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Aux bons soins du capitalisme : le coaching en entreprise

Lien publiée le 28 novembre 2022

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Scarlett Salman, Aux bons soins du capitalisme (openedition.org)

 

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Scarlett SalmanAux bons soins du capitalisme. Le coaching en entreprise, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Académique », 2021, 320 p., ISBN : 9782724637656.

1- La satisfaction, la motivation et l’implication des salariés dans leur entreprise constituent des enjeux fondamentaux de la gestion efficace des organisations. Le bonheur semble ainsi être progressivement devenu une injonction dans le monde du travail, et Scarlett Salman cherche à identifier dans cet ouvrage une des figures emblématiques de la prise en considération de cet objectif : le coach. Ce nouveau métier apparu à la fin du XXème siècle, inspiré de l’entraîneur sportif, mobilise une variété d’outils et de démarches qui pénètrent le monde économique et traitent de la problématique du bien-être dans la gestion des ressources humaines. Sur la base d’une enquête fascinante, l’auteure nous emmène au cœur du nouvel esprit du capitalisme1 qui place un individu singulier (le coach) au cœur du management des organisations, ceci au détriment bien souvent de la dimension collective du management.

2- Aux bons soins du capitalisme revisite l’histoire de la pensée en management (ou théorie des organisations2) à l’aide d’un regard sociologique précieux pour en discerner les non-dits et les fondements. En effet, les savoirs mobilisés pour diriger les entreprises se sont autant inspirés d’approches techniques défendues par les ingénieurs (Frederick Taylor ou Henry Fayol) que de travaux de psychologues (Abraham Maslow ou Elton Mayo) ou de sociologues (Max Weber). Cette variété de sources a permis aux dirigeants de disposer d’une boîte à outils pluridisciplinaire servant à organiser les entreprises (et progressivement toutes les formes d’action collective structurée) de manière efficace en tenant compte des ressources matérielles, financières et humaines qu’elles combinaient. C’est en particulier cet emprunt à la psychologie que l’auteure souhaite éclairer en menant une enquête sur le développement du coaching en entreprise, qui incarne particulièrement bien la manière dont le management cherche à rendre opérationnels les savoirs issus d’autres domaines scientifiques.

3- Après une introduction qui pose le cadre théorique de sa recherche, l’auteure nous invite à comprendre comment le coaching s’est progressivement constitué comme une activité qui combine la rationalisation et la responsabilisation. Ainsi, le coaching se développe comme un recours à une expertise supplétive (parfois même palliative) de la gestion des ressources humaines, des talents ou des compétences pour accompagner des individus dans leurs activités au sein des entreprises. Les coachs sont sollicités lors d’une prise de poste à responsabilité ou en cas de difficultés, pour « objectiver » la situation, conseiller, former les salariés. Le premier chapitre établit par conséquent la généalogie de cette nouvelle activité. Le management ayant rapidement intégré l’importance des qualités humaines et personnelles dans la conduite des individus, le recours à la psychologie s’est imposé comme ressource pour développer par exemple le leadership (ou la capacité à amener des collaborateurs à réaliser des tâches de qualité). Scarlett Salman montre qu’au sein des démarches psychologiques, la dimension collective a été progressivement délaissée au profit d’une approche plus individuelle, et notamment aux États-Unis, où le développement personnel et l’émancipation ont trouvé une résonnance particulière en management. C’est ainsi que le coaching, qui s’inspire d’une démarche quasi-thérapeutique, est devenu une modalité de conseil en entreprise.

4- Les deuxième et troisième chapitres traitent du métier de coach. Le coaching professionnel a dû s’imposer comme activité légitime auprès d’une clientèle qui devait en retirer une satisfaction. L’auteure décrit ainsi le passage d’une activité confidentielle à une banalisation du recours au coaching sur la base des arguments commerciaux utilisés : développement du leadership, professionnalisation des cadres, gestion du stress, promotion du bien-être au travail… qui sont autant d’enjeux auxquels font face les entreprises et que les coachs estiment pouvoir traiter, améliorer et encourager. Cette construction a également été favorisée par la mise en place de certifications de compétences professionnelles et par une structuration du métier autour d’associations spécialisées. C’est finalement avec le développement de la formation professionnelle continue que l’opportunité de répondre aux attentes des clients s’est réellement développée et a constitué un marché de l’accompagnement en entreprise. L’étude de la profession permet alors à l’auteure de dresser le portrait original des coachs en entreprise : très diplômés, souvent d’anciens cadres avec de l’expérience, des trajectoires professionnelles heurtées… qui ont pu être séduits par l’indépendance du nouveau métier et son caractère atypique, qui permet de le mettre en œuvre de manière très personnalisée. L’auteure montre ainsi qu’une partie de ces experts choisit cette activité suite à une reconversion professionnelle, ce qui permet de valoriser un réseau ou une formation antérieure tout en changeant radicalement de métier.

5- Les quatrième et cinquième chapitres montrent le quotidien de l’activité de coach. Le marché du travail des coachs en entreprise reste très concurrentiel, car il s’agit d’une prestation coûteuse qu’un nombre restreint de clients peuvent financer et que la principale contrainte de l’expert est sa disponibilité pour réaliser un accompagnement de qualité. Le coaching en entreprise fait, la plupart du temps, partie d’un portefeuille de prestations offertes autour de la formation. Les coachs sont des travailleurs indépendants qui prennent le risque d’être très dépendants de leurs clients. L’auteure souligne ce paradoxe : leur métier est d’accompagner un individu en étant rémunéré par son employeur. Il s’agit d’un bien singulier3, d’une prestation personnalisée dont la valeur est incertaine. L’évaluation de la qualité du service n’est donc pas aisée. Ainsi, les entretiens menés par l’auteure auprès de coachs font apparaître une très grande diversité de temporalités de travail – organisation du temps, planification, réactivité, frontière travail/hors-travail – qui découlent de la variété des managers qu’ils doivent accompagner.

6- Les deux derniers chapitres abordent ensuite le contenu et les effets du coaching. À travers de nombreux cas concrets, extrêmement intéressants, on découvre le rôle particulier des coachs. L’auteure souligne de manière convaincante la manière dont la prise en compte individuelle et personnalisée des cadres conduit à éviter à l’organisation de remettre en question sa dimension collective et permet de faire reposer les difficultés, tensions ou échecs sur des facteurs d’explication propres aux personnes coachées. Par exemple, le salarié trop exigeant auprès de ses collaborateurs, qui veut simplement atteindre les objectifs fixés par son entreprise, doit accepter qu’il est perfectionniste et que c’est une source de tension. Ces extraits d’entretiens montrent comment le point de vue original des coachs (mélange de compétences et d’expérience professionnelle) parvient à donner aux salariés des alternatives (changement de postes, prise de conscience) en protégeant l’entreprise, et en particulier les services de gestion des ressources humaines.

7- La lecture d’Aux bons soins du capitalisme est un véritable plaisir, car elle lève le voile sur une profession peu connue, parfois fantasmée. Cet ouvrage croise les apports du management et de la sociologie pour éclairer les formes les plus récentes d’organisation des entreprises en acceptant d’en livrer les effets positifs ou néfastes pour les individus comme les collectifs d’individus.

Notes

1 En référence à Boltanski Luc et Chiapello Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999. Dans leur ouvrage, les auteurs montraient notamment comment l’évolution de la pensée en management a conduit à de nouveaux modes d’organisation des entreprises, autour de réseaux privilégiant l’initiative des acteurs et leur indépendance de principe, mais ceci en fragilisant leur sécurité matérielle et psychologique.

2 Voir par exemple Saussois Jean-Michel (dir.), Les organisations. État des savoirs, Paris, Sciences Humaines Éditions, 2012 ; compte rendu de Fanny Thomas pour Lectures https://doi.org/10.4000/lectures.7983.

3 Cf. Karpik Lucien, L’Économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.