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Les meilleurs films 2022 de la rédaction du Comptoir

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Lien publiée le 23 décembre 2022

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Les meilleurs films 2022 de la rédac’ – Le Comptoir

L’équipe du Comptoir aime la politique, les débats d’idées, la littérature, la musique et… le cinéma ! La rédaction a opéré une petite sélection des films les plus mémorables de cette année 2022 : Apollo 10½ , EO, Leila et ses frères, R.M.N, As bestas, Sans Filtre. Bon visionnage !

  • Apollo 10½ Les fusées de mon enfance de Richard Linklater [1]
  • EO de Jerzy Skolimowski [2]
  • Leila et ses frères de Saheed Roustaee [3]
  • R.M.N, de Cristian Mungiu [4]
  • As bestas de Rodrigo Sorogoyen [5]
  • Sans Filtre de Ruben Östlund [6]

Le temps de l’insouciance [1]

Cette année 2022, ce furent pas moins de trois grands réalisateurs américains qui s’aventurèrent sur les rivages de l’enfance en revisitant leur passé à travers le filtre d’une nostalgie douce et parfois amer.

Il y eut d’abord Licorice Pizza de Paul Thomas Anderson, cette douce euphorie juvénile se déroulant dans un Los Angeles propice aux égarement amoureux. Une ville où le vortex hollywoodien et ses illusions de gloire menace constamment d’engloutir les deux adolescents qui crapahutent malicieusement à ses marges, courant l’un après l’autre dans une course au bout de la nuit.

Armageddon Time de James Gray ensuite, qui retrace de manière déguisée la jeunesse du réalisateur dans le Queens des années 80. Une œuvre semi-autobiographique donc où l’on retrouve, traitée avec une grande délicatesse, ce même dilemme qui court depuis son premier film : s’émanciper du carcan familial pour se réaliser ou rester près des siens par obligation morale.

Enfin, il y eu Apollo 10 ½ de Richard Linklater, ode sublime et fantasmée aux réminiscences de l’enfance sur fond de conquête spatiale. Une façon pour le cinéaste de poursuivre l’exploration des souvenirs et la captation des éphémères instants de bonheur que l’on retrouve dans ses précédentes œuvres. Car ce n’est pas une grande épopée lyrique à la Ron Howard (Apollo 13) ou Philip Kaufman (L’étoffe des héros) que filme Linklater mais les rêves pop et colorés d’un enfant ayant grandi à Houston dans les années 60, s’imaginant avoir été choisi par la NASA pour être le premier homme à marcher sur la lune. À cette époque, l’Amérique est au sommet de sa puissance, les classes moyennes consomment sans retenue, le progrès technologique avance à grands pas, l’avenir s’annonce radieux. C’est dans ce climat d’insouciance (malgré la guerre du Vietnam et la menace de la bombe atomique qui sourd en arrière-plan) que grandi Stan, cadet au sein d’une famille nombreuse dont la vie est rythmée par les jeux dans la cour de récréation, les balades à vélo dans le quartier pavillonnaire, la construction de maquettes de fusées, les soirées diapo dans le salon et, surtout, les programmes télés dévorés seul ou avec les autres membres de la fratrie dont on sent que Linklater prend un immense plaisir nostalgique à tous les énumérer.  

La technique de la rotoscopie (déjà utilisée dans Waking Life et A Scanner Darkly) confère à ces petites bulles de vie mises bout à bout et narrées par la voix-off de Jack Black une dimension onirique qui fétichise les souvenirs du jeune garçon en les mélangeant aux évènements historiques. L’impression de vivre un été doucereux et sans fin où seule règne la légèreté, à l’instar de la parenthèse estival des étudiants d’Everybody Wants Some !! (2016) quelques jours avant la rentrée à l’université. Toute la mélancolie de l’enfance rythmée par le calendrier scolaire se retrouve dans ce soupir de Stan, les yeux tournés vers les étoiles : « La liberté et le bonheur du week-end prenait fin. » Le retour à la réalité n’a sans doute jamais été aussi teinté d’amertume.

Sylvain Métafiot

Balthazar voit la vie en rouge [2]

Cinquante-six ans après Bresson, le cinéaste polonais Jerzy Skolimowski, 84 ans, propose un remake contemporain au chef-d’œuvre Au hasard Balthazar (1966). Comment peut-on avoir l’audace de refaire ce film ? Tout le programme bressonien établi, plus tard, dans les Notes sur le cinématographe (1975) était déjà là, au premier rang duquel le « modèle », ce comédien dépouillé de toute intention de jeu et de toute expressivité. Faire « jouer » un âne apparaissait comme le meilleur moyen d’induire la théorie. Mais, surtout, il fut cohérent et délicat de placer un âne au centre d’une fresque dans laquelle les passions humaines, viles ou complexes, étaient mises en lumière. L’illustration de la violence au travers des yeux d’un être docile est un pari peu osé. Chez Bresson, elle possédait une crasse assumée, quelque chose de beau dans la fange. Une lueur dans le noir et blanc, permise par la grâce de l’âne et peut-être aussi celle de Schubert – et d’Anne Wiazesmky.

Mais si Eo (ou Hi-Han, pour l’onomatopée originale) reçoit, en 2022, le prix du Jury à Cannes, ce n’est pas simplement parce qu’il reprend la formule bressonienne. Skolimowski, dans la continuité d’une œuvre tournée vers la brutalité, a mis en scène une façon d’appréhender le monde qui lui est propre. Cette expérience est celle d’un personnage exilé et en errance. Un homme en fuite, de Walk-over (1965) à Essential Killing (2010). Si les motifs de fuite ne sont pas toujours très clairs, on sait que l’âne Eo fuit la brutalité humaine. Heureux, un temps, auprès d’une jeune dresseuse, il en est séparé et parcourt le reste du film comme autant de tableaux variés de la nature humaine : consumérisme, marginalité, luxure… Chacun de ces tableaux apparaissant alors comme des figures délavées du cinéma – la scénette finale, mettant en scène une Isabelle Huppert bourgeoise et hystérique dans une demeure rustico-baroque de l’Italie constitue un cliché absolu de cinéma. Ces représentations caricaturales de dramaturgie accompagnent les représentations de ces types (« modèles » ?) humains qui nous sont familiers et qui constituent, pour Eo, des rites initiatiques.

L’intérêt de la mise en scène ne relève alors plus des hommes, qui n’ont que peu de choses à dire puisque tout aurait déjà été dit. La mise en scène suit ce qui pourrait être une anthropologie de l’animal. Et si les ânes perçoivent les couleurs de façon terne, ici, la caméra nous offre des panoramas de montagnes nimbés d’un rouge menaçant et anxiogène, ou des bestiaires forestiers, la nuit, dont les corps scintillent sous les rayons de la lune. Cette vision quasi thermique accompagne une bande-son qui elle aussi fonctionne par ondes, davantage sensitives, au rythme de l’âne ; constituée tantôt de percussions sèches qui rappellent le bruit des sabots, tantôt d’instruments à cordes qui cohabitent avec le crin de la bête. Le spectateur, désorienté, se désintéresse peu à peu du devenir de l’être humain pour épouser la brutalité la plus primaire de l’existence, celle des sens et de la nature.

Anastasia Marchal

L’Iran, les femmes et le tragique [3]

En Iran, vers la fin des années 2010, Leila est la seule fille parmi les cinq enfants de ses parents vieillissants. Si elle travaille la journée dans une banque, il lui faut s’occuper d’eux le soir, ainsi que de ses frères qui, bien qu’adultes, semblent être retenus dans le cocon familial par d’invisibles rets. Le film s’ouvre alors qu’Ali Rezza, l’aîné, revient dans le foyer, après s’être retrouvé au chômage suite à la fermeture de l’usine dans laquelle il était employé. Film social donc, croit-on après la première demi-heure. Bien sûr, mais ce ne serait pas rendre entièrement justice à ce Leila et ses frères, troisième film du réalisateur iranien Saeed Roustaee, déjà remarqué pour La loi de Téhéran (2019). Ce à quoi l’on assiste est une tragédie, au sens grec du terme. Une chute dans un puits sans fonds que les protagonistes sont incapables d’arrêter malgré leurs efforts, et le spectateur s’interroge de savoir si le destin de cette famille n’est-il pas, après tout, celui d’un pays tout entier.

L’actrice Taraneh Allidousti campe, avec Leila, un personnage magnifique de femme dans une société patriarcale où les hommes sont tout à leur honneur, comme son pauvre père qui aspire à dépenser les économies d’une vie pour devenir le parrain honorifique de la famille, ou à leur lâcheté, comme son frère Ali Rezza qui refuse de décider pour le bien de ses frères. Jamais ils n’ont les pieds sur terre, jamais ils n’ont l’énergie suffisante qui leur permettrait d’échapper à leur sort de misère et de débrouille. Sorti en salles en France en août 2022, le film a précédé de quelques semaines l’éclatement de la révolte des femmes en Iran, et la terrible répression qu’elle a entraînée. Certains critiques ont qualifié le film de « bavard », en raison de sa longueur (2h45), mais force est de constater que Saheed Roustaee avait anticipé quelque chose. Il offre une photographie saisissante de l’Iran juste avant l’embrasement et la révolte ; un petit joyau de cinéma qui permet de toucher du doigt la vie quotidienne dans un pays qui étouffe de ses traditions et de ses crises. À voir absolument.

Louis Raymond

Passions tristes dans les Carpates [4]

Mathias, un immigré roumain, quitte l’Allemagne après une rixe qui l’a opposé à un de ses collègues, et retourne dans sa région d’origine, la Transylvanie, en lisière de la forêt millénaire des Carpates. Dans ce petit village transylvain, véritable tour de Babel où cohabitent les communautés hongroise, saxonne (arrivées dans cette région à l’époque médiévale) et roumaine, des tensions ressurgissent, au moment de l’arrivée de trois migrants sri-lankais. Ces derniers, recrutés par la boulangerie locale, en pénurie de main d’œuvre, font en effet l’objet de l’hostilité de la majeure partie des villageois, peu habitués à voir fouler sur son sol une population si exotique. Le point d’acmé du film est sans nul doute atteint lors de la réunion de la communauté villageoise, dans la salle des fêtes, pour discuter du sort de ces migrants : quinze minutes, d’une pression insoutenable, qui filme en plan fixe les débats des villageois, véritable catharsis, où s’expriment les pulsions xénophobes de la communauté.

Plusieurs thématiques peuvent ainsi être soulevées. D’abord, au prisme de ce village transylvain, est abordé le thème de la xénophobie contemporaine : dans un contexte d’augmentation des flux de travailleurs, venus de plus en plus loin, et qui touchent même ici le fin fond de la Transylvanie, l’opposition des populations locales est frontale, en témoigne la scène de l’incendie volontaire du logement des migrants sri-lankais, perpétré par des villageois, ou encore par l’emploi d’une rhétorique ouvertement raciste, sur fond de peur hygiéniste. Alors que plane sur le village la menace d’attaques d’ours, les pulsions xénophobes de certains villageois confinent ici à la bestialité. Mais est soulevée une contradiction : Roumains et Hongrois rejettent les migrants, alors même que les populations est-européennes bénéficient, depuis une dizaine d’années, d’un système migratoire favorable dans le cadre de l’Union européenne, caractérisé par la possibilité de profiter de conditions salariales plus élevées en Allemagne, en France ou en Italie. Les effets délétères du néo-libéralisme sur la société sont également pointées du doigt (les salaires de misère proposés par la boulangerie locale), de même que la peur du déclassement, causée par le dumping social et l’intégration à un marché économique européen de plus en plus concurrentiel. L’UE en prend particulièrement pour son grade lorsque les villageois critiquent les leçons de morale de Bruxelles, prompt à verser des millions d’euros pour protéger les ours des Carpates, mais ferme les yeux sur les problèmes d’infrastructure de cette région ; l’Europe de l’Ouest serait ici plus intéressée par les plantigrades roumains que par les conditions de vie de ses habitants. Incarnation de cet idéalisme occidental, le jeune humanitaire français, en mission dans le village pour protéger les ours, et soutien des migrants sri-lankais est l’objet de la vindicte populaire, lors de sa prise de parole lors du débat. Le clivage entre l’Europe de l’Est et de l’ouest, sur fond de sentiment d’humiliation, est en cela parfaitement retranscrit. Autre victimes expiatoires de ce débat, les femmes dirigeantes de la boulangerie industrielle, employeuses des migrants sri-lankais et dont le train de vie, typique d’une classe moyenne supérieure, connectée, pro-européenne, en plein essor en Europe de l’Est, suscite la jalousie et la colère des villageois paupérisés.

Avec R.M.N, nous retrouvons en cela le style de Cristian Mungiu, notamment son sens de la tension, que l’on retrouvait déjà avec force dans plusieurs de ses films – Au-delà des collines (2012), 4 mois, 2 semaines, 2 jours (2007). Virtuose du film social, Mungiu ne sombre néanmoins pas dans le manichéisme et décortique en profondeur les souffrances de son pays d’origine, avec sévérité parfois, mais sans nier la complexité des racines de la colère, qu’il essaie justement d’analyser à la manière d’un scanner neurologique (en référence au titre). Enfin, Mungiu excelle ici dans la restitution de la lourdeur de l’atmosphère des Carpates, marquée par une grande obscurité et la froideur des intéractions.  

Léonard Barbulesco-Vesval

L’éolienne de la discorde [5]

Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs), un couple de professeur Français à la retraite vit dans un magnifique village de Galice, dans lequel il s’est installé. Écolos, ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Sur le papier le couple a tout pour être heureux, mais ils sont détestés par le reste du village. La raison ? Antoine et Denis ont empêché l’installation d’une éolienne qui aurait rapporté un petit pécule à des habitants très pauvres. 

Ce qui est au départ de l’incompréhension – pourquoi un couple d’écolos refuserait une éolienne ? – se mue en colère, puis en haine. Antoine et Olga tentent néanmoins de s’expliquer. Pour eux, les éoliennes n’ont rien d’écologique et abîment le paysage. Quant à la somme promise, elle est faible par rapport aux désagréments engendrés par le dispositif énergétique. Mais les villageois, menés par Xosé et Alfonso, deux frères célibataires, qui vivent encore chez leur mère la quarantaine passée, ne perçoivent que l’argent dont ils ont besoin. Les frères espagnols pourrissent la vie au couple français. Dans le même temps, Marie, fille d’Antoine et Olga et mère d’un petit garçon, restée de l’autre côté des Pyrénées s’inquiètent pour ses parents. Mais le couple ne veut pas retrouver sa vie matérialiste et vide de sens d’avant. Il se sent mieux dans cette vie, malgré le danger qui lui pèse dessus.

Rodrigo Sorogoyen réalise une belle tragédie, illuminée par des plans magnifiques de la Galice. À travers ce film, il réussit à évoquer trois sujets importants : celui des éoliennes, celui de la quête de sens, mais surtout celui de l’incompréhension entre deux classes sociales. D’un côté des « bobos », qui veulent améliorer le monde, de l’autre des prolos qui veulent boucler leurs fins de mois. Les deux ont raison de leur point de vue. Les premiers sont animés par des motifs nobles. Les seconds par leur survie. Alors serait-il possible de concilier fin du mois et fin du monde ?

Kévin Boucaud-Victoire

Jeu de dupes [6]

High-Rise, Parasite, L’Origine du Mal, Le Menu, … Ces temps-ci, les « films de lutte des classes » se vendent comme des petits pains. L’intrigue est connue, presque attendue. D’un côté, les riches, inconscients, repus, dans leurs restaurants huppés, leurs villas audacieuses, leurs querelles d’héritage. De l’autre, les pauvres, rusés, rageurs, qui savent comment duper le bourgeois d’une flatterie, comment lui soutirer son pécule d’un sourire. À son aise, le spectateur se délecte de voir les héritiers de Renart dindonner les rejetons d’Ysengrin. Les sympathiques prolétaires l’emporteront, gage-t-il. Mais un grain de sable vient, chaque fois, gripper la machine, fissurer le masque. L’hypocrisie s’évanouit alors, et la lutte des classes s’exacerbe, sous sa forme pure : sanglante, sadique, sans pitié. Et comme à Camlann, le pauvre met à mort le riche, avant d’agoniser sous le coup de ses propres blessures.

Avec Sans Filtre, on rejoue la même pièce. Deux influenceurs, beaux de dehors, perdus de dedans, profitent d’une croisière où le luxe le dispute à la mollesse. On parade en petite tenue, on prend langue avec nos voisins marchands d’armes, on profite du homard et de la belle nappe blanche. Mais il suffit que les éléments se remuent un peu pour voir le champagne voler en éclats, les vagues ruiner les beaux smokings, les rombières se pâmer. Et, devant un équipage hilare, notre belle compagnie, soudain grotesque, se met à vomir, à saigner, à cracher, à supplier.

Nous ne dévoilerons pas ce qui suit. Ce que nous en retenons ? Moins la diégèse, un brin convenue, que la mise en scène. Les premières scènes, où, sous des pulsations techno lourdes d’angoisses, des hommes-corps, blancs, noirs, blonds, musclés, tous fragiles, tous friables, se mettent à simuler la toute-puissance, sous l’œil acéré de modistes impitoyables. On savoure aussi la nuance cachée derrière l’acidité : cette manière qu’a le réalisateur, Ruben Östlund, de créer du rapport de force à la chaîne. Il malmène les personnages et leurs humeurs, et les fait se rentrer dedans sans interruption. Apeurés, médiocres, chacun bloque alors devant sa propre lâcheté, sa veulerie, et la rapacité des autres. Et tout ce beau monde s’entredévore, sous l’œil amusé d’un spectateur qui se demande jusqu’où tout cela peut-il bien aller.  

Erwan Plurien