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Révolte à Foxconn : "La vie des ouvriers se réduit à travailler, dormir et retourner au travail"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Jenny Chan est chercheuse et maître de conférences à l’université polytechnique de Hong Kong, coauteure du livre Dying for an iPhone. Nous l’avons interviewé au sujet du déclenchement de la rébellion des travailleurs de l'usine d’iPhone de Zhengzhou, en Chine, cette semaine.
Jenny Chan est chercheuse et maître de conférences à l’université polytechnique de Hong Kong, coauteure du livre Dying for an iPhone. Nous l’avons interviewé au sujet du déclenchement de la rébellion des travailleurs de l’usine d’iPhone de Zhengzhou, en Chine, cette semaine.
Le complexe industriel en question est connu sous le nom de la « Ville d’Apple ». Quelque 200 000 employés y travaillent en temps normal. L’établissement dispose de restaurants et de dortoirs pour héberger des milliers de travailleurs qui viennent de régions éloignées de la Chine, en tant que migrants internes. Avec la pandémie, la production a été affectée sur plusieurs années, surtout depuis que les autorités chinoises ont commencé à mettre en œuvre des politiques « zéro covid », imposant des fermetures et des quarantaines obligatoires au sein du site industriel. Ces derniers mois, des milliers de travailleurs ont fui l’installation afin d’éviter d’y être à nouveau confinés. La manifestation de cette semaine a été organisée par de nouveaux contingents de travailleurs à qui l’on avait promis une augmentation de salaire, sans qu’elle ne se concrétise. Aujourd’hui et après la démonstration de force des travailleurs, l’entreprise a annoncé qu’il y avait eu une « erreur technique » et qu’elle allait payer les primes promises.
Ces annonces interviennent après que les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux et montré la répression policière des travailleurs à l’intérieur de l’usine aient contribué à mettre en lumière l’exploitation effroyable qui y a cours. Une exploitation clef pour une entreprise comme Apple.
Quelles ont été les causes de cette rébellion des travailleurs à l’usine Apple ?
Les causes immédiates sont liées aux salaires et aux primes. Lorsqu’ils ont décidé d’aller travailler chez Foxconn, les travailleurs l’ont fait sur la base d’informations fournies par l’entreprise aux agences de recrutement. Largement mensongères, ces informations ont nourri de grandes attentes chez les travailleurs.
Ces travailleurs, dont beaucoup venaient de régions et de villages éloignés, ont dû subir un confinement dans leur ville natale pendant trois jours. Ils ont également été soumis à des tests Covid dans les jours qui ont suivi. Puis des fonctionnaires locaux, ou des agences, les ont amenés en bus à Foxconn. Une fois arrivés à l’usine Foxconn de la zone franche de Zhengzhou, après quelques contrôles covid supplémentaires, ils se sont mis au travail. Le premier groupe de nouveaux travailleurs, comprenant probablement de nombreux renvoyés qui avaient fui l’établissement plus tôt pour éviter le confinement, est arrivé le 13 novembre. Cela faisait déjà plus d’une dizaine de jours qu’ils travaillaient quand ils ont découvert que Foxconn leur proposait un contrat avec des salaires inférieurs à ceux qui leur avaient été promis, et qu’ils n’auront peut-être pas non plus les grosses primes promises !
Selon les informations disponibles, il semble que les affrontements violents aient été déclenchés par le non-respect de ces promesses. Qui plus est, Foxconn aurait exigé que les travailleurs travaillent beaucoup plus dur avant de pouvoir obtenir les salaires et les primes promises par l’entreprise.
Lorsque les travailleurs refusent de signer des contrats — qui ne concernent pas quelques travailleurs, mais plusieurs, des milliers, voire des dizaines de milliers — c’est que quelque chose ne va pas du tout. Ils ne connaissent leurs droits. Ils espéraient obtenir cet argent pour pouvoir l’envoyer à leurs enfants et à leurs familles avant la fin de l’année. Il est impossible d’accepter l’excuse que l’entreprise donne maintenant, à savoir que la rébellion était simplement due à une mauvaise communication avec les travailleurs, ou à un problème technique de saisie des données. La réalité est que Foxconn fait pression pour contrôler les coûts de la main-d’œuvre, et maximise les profits en pleine crise du covid.
Et en cette période de pandémie, comment les mesures covid ont-elles affecté les travailleurs ?
Les restrictions sont appliquées en Chine depuis près de trois ans. Les gens ont des difficultés à voyager. Lorsque les restaurants ou les magasins sont fermés, les travailleurs ne peuvent pas rencontrer leurs amis. De plus, depuis octobre, dans la ville de Zhengzhou, à proximité de l’usine, les cas de covid ont augmenté, et les mesures ont été renforcées. Il convient de préciser que, selon les statistiques gouvernementales, le nombre de cas était en fait assez faible au début et à la mi-octobre, le plus souvent à un seul chiffre, moins de 10 cas. Malgré cela, les autorités chinoises ont appliqué des politiques très strictes, comme le confinement strict.
Depuis la mi-octobre, l’usine Foxconn fonctionne sous un régime de « circuit fermé », c’est-à-dire une bulle dans laquelle les travailleurs ne doivent se déplacer qu’entre leurs dortoirs et les ateliers de l’usine. Avec ce système fermé utilisé pour maintenir la production d’iPhone et minimiser la propagation du virus covid, les travailleurs sont complètement isolés du reste du monde.
Les choses ont empiré lorsque des travailleurs ont signalé que certains avaient été testés positifs au covid — bien que Foxconn n’ait jamais annoncé le nombre exact de cas sur le site. A ce moment-là, les cantines de l’usine ont été fermées. Les travailleurs ont été informés qu’ils recevraient des repas en boîte, dont la qualité était médiocre. Et plus tard, certains travailleurs n’ont même plus eu à manger du tout.
Il y a plus de 200 000 travailleurs dans cette usine de Zhengzhou. Tous les ouvriers fabriquent l’iPhone 14 Pro et l’iPhone 14 Pro Max. Apple est le seul client de l’usine. Aussi, Foxconn divise l’immense site de production en différentes zones, étiquetées avec des lettres anglaises, telles que A, B et C. Les travailleurs suivent des itinéraires tracés pour se rendre au travail, soit à pied depuis les dortoirs voisins, soit en bus d’entreprise. Leur vie se réduit à travailler, dormir et retourner au travail.
Avant le covid, les jeunes travailleurs pouvaient s’amuser ou avoir des loisirs après le travail, comme faire du skate, sortir ou fêter un anniversaire avec des amis. Au cours du dernier mois, avec ce mode de production en circuit fermé, les travailleurs n’avaient plus que leurs téléphones portables pour joindre leurs amis, leur famille, et se divertir.
Il y avait aussi un sentiment de peur car il est impossible de savoir quand un autre travailleur a contracté le covid. Dans certains dortoirs, jusqu’à 12 personnes vivent ensemble et partagent une salle de bain. Certains ne se connaissent pas bien, car les travailleurs sont dans différentes équipes, de jour comme de nuit, et sont originaires de différentes villes. Et lorsque les travailleurs ont de la fièvre ou une toux, ils ne semblent pas bénéficier de soins médicaux adéquats. C’est stressant et effrayant, il n’y a aucune transparence sur la situation du covid.
Foxconn a fait appel à la collaboration des gouvernements locaux pour recruter de nouveaux travailleurs, car beaucoup d’entre eux étaient partis, ou avaient fui, depuis le mois dernier jusqu’à début novembre. Comme indiqué plus haut, Foxconn a reçu un premier contingent de nouveaux travailleurs le 13 novembre. Et, lorsque les travailleurs se sont sentis floués, ces violents affrontements ont éclaté. De nombreuses autres personnes s’inquiètent également de la persistance des cas de covid dans les dortoirs, une préoccupation non résolue. Les travailleurs étaient inquiets de l’impact du covid, au point que, le mois dernier, certains pensaient qu’ils allaient mourir s’ils ne quittaient pas Foxconn à temps. Une peur et un stress qui s’ajoute à des conditions de travail coercitives, aliénantes, et dont le rythme est dicté par l’impératif qu’ont Foxconn et Apple de produire à grande vitesse.
Dans votre livre, vous avez analysé l’organisation du travail et des syndicats dans ces usines. Peut-on parler d’une augmentation des conflits, ou la pandémie les a-t-elle rendus plus difficiles ?
Le syndicat de Foxconn est dominé par la direction. Les travailleurs ont dû prendre la lutte en main. Des images vidéo montrent que les travailleurs ont été battus à mort par la police et la sécurité de l’entreprise.
En l’absence de représentation institutionnelle, par exemple par le biais d’un syndicat opérationnel, les travailleurs doivent compter sur leurs propres moyens. Il n’y a aucun dialogue avec les travailleurs, ou très peu. Lorsque les travailleurs en ont assez, des mobilisations et des grèves éclatent. Et ces dernières semaines, la répression contre les travailleurs, les organisations non gouvernementales (ONG), les avocats des droits de l’homme et d’autres groupes a été sévère. Je crois que les grèves, les protestations et les émeutes ont toujours eu lieu, mais les enjeux sont toujours plus importants.
Il est très difficile de connaître le nombre exact de manifestations syndicales par an en Chine, compte tenu de la surveillance d’Internet et d’autres formes de contrôle par les autorités. Le China Labour Bulletin, basé à Hong Kong, a mis à jour une carte pour montrer la géographie et les rapports des grèves et des manifestations de travailleurs, qui est basée sur les informations disponibles en ligne, y compris les données des réseaux sociaux des travailleurs. Dans l’ensemble, je pense que le nombre total de manifestations syndicales a diminué, ou alors il se peut que ces événements soient plus difficiles à suivre aujourd’hui.
Un des thèmes centraux du livre Dying for an Iphone que vous avez écrit avec d’autres chercheurs, après la vague de suicides de travailleurs dans cette entreprise en 2010, c’est la vie quotidienne dans cette ville de l’Iphone. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette organisation de la vie des travailleurs par l’entreprise ?
Foxconn possède plus de 40 sites de production répartis sur la côte et l’intérieur de la Chine. Cette usine de Zhengzhou, qui compte 200 000 travailleurs, n’est qu’une des usines de Foxconn. La mise à disposition de dortoirs pour les travailleurs au sein du complexe industriel vise principalement à maintenir les coûts de la main-d’œuvre à un niveau bas. Sinon, Foxconn devrait payer beaucoup plus pour attirer les travailleurs migrants. Dormir, manger et récupérer de l’énergie pour travailler le lendemain. C’est ainsi que la reproduction quotidienne est gérée chez Foxconn. Notez qu’aucun dortoir n’est prévu pour les couples ou les familles. Les travailleurs masculins et féminins sont séparés par des dortoirs réservés aux hommes et aux femmes.
En dehors de la « ville-usine », en raison des contrôles du covid, la mobilité reste limitée ou très restreinte. Le gouvernement chinois est préoccupé par la prévention du covid. Les quartiers résidentiels de Zhengzhou, par exemple, sont fermés pendant des périodes spécifiques lorsqu’il y a des cas confirmés de covid. Les résidents locaux ne sont pas autorisés à sortir ou à entrer pendant les confinements. Les écoles et les universités sont temporairement fermées, les cours ont lieu en ligne et les bibliothèques sont fermées. Le métro et les bus ne sont pas accessibles au public tant que les mesures covid ne sont pas levées.
Et dans ce contexte, le niveau de contrôle et de censure du gouvernement a augmenté. Les vidéos, les photos ou les articles de blog sont souvent rapidement supprimés par les censeurs. Les journalistes locaux ont également du mal à obtenir des témoignages de première main de la part des travailleurs de ces usines.
Notre livre, Dying for an iPhone, a été achevé juste avant que le covid n’éclate. En janvier 2020, j’ai effectué mon dernier voyage dans une ville du sud de la Chine continentale ; depuis lors, je suis resté à Hong Kong. Ce que je peux partager est basé sur des lectures approfondies, autant que possible en chinois et en anglais, ainsi que sur le témoignage de certains informateurs, dont je ne peux révéler les noms. Sinon, ils risquent de perdre leur emploi à l’usine Foxconn de Zhengzhou.
Foxconn utilise énormément de capitaux ; elle investit dans des robots, des machines haut de gamme et des ordinateurs géants pour améliorer l’efficacité de la production. Afin de réduire les coûts et d’accroître la flexibilité, Foxconn et de nombreuses autres entreprises font appel à des travailleurs payés à l’heure, à des travailleurs intérimaires et à des étudiants en stage, beaucoup moins chers, issus d’écoles professionnelles. Aujourd’hui, elle manque de travailleurs. Foxconn pourrait avoir besoin d’un grand nombre de travailleurs, plus de 100 000 personnes, pour occuper ces postes. Cette dernière série d’embauches, comme par le passé, se fait dans des villages, proches ou lointains. Entre-temps, Apple fait pression sur Foxconn pour qu’il augmente la production d’iPhone, car les délais d’approvisionnement se sont allongés pendant la saison des fêtes.
Enfin, nous savons que vous écrivez un nouvel essai, pouvez-vous nous en donner un avant-goût ?
Oui, il s’agit d’un essai sur ce qui s’est passé ces derniers mois, tout en offrant une perspective historique sur l’expansion de Foxconn en Chine et la montée en puissance de la ville de l’iPhone.
Tant que les méthodes de gestion militarisées ne changeront pas, et que, de leur côté, les fonctionnaires ne respectent pas les lois et règlements visant à protéger la santé et la sécurité des travailleurs, les travailleurs souffriront, et de nouveaux soulèvements ouvriers éclateront. C’est la plus grande crise de la production internationale, voire mondiale.
La vie des travailleurs ne signifie rien pour eux.
Rien, en effet.
Merci pour cette interview, nous attendons avec impatience la publication de votre nouveau livre.