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David Cayla : "Le militantisme mercantile de ceux qui achètent "bio" ou "solidaire" ne changera pas la société"

économie

Lien publiée le 4 novembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

David Cayla : "Le militantisme mercantile de ceux qui achètent "bio" ou "solidaire" ne changera pas la société" (marianne.net)

Économiste, vice-doyen à la pédagogie à l’université d’Angers et membre du collectif des Économistes atterrés, David Cayla publie « Déclin et chute du néolibéralisme » (De Boeck Supérieur), un ouvrage dans lequel il montre que notre système économique est en fin de cycle et esquisse des pistes pour l'avenir.

David Cayla : "Le militantisme mercantile de ceux qui achètent "bio" ou "solidaire" ne changera pas la société"

Marianne : Comment définissez-vous le néolibéralisme ? Est-ce pertinent de ranger sous une même bannière des économistes aussi différents que Milton Friedman ou Friedrich Hayek ?

David Cayla :Le néolibéralisme n’est pas une théorie économique mais une doctrine, un système de pensée qui sert à guider l’action. Il s’agit de définir la manière d’organiser les rapports entre État et marché. Les néolibéraux conçoivent le marché comme une institution artificielle et fragile qui doit être soutenue par l’État. À la différence des libéraux du XIXe siècle, ils ne croient pas au laisser-faire. Pour eux, la concurrence doit être organisée, l’ordre social préservé, la valeur de la monnaie garantie et le libre-échange promu de manière active. Le marché de l’électricité européen fondé sur une concurrence maintenue artificiellement est typiquement un produit du néolibéralisme, tout comme la politique du « quoi qu’il en coûte » engagée par Emmanuel Macron pendant la pandémie. Dans les deux cas, il s’agit de mettre l’État au service du marché.

Le néolibéralisme émerge dans les années 1930 en réponse à la crise du laisser-faire. Friedrich Hayek est en première ligne dans les discussions qui définissent la nouvelle doctrine. Il participe au colloque Lippmann de 1938 et fonde, avec Milton Friedman, la Société du Mont-Pèlerin en 1947. Même s’ils diffèrent sur le plan théorique, Milton Friedman et Friedrich Hayek partagent les mêmes idées quant au rôle de l’État. Ce ne sont pas des ultralibéraux. Ils défendent un marché encadré et corrigé de certains de ses dysfonctionnements.

Pourquoi percevez-vous un déclin du néolibéralisme ?

Qu’est-ce qu’un marché performant pour les néolibéraux ? Ce n’est pas un lieu qui permet d’effectuer des transactions de manière efficace, mais un système qui génère des prix permettant de mesurer la valeur et de créer des incitations pertinentes. Dans la vision néolibérale, il faut surveiller le marché pour que les prix émanent bien de l’offre et la demande et ne soient pas imposés par l’État ou un monopole. Autrement dit, le contraire du néolibéralisme, c’est un système de prix administrés ou politiquement contrôlés.

Les prix les plus importants sont ceux des facteurs de production, le capital et le travail, car ils déterminent les coûts de production. C’est la raison pour laquelle les néolibéraux insistent sur la flexibilisation du marché du travail et s’opposent à l’indexation des salaires sur l’inflation. Le prix du capital est déterminé par le coût de l’emprunt. Les taux d’intérêt à long terme doivent donc procéder des marchés financiers et de la concurrence bancaire. C’est pourquoi les néolibéraux ont tenu à déréguler et à mondialiser la finance. Cela a été leur première bataille, engagée dès le début des années 1970, et achevée avec l’abrogation des dernières réglementations financières dans les années 1990.

Or, après la crise de 2008, les Banques centrales ont été contraintes, pour sauver le système financier, d’intervenir massivement et de reprendre le contrôle des taux d’intérêt longs. On peut donc dire qu’on est revenu à une forme de finance administrée qui est très loin des objectifs des néolibéraux. Cette logique étant actée pour la finance, elle pourrait s’étendre aux prix de l’énergie, des matières premières, et au marché du travail, nous ramenant à une forme d’économie régulée.

Pourquoi le populisme n’est pas une alternative au néolibéralisme ?

Dans mon ouvrage précédent, je défendais la thèse que le néolibéralisme tend à affaiblir les institutions sociales en produisant une société dans laquelle toute valeur sociale procède du march��. Cela nourrit la défiance de la population et constitue le terreau du populisme. Le populisme est une forme de sous-produit du néolibéralisme : alors qu’il se veut antisystème, il est produit par le système.

Pourtant, la pratique gouvernementale de leaders populistes tels que Donald Trump ou Jair Bolsonaro ne relève pas du néolibéralisme mais de principes autoritaires très différents. On peut retrouver ce système politique dans une forme achevée en Russie et en Chine ou, dans une forme moins achevée, en Inde, en Turquie ou en Hongrie. La politique, dans ces pays, relève davantage du féodalisme, c’est-à-dire de rapports d’allégeance, que du néolibéralisme. C’est ce qui pourrait émerger d’un néolibéralisme qui serait allé au bout de sa logique, et c’est sans doute sur cette pente que nous sommes naturellement entraînés.

Vous plaidez pour une économie démocratique. En quoi consiste-t-elle ?

Dans le raisonnement économique, les prix sont centraux car ils déterminent la valeur, c’est-à-dire les coûts et les gains de toute décision. Or, la mise en œuvre du néolibéralisme a engendré une société où tous les prix, et donc les choix économiques, sont les conséquences des rapports entre l’offre et la demande. Ainsi, à chaque fois que nous achetons ou vendons, nous participons à dire ce qui doit être fait politiquement.

Le problème est qu’on décide d’acheter ou de vendre en fonction de ses propres besoins ; un achat n’est pas un acte qui procède d’une réflexion globale. En théorie, c’est par l’exercice démocratique qu’on agit politiquement sur la société. Mais en créant une société de marché, on a fait des comportements d’achat des actes politiques et on a réduit la politique à la gestion des marchés.

Certains militants en déduisent qu’il faudrait faire des consommateurs des citoyens en mettant de la politique dans nos achats. Je n’adhère pas à cette vision. On ne peut pas compter sur le militantisme mercantile de ceux qui achètent des produits bios ou solidaires pour changer la société. Il faudrait, au contraire, dépolitiser le marché. Concrètement, cela signifie que la valeur doit procéder de système de concertations collectives et non des marchés. Ainsi, le marché retrouverait sa place originelle en redevenant un simple lieu d’échanges. Démocratiser l’économie, ce n’est pas supprimer le marché ni restreindre les libertés économiques. C’est remettre le marché à sa juste place.

* David Cayla, Déclin et chute du néolibéralisme. Covid, inflation, pénuries : comment reconstruire l’économie sur de nouvelles bases, De Boeck Supérieur, 288 p., 19,90 €