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Veillée d’armes, par Laurent Degousée
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Veillée d’armes, par Laurent Degousée. – Arguments pour la lutte sociale (aplutsoc.org)
« Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière. »
René Char
Après plusieurs mois de faux suspens, le gouvernement vient d’annoncer son projet de contre-réforme de nos régimes de retraite. Il est dans la continuité de celles menés depuis 1993 mais en est incontestablement le plus dur vu qu’il augmentera, si nous le laissons faire, à la fois l’âge de départ et le nombre d’annuités nécessaire à avoir une pension complète.
Avec le passage de 62 à 64 ans pour celles et ceux nés à partir de 1962, il faudra avoir travailler 43 ans, donc à partir de 21 ans sans discontinuer, pour toucher une pension minimum de 1.050 euros net, un montant inférieur au SMIC qui permet déjà difficilement de vivre. Ce nouveau coup de rabot sur nos droits, alors même que le régime restera à l’équilibre dans les années à venir, entrainera pour beaucoup de salarié-es le choix cornélien suivant : partir plus tôt mais une pension amputée d’autant ou bien continuer à travailler jusqu’au bout au mépris de leur santé voire pire, à passer directement du boulot au tombeau… En réponse, l’ensemble des syndicats, ce qui est inédit depuis 2010, a lancé un appel à faire grève et à manifester le 19 janvier prochain. Il est indispensable d’y participer d’autant que c’est la force de notre mobilisation qui donnera de l’élan pour la suite : un, deux, trois millions de personnes, voilà combien nous devons être dans la rue ce jeudi !
Pour légitimer une réforme rejettée par 93 % des actifs et ne pas rajouter de l’huile sur le feu avec l’utilisation du 49-3, la Première Ministre se targue d’avoir trouvé un accord avec les Républicain, reprenant largement le projet adopté dans leur place-forte du Sénat lui permettant ainsi de s’assurer une majorité sur son texte : à voir si il résistera aux vicissitudes de la poltique et surtout à la pression d’une lutte au long cours. L’autre fait politique important, c’est que la mobilisation syndicale tombera finalement avant la manifestation centrale, appelée elle par des organisations de jeunesse avec le soutien de la France Insoumise, prévue samedi 21 janvier soit deux jours après la grande journée de mobilisation de jeudi. Il faut y voir un message clair des états-majors syndicaux à savoir à vous la bataille à l’Assemblée Nationale, à nous celle dans la rue. On peut d’une certaine manière s’en réjouir comme seule la mobilisation de notre classe est facteur d’avancées sociales mais l’addition des forces de la CFDT et de la CGT, dont l’implantation se complète (grosso-modo le secteur privé et les services pour la première et celui public, l’industrie et les transports pour la seconde), ne suffira pas, vu le rapport de force nécessaire, à obtenir le retrait du projet de loi : ainsi, la précédente unité syndicale compléte contre le passage de 60 à 62 ans sous Sarkozy n’aura pas suffit.
La lutte, pour s’élargir au plus grand nombre et permettre ainsi de gagner, doit se porter sur le terrain politique et ne pas se cantonner à celui économique qui est affaire de chiffres : ainsi, pour la CFDT, 64 ans c’est non mais 63, ça serait oui ? Plus encore, avec l’accélération de la réforme Touraine de 2014 et du nombre d’annuités nécessaire, l’âge de départ retenu devient purement indicatif et se porte mécaniquement à 67 ans pour les jeunes générations qui ont commencé à travailler tard sauf à devoir subir une décote équivalente sur le montant de sa pension. En effet, comme l’a écrit une certaine Rosa, » Chacune des grandes actions de masse politiques se transforme, après avoir atteint son apogée, en une foule de grèves économiques. Ceci ne vaut pas seulement pour chacune des grandes grèves, mais aussi pour la révolution dans son ensemble. Lorsque la lutte politique s’étend, se clarifie et s’intensifie, non seulement la lutte revendicative ne disparaît pas mais elle s’étend, s’organise, et s’intensifie parallèlement. il y a interaction complète entre les deux. «
Dans cette perspective, il faut insister sur ce qu’est véritablement la retraite comme l’est censée d’ailleurs être l’indemnisation chômage à laquelle Macron s’est précédemment attaqué : du salaire mais en différé ! La retraite, c’est le salaire de celles et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre et qui justement, par le fruit de celui-ci au moment où travailler devient plus dur, voit s’ouvrir la perspective d’une nouvelle vie – voire d’une seconde jeunesse pour peu qu’on ait la santé – alors qu’elle approche irrémédiablement de sa fin, une existence débarrassée de la nécessité de travailler pour vivre, un droit transgénérationnel pas seulement à la paresse mais au libre développement de soi et des autres, à commencer par celui de ses proches, un communisme avant l’heure en quelque sorte. C’est une telle présentation plutôt que s’en tenir à un discours d’actuaire qui peut parler, y compris aux plus jeunes qui ont déjà, pour beaucoup, intériorisé le fait que » on n’aura pas de retraite. «
Après, beaucoup de choses ont été apprises depuis 2016 et Nuit Debout, amplifiées par les Gilets jaunes dont la mobilisation avait déjà percuté celle syndicale de 2019 contre le projet de retraite à points déjà porté par Macron et encore ces derniers mois avec la foultitude de grèves sur les salaires, qu’elles soient longues comme celles des raffineurs et des contrôleurs SNCF ou inédites dans des entreprises où les arrêts de travail ne sont pas monnaie courante. Devant, ils le savent et le redoutent comme l’indique la récente divulgation d’une note du renseignement territorial qui craint des modes d’actions imprévisibles. A cela vient s’ajouter une série de bouleversements du rapport au travail avec l’expérience des confinements successifs, les tensions en matière de recrutement dans les métiers pénibles et la désaffection pour ceux de la fonction publique censés pourtant offrir la garantie de l’emploi à vie. Si on en juge au nombre d’appels communs pour jeudi prochain, que ce soit au plan local avec la démultiplication des lieux de manifestation ainsi que dans différents secteurs d’activité et entreprises, proches du terrain donc qui viennent, avec des mots d’ordre clairs, combler les ambiguités de l’appel de l’intersyndicale nationale à commencer par l’absence du mot retrait, la mobilisation sera très forte alors que le projet de loi sera soumis au Parlement dès le mois prochain. Nous avons fait reculer le pouvoir en 1995, en 2006 et en 2019, nous pouvons y arriver en organisant la lutte dans la durée et avec détermination !
Le 15-01-2023.