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Macron tente vainement de ravaler son bilan économique
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Macron tente vainement de ravaler son bilan économique | Mediapart
(article en accès libre)
Le chef de l’État a justifié la poursuite de sa politique par un bilan économique positif. Un signe de plus de sa déconnexion complète, car ses prétendus « succès » ne sauraient duper une population qui traverse une crise de niveau de vie majeure.
Le président de la République a donc défendu, dans son intervention du 22 mars, un bilan idyllique sur le plan économique. Fidèle à ce qu’il est depuis 2015, Emmanuel Macron a cherché à faire le lien entre sa politique fiscale et l’amélioration de l’emploi pour justifier la réforme des retraites. Pour autant, il a très rapidement évincé la question du contraste frappant entre le mécontentement général et ce supposé bilan rayonnant. Aussi est-il intéressant de regarder ce bilan de plus près.
D’abord, il convient de rappeler ce que la majorité présidentielle évite systématiquement. Il n’existe pas de preuve absolue d’un lien entre l’amélioration de l’emploi et la politique fiscale favorable au capital. Aucune étude n’a été capable de montrer ce lien dans l’absolu, et le comité d’évaluation de la fiscalité du capital a renoncé à établir tout lien de ce type, comme à tout lien avec l’investissement. Les déclarations du président de la République sont donc gratuites.
Un bilan terne
Au reste, et c’est le deuxième point, il est essentiel de rappeler que la performance de l’économie française n’a rien d’exceptionnel. La crise de 2020, contrairement à ce que l’on entend souvent, n’a pas été effacée. Le PIB de 2022 dépasse de seulement 0,9 % celui de 2019 et se situe donc très en deçà de la tendance de l’avant-Covid qui était déjà sur un rythme ralenti depuis 2008. En clair, en appliquant la croissance moyenne des cinq années précédant la crise (1,69 % par an), le PIB français est inférieur de 4,3 points à cette tendance en 2022.
Le bilan macroéconomique est donc terne. Quant à la défiance de la population qu’Emmanuel Macron semble relativiser ou nier, elle est tout aussi claire. L’indice de confiance des ménages est depuis la mi-2022 à son niveau historique le plus bas, et c’est surtout vrai du sous-indice des perspectives d’évolution du niveau de vie en France. Ce dernier est à – 63, ce qui est un niveau inédit qui n’a été dépassé qu’une fois depuis 1972, en juin 2013. En clair : la défiance n’est pas le fait d’une minorité « factieuse », elle est générale dans la population.
D’ailleurs, les ménages, soumis à une inflation qui sape leur niveau de vie, le confirment avec leurs achats. La consommation des ménages a reculé au dernier trimestre de 1,2 % et devrait se situer à – 0,2 % à la fin du premier semestre, selon la dernière note de conjoncture de l’Insee. La tension sur les revenus est d’autant plus réelle que l’inflation reste élevée et porte désormais sur un panel plus large de produits, notamment l’alimentation qui est un élément central de la consommation des plus fragiles.
Évidemment, l’arrogance présidentielle n’a pas daigné s’arrêter à de tels détails. Elle s’est en revanche beaucoup appesantie sur le « miracle » de l’emploi. Pourtant, les faits précédents viennent fortement relativiser le « quasi » plein-emploi que revendique le gouvernement.
Un « plein-emploi » de répression sociale
Bien sûr, la France connaît depuis la fin de la crise sanitaire une amélioration nette de l’emploi et une baisse du chômage. Le taux d’emploi est effectivement à son plus haut niveau depuis 1975 à 68,1 % en 2022, et le taux de chômage s’établit à 7,3 % en moyenne sur l’année.
Une fois que l’on a avancé ces chiffres, il convient de rappeler qu’une part non négligeable de cette amélioration est liée au soutien massif de l’État envers le secteur de l’apprentissage qui permet de faire baisser mécaniquement le taux de chômage des jeunes. L’Insee évalue pour moitié la hausse de l’emploi des 15-24 ans par ce mécanisme.
Reste qu’il y a objectivement une amélioration de l’emploi au prix d’une baisse de la productivité. L’emploi privé a ainsi augmenté de 4,5 % entre les derniers trimestres de 2019 et de 2022 alors que, durant le même temps, le PIB augmentait de 1,17 %. Ce qui signifie une chute vertigineuse de la productivité globale du travail en France sur la même période. Or la doctrine défendue depuis 2015 par Emmanuel Macron prétendait défendre le contraire : la baisse de la fiscalité devait permettre l’augmentation de l’investissement et de la productivité. Ce n’est pas ce mécanisme qui a pu jouer ici.
Le phénomène est complexe et laisse beaucoup d’économistes perplexes. Mais il est cependant assez général à l’ensemble des économies occidentales. On le retrouve partout et il pourrait traduire un niveau de subventions et d’aides au secteur privé très important. Mais tout cela n’est pas sans poser des problèmes que le pouvoir actuel évite sérieusement.
Dans le capitalisme contemporain, la hausse de la productivité est le moteur de la croissance et de l’emploi à long terme. Ce qui signifie que pour maintenir ce haut niveau d’emploi, les États sont obligés de soutenir à bout de bras les entreprises. La baisse d’impôt n’a donc plus vocation à soutenir la croissance, mais à soutenir l’emploi, quelle que soit sa forme.
Car c’est le deuxième corollaire de cette évolution : une économie de faible productivité est évidemment riche en emploi, mais elle est, dans le capitalisme, problématique parce qu’elle fait pression sur la rentabilité des entreprises. D’où là encore la nécessité de baisser les impôts, mais aussi de maintenir les salaires à un niveau très faible. C’est bien pour cela que la hausse de l’emploi n’a pas les mêmes effets aujourd’hui que jadis : c’est une hausse sans croissance et sans croissance des salaires.
Et c’est ainsi que l’on trouve la résolution du paradoxe précédent : pour tenir, ce « plein-emploi » a besoin d’être à la fois soutenu par l’État et fondé sur la répression des travailleurs. C’est pourquoi le plein-emploi que promet Emmanuel Macron ne peut faire rêver les Français : il est non pas celui qui permet des hausses de niveau de vie, mais, précisément, celui qui exerce une pression sur ce niveau de vie. Les mois passés, avec la baisse du salaire réel, la réforme de l’assurance-chômage, complément de la réforme des retraites et, désormais, la mise au pas des bénéficiaires du RSA.
Autrement dit : l’amélioration de l’emploi n’est pas un argument en faveur de la politique du gouvernement, car elle ne s’effectue pas par la hausse de la productivité, mais par sa baisse. La promesse est donc celle d’un plein-emploi répressif. Par ailleurs, la seule condition qui permettrait de maintenir une telle situation de « suremploi » au regard de la productivité, c’est bien sûr de maintenir et de renforcer le flux de ressources de l’État vers les entreprises et la pression sur les salaires. Bref, c’est un équilibre précaire et coûteux.
Contre-feux pathétiques
Les travailleurs en sont très largement conscients et c’est pourquoi cet argument ne prend pas. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que l’argument sur la « nécessité » financière de la réforme des retraites ne prend pas davantage. L’idée d’une pression sur les finances publiques par un déficit de quelques dizaines de milliards d’euros est, bien entendu, un leurre à l’époque où l’État verse chaque année plus de 160 milliards d’euros de soutiens directs aux entreprises. D’autant qu’il existe des ressources immédiates que l’on peut mobiliser comme la CRDS (17 milliards d’euros par an) ou les exonérations de charges (84,6 milliards d’euros par an).
La fonction de cette réforme des retraites est donc bien de maintenir ce soutien au capital qui constitue l’alpha et l’oméga de la politique macroniste. Et le président de la République ne peut plus le dissimuler. C’est bien pour cette raison que son interview de ce 22 mars avait un aspect pathétique. Tous les contre-feux se sont révélés inopérants.
Comment en effet idéaliser le plein-emploi dans les conditions que l’on vient de décrire sans frôler la provocation ? Comment prendre au sérieux cette étrange taxe sur les rachats d’actions alors que l’on baisse parallèlement les impôts de production et que l’on reste immobile face à la boucle prix-profits qui pèse sur le niveau de vie des Français ? Comment justifier une réforme des retraites au nom d’une pseudo-nécessité en brandissant un graphique simpliste alors que l’âge moyen de départ à la retraite en France est dans la moyenne de l’OCDE ? Comment supporter l’assertion fièrement débitée par le président que « les smicards n’ont jamais vu leur pouvoir d’achat autant augmenter » alors que l’inflation réelle pour les classes populaires est plus forte que pour les autres et que le gouvernement a toujours refusé d’aller au-delà des revalorisations légales ?
Comment, enfin, justifier cette politique économique par une fantomatique « réindustrialisation » ? Ce mantra de la Macronie selon laquelle le pays serait en train de se réindustrialiser ne résiste pas à l’analyse sérieuse. L’amélioration de « l’attractivité » ne repose sur rien de concret (lire ici). En revanche, les chiffres de l’Insee ne décrivent pas du tout une reprise de l’industrie française. Le nombre d’emplois en équivalent temps plein entre le quatrième trimestre 2019 et celui de 2022 montre dans la branche manufacturière une baisse de 0,4 %, soit une destruction nette de 9 200 emplois qui contraste fortement avec l’amélioration globale de l’emploi.
La part de l’emploi manufacturier dans l’emploi global recule ainsi logiquement de 10,2 % à 9,8 %. Mais plus grave, cela ne s’accompagne pas d’une hausse de la production. Bien au contraire. Sur la même période, la production manufacturière recule de 4,2 %. Ainsi, non seulement l’industrie française continue de reculer, mais elle perd en efficience. Ce désastre se traduit, entre autres, par une dégradation persistante du commerce extérieur. Ainsi, le point par lequel le président de la République justifie toute sa politique n’existe pas dans les faits. Il n’existe pas de réindustrialisation et la politique de baisse des impôts a été, de ce point de vue, un échec patent.
La réalité vécue par les Français ne peut donc plus accepter ce discours néolibéral usé jusqu’à l’os qui tente d’imposer, contre l’évidence, une réalité parallèle. Le plein-emploi proposé par Emmanuel Macron ne peut faire rêver et sa réindustrialisation est une chimère. Le roi est donc plus que jamais nu. Sa malhonnêteté intellectuelle ne peut plus dissimuler la réalité de sa politique de classe.