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L’État néolibéral assure la sécurité sociale du capital
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L’État néolibéral assure la sécurité sociale du capital par Mireille Bruyère | Politis
La hausse continuelle des aides aux entreprises, malgré l'alternance des gouvernements, souligne une tendance structurelle : entreprises et États sont absolument complémentaires sur l’arc du pouvoir du capital.
Un rapport récent (1) montre que l’ensemble des aides publiques aux entreprises connaît une tendance à la hausse depuis une quarantaine d’années, pour atteindre le montant fou de 157 milliards d’euros en 2019. La part dans le PIB de ces aides publiques a doublé entre 2000 et 2019 pour atteindre 6,44 %.
Ces aides atteignent plus de 30 % du budget de l’État, soit trois fois le budget de l’Éducation nationale. Les entreprises sont les acteurs économiques les plus dépendants des aides publiques.
Un des objectifs affichés des réductions massives de cotisations sociales patronales est le soutien à l’emploi par la baisse du coût du travail. Mais les évaluations de ces exonérations montrent qu’elles sont très peu efficaces, car elles sont inconditionnelles. Elles créent plutôt des effets d’aubaine. C’est ainsi que le coût pour les finances publiques d’un emploi créé ou maintenu est de 100 000 euros ! Un coût d’autant plus exorbitant qu’il ne garantit aucune qualité de l’emploi.
Les aides en direction de l’innovation ne sont guère plus efficaces, car l’innovation est déterminée avant tout par le mode d’insertion des entreprises dans les chaînes globales de production. Les segments innovants étant plutôt en amont ou en aval. Le crédit d’impôt recherche français n’affecte pas la structure matérielle et technologique de ces systèmes productifs.
Pourtant, il serait faux de penser que ces aides sont un simple gaspillage d’argent public n’ayant aucune fonction dans la logique du capitalisme actuel. Au contraire, si ces aides sont en hausse continuelle, malgré l’alternance des gouvernements, c’est qu’elles incarnent une tendance structurelle qui existe dès la naissance du capitalisme : celle d’une codétermination entre entreprises et État. Les rapports entre ces deux institutions ont toujours été forts et denses.
Les entreprises n’ont aucune fonction coercitive, elles ont donc besoin des États pour faire pénétrer dans les champs sociaux nationaux, par la force, les contraintes technoproductives du capitalisme mondial.
En régime néolibéral, l’État et les grandes entreprises ne s’opposent pas, comme on le suppose parfois. Non, entreprises et États sont complémentaires sur l’arc du pouvoir du capital. Les entreprises organisent la division du travail et l’exploitation au niveau mondial.
À ce titre, elles ont de plus en plus besoin des États, car cette organisation mondiale est aussi puissante que fragile. Elles ont besoin de leur permanence et de leur fonction coercitive pour stabiliser leurs revenus en cas de crise écologique, sociale ou géopolitique. Les entreprises n’ont aucune fonction coercitive, elles ont donc besoin des États pour faire pénétrer dans les champs sociaux nationaux, par la force, les contraintes technoproductives du capitalisme mondial.
Le pouvoir de dominer ne fait pas l’objet d’une lutte entre États néolibéraux et entreprises : plus la mondialisation et la division technologique du travail augmentent, plus les États doivent être forts pour garantir la stabilité de ces modes de production mondiaux. Rien d’étonnant alors de voir la croissance continue de ces aides publiques aux entreprises qui stabilisent les taux de marge et les dividendes. Après l’État DRH du capital, l’État néolibéral assure aussi la sécurité sociale du capital.
Mireille Bruyère est maître de conférences en économie à l’Université de Toulouse 2 et membre du conseil scientifique d’Attac.
(1) « Un capitalisme sous perfusion », Institut de recherches économiques et sociales (Ires, piloté par les syndicats) et Clersé (laboratoire de socio-économie de l’université de Lille), mai 2022.