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Coup d’Etat, insurrection... Le Burkina rebat ses cartes

BurkinaFaso

Lien publiée le 26 novembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Coup d’Etat, insurrection… Le Burkina rebat ses cartes - Survie

Huit mois après la prise de pouvoir du colonel Damiba, un nouveau coup d’État militaire est survenu à Ouagadougou. Contrairement au précédent, il a bénéficié d’une large mobilisation populaire alimentée par la colère contre la France.

Le 30 septembre au matin, les Burkinabè sont de nouveau réveillés au son des tirs nourris d’armes de guerre. Les médias locaux évoquent d’abord une mutinerie. Mais au journal télévisé de 20 heures, des soldats cagoulés annoncent la dissolution de la Constitution et des institutions de la transition dirigée par Damiba et la convocation prochaine des « forces vives de la nation (...) afin d’adopter une nouvelle charte de la Transition et de désigner un nouveau président civil ou militaire ». Un classique pour les Burkinabè… Le nouvel homme fort, comme on dit dans la presse, est le capitaine Ibrahim Traoré, qui a été un des principaux acteurs du précédent coup d’État, en janvier 2022. En poste à Kaya, dans une région qui a subi de nombreuses attaques et dont la population a doublé du fait de la présence de très nombreux réfugiés, lui et ses hommes reprochent à Damiba de délaisser la situation sécuritaire. C’était déjà l’accusation faite au président Roch Marc Christian Kaboré lorsqu’il avait été renversé par Damiba et ses hommes. Le lendemain, la situation se tend et laisse craindre un affrontement entre les deux clans militaires. Finalement, des négociations s’engagent en coulisse sous l’égide des autorités religieuses et coutumières, qui aboutissent au départ du colonel Damiba. Ce dernier accepte de céder le pouvoir moyennant le respect de sept conditions, dont le respect du calendrier de la transition prévoyant un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024. Ces conditions acceptées, le putsch ne suscite guère de condamnations de la part de la Cedeao et des partenaires internationaux. Damiba est exfiltré vers le Togo.

Une forte mobilisation populaire...

Cette fois, le coup d’État s’accompagne d’une forte mobilisation populaire, qui empêche que la situation dégénère en affrontement armé. Le fait notable est qu’elle est déclenchée par une vidéo des militaires putschistes selon laquelle « le lieutenant-colonel Damiba se serait réfugié au sein de la base militaire française à Kamboinsé (banlieue nord de Ouagadougou) » pour « planifier une contre-offensive ». Ce qui s’avèrera n’être qu’une rumeur, qui a déjà circulé sur les réseaux sociaux, enflamme la rue malgré les démentis de Damiba et de la diplomatie française. Des foules nombreuses affichent leur soutien à Ibrahim Traoré. Une bonne partie d’entre elles convergent vers la place de la Nation où avait été annoncée la démission de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014, avant son exfiltration par les forces spéciales françaises vers la Côte d’Ivoire. On peut apercevoir çà et là quelques drapeaux russes. Les manifestants demandent le départ de Damiba du pouvoir, la rupture avec la France et la fermeture de la base du COS (Commandement des opérations spéciales) de Kamboinsé située à quelques kilomètres de Ouagadougou. Un groupe de manifestants s’attaque à l’ambassade de France et met le feu à une guérite extérieure. Dans la soirée, le capitaine Ibrahim Traoré annonce la levée du couvre-feu qui devait commencer à 21h et appelle la population à une veille patriotique. Une foule nombreuse se presse autour de la base aérienne où sont regroupés de nombreux soldats en armes fidèles à Damiba. Une porte-parole du quai d’Orsay dément pourtant toute implication de la France dans les événements et Ibrahim Traoré lui même déclare un peu plus tard sur France 24 : « Je ne pense pas que Damiba soit soutenu par France […] ni qu’il soit dans la base française ». Mais les populations sont déjà dans les rues, convaincues que les Français soutiennent Damiba. Après l’ambassade de France, des groupes de jeunes vont aussi mettre le feu au lycée français et aux instituts français de Bobo Dioulasso et Ouagadougou. Visiblement, les foules dans les rues, favorables à Traoré, ont surtout empêché une contre-offensive du camp Damiba.

… dirigée contre la France...

Si un prétendu soutien français à Damiba a pu être utilisé pour mobiliser la rue, c’est que le mécontentement contre la présence française était déjà très répandu au Burkina Faso. Nier l’existence de ce qu’on appelle les trolls pro-russes sur les réseaux sociaux très fréquentés, serait faire preuve d’une grande naïveté. Mais cela ne saurait suffire pour comprendre le rejet de la politique française. Le retournement massif de l’opinion contre la France est essentiellement dû au manque de résultats après 7 ou 8 ans de présence et d’interventions militaires de la force Barkhane. Par ailleurs, la jeunesse plus massivement scolarisée s’est « éveillée » comme disent les militants au Burkina. Elle connaît les méfaits de la Françafrique et se nourrit désormais des discours de Thomas Sankara, jamais anti-français, mais très engagés contre l’impérialisme et le néocolonialisme. Elle ne supporte donc plus les vexations et le paternalisme récurrent des présidents français successifs, de Sarkozy à Macron, en passant par Hollande, sous l’ordre duquel Compaoré avait été exfiltré, lui évitant d’avoir à rendre des comptes à sa population.

...et le pouvoir Burkinabè

Mais il ne faudrait pas pour autant croire que les Burkinabè ne s’en prennent pas aux carences de leur armée et de leurs dirigeants politiques. Bien au contraire. C’est ce que traduisent les deux derniers coups d’État. Si les manifestants rejettent la France, ils rejettent d’abord leurs propres dirigeants. Le premier motif de mécontentement est bien sûr la dégradation de la situation sécuritaire. Lorsque le « Mouvement populaire pour la sauvegarde et la restauration » (dit MPSR) avait pris les rênes du pouvoir, le lieutenant-colonel Damiba avait promis de récupérer une partie du territoire et de permettre ainsi d’amorcer le retour des déplacés internes. Certes, son gouvernement annonçait régulièrement des statistiques de personnes revenues dans leur localité, mais ne donnait jamais celles des nouveaux déplacés. Beaucoup de Burkinabè reçoivent des nouvelles de leur village passé sous contrôle djihadiste, tandis que les agglomérations qui résistent font l’objet d’un blocus ou connaissent des massacres de plus en plus meurtriers que l’armée se révèle incapable d’empêcher. L’armée publie régulièrement des communiqués annonçant des ripostes se traduisant par la « neutralisation » de dizaines de terroristes. Si les bilans des attaques terroristes sont comptabilisés avec soin avec l’aide des populations présentes, les bilans de l’armée sont difficilement vérifiables. Et il est fréquent que des civils simplement soupçonnés de connivence soient « neutralisés » et comptabilisés dans les statistiques. Pour l’instant, les populations des villes sont épargnées. Mais on lit çà et là des réactions de Burkinabè sur les réseaux sociaux qui s’insurgent contre le fait que les bars continuent à se remplir, réclamant que l’on installe réellement dans les villes aussi une ambiance de guerre et de mobilisation. L’ambassade de France a même demandé depuis plusieurs mois, aux ressortissants français, de ne pas emprunter la route la plus fréquentée, qui relie Ouagadougou à Bobo Dioulasso, mais de voyager en avion ! Et les zones d’insécurité se sont encore étendues. De nouvelles attaques ont ainsi été signalées dans le sud du pays, près de la frontière ivoirienne mais aussi dans le nord du Bénin. Dans ce contexte, des manifestations ont eu lieu dans les principales villes bien avant le 1er octobre, à l’appel de personnalités ou d’organisations locales de la société civile. La presse témoignait de l’affluence importante des participants et déjà des mots d’ordre demandaient le départ de Damiba. Le 29 septembre, dans la ville de Bobo Dioulasso, les commerçants traumatisés par le récent massacre de Gaskindé, lors de l’attaque d’un convoi de ravitaillement encadré par l’armée trois jours auparavant, avaient organisé une manifestation en deux roues. Les victimes du convoi se comptaient essentiellement parmi les chauffeurs, les commerçants et les militaires. Et le soir les organisateurs diffusaient une vidéo qui appelait les populations des provinces à venir manifester le 1er octobre à Ouagadougou. D’autres évolutions politiques ont également contribué à aviver le mécontentement et à réveiller l’opposition, notamment l’invitation de Blaise Compaoré, qui venait pourtant d’être condamné à perpétuité pour l’assassinat de Sankara, dans le cadre d’une réunion des anciens chefs d’État du Burkina (qui a viré au fiasco) ; ou encore l’arrestation de Mathias Ollo Kambou, un des dirigeants du Balai citoyen, pour « outrage au chef de l’État », symptomatique d’un tour de vis répressif du pouvoir.

Des interrogations pour l’avenir

Plusieurs questions restent à ce jour sans réponse. La première concerne le choix des partenaires de l’armée burkinabè dans le cadre de la lutte contre le djihadisme. À ce jour, le Burkina Faso abrite en effet la base du COS, les forces spéciales françaises. L’armée française n’est censée intervenir qu’à la demande des autorités burkinabè ou avec leur autorisation. Les militaires français auraient essuyé plusieurs refus sous Damiba en raison de divergences stratégiques, la France cherchant à éliminer des chefs djihadistes avec lesquels le pouvoir burkinabè tente d’ouvrir des négociations (AfricaIntelligence.fr, 12/10/22). Un plan de soutien français, incluant aide budgétaire directe et fourniture d’armes (cessions de stocks d’occasion français et équipements sur financements européens) était pourtant en préparation. Par crainte de la montée de l’influence russe ? Un scénario à la malienne jouit d’une popularité croissante dans la jeunesse et l’intelligentsia. Questionné à ce sujet, le capitaine Traoré est resté plutôt vague, appelant simplement à une diversification des partenariats. L’autre interrogation concerne l’avenir de la « transition ». Ibrahim Traoré se revendique toujours du MPSR et s’est voulu rassurant sur le calendrier de retour à l’ordre constitutionnel. Au début du coup d’État, il assurait vouloir retourner au combat et permettre aux Burkinabè de choisir leur président. Très vite, il a annoncé la tenue d’Assises nationales qui se sont déroulées les 14 et 15 octobre, et à l’issue desquelles il a été désigné « à l’unanimité » président de transition intérimaire jusqu’à une élection présidentielle prévue pour juillet 2024. Une « charte de la transition » a été adoptée qui lui interdit théoriquement de s’y porter candidat. Les attentes de la population sont grandes et le paysage politique connaît plusieurs recompositions, tant au niveau des anciens partis au pouvoir que des organisations de la société civile et de la génération des militants nés de l’insurrection de 2014. L’espoir reste-t-il permis ? On ne peut que le souhaiter tant ce pays et son peuple sont meurtris depuis bien trop d’années déjà.

Une version longue de ce texte est parue sur https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog