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Poser la question de la sortie de l’Union européenne

Europe

Lien publiée le 3 février 2023

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Poser la question de la sortie de l’Union Européenne - FRUSTRATION (frustrationmagazine.fr)

En mai 1992, en plein débat sur le Traité de Maastricht, le traité qui a posé les bases de l’Union Européenne telle qu’on l’a connaît aujourd’hui, Philippe Séguin, “gaulliste social” proche de Jacques Chirac, prononçait un discours important qui est resté dans les mémoires. Celui-ci expliquait, avec synthèse et efficacité, toutes les difficultés nouvelles qu’allaient engendrer l’Union Européenne. Bien que cette critique vienne de la droite de l’échiquier politique, elle conserve une certaine pertinence concernant, notamment, les verrous majeurs imposés sur la politique économique et monétaire. Nous nous tenons néanmoins à une grande distance des conclusions stratégiques et politiques qu’en tire ce que certains appellent la “sphère souverainiste”.
Ce discours a été réédité le mois dernier.

Préfacé par la docteure en sciences politiques Virginie Martin, le discours du gaulliste social Philippe Séguin en mai 1992, à l’occasion du débat sur le traité de Maastricht, ici publié et édité par Qui Mal Y Pense, représente une master-class dans le travail d’explication des conséquences désastreuses de l’Union Européenne. Il est aussi un texte clé dans la compréhension de la sphère dite « souverainiste ».

Pour Philippe Séguin, la mise en place de Maastricht doit être comprise comme un « anti-1789 » en ce qu’elle nous prive d’un de ses acquis fondamentaux : la souveraineté nationale.
Pour ce dernier, comme pour De Gaulle (« la démocratie pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale »), la nation est le cadre d’exercice efficace de la démocratie : monter en échelon c’est immédiatement perdre en démocratie.
Il prévient des risques concrets pour la France comme la perte du siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.

Des anticipations qui se sont avérées justes

Le discours lu en 2022 frappe, rétrospectivement, par sa justesse d’anticipation sur bien des sujets. En particulier celui de l’exacerbation des nationalismes, que nous voyons maintenant à l’œuvre en Italie, en Suède, en Hongrie, en Autriche, en Pologne ou en France.

Sur l’extrême droite, dont il prend bien soin de se distinguer («  la nation ce n’est pas un clan, ce n’est pas une race, ce n’est pas une tribu »), le haut-fonctionnaire délivre une analyse assez fine, en rappelant sa dimension largement transnationale. Les formes actuelles d’internationale de l’extrême droite, qui s’appuient sur la défense identitaire d’une « civilisation européenne blanche et chrétienne », lui donnent évidemment raison : l’extrême droite a toujours eu des projets européens.

La nation ce n’est pas un clan, ce n’est pas une race, ce n’est pas une tribu

PHILIPPE SÉGUIN

A propos du cas plus précis de l’Europe centrale et orientale, composées de pays sortant du communisme, il précise que « le désordre, le chômage et la pauvreté auxquels nous sommes en passe de les condamner engendreront plutôt le populisme, le nationalisme et peut-être même le fascisme ».

L’Union Européenne nous prive de notre souveraineté économique

Mais c’est surtout sur la souveraineté économique que les prédictions de Philippe Séguin s’avèrent tristement justes : « ce qu’on nous demande d’abandonner (…) c’est la possibilité de conduire une politique économique qui nous soit propre ». Et c’est bien là le problème de notre camp (qui n’est pas celui de Philippe Séguin, précisons-le quand même), que l’impossibilité, institutionnellement organisée, de conduire des programmes de rupture, même dans le cas, relativement improbable, d’une prise du pouvoir par les urnes – faisant des enjeux électoraux et de la démocratie représentative à la française un spectacle bourgeois sans beaucoup d’intérêt pour nous.

Ce qu’on nous demande d’abandonner (…) c’est la possibilité de conduire une politique économique qui nous soit propre

PHILIPPE SÉGUIN

Un des points structurants de la perte de notre souveraineté économique est le transfert de la politique monétaire aux mains d’une banque centrale européenne « indépendante, c’est-à-dire incontrôlable », nous empêchant désormais d’ajuster les parités pour éviter la déflation. 
Pour réaliser une politique économique, un Etat a besoin de l’ensemble des moyens d’interventions possibles à savoir « budget, fiscalité, actions structurelles en faveur des entreprises et monnaie ». En le privant d’un ou plusieurs de ces outils, on limite ses possibilités d’actions à un certain type de politiques économiques. C’est ce qui permet également à l’ancien ministre des affaires sociales et de l’emploi du gouvernement Chirac (1986-1988) d’anticiper « la révision à la baisse de notre système de protection sociale ».

Dans ce contexte, Philippe Séguin perçoit bien l’intérêt qu’y trouve l’Allemagne « qui ne renoncera à sa souveraineté que si elle domine l’ensemble, certainement pas si elle lui est subordonnée ». C’est également cette analyse des rapports de force européens qui pousse des intellectuels comme Frédéric Lordon ou Emmanuel Todd à trouver illusoire des options de «réforme de l’Europe ».

L’Union Européenne n’est pas synonyme de paix

Un des arguments clés en faveur de l’Union Européenne, un des rares qui puissent réellement toucher les habitants de l’Europe encore traumatisés par les atrocités du XXeme siècle, est que cette dernière permettrait de « préserver la paix ». Sur ce point, Philippe Séguin répond avec un certain brio. Il rappelle, s’il le fallait, que la nation n’est pas synonyme de guerre, puisque, « souvent, les empires sont nés avant les nations » et que « plus de malheurs sont venus des grandes idéologies et des impérialismes dominateurs que des ambitions purement nationales. Hitler et Staline voulaient, après tout, chacun à sa manière, construire une nouvelle Europe ».

Il s’empresse de lister les nouveaux risques contemporains contre lesquels l’Union Européenne n’a pas prouvé son efficacité à ce jour : « prolifération des armements nucléaires et classiques, multiplication des zones grises échappant à tout contrôle étatique, dangers technologiques, menaces majeures pour l’environnement, extension des trafics de stupéfiants… ».

Le souverainisme de droite n’est pas notre allié

Ce discours a donc le grand mérite de poser de manière claire, argumentée et accessible nombre des impasses – toujours actuelles – de l’Union Européenne.

Mais son héritage politique, le « souverainisme » est aussi souvent le lieu d’un confusionnisme qu’il s’agit de clarifier. Aussi critique de l’UE que fût-ce Philippe Séguin, il était un véritable homme de droite, ministre du gouvernement bourgeois de Jacques Chirac. Et il est aisé de s’en souvenir quand il déclare par exemple que « l’Islam est un des grands problèmes européens ».

S’il est possible de trouver de manière conjoncturelle de la justesse dans les arguments d’un adversaire sur un point donné, le souverainisme de la droite n’est pas et ne sera jamais le notre. 
Car le souverainisme est un mi-chemin qui n’autorise pas toutes les concessions : c’est ce qui rend les projets de réunion des « souverainistes des deux rives » (entendre « de droite et de gauche » comme certains qui auraient voulu réunir Philippe de Villiers et Jean-Luc Mélenchon…), qui pensent se retrouver sur un sujet, tout à fait hasardeux. Soyons plus clairs : sacrifier les immigrés pour obtenir la souveraineté économique n’est pas et ne sera jamais notre projet, souveraineté économique qui ne nous intéresse d’ailleurs pas si elle est utilisée pour faire une politique libérale à l’échelle nationale plutôt qu’une politique libérale à l’échelle européenne.

Il ne s’agit pas là d’une position sectaire mais bien de divergences d’opinions, d’intérêts, stratégiques majeurs et inconciliables. Au jeu de la confusion nous sommes et serons toujours les grands perdants.

Dans notre camp social, les mêmes mots peuvent recouvrir d’autres significations. Un souverainisme de droite réfléchit dans les termes étroits de la nation, là où nous privilégions la classe, fusse-t’elle à des échelons supérieurs ou inférieurs. Il mobilise la souveraineté nationale, là où seule la souveraineté populaire nous intéresse réellement, ce qui implique d’aller beaucoup, beaucoup plus loin qu’un simple démantèlement de l’Union Européenne.

Oui, nous voulons l'Europe, mais debout Discours pour la France - broché - Philippe  Séguin, Virginie Martin, Arnaud Teyssier - Achat Livre | fnac

Philippe Séguin, Oui, nous voulons l’Europe, mais debout (2022), Qui Mal Y Pense Editions, collection La Rumeur, 7.90 euros, 120 pages. 


Rob Grams