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Dette de la Sécu et marchés financiers : en finir avec la gabegie

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Lien publiée le 9 janvier 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Dette de la Sécu et marchés financiers : en finir avec la gabegie | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

Par Nicolas Da Silva

Contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, la financiarisation n’est pas un phénomène réservé aux organisations à but lucratif. La Sécurité sociale subit elle aussi ce processus depuis presque une trentaine d’année. Loin d’être un sanctuaire à l’abri des appétits du capital financier, elle est étroitement imbriquée au monde de la finance de marché.

Le principal lieu de la financiarisation de la Sécurité sociale est la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), créée en 1996 par une ordonnance du gouvernement d’Alain Juppé. Jusqu’au milieu des années 1990, lorsque la Sécurité sociale connaissait des déficits, deux principales stratégies pouvaient être mises en place : la hausse des taux de cotisation ou l’emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations (crédit public assuré par l’Etat).

Avec l’érosion de la part des salaires dans le revenu national et la succession des crises économiques, notamment la récession de 1993, les déficits se multiplient. Les gouvernements refusant d’augmenter les ressources de la Sécurité sociale, la dette s’envole. En 1995, la Sécurité sociale est endettée vis-à-vis de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 137 milliards de francs (28,6 milliards d’euros, base 2021).

Avec la CADES, le gouvernement impose à la Sécurité sociale de passer par les marchés financiers pour refinancer sa dette – au détriment des deux solutions traditionnelles. La CADES bénéficie des ressources liées à la création de la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et d’une partie de la Contribution sociale généralisée (CSG).

Cela lui permet d’émettre des titres de créance sur les marchés financiers. Les prêteurs sont rémunérés par un taux d’intérêt dépendant de l’évaluation par le marché de la qualité de la dette ainsi émise. L’objectif du gouvernement est alors de discipliner l’institution en l’articulant aux marchés et de faire œuvre de pédagogie en permettant « à chaque contribuable d’identifier clairement que (son) paiement [la CRDS] était la contrepartie d’une réalité, "le trou de la Sécurité Sociale" »1.

D’une certaine manière, cette ordonnance invente ce que l’on appelle aujourd’hui la « dette sociale ». Plutôt que d’ajuster le niveau des ressources à celui des dépenses, l’Etat décide de construire le problème de la dette sociale et d’imposer les solutions de recours aux marchés financiers et de l’austérité budgétaire (c’est à ce moment-là que sont créés la Loi de financement de la sécurité sociale et l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie – Ondam – votés chaque année par le Parlement).

Lors de la création de la CADES, on a beaucoup insisté sur l’efficacité du recours aux marchés. Force est de constater, pourtant, que cette évolution nous coûte « un pognon de dingue ».

L’économiste Ana Carolina Cordilha a estimé le coût de la financiarisation de la dette de la Sécurité sociale via la CADES (voir ici et ). Entre 1996 et 2018, c’est-à-dire avant la pandémie et ses conséquences économiques, la CADES a repris 260,5 milliards d’euros de dette sociale (euros constants, base 2018).

Elle a reçu pour refinancer cette dette 208 milliards d’euros mais n’a effectivement remboursé que 153 milliards d’euros de dette (environ 59 % du total). Bien que depuis 2014 les taux d’intérêt négatifs ont permis à la CADES de réaliser des gains à hauteur de 10 milliards d’euros (!) sur l’ensemble de la période, ce n’est rien comparé aux plus de 70 milliards d’intérêts et de commissions versés.

La financiarisation de la Sécurité sociale est une gabegie qui ne fera pas l’ouverture du journal de 20 heures. Mais qui est bien plus ruineuse pour les finances publiques que la mythique fraude à la carte vitale

Le surcoût du financement par les marchés via la CADES comparé à d’autres moyens de financement n’est absolument pas une surprise. Lorsqu’une dette publique est financée par la CADES, il faut rembourser le principal (le montant emprunté) et les intérêts (la rémunération du prêteur). Cette méthode est plus couteuse qu’un financement direct par l’Etat pour deux raisons.

D’une part, le taux d’intérêt payé sur les marchés financiers par l’Etat est quasi systématiquement inférieur à celui de la CADES. Même si la signature de la CADES est garantie par l’Etat, les titres émis par l’Etat directement sont considérés comme plus sûrs et sont donc moins couteux.

D’autre part, l’Etat ne rembourse pas le principal, il le réemprunte à horizon infini – ce que l’on appelle faire rouler sa dette. La CADES est par construction une institution particulièrement coûteuse opérant chaque année une ponction sur la Sécurité sociale qui nourrit la sphère financière.

La pédagogie que devait assurer la création de la CADES concernait l’importance pour la Sécurité sociale d’honorer sa dette sous l’aiguillon du marché, même si cela devait conduire à appliquer des politiques d’austérité particulièrement douloureuses.

Cet ordre de la dette a été momentanément ébranlé durant le confinement de 2020. Nous avons tous constaté que malgré des années de discours sur l’absence « d’argent magique » et sur la gravité du « trou de la Sécu », la Sécurité sociale était en excellente santé financière.

Elle a pu financer l’augmentation de la production de soins de santé alors que ses ressources étaient largement diminuées par l’arrêt partiel de l’activité (baisse des cotisations et impôts). Et si les dogmes de l’orthodoxie budgétaire et monétaire étaient faux ?

Alors même que l’expérience du confinement montrait à quel point d’autres mondes que l’austérité sans fin étaient possibles, toutes les critiques ont été balayées d’un revers de main pour persévérer dans la gabegie. Dès les premiers jours du confinement, le gouvernement a martelé l’importance de maintenir l’ordre de la dette.

Plutôt que de tendre l’oreille à de nouvelles propositions de politique économique, le choix des gouvernements a été de « cantonner » la dette covid ; c’est-à-dire de l’isoler pour insister sur sa dimension exceptionnelle. La dette générée pendant la période covid a été transférée à la CADES qui a vu en conséquence son activité prolongée jusqu’en 2033 (alors qu’elle devait finir de rembourser sa dette en 2025).

En juin 2020, l’économiste Michael Zemmour estimait que cette stratégie couterait chaque année une dizaine de milliards d’euros à la CADES contre environ un milliard à l’Etat (qui ne rembourse que les intérêts). Or, tout ce qui est mis dans le remboursement de la dette ne peut pas l’être dans le financement des prestations.

En choisissant de faire porter la dette covid sur la CADES plutôt que sur l’Etat, le gouvernement a fait le choix de persévérer dans une stratégie de financement coûteuse et aggravant l’austérité. Le pire est peut-être à venir dans la mesure où la période de taux d’intérêt faible semble être révolue. D’après un article des Echos, pour la CADES, « le coût de refinancement  de l’encours de dette est passé de 0,61 % en 2021 à 1,33 % en 2022 ».

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit l’attribution de 20 milliards d’euros de ressources à la CADES. N’est-il pas temps d’utiliser ces ressources pour financer des prestations plutôt que de financer de la dette ?

En effet, comparer le coût du financement via la CADES ou via l’Etat enferme la discussion dans le cadre du recours au marchés financiers (les deux institutions en sont dépendantes) ou au crédit public (si on revenait à une situation où l’Etat contrôlait plus directement la création monétaire).

N’est-il pas tant de sortir de cette dépendance ? Ne serait-il pas utile de revenir aux fondements de la Sécurité sociale qui n’a jamais été dépendante ni des marchés financiers ni du crédit public mais du montant des cotisations ?

En effet, n’est-il pas enfin temps de préférer la hausse des ressources de Sécurité sociale plutôt que de s’entêter à constater des déficits qui donnent lieu à des prélèvements supplémentaires que l’on souhaitait éviter ? Pourquoi inventer la CRDS pour financer la dette de la Sécurité sociale plutôt que de lui attribuer directement ces ressources afin d’éviter les déficits et donc l’endettement ?

L’institution efficace est la Sécurité sociale, par les marchés financiers. A quand la fin de la gabegie ?