et jusqu’à la moitié des années 80, dans laquelle se sont succédées périodes de récessions, reprises partielles et périodes de « booms » spéculatifs.
Pendant cette période aux traits nettement dépressifs, deux importantes récessions mondiales ont eu lieu. La première dans les années 1974-1975, la seconde dans les années 1980-1982. A l’époque, la banque centrale américaine n’avait pas hésité à relever ses taux jusqu’à 20 % pour en finir avec une inflation à deux chiffres. Une solution qui, contrairement au mythe entretenu par la bourgeoisie, n’est probablement pas ce qui a permis de résoudre la crise. Il a plutôt fallu deux récessions mondiales et une offensive majeure contre les travailleurs, avec notamment l’apparition du chômage de masse. C’est au prix d’une offensive contre le monde du travail, prémices de l’offensive néo-libérale, que la crise des années 70 a finalement été contenue.
Mais d’où vient donc ce retour de l’inflation ?
Il est toujours instructif de se référer à l’analyse de la situation par la bourgeoisie. La première chose est que les classes dominantes se sont montrées particulièrement confuse face à ce changement brusque de situation économique. Pensant avoir éradiqué l’inflation, c’est d’abord le déni qui a dominé, de sorte que la plupart des banques centrales et des économistes pointaient le caractère « transitoire » de l’inflation, mettant en cause la guerre en Ukraine et la stratégie zéro-Covid de la Chine. Alors que la reprise post-covid s’amorçait, il s’agissait de parier sur un mauvais moment à passer. Mais la persistance et la généralisation de l’inflation ont finalement forcé la bourgeoisie à prendre acte du changement de situation.
Les fondements de l’analyse de la situation ont été explicités par le chef de l’agence internationale des banques centrales, dans une note particulièrement intéressante. On peut résumer sa thèse en deux points. 1) Une sorte de mea-culpa des banquiers centraux, qui n’avaient pas vu venir la situation inflationniste actuelle. Contredisant la doxa habituelle sur le rôle premier que « la demande » joue sur l’inflation, la note affirme que « l’offre » a en définitive joué un rôle important dans l’inflation actuelle. 2) Relativiser ce même rôle de l’offre, en pointant le rôle décisif dans l’inflation des modifications sur le « marché du travail ». La note fixe la pandémie comme le point de basculement, affirmant qu’il y a beaucoup plus d’offres d’emploi qu’auparavant, ce qui fait pression sur les salaires. La conséquence « est qu’un niveau de chômage auparavant non inflationniste (ou légèrement inflationniste) est désormais associé à un niveau d’inflation élevé. »
La boucle est donc bouclée. Ne pouvant expliquer l’inflation, comme dans les années 70, en mettant en responsabilité l’indexation des salaires sur l’inflation, les classes dominantes font reposer la responsabilité de celle-ci sur un changement d’attitude général des salariés face au travail, dont l’un des symptômes est la « grande démission ».
C’est ce que l’ancien président du Trésor américain, Larry Summers, synthétise sans tabou :
« Les travailleurs quittent leur emploi à un rythme record en raison d’opportunités d’emploi de haute qualité, et les licenciements sont à des niveaux extraordinairement bas. Où que vous regardiez, il y a une pénurie de main-d’œuvre, qu’il s’agisse de restaurants, de psychothérapeutes ou de jardiniers, d’analystes en banque d’investissement ou d’aides-soignantes. La main-d’œuvre se fait rare, faisant pression à la hausse sur les salaires d’où le processus d’inflation. Le défi de l’inflation est amplifié par une variété de goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement. »
Une position bien loin de refléter la réalité du monde du travail. Si un tel rapport de force était imposé par la classe ouvrière, la bourgeoisie aurait bien d’autres sujets d’inquiétude que de l’inflation !
Quelle solution pour lutter contre l’inflation ?
Cette analyse de la situation, minoritaire dans un premier temps, est celle qui a fini par l’emporter au sein de la bourgeoisie. Elle constitue la base d’analyse qui dicte la politique des classes dominantes et des banques centrales aux différentes bourgeoisies des pays impérialistes. Celles-ci appellent à la « normalisation de la politique monétaire » en expliquant : « Pour réduire l’inflation, il s’agit de ramener la demande au niveau de l’offre. […] Les banques centrales doivent ramener les taux directeurs à des niveaux plus appropriés, et le faire rapidement et de manière décisive pour empêcher le passage d’un régime de faible inflation à un régime de forte inflation. »
Traduction par Larry Summers de cette politique : « Il faudra un ralentissement économique substantiel – à savoir une augmentation substantielle du chômage et une réduction de la croissance du PIB – pour ramener l’inflation, qui dépasse 8 % et s’accélère, à des niveaux acceptables. »
Pour les bourgeoisies impérialistes, il faut donc à tout prix d’augmenter le taux d’exploitation et la productivité du travail, ainsi que le taux de chômage, pour discipliner la main-d’œuvre et élargir l’armée de réserve du capitalisme.
En France, la mise en application de cette politique consiste, comme l’a annoncé Macron, à ouvrir une nouvelle série d’offensives intitulée « réforme du travail », offensive contre l’assurance chômage et le RSA. Au Royaume-Uni, où une vague de grève historique est en cours, une note précise que « pour relancer la croissance de la productivité, il faut prendre des mesures pour faciliter la mobilité de la main-d’œuvre et accroître la participation des femmes à la vie active ». Aux États-Unis, cette mise au pas du monde du travail s’inscrit dans un moment où les luttes pour de meilleures conditions de travail et le droit de se syndiquer se multiplient.
Cela ne suffira en aucun cas à briser l’inflation, puisque les travailleurs n’en sont aucunement responsables. C’est ce que pointent y compris des économistes se réclamant du monétarisme, courant économique ultra-libéral : « Si la hausse de prix est très forte depuis plusieurs mois, et s’est accéléré après la guerre en Ukraine, les salaires n’ont pas suivi, ni aux Etats-Unis, ni dans la zone euro. Le coût horaire du travail, rapporté au prix qu’une entreprise peut pratiquer, vient de diminuer, notamment dans les secteurs où la concurrence est faible. Cette baisse de la rémunération relative du travail incite les entreprises à recruter de la main d’œuvre, plutôt que délocaliser ou investir dans des machines à même d’augmenter la productivité d’un effectif existant. Malgré la crise économique qui se profile, malgré une demande de biens qui s’affaiblit inévitablement avec l’érosion du pouvoir d’achat par l’inflation, la baisse du salaire réel favorise le recours à plus d’heures de travail ». Les salaires ont donc bien baissée, et leur baisse encouragerait les entreprises à profiter d’une main d’œuvre peu chère.
L’inflation, un problème de « demande excessive » ?
Après avoir déconstruit l’analyse de la situation par la bourgeoisie, nous allons chercher à analyser de manière marxiste le pourquoi du comment de cette inflation, et plus généralement des tendances à la recessions. Pour répondre à ces questions, nous nous baserons à la fois sur l’article d’Esteban Mercatente intitulé « Inflation, endettement, récession : analyse d’une crise globale de l’économie mondiale », mais aussi sur les enseignements que nous pouvons tirer des analyses d’Ernest Mandel sur la crise des années 70.
Nous avons vu que l’hypothèse d’une inflation résultante d’une « demande excessive », liée à une modification du rapport de force au sein du marché du travail ne tient pas la route. Et cela d’autant plus que, comme le note l’économiste marxiste Michael Roberts, « la reprise après la crise du Covid avait été évaluée comme hésitante dans les grandes puissances économiques ». En ce sens, chaque agence internationale et cabinet analytique avait revu à la baisse ses prévisions pour la croissance économique et la production industrielle en 2022. La montée de l’inflation n’a donc pas été causée par quoi que ce soit ressemblant à une surchauffe de l’économie.
D’après Michael Roberts, l’inflation actuelle ne seraient pas due à une « demande excessive » mais résultante de l’effondrement des chaînes de production de biens durables. Le goulet d’étranglement est provoqué par une baisse des capacités de livraison et de transport, ou par d’autres pénuries non liées à la main d’œuvre. En définitive, pour Roberts, c’est l’incapacité de la production capitaliste à fournir suffisamment qui cause une inflation élevée et accélérée.
Cette thèse de l’inflation « par l’offre » développée par Michael Roberts a le mérite de battre en brèche les analyses vulgaires des économistes néolibéraux, qui cherchent coûte que coûte à placer la responsabilité de l’inflation sur la question des « coûts », et donc des salaires des travailleurs. Aussi et surtout, il cherche à lier le choc de l’offre actuel avec le ralentissement de l’économie déjà observé en 2019, un ralentissement marquée par la chute à des niveaux quasi historiques de la rentabilité de l’investissement capitaliste dans les principales économies.
Cependant, l’analyse de Roberts souffre d’un biais qui l’empêche d’aller jusqu’au bout de l’analyse de la crise en cours. C’est ce qu’il exprime clairement en affirmant :
« Il existe une alternative à la politique monétaire. Il s’agit de relancer l’investissement et la production par l’investissement public. Cela résoudrait le choc de l’offre. Mais des investissements publics suffisants pour y parvenir exigeraient un contrôle important des principaux secteurs de l’économie, en particulier l’énergie et l’agriculture ; et une action coordonnée à l’échelle mondiale. C’est actuellement une chimère. Au lieu de cela, les gouvernements cherchent à réduire les investissements dans les secteurs productifs et à augmenter les dépenses militaires pour mener la guerre contre la Russie (et la Chine ensuite). »
En d’autres termes, selon Michael Roberts, une politique basée sur l’investissement public et la prise de contrôle partielle de secteurs en proie à des tensions inflationnistes, comme l’énergie et l’alimentation pourrait résoudre la crise inflationniste actuelle.
Cette position sous-entend que, dans le cadre du système capitaliste, une politique correcte de la part des gouvernements permettrait de résoudre le processus inflationniste en rééquilibrant « l’offre » pour mettre fin au choc. Ce raisonnement revient à considérer une forme de politique keynésienne de gauche, et donne l’illusion qu’il peut exister une « relance de l’offre » par l’investissement public dans le cadre du système capitalisme. Une position qui a pour corrélat de relativiser les composantes structurelles de l’inflation en cours, que nous allons voir par la suite.
Fin de la stabilité des prix : la fin de la parenthèse néo-libérale ?
Pour chercher à expliquer cette crise complexe où les chocs sont multiples et tendent à brouiller les causes profondes, il est nécessaire, comme l’affirme Ernest Mandel, de « distinguer les phénomènes d’apparition de la crise, les détonateurs de celle-ci, leur cause plus profonde et leur fonction dans le cadre de la logique immanente du mode de production capitaliste. »
La crise économique actuelle prend la forme d’un retour de l’inflation globale à un régime élevé. La réapparition du phénomène inflationniste constitue un retournement brusque de conjoncture après plusieurs décennies durant lesquelles c’est un régime d’inflation modérée avec de faibles fluctuations qui a dominé. Pour donner quelques chiffres, les quinze années entre 1986 et 2001 ont vu un régime d’inflation limité à 2,1 % dans la zone euro. Tandis que durant les quinze années qui suivirent le passage à l’euro (2002), les prix n’ont augmenté en moyenne que de 1,4 % par an.
On peut en conclure que la période néolibérale, qui a suivi la crise des années 70-80, a été marqué par un régime d’inflation faible. Une rupture avec la période d’après-guerre, qui, a contrario, a été marquée par un régime d’« inflation permanente », comme l’a théorisé Mandel. La phase néolibérale et le faible régime d’inflation qui l’a caractérisée n’ont finalement constitué qu’une parenthèse de l’époque impérialiste.
Comment l’expliquer ? L’une des causes est à chercher dans les mutations de l’économie mondiale, qui ont permis de contenir fortement les prix.
Le premier facteur est du côté de la production : alors que les trente glorieuses avaient permis un bond majeur dans l’internationalisation du processus de production, qui allait bien au-delà de l’extraction de matières premières (produits semi-finis), la période néolibérale a qualitativement accentué cette division internationale du travail, avec pour aboutissement le développement d’une nouvelle chaîne de production mondiale. Comme le pointe Esteban Mercatente, la caractéristique la plus visible de cette mutation est la possibilité donnée aux multinationales des pays impérialistes d’utiliser la force de travail des pays semi coloniaux pour répondre à leurs besoins de main d’œuvre. L’intensification de l’exploitation des travailleurs de ces pays, dans le contexte d’une intensification de la concurrence mondiale, liée à l’extension du marché, a permis aux multinationales de réduire leurs coûts. C’est ce que pointent plusieurs économistes du CNRS : « la baisse structurelle des niveaux d’inflation résulte en partie de la diminution des prix des intrants importés et de la pression concurrentielle sur les fournisseurs locaux de biens intermédiaires. »
Pour résumer, la nouvelle architecture des chaines de valeurs mondiale a constitué l’un des déterminants structurels à la faible inflation pendant plusieurs décennies dans les pays impérialistes. De la même manière, mais de manière négative cette fois, la perturbation actuelle de ces mêmes chaînes de valeurs constitue une des causes fondamentales de la hausse des prix à laquelle nous assistons depuis la pandémie. Dans ce cadre, la guerre en Ukraine a constitué un nouveau coup, rompant directement certaines chaines de valeurs, les modifiants structurellement. D’abord, la guerre a perturbé des marchés stratégiques déjà sous tension, tels que le blé et le pétrole. Ensuite, les sanctions économiques contre la Russie ont fait le reste, en frappant les énergies et carburants.
Ces perturbations et ruptures sont venues donner le coup de grâce à des chaines de valeurs déjà en souffrance, et dont la croissance plafonne depuis la crise de 2008, sur fond de ralentissement des échanges internationaux, de guerres commerciales conduisant les entreprises à retarder leurs investissements.
Aussi, les chaines de valeurs mondiales s’inscrivent dans une nouvelle situation mondiale, dans laquelle le poids des tensions géopolitiques ne cesse de s’aggraver, et où les Etats se retrouvent à discipliner des secteurs du grand capital, à se retirer par exemple de Russie, et à désormais privilégier, en matière d’investissement, les pays qui ne sont plus nécessairement les moins chers en termes de coûts de production. Une dynamique qui ne va qu’accentuer la constitution de nouvelles chaines de valeur, dont le cout de la production sera renchéri.
Pour l’heure, la hausse des couts induite par les modifications sur ces chaines de valeurs est difficile à quantifier. Mais la bourgeoisie se voit d’ores et déjà obligé d’intégrer cette nouvelle composante. C’est ce qu’a expliqué le ministre de l’économie français, Bruno Le Maire, qui estime peu probable de revenir au niveau d’avant la crise sanitaire : « Nous aurons ensuite un niveau d’inflation structurellement plus élevé, autour de 2 %, en raison de la régionalisation des chaînes de valeurs et du coût très élevé de la transition énergétique. »
Le rôle du capital fictif
Après avoir vu les facteurs sur le terrain de la production, il est indispensable d’aborder le rôle du capital fictif. A la fois étant donné au rôle qu’il a joué lui-même dans les mutations des chaines de valeurs mondiales, mais aussi son rôle dans le processus inflationniste en cours, voire à venir.
Découlant « du développement du système de crédit », le capital fictif s’est développé dans la période néolibérale sur fond de suspension du régime de Bretton Woods en 1971, de libéralisation des taux de change, de libéralisation du crédit. On peut le définir comme « une avance sur un revenu à venir » (dividendes, impôts, taux d’intérêts). Il repose sur la promesse que l’on pourra retirer les dépôts sous formes de billets émis par la banque centrale, et il en résulte principalement de la création de monnaie à partir de rien.
Son essor exponentiel a eu comme première conséquence de renforcer les tendances à l’autonomisation du « cycle de crédit » par rapport au cycle industriel. Déjà à l’œuvre à l’après-guerre, la tendance à la décorrélation entre ces cycles s’est accentuée sous le néolibéralisme. De telle sorte que certains en ont même théorisée une dissociation totale entre l’économie financière et l’économie réelle. Dès lors, le développement toujours plus indépendant du cycle du crédit, et l’absence d’inflation malgré les injections monétaires colossales des banques centrales, ont créé l’illusion que l’augmentation de la masse monétaire n’avait désormais que peu d’incidence sur l’inflation.
Injection monétaire, une des causes fondamentales de l’inflation ?
En nous appuyant sur le cadre d’analyse théorique de Marx, mais aussi sur les observations empiriques d’Ernest Mandel au sujet du rôle de l’endettement privé dans l’inflation dans les années 70, il s’agit au de remettre au premier plan le rôle de l’endettement, du capital fictif, et de la création monétaire dans l’inflation.
De ce point de vue, bien que nous partageons le cadre d’analyse global exprimé par Esteban Mercatente, il semble prématuré d’affirmer que « la hausse de l’émission monétaire qui a augmenté de manière qualitative pendant la pandémie ne peut expliquer la hausse des prix actuels ». Et ce pour plusieurs raisons. La première est que si le rôle du côté de « l’offre » dans l’inflation est clair, la mesure d’autres paramètres dans l’inflation n’est pour l’heure probablement pas démontrable. Méthodologiquement, il est nécessaire de laisser ouverte l’hypothèse d’une inflation multi-causale qui pourrait aussi avoir une composante monétaire.
La deuxième raison est que l’affirmation d’Esteban Mercatente évacue le caractère particulier de l’injection monétaire suite à la pandémie : alors qu’en 2008, l’injection monétaire s’est principalement faite par le biais d’achat à long terme d’actifs financiers (crédits hypothécaires, bons d’emprunts du trésor, dette publique), l’injection monétaire de 2020 a notamment consisté à fournir des masses de liquidités colossales aux entreprises. Or, cela a eu pour conséquence particulière une flambée de la dette privée, comme le pointe notamment une étude du FMI : « La dette privée a bondi de 14 points de pourcentage du PIB en 2020, soit près de deux fois plus qu’au cours de la crise financière mondiale, ce qui montre à quel point ces deux crises diffèrent l’une de l’autre. Au cours de la pandémie, les États et les banques centrales ont aidé le secteur privé à s’endetter davantage. Au cours de la crise financière mondiale, par contre, l’enjeu consistait à limiter les dégâts causés par le surendettement du secteur privé. »
En d’autres termes, si, en 2008, l’injection monétaire dite « Quantitative Easing » a principalement permis la préservation de la valeur du capital fictif, en 2020, l’injection monétaire s’est propagée bien plus directement dans l’économie réelle, augmentant comme jamais le niveau de l’endettement privé.
Alors que dans l’état d’esprit dominant, il est communément admis que l’inflation avait pour cause première le « choc pétrolier » (l’OCDE a fini par mettre noir sur blanc que la hausse des prix du pétrole n’a représenté que 2 % de l’inflation totale), Ernest Mandel démontrait l’inverse, et rappelait le rôle fondamental qu’a joué crédit au secteur privé dans l’inflation. Il expliquait :
« L’inflation est nourrie par l’effet cumulatif de plus de trois décennies de pratiques inflationnistes. Elle est amplifiée par la spéculation débridée des années 1972-1973 sur l’or, les terrains, les bâtiments, les diamants, les bijoux, et surtout les matières premières, c’est-à-dire toutes les « valeurs refuges » qui s’apprécient d’autant plus que la monnaie de papier se déprécie. Elle est renforcée par la pratique des « prix administrés » imposés par les monopoles. Elle est accentuée par les dépenses militaires colossales qui ne cessent d’augmenter et auxquelles toute la société bourgeoise s’est accoutumée. Mais sa cause première est incontestablement l’inflation du crédit au secteur privé, c’est-à-dire le gonflement des dettes bancaires, de la monnaie scripturale, qui a été le support essentiel de la longue période d’expansion précédant l’accélération de l’inflation. L’économie occidentale a flotté vers l’expansion sur une mer de dettes, dont l’incidence cumulative a dû forcément accélérer l’inflation. »
Cette analyse démontre non seulement le rôle de l’endettement privé, et donc du capital fictif, dans les dynamiques inflationnistes, mais surtout leur caractère cumulatif : ainsi, il a ainsi fallu plusieurs décennies pour ces pratiques aient finalement une incidence sur l’inflation, cela dans le contexte, il faut le rappeler de l’épuisement de la période des « Trente glorieuses ».
Ayant en tête les leçons de la crise des années 1970, plusieurs éléments semblent indispensables pour analyser la période actuelle. La première est de remettre en question les conclusions trop hâtives tirées lors de la période néolibérale, sur la supposée déconnexion entre inflation et masse monétaire. En effet, les très importantes contre-tendances déflationnistes que constituaient les chaines de valeurs mondiales, ainsi que le développement des outils du capital fictif, ont constitué autant de mécanismes qui ne permettent pas d’interpréter correctement l’inflation. La seconde chose à garder en tête est que si l’essor du capital fictif a été un élément clé dans l’expansion du néolibéralisme, il a dans le même temps accumulé d’importantes contradictions, qui tôt ou tard finissent par se manifester par des crises, y compris dans l’inflation. Il suffit par exemple de voir l’imbrication directe entre la crise des crypto-monnaies et la crise hyper-inflationniste du Sri Lanka.
Dès lors, l’une de nos tâches consiste à revenir à une compréhension plus profonde des mécanismes du capital fictif, dans la continuité des analyses de Marx, tel que décrites par Esteban Mercatante :
Marx ne pensait pas que le niveau des prix est déterminé par la quantité de monnaie en circulation ; au contraire, c’est le volume des marchandises à produire et la vitesse de circulation de la monnaie à un moment donné, qui déterminent la masse de monnaie qui doit circuler pour réaliser l’objectif de l’économie.
Si le volume des marchandises augmente ou si la vitesse de circulation diminue, il sera nécessaire de mettre davantage de monnaie en circulation ; si le volume des marchandises diminue ou si la vitesse augmente, une partie de la monnaie cessera de circuler.Le métabolisme social de la circulation des marchandises, qui évolue au rythme de l’accumulation du capital, est le principal déterminant de la masse de monnaie en circulation.
On peut alors pointer un fait qui exprime en lui-même une contradiction importante : tandis que la masse monétaire de la zone euro a été multipliée par 2 depuis 2008, la production économique de la zone euro, elle, a stagné, s’établissant à 14 500 milliards de dollars.
Derrière l’inflation, les difficultés de mise en valeur du capital
L’autre conséquence de l’essor historique du capital fictif pourrait être la généralisation de crises au caractère plus systémique, plus profondes et généralisées que ce l’on a pu voir dans l’après-guerre, notamment dans les années 70. Ces crises pourraient prendre la forme de crises de la dette et être le catalyseur de crises généralisées du type années 30, mais dans une forme qualitativement nouvelle, étant donné le rôle et le poids essentiel pris par le capital financier dans l’économie mondiale.
En effet, par l’essor du capital fictif, le néolibéralisme a cherché à compenser les contradictions structurelles d’une relativement faible reprise du taux de profit post-Trente glorieuses, cela en poussant aussi loin que possible l’endettement privé et public, pour étendre le marché mondial et ses chaines de valeurs. Cela a pour conséquence qu’une majeure partie des contradictions qui se posent sur le terrain de la mise en valeur du capital se sont accumulées dans la sphère financière. C’est ce que montre l’augmentation du nombre des « entreprises zombies » comme le relate des économistes. « Une entreprise zombie, c’est une entreprise qui n’est pas en phase de lancement et dont les résultats ne couvrent pas le remboursement des intérêts de sa dette. Pour poursuivre son activité, elle ne peut qu’emprunter à nouveau et sa dette grossit, grossit grossit inexorablement. ». En réalité, ces entreprises sont maintenues artificiellement en vie par les banques qui, pour maintenir leurs bilans, continuent à financer ces entreprises. D’après la BRI, la part d’entreprises zombies a fortement augmenté depuis la crise de 2008. Pire, depuis la crise du Covid, de larges pans de l’économie seraient en « zombification accélérée ».
Or, le capital fictif repose essentiellement sur le maintien de l’illusion (en l’occurrence la fiction) qu’à un moment T, tout détenteur de capital fictif peut être en mesure de récupérer sa mise. Dans la mesure où ce n’est pas le cas, la situation actuelle voit s’accroître la probabilité de crises de la dette à répétition. Elle s’illustre par le retour d’une forte inflation, avec une masse colossale de capital fictif et un endettement historique, qui rendent la situation beaucoup plus complexe à gérer que dans les années 70. Cela d’autant plus que les marges de manœuvres pour une politique visant à « compenser » la crise sont extrêmement limitées, rendant le risque beaucoup plus systémique que lors de la crise de 2008.
La politique de resserrement monétaire des banques centrales sont pour l’heure très relative, en comparaison à la hausse des taux qui a atteint 20 % dans les années 80. Pour l’heure, les mesures prises par les banques répondent en premier lieu à des considérations politiques. Elles visent à restaurer leur crédibilité, mais surtout à maintenir la crédibilité de leurs bilans. Leur faiblesse vise en premier lieu à éviter tout risque systémique sur le capital fictif. C’est ce « piège de la dette » que pointe Nouriel Roubini dans son dernier article :
« Les banques centrales sont ainsi enfermées dans un « piège de la dette » : toute tentative de normalisation de la politique monétaire entraînera une montée en flèche du service de la dette, entraînant des insolvabilités massives, des crises financières en cascade et des retombées sur l’économie réelle. »
Pour autant, de faibles montées des taux directeurs provoquent d’ores et déjà d’importantes secousses sur les marchés, avec des « effet collatéraux », et en premier lieu des conséquences politiques et sociales pour les pays dépendants, comme l’explique Esteban Mercatante : « Le resserrement monétaire de 2018, beaucoup moins agressif, alors que l’inflation n’était pas aussi forte qu’aujourd’hui, a déjà entraîné des pays comme l’Argentine et la Turquie dans des crises de la dette. Désormais, le Sri Lanka s’ajoute aux pays en défaut de paiement ».
Derrière l’inflation, une crise systémique du capitalisme
Cette situation, où le retour de l’inflation constitue le marqueur fondamental de la période, ne doit pas faire oublier ce qui constitue les causes profondes de la crise en cours comme le pointe Mandel :
« Les racines profondes de l’inflation ne résident ni dans des erreurs techniques des gouvernements, ni dans l’avidité des banques, ni dans l’étroitesse de vues des monopoles. Elles résident dans les contradictions intrinsèques du système capitaliste arrivé à sa phase de déclin. Derrière l’inflation se profilent la chute tendancielle du taux moyen de profit, les difficultés de mise en valeur des énormes capitaux accumulés, les difficultés croissantes pour écouler les montagnes de marchandises que l’appareil industriel du monde occidental pourrait produire.
Il serait ainsi vain de vouloir imputer la responsabilité principale de l’inflation soit aux monopoles, soit à leur Etat, soit aux banques. Il ne s’agit que de trois aspects différents d’une même réalité complexe, indissociablement liés les uns aux autres. Il est essentiel de comprendre que l’inflation est institutionnalisée à l’époque du déclin du capitalisme : sans inflation permanente, le système ne peut plus éviter une succession rapide de crises catastrophiques du type de celle de 1929-1932, c’est-à-dire ne peut plus survivre, même à court terme. »
En d’autres termes, la lame inflationniste en cours n’est l’expression d’une crise économique profonde du néolibéralisme ouvert en 2008. Si les détonateurs de celle-ci (Covid et guerre en Ukraine) ont joué un rôle clés dans la rupture des chaines de valeurs mondiales, ils n’en ont constitué que les catalyseurs. Les multiples « chocs » n’ont précipité la crise que dans la mesure où les conditions à celle-ci préexistaient. Ils sont donc à dissocier des causes profondes de la crise.
La récession mondiale que l’on voit venir était inscrite dans la situation mondiale avant même que la pandémie ne frappe. Fin 2019, l’économie mondiale était marquée par un net ralentissement de la production industrielle, du commerce international, des investissements des entreprises, ainsi que par le ralentissement de la croissance du PIB réel. La rentabilité de l’investissement capitaliste dans les principales économies avait chuté à des niveaux quasi historiques.
Le développement du capital fictif qui a accompagné l’ère néolibérale, et ses chaines de valeurs mondiales, ont permis de maintenir l’illusion que le capitalisme avait résolu certaines de ses contradictions. Si la phase néo-libérale a permis de surmonter la crise des années 70-80 au moyen d’une offensive sans précédent contre le monde du travail, notamment contre la population des pays dépendants, la reprise du taux de profit n’a été que partielle, loin notamment de la rentabilité du capital atteinte lors des « Trente glorieuses ».
Alors qu’historiquement, la guerre a toujours joué, en dernière instance, un rôle dans la destruction de capital suraccumulé, la période néolibérale a résolu cela par d’autres moyens, de sorte que les contradictions se sont accrues dans la sphère financière, sans jamais résoudre les difficultés de mise en valeur des énormes capitaux accumulés. L’économie capitaliste a constitué une masse accumulée de surcapacité industrielle dans de nombreux secteurs clé tel que la sidérurgie, l’automobile, le charbon, comme le pointait le G20 en 2016. Elle pointait cette surcapacité comme un risque majeur pour la croissance mondiale.
Une rupture de l’équilibre capitaliste ?
Pour conclure, la crise économique actuelle se distingue par son aspect totalisant (inflation, dette, retour à récession) mais aussi par son caractère fortement synchronisé à l’échelle internationale. En 2008, ce ne sont pas les décisions prises par les banques centrales – comme le répète la bourgeoisie –qui ont évité que la crise ne tourne au cataclysme, mais le maintien de la Chine en tant que locomotive mondiale, opérant comme la principale contre-tendance à la crise. Or, la situation actuelle n’est pas du tout la même.
En effet, la Chine pourrait être la pointe avancée de la crise. A la fois parce qu’elle est engluée dans sa stratégie zéro-Covid, mais en raison du dégonflement de la bulle immobilière, qui continue de se propager. De nombreux économistes pensent que le PIB de la Chine se contractera au prochain trimestre, ce qui constituerait la deuxième entrée en récession du pays en 30 ans. En 2022, la croissance chinoise a été ramené à 3,3 % contre 8 %, soit son taux le plus faible en plus de quarante ans (si l’on exclut la pandémie).
Comme le dit le FMI, « les perspectives mondiales se sont déjà considérablement assombries depuis avril. Le monde pourrait bientôt vaciller au bord d’une récession mondiale, deux ans seulement après la dernière. » Selon ses prévisions de base, le FMI s’attend maintenant à ce que la croissance du PIB réel mondial ralentisse, passant de 6,1 % l’an dernier à 3,2 % cette année et à 2,9 % l’année prochaine (2023). Ces prévisions de ralentissement constitueraient la plus forte baisse de croissance sur un an depuis 80 ans !
Plus sérieux et moins catastrophistes, des économistes comme Nouriel Rubini théorisent un « changement de régime » radical pour l’économie mondiale. Dans un article titré « De la grande modération à la grande stagflation », Nouriel Rubini affirme :
« La grande modération qui a duré des décennies est terminée. L’économie mondiale subit un changement de régime radical. Pendant des décennies, une relative stabilité mondiale, une saine gestion des politiques économiques et l’expansion régulière des échanges à destination et en provenance des marchés émergents se sont conjugués pour limiter les coûts. Mais maintenant toutes ces conditions ont été renversées, et le monde s’installe dans un nouveau régime dangereux et déstabilisant. »
Au final, il faut acter la fin de la phase de relative stabilisation suite à la crise de 2008 et l’entrée dans une nouvelle période économique. Quant à savoir si la page qui se tourne amorce une rupture de l’équilibre capitaliste ou non, cela reste difficile à affirmer.
Comme on l’a vu cette crise inflationniste n’est en rien le produit d’une surchauffe sur le marché du travail comme l’affirment les classes dominantes. Elle s’explique par un retournement des coordonnées économiques particulières qui avaient permis, sur fond de rétablissement partiel du taux de profit, l’avènement de l’ère néo-libérale. Face à ce retour des contradictions structurelles de l’économie capitaliste, aucun interventionnisme de la part de l’État ne pourra rééquilibrer ni aménager. En effet, par-delà les contradictions propres au capitalisme néolibéral (renforcement de l’autonomisation relative du capital fictif, endettements soutenus grâce à la planche à billet) qui s’ajoutent à la crise, ils s’agit d’une crise classique de surproduction à comprendre dans les coordonnées générales du développement du capitalisme à l’époque impérialiste.
Alors que la crise économique revient à l’ordre du jour, il est plus que nécessaire d’inscrire son analyse dans le cadre de ce que Trotsky appelait « l’équilibre capitaliste ». Dans les années 1920, il avait analysé les perspectives de la situation internationale à partir de ce concept dynamique, né de la prise en compte de la situation internationale comme une totalité, une relation dialectique entre l’économie, la géopolitique et la lutte des classes. Un cadre d’analyse complexe mais indispensable à utiliser pour s’orienter dans la période instable qui s’ouvre.