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    Émeute et Macronie

    Lien publiée le 26 mars 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    Émeute et Macronie (revolutionpermanente.fr)

    N’en déplaise à Darmanin, ce n’est pas la gauche, extrême ou ultra, qui est derrière les « débordements urbains » de ces derniers jours, jusqu’à la mobilisation de Sainte-Soline, ce samedi. Quitte à chercher un responsable, plutôt que de visionner les images de vidéo-surveillance des caméras postées qui quadrillent les principales villes du pays, il aurait suffi au ministre de l’Intérieur de regarder le JT de 13h du mercredi 22 mars pour appréhender le principal instigateur. Pour autant, le changement brusque dans les modalités d’action de la mobilisation, ces derniers jours, dans les villes, est extrêmement révélateur de ce qu’est le mouvement aujourd’hui. Y compris si on les analyse à l’aune d’autres mouvements passés, infiniment plus durs.

    Trois clarifications avant de commencer. Tout d’abord, alors que nous bouclons cet article, les heurts sont toujours en cours, à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Le pronostic vital de certains manifestants semblerait engagé, attestant de la violence de la répression. La mobilisation contre le projet de méga-bassines et les modalités opératoires pratiquées par les manifestants pour s’y opposer sont distinctes, de par leur trajectoire, à celles contre la réforme des retraites. Et cela quand bien même les deux ne sont pas disjointes. En effet, la manifestation de ce samedi fait écho à la mobilisation nationale actuelle. Sa radicalité, bien supérieure à la précédente manifestation du 29 octobre, est décuplée par le déploiement littéralement militaire des 3000 effectifs de police et de gendarmerie sur place et fait caisse de résonnance avec la gymnastique urbaine des cortèges anti-réforme des retraites de ces dernières semaines et, plus particulièrement, de ces derniers jours. Par ailleurs, les termes « débordement » ou « émeute », avec ou sans pluriel, et qui se réfèrent, ici, aux manifestations urbaines de ces derniers jours qui sont l’objet de cet article, ne sont en aucun cas à entendre de la même façon que le reprennent, en boucle, les médias scandalisés, quand bien même au regard de la multiplication des violences policières contre les manifestations et grévistes, même les plus réacs ont du mal à tenir la ligne de la fameuse séparation étanche entre « gentils manifestants pacifistes », légitimes, et « méchants casseurs », qu’il faut arrêter et mettre hors d’état de nuire. Enfin, le « débordement », notamment dans le cadre d’un mouvement aussi massif que celui que l’on vit aujourd’hui, n’est jamais que la continuité quasi-naturelle mais surtout compréhensible et légitime de la mobilisation face à un pouvoir radicalisé. On ne pourrait que trop s’étonner, d’ailleurs, comme le font les analystes et conseillers les plus lucides de l’exécutif, que ces « débordements » n’aient pas déjà eu lieu avant.

    Emeute par procuration

    Ceci étant dit, ce n’est pas « l’émeute » qui fait le mouvement, mais le mouvement, dans sa massivité et face à la surdité de Macron, qui sécrète l’émeute. Ce n’est pas davantage l’émeute ou les émeutes qui feront plier l’exécutif et reculer les chiens de garde du pouvoir, mais dès lors que le mouvement de grève réussira à opérer un saut qualitatif en termes de reconduction et en se fixant un objectif allant au-delà de la seule question des retraites - comme cela se voit déjà dans les débrayages contre la réforme, contre le 49.3 et pour les salaires chez Amazon ou Stellantis. Cela pose la question de comment imposer à une intersyndicale qui balade la colère de dates isolées en dates isolées un calendrier qui pose la question de l’affrontement conséquent avec le pouvoir, comme le réclament à la base les grévistes et les manifestants les plus remontés, dans l’énergie, le nettoiement, la pétrochimie, les transports, l’éducation ou, depuis une semaine, la jeunesse. Dans cette dynamique, néanmoins, les débordements sont autant le symptôme de cette volonté d’en découdre qu’ils n’alimentent la détermination d’une frange plus large de soutiens tellement le gouvernement et ses policiers ont perdu la bataille de l’opinion.

    La tournure émeutière qu’a pris le mouvement englobe à la fois les débrayages intempestifs, les piquets qui tiennent les blocages, les manifestations sauvages et les heurts pour résister à la violence des forces de répression. Ce fil de continuité représente un élément révélateur du niveau de radicalisation de la mobilisation mais aussi des attentes d’une large frange des manifestants et du soutien de l’opinion publique. Si l’on peut parler de « grève par procuration », il y a un climat, aujourd’hui, « d’émeute par procuration ». Malgré tous les efforts déployés par le gouvernement et les médias qui lui répondent, il est compliqué de retourner l’opinion publique et créer un climat de défiance vis-à-vis de ce qui apparaît comme tout à fait légitime face à la violence du pouvoir et de ses flics. 79% des ouvriers et 74% des employés exigent, aujourd’hui, un durcissement du mouvement, selon une enquête IFOP du 23 mars. Et cela n’implique pas uniquement la seule dimension gréviste de la mobilisation. La « grève par procuration » a les limites que l’on sait. « L’émeute par procuration », en revanche, atteste d’un état d’esprit qui a radicalement changé.

    Emeutes partout…

    Le déploiement actuel de forces de police et de gendarmerie, tous corps confondus, jusqu’à 12.000 le 23 mars, dont 5.000 à Paris, est extrêmement conséquent. Il est assez semblable à celui ayant été mis en place au cours des moments les plus durs du mouvement des Gilets jaunes, à la seule différence qu’il n’est pas simplement hebdomadaire. En effet, depuis l’annonce du 49.3, il se maintient à des niveaux élevés dans toutes les villes de France : en raison des piquets de grève des secteurs en reconductible, depuis une grosse semaine et qui agrègent des soutiens, notamment au sein de la jeunesse, et surtout des manifestations quotidiennes qui se tiennent de nuit. Cette mise sous tension des forces disponibles inquiète le gouvernement, qui fait le pari, pour l’heure, du pourrissement. Ce qui implique de devoir faire face à un saut ultérieur dans la mobilisation, puisque Macron sait pertinemment qu’elle ne s’essoufflera pas dans les tous prochains jours et qu’il lui faut tenir, quand bien même il aurait parié à un « retour à la normale » ce weekend. Pari perdu, pour le coup, et qui pourrait également montrer le niveau de bunkérisation de l’exécutif qui, à force de vouloir voir midi à son horloge, aurait même perdu tout contact avec la réalité, y compris sur le plan sécuritaire et du « maintien de l’ordre ».

    En dépit des images parisiano-centrées des chaînes d’info en continu, c’est proportionnellement en région que se sont tenues les plus importantes parmi les manifestations dépassant le cadre intersyndical national, avec plusieurs milliers, souvent, à Brest, à Saint-EtienneSaint-Brieuc ou à Dijon, pour ne citer que les villes qui ne sont généralement pas au centre de la cartographie des échauffourées. A celles-ci il faut bien entendu ajouter les agglomérations où la dureté du conflit de rue est plus habituel, de Rennes à Lyon en passant par Nantes et qui ne font pas exception, ces derniers jours. On savait que le mouvement était national et le ras-le-bol largement diffus dans tout le pays, Paris n’en ayant pas le monopole, voire n’étant pas aux avant-postes. Mais les affrontements renforcent plus encore cet état de fait qui est, pour le gouvernement, un réel problème qu’il est compliqué de cacher avec quelques feux de poubelles dans la capitale.

    Primo manifestant.es et primo émeutier.es

    L’autre élément, qui est à la fois paradoxal et révélateur, a trait aux méthodes et aux cibles des manifestants : peu ou quasiment pas de véhicules retournés et des entraves à la circulation assez sommaires. Cela ne tient pas au fait qu’il serait plus difficile de renverser un SUV qu’une 2CV des années 1960 ou encore que les pavés auraient été recouverts de bitume, ce qui rendrait plus compliqué de les déchausser. Ce qui a pu attirer l’attention des commentateurs, depuis le début de la mobilisation, notamment au cours de sa « première phase », la plus « pacifique », c’est la présence de « primo-manifestant.es », témoignant de la massivité du rejet de la contre-réforme, dépassant, et de loin, la seule capacité de mobilisation des équipes syndicales traditionnelles. Pour ce qui est de débordements, de jours comme de nuit, c’est l’œuvre, avant tout, de « primo-émeutier.es », ce qui explique le caractère très relatif des « dégradations ». C’est d’ailleurs ce que confirment les propos de la police elle-même quant au profil des personnes interpellées en masse ces derniers jours, jeunes ou très jeunes, sans casier judiciaire ni antécédents, le plus souvent non militantes. Cela n’empêche en aucun cas une grande intelligence politique de celles et ceux qui sont contraints de s’adonner aux débordements pour la toute première fois. Les cibles choisies, pour les plus parlantes, sont hautement symboliques et, à nouveau, attestent de la profondeur de la colère en région : la sous-préfecture et un commissariat à Lorient ou encore le tribunal de Nantes, en sus d’une bijouterie de luxe près de l’Opéra, à Paris.

    L’émeute, sa représentation et sa menace

    Il est souvent piégeux de se fier aux sources policières et plus encore de prendre pour argent comptant le discours des flics et de leurs chefs. Il est néanmoins assez révélateur que, jusqu’à présent, ils n’aient pas été capables de produire ou de construire, comme par le passé, de preuves du caractère prémédité des violences dont feraient l’objet les forces de répression, quand bien même le ministre de l’Intérieur a pu évoquer des cocktails molotov ou des boules de pétanque. On a connu des ministres qui étaient plus rapides à exhiber, devant les caméras et la mine grave, les preuves des méfaits qui s’apprêtaient à être commis. Là encore, cette absence de production ou construction de preuves indique la grande spontanéité des heurts et des débordements.

    Rien de comparable, aujourd’hui, avec la nuit des barricades, le 10 mai 1968, la manifestation parisienne des sidérurgistes lorrains du 23 mars 1979 ou certaines des manifestations contre le Contrat d’Insertion Professionnelle, sous Balladur, en mars 1994, pour n’évoquer que quelques exemples printaniers issus de mobilisations dissemblables mais ayant toutes pu impliquer, à des degrés divers, des niveaux de confrontations supérieurs, de la part des manifestants, à ce à quoi on assiste ces derniers jours.

    On sent néanmoins le pouvoir extrêmement inquiet, par-delà l’assurance feinte de Macron, droit dans ses bottes. Non que les flics auraient perdu la main et se feraient déborder aujourd’hui davantage qu’avant. L’Elysée, Matignon ou la Place Beauvau ont tous une mémoire longue des mobilisations et leur fébrilité est liée au fait qu’ils sont bien conscients du tournant opéré ces derniers jours, à savoir une tendance à la radicalisation des grèves avec piquet, malgré les tentatives de les casser, et l’entrée en scène d’une fraction de la jeunesse. Si le caractère limité des émeutes, malgré la violence des flics, montre que ses protagonistes sont issus d’une nouvelle génération dont les liens sont ténus avec les cadres politiques habituels de la gauche radicale ou révolutionnaire. Le gouvernement le sait. Tout comme il sait, également, que cette nouvelle génération qui vient d’entrer en scène est également largement plus imprévisible et beaucoup moins contrôlable que le flux massif, mais très cadré, des manifestants qui ont défilé dans les cortèges entre le 19 janvier et le 23 mars. Si cette jeunesse se lie avec le monde du travail, alors les possibles sont ouverts et les issues, pour Macron, pourraient se refermer avant que son pari du pourrissement n’ait le temps de fonctionner. Enfin, la violence de la répression à Sainte-Soline, toujours en cours au moment où nous bouclons ce papier et que la préfète des Deux-Sèvres, le ministre de l’Intérieur et le gouvernement essayent de maquiller grossièrement en dénonçant les agissements de l’extrême et de l’ultra gauche pourrait ébranler un peu plus la position, déjà compliquée, de l’exécutif. Et ce alors que la semaine du 27 mars s’annonce à nouveau chargée.