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    La protestation en cours : du refus à la révolte ?

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    Lien publiée le 4 avril 2023

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    La protestation en cours sur les retraites (lundi.am)

    Les mouvements sociaux depuis 1968 n’ont pas été rythmés par la succession des mandats présidentiels. Ils ont parfois été liés à telle ou telle réforme politique, mais ils ont aussi surgi indépendamment de la temporalité institutionnelle. Ils sont davantage déterminés par les transformations des rapports sociaux et les mutations de l’État, soit le passage d’une société encore dominée par le travail vers une société que nous avons nommée capitalisée où l’exploitation de la force de travail n’est plus qu’un élément parmi d’autres de la valorisation du capital. Des résistances et des protestations contre ces bouleversements politiques et anthropologiques ont engendré, pendant les mandats de Macron (Ministre de l’Économie, puis Président), le mouvement des places et Nuit debout, l’événement que constitua le mouvement des Gilets jaunes sur les conditions de vie, le mouvement contre le projet de réforme par points des retraites stoppé par la crise sanitaire et enfin, maintenant, le rejet du second projet de réforme des retraites

    Au-delà de la réforme des retraites, l’actuelle protestation [1] serait-elle liée à la violence techno-bureaucratique d’un gouvernement dont on peine à comprendre la sorte de « longue marche » entreprise à la marge ou même à l’extérieur des institutions (cf. le 49-3) ? Si on tente un bilan de l’évolution de l’État, on s’aperçoit que d’un côté perdure verticalité présidentielle et pouvoir régalien de trois ou quatre ministres, et, de l’autre, des institutions décentralisées, horizontalisées en réseaux dans un enchevêtrement donnant lieu à une résorption des institutions que Macron tente d’accélérer. Ce passage de l’État-nation à l’État-réseau qui n’en finit pas se traduit par une crise de légitimité de la Ve République [2], qui passe aussi bien par des appels à une VIe que par la revendication du RIC ou encore le recours à un état d’exception qui ne prendrait ni la forme bonapartiste ni la forme fasciste-populiste, mais celle d’une personnalisation du pouvoir dans sa forme postmoderne, à savoir vidée d’un véritable contenu politique et surtout de puissance politique. En effet, ce projet de réforme des retraites, tout le monde le reconnaît, même dans le camp présidentiel, n’est pas une réforme comme l’était celle de la retraite par points. Elle répond plus à un prétendu engagement de campagne qu’à une volonté de traiter le sujet ou de répondre à une urgence. Mais elle prend valeur de test de légitimité et d’évaluation d’un rapport de force rendu incertain par la succession de séquences d’événement ou de luttes.

    Les déambulations dites « sauvages » qui agitent aujourd’hui différentes villes opèrent d’une nouvelle force dérivée de celle des Actes des Gilets jaunes, qui avaient pour principe de ne pas demander d’autorisation aussi bien pour l’occupation des ronds-points que pour l’organisation des manifestations du samedi. Elles ne respectent ni les horaires habituels des manifestations ni leur parcours et créeraient de ce fait un trouble à l’ordre public, un certain surmenage des forces de police et accessoirement un quadrillage de l’espace public. Mais à la différence des actions menées par les Gilets jaunes, celles autour des retraites composent plus qu’elles ne s’opposent aux actions syndicales. En effet, d’un côté, les fractions de la gauche syndicale (SUD, CGT et CNT-SO), celles qui, grosso modo, participaient déjà plus ou moins au mouvement des Gilets jaunes, participent aussi à ces déambulations et à des actions coup de poing de blocage, alors que de l’autre, les jeunes qui participent au mouvement ne semblent pas développer l’ancien anti-syndicalisme révolutionnaire des générations précédentes. Tout cela cohabite pour le moment, y compris dans des AG interpros ouvertes dont le nombre de participants est nettement supérieur à celui des interpros traditionnelles regroupant les fractions syndicales gauchistes.

    Dans la mesure où la lutte ne trouve pas son propre espace de rencontre et d’expression comme les ronds-points avaient pu l’être pour les Gilets jaunes, elle tente d’occuper une rue dont le principe de fluidité est détourné pour être rendu à sa dimension sociale et politique. Toutefois, ce n’est pas dans le fait de renverser des poubelles en les enflammant ou encore dans l’affrontement brut avec les forces de l’ordre qu’un mouvement se constitue, mais bien dans la volonté de ne pas négocier de parcours, de ne pas se glisser dans le moule de la loi, ne pas obtempérer à un État qui se fait toujours plus englobant. C’est du regroupement de manifestants sur de grandes places dans diverses villes le 23 mars, c’est en partant en « sauvage » même par grappes et non plus en gros cortège que s’est fait sentir une véritable nouveauté et le développement d’une force, même si ce n’est pour le moment qu’une « force qui va » plus que les prémisses de constitution d’un mouvement capable de poser les questions dans d’autres termes que ceux des organisations syndicales. Les déambulations de nuit peuvent être considérées comme l’expression d’un nouvel inattendu radicalisant quelque peu la protestation originelle.

    Toutefois, le mouvement syndical cherche à reprendre l’initiative dans le déroulé des manifestations en reconstruisant un semblant de service d’ordre afin de reprendre la tête du cortège et à négocier au mieux, c’est-à-dire sans casse, les points chauds du parcours. Il s’agit en effet de ne pas mettre trop de pression sur le gouvernement pour ne pas défaire une unité syndicale qui s’est bâtie à partir du plus petit commun dénominateur. En effet, les forces syndicales et leur capacité de contrôle n’ont plus rien à voir avec celles des années 1960-1970, ce qui fait que les organisations officielles du mouvement ouvrier [3] n’ont plus les clés de l’encadrement des manifestations, les laissant au cortège de tête ou à la police. Cette situation laisse place à de nombreuses initiatives : déborder les rues adjacentes à un rassemblement quitte à revenir à son point de départ, reprendre l’initiative en pressant le pas, ne pas attendre des syndicats mais de tous les présents, quelle que soit l’étiquette, qu’ils posent des jalons pour et vers autre chose. Les actions coup de poing en journée et les déambulations nocturnes ont apporté un rythme et une intensité à un mouvement qui avait du mal à trouver sa forme jusqu’alors, puisqu’il ne faisait qu’être à la remorque de journées d’action saute-mouton à l’initiative des syndicats. Mais la répétition de la même tactique a aussi accéléré la réponse policière et la mise en place d’une stratégie de la tension qui n’existait pas avant le passage en force de l’article 49-3. Une stratégie accompagnée par une grande partie des médias qui tendent, depuis quinze jours, à réduire la révolte en cours à une situation émeutière, voire insurrectionnelle, qui pourtant n’existe qu’à l’état embryonnaire. Ainsi, des photos et vidéos sur des actes de destruction sont isolées de leur contexte, qui est celui d’actes très ciblés sur des objectifs qui sont jugés légitimes non seulement par leurs auteurs, mais par les autres participants à la manifestation, qui intègrent de plus en plus ce genre d’actions dans leur univers mental.

    Pourtant, le « Nous aussi on passera en force » reste très minoritaire dans les actions et cortèges comme sur les lieux de travail, car beaucoup ont déjà l’impression que, au pire, plus rien n’est possible et que, au mieux, tout reste en suspens.

    C’est une frange de gauche de la jeunesse qui s’est réellement engagée dans l’action au côté des habitués des cortèges de tête, des fractions de gauche des syndicats et de nombreux ex-Gilets jaunes qui n’ont jamais rendu les armes. Cela donne un nouvel élan au « mouvement », sans pour cela en constituer un élément moteur. En effet, le centrage sur les retraites n’est pas mobilisateur pour des lycéens et étudiants plus attirés ordinairement par les « problèmes de société » que par la « question sociale » et des jeunes des quartiers indifférents à la politique en général, mais pas à l’injustice, aux discriminations et à l’appareil sécuritaire. Si on prend l’exemple des jeunes qui participent actuellement à différentes formes d’action, on n’y retrouve pas seulement des « autonomes », « antifas », « insurrectionnistes » ou étudiants, mais des jeunes de toute sorte, y compris en activité professionnelle. Ils déambulent le soir dans un grand mélange d’origines sociales, le point commun étant la détermination et une volonté de cibler des objectifs significatifs. En outre, il faut souligner qu’une certaine frange des étudiants a eu la capacité de casser le rituel du blocage, ce qui fait que même lorsque les facs sont bloquées, elles ne servent plus, comme au moment du CPE, à s’opposer aux réformes propres à l’Éducation nationale, ni à « reprendre » l’institution, qui n’a plus rien à offrir comme débouché réel, notamment en sciences humaines et sociales. Elles ne sont plus prises comme des bases arrière ; elles servent plutôt de point de départ pour se rendre collectivement aux manifestations.

    Tout cela, qui rend possible un mélange des générations, ne produit certes pas une nouvelle « composition de classe » sur le modèle opéraïste italien des années 1960-1970, non pas une alliance consciente ou velléitaire entre fractions, mais un « alliage [4] » de circonstances et d’opportunités qui tend à dépasser les particularismes habituels, d’âge, de sexe, etc. Un alliage contre le pouvoir en général, un pouvoir avec un P majuscule, qui inclut à la fois la dimension de ce pouvoir-là, c’est-à-dire le pouvoir politique actuel et Macron en particulier (non pas une haine de classe, mais une haine tout court), le pouvoir en la figure de l’État et de ses forces de répression, le pouvoir politico-économique en tant que capacité à réaménager le territoire et les infrastructures (les « grands projets »), le pouvoir en tant que pouvoir capitaliste. Bref, le capitalisme comme pouvoir. À cet égard, le conflit autour des bassines dans les Deux-Sèvres montre une voie vers un « alliage » qui s’étend jusqu’à certaines catégories d’agriculteurs ou de ruraux [5]. Il se distingue de la simple « alliance » entre forces qui convergeraient tout en restant séparées.

    C’est à partir de la décision gouvernementale d’utiliser l’article 49-3 [6] que le basculement semble s’être produit, avec un double mouvement complémentaire d’élargissement et de radicalisation. C’est d’ailleurs paradoxal, puisque c’est dans cette nouvelle composition de ce qu’on pourrait appeler un mouvement en gestation qu’on trouve sûrement le moins d’électeurs potentiels et réels puisqu’on y retrouve la plupart de ceux qui refusent idéologiquement et politiquement l’idée de représentation parlementaire et ceux qui de toute façon subissent le fait de ne pas se sentir représentés et qui, pour nombre d’entre eux, ne votent pas.

    Ce phénomène est net dans beaucoup de villes grandes et moyennes [7], alors que cet « alliage » ne s’était pas produit avec le mouvement des Gilets jaunes du fait, d’une part, de son caractère « inclassable » du point de vue du fil usé, si ce n’est rompu, des luttes de classes ; et d’autre part, du fait qu’il ne rejoignait en rien les préoccupations des « millennials ». Ce sont alors les propositions de « convergence » qui ont dominé, mais elles se sont avérées des échecs de par leur caractère abstrait, voire manipulateur. On n’a pu que constater l’écart et l’incompréhension entre les manifestations climat et les manifestations Gilets jaunes quand elles se rencontraient ; un écart qu’un slogan comme « Fin du mois, fin du monde, même combat » ne pouvait combler immédiatement.

    C’est parce que le processus en cours s’éloigne en partie des formes attendues par l’appareil d’État que Macron et son gouvernement se retrouvent sur la défensive même si cela n’entraîne, pour le moment, que des annulations d’événements comme celle de la venue de Charles III d’Angleterre. Que tout ait été de l’attendu jusqu’au 49-3, nous le relevions dans le texte « À l’ombre des retraites », parce que c’était la situation du moment ; or est-elle la même aujourd’hui ? Oui et non. Oui, car les syndicats bordurent les revendications (il ne s’agit que de revenir à la retraite à 60 ans au mieux pour la CGT et SUD ou de maintenir la situation actuelle pour les autres) et le rythme des temps forts est imposé ; non, parce qu’ils ne sont plus maîtres du déroulé des manifestations. En effet, dans de nombreuses villes, ce sont les choix préfectoraux qui occasionnent des incidents comme à Bordeaux le feu aux portes de l’Hôtel de ville ou à Lyon où le trajet se trouve détourné pour éviter le passage devant l’ex-hôpital de l’Hôtel-Dieu, devenu un « Temple du capitalisme ». Cela a pour effet pervers de court-circuiter le déroulé habituel de fin de manifestation au cours duquel les vagues de manifestants suivaient un rythme régulier de dispersion successive de chaque nouvelle vague d’arrivants. C’est ce blocage politico-policier des flux, afin de préserver des biens économiques symboliques, qui crée un abcès de fixation. Et alors ce sont les quelques milliers de manifestants de tête qui décident de ce qui se passe. À Lyon, par exemple, cette situation de blocage préfectoral existait déjà dans la grève pré-confinement sauf que la détermination des manifestants était bien moindre. Il y a là un paradoxe : alors que les mouvements post-Gilets jaunes auraient dû être forts car bénéficiant de l’effet Gilets jaunes, ceux d’aujourd’hui auraient pu souffrir de l’effet négatif du Covid ; or c’est l’inverse qui se produit, tant l’insupportabilité vis-à-vis du gouvernement actuel est de plus en plus présente. Un gouvernement aux abois dont on ne sait plus à quoi il tient réellement vu le désaveu de la rue, de l’opinion et le décrochage de pas mal d’élus.

    C’est aussi pour cela que le recours au 49-3 qui est parfaitement constitutionnel, même s’il pose la question du bien-fondé de son inclusion dans la Constitution, semble avoir été compris comme un passage en force qui s’accompagne d’un changement de politique répressive, où on est passé du gant de velours des premières manifestations à la poigne de fer de la dernière quinzaine. La colère entraînée par ce passage en force dépasse largement les rangs de LFI et de ses relais, qui n’y voient qu’une limitation à leur capacité d’intervention dans l’hémicycle. En effet, l’usage de cet article par le pouvoir macronien est devenu en l’espace de quelques heures un vecteur de colère en dehors de l’hémicycle où un slogan tel « Et nous aussi on passera en force » est devenu un fer de lance de la contestation du projet de réforme, un élément fédérateur de ces forces et l’affirmation non de ce qui serait un contre-pouvoir, mais plutôt une puissance en cours de formation.

    La situation n’est donc plus celle des débuts où on pouvait relever un suivisme des mobilisés et leur volonté de ne pas trop secouer des syndicats pouvant présenter, pour une fois, un front uni et donc une plus grande force de résistance en ces temps où le rapport des forces apparaît peu favorable. Dans les actions, les participants suivaient majoritairement les consignes syndicales et la logique qui en découle comme la préservation de l’outil de travail chez les cheminots et les pétroliers par exemple. Mais les coupures de courant des syndicalistes d’Engie sont, elles, beaucoup moins consensuelles et donnent une autre perspective tactique, en dernier recours, aux syndicalistes, si la défaite en rase campagne se faisait menaçante. C’est ce qui se profile dans une situation bloquée dans laquelle la « force tranquille » des syndicats se confronte à la force tout court, à savoir celle de l’État et ceci sans une perspective claire de porte de sortie. Or, rien ne se passe sur le front. Du côté du pouvoir, l’« ouverture » de Macron à tout, sauf à l’égard de l’âge de la retraite, est en fait un refus de céder ; du côté de la contestation de la réforme, l’unité de l’intersyndicale paradoxalement la dessert puisque cela l’empêche d’envisager un niveau supérieur (grève reconductible ou grève générale) sur lequel, d’ailleurs, elle n’a aucune garantie de réussite puisque, en l’état actuel des forces, elle ne concernerait que certains secteurs « protégés [8]». C’est pourquoi une option stratégique possible pour le pouvoir… et les syndicats serait la consultation citoyenne, via la procédure du référendum d’initiative partagée, à laquelle se rallieraient, au moins, des syndicats comme la CFDT (le « Mettre en pause » de Laurent Berger) et la CFTC. Elle remettrait aussi les partis politiques dans le jeu tout en sauvant la légitimité du choix tactique syndical. Soit, une alternative démocratique et institutionnelle réductrice d’une lutte qui pose en creux la question de la légitimité de ces institutions.

    Temps critiques, le 2 avril 2023

    Photos : Serge D’Ignazio

    [1]  – Si nous titrons « protestation », c’est que le mouvement en est là : il proteste plus qu’il ne conteste même s’il recouvre cela du slogan « anticapitaliste… ». Il proteste contre ce qui lui apparaît de l’ordre des abus : le retardement de l’âge de la prise de retraite, le 49-3, le niveau de la répression et un mépris, jugé insupportable, de la part du pouvoir politique, les profits exorbitants des banques et pétroliers.

    [2]  – Sur ce point, on peut se reporter à notre article : « Les Gilets jaunes et la crise de légitimité de l’État », http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article417

    [3]  – Quant aux partis politiques, ils n’investissent plus la rue et se concentrent sur les batailles de chiffonniers à l’Assemblée nationale. C’est évidemment lié à la crise générale de la fonction politique et à la quasi-disparition des organisations politiques gauchistes constituées, tels le NPA ou Lutte ouvrière ou même LFI sur le terrain. Ils se maintiennent aux marges des manifestations (point de départ, carrefours). Le sens de prédominance dans le rapport partis/syndicats est alors inversé par rapport à la perspective léniniste, mais il ne peut retrouver son origine syndicaliste révolutionnaire ou anarcho-syndicaliste… car il s’exprime maintenant en dehors de toute perspective révolutionnaire. En fait, ce rapport est caduc, à hauteur de la perte de centralité du travail dans la société capitalisée et d’une perspective communiste devenue introuvable. D’où dérive le rôle majeur d’un syndicat comme la CFDT. Un rôle qui va probablement se révéler opérant dans la recherche d’un compromis pour une possible « sortie de crise ».

    [4] La notion d’alliage a été avancée pour la première fois par jacques Baynac dans Mai retrouvé, Belfond, 1978, p. 113 et sq où il cherche à caractériser le lien entre étudiants, jeunes et ouvriers en mai-juin 68.

    [5]  – Dans la lutte contre les bassines, on retrouve la même hétérogénéité sociale que nous indiquions supra, sans qu’on puisse parler de convergence d’intérêts.

    [6]  – L’article 49-3 n’est pas une exception dans la constitution de 1958 puisque sont aussi utilisés l’article 44, dit du vote bloqué, la procédure d’accélération de l’article 48 et le 47-2 qui réduit les débats à 40 jours. Tous ces articles ont déjà été employés successivement, mais rarement de façon complémentaire. C’est ce que des théoriciens du droit ont justifié en tant que « parlementarisme rationalisé ». Il faut pourtant se rappeler qu’un équivalent du 49-3 existait dans la République allemande dite de Weimar à partir de 1919, à savoir l’article 48-2 prévoyant la possibilité, pour le président du Reich, d’adopter un texte de loi par simple signature sans vote du parlement. Une loi chaudement applaudie par le juriste nazi Carl Schmitt et que Hindenburg mit en œuvre pour l’avènement de la dictature hitlérienne. Un type de procédure dans lequel le droit n’est plus que « l’hideuse tête de Gorgone du pouvoir », comme l’énonçait le juriste constitutionnaliste allemand Hans Kelsen en opposition à Carl Schmitt.

    [7]  – En effet, aujourd’hui, tout n’est plus concentré sur Paris. Des villes comme Bordeaux, Nantes et Rennes, Lyon et Toulouse à un degré moindre, sont en effervescence et bouleversent l’habituelle lecture du jacobinisme centrée sur ce qui se passe « à la capitale ». Politiquement, cela pose des problèmes de gestion des luttes pour le pouvoir et concrètement, sur le terrain, un problème de répartition et de disponibilité des forces de l’ordre. Si le mouvement des Gilets jaunes ressentait encore le besoin d’une montée à Paris pour des journées nationales parce que ce serait là que tout se décide, alors pourtant que sa force résidait surtout dans son ancrage local, il se fait jour une nouvelle lucidité vis-à-vis des luttes à mener partout où cela en vaut la peine parce que le capital est aujourd’hui partout (cf., là encore, la lutte contre les bassines).

    [8]  – En outre, les votes, souvent à main levée en faveur de la grève reconductible d’une minorité de participants, ne garantissent pas l’adhésion massive des salariés en principe concernés.