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Congrès de crise à la CGT : une nouvelle direction sans changement de stratégie ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La semaine dernière s’est tenu le 53e Congrès de la CGT, un Congrès de crise sur fond de bilan des huit années de direction de Philippe Martinez. Dans les débats, beaucoup d’enjeux d’appareils pour finalement peu de changements politiques profonds.
C’est un congrès de crise de la CGT qui s’est clôt le 31 avril par l’élection de la nouvelle secrétaire générale de Sophie Binet. Après huit années sous la direction de Philippe Martinez, et alors que tous les grands conflits sociaux menés sous sa direction se sont soldés par des défaites (loi travail, ordonnances loi travail XXL, réformes de l’assurance-chômage), la mobilisation contre la réforme des retraites a exacerbé les tensions, essentiellement d’appareil, qui se développaient déjà depuis plusieurs années.
La crise, bien que latente, a explosé au grand jour mardi 28 avril, avec le rejet de la part du Congrès du rapport d’activité proposé par la direction sortante, rejeté à 50,32% des voix. Un rejet historique de la part des congressistes, alors que, lors du précédent congrès, le rapport d’activité avait été voté par 70% des militants, ce qui était déjà historiquement bas. Ce rejet extrêmement fort de la politique de Philippe Martinez et le rejet de la candidature de Marie Buisson constitue une grande défaite pour la direction sortante. Un séisme pour le syndicat, que beaucoup de journaux ont analysé comme une crise du syndicat dans son entièreté, presque dans sa raison d’être.
En réalité, c’est avant tout une crise de direction et une crise démocratique qui se sont exprimées lors de ce congrès, dans un contexte de retour de la lutte des classes à l’échelle nationale avec la formidable mobilisation contre la réforme des retraites. Alors que la direction de Martinez s’était construite sur fond de reflux du syndicalisme, défendant le rapprochement avec la CFDT et le dialogue social, la recrudescence des grèves pour les salaires depuis l’été (Roissy, Stellantis, Total, puis toutes les entreprises de l’énergie) et le mouvement en cours ont montré en quelque sorte qu’une autre voie était possible. Un syndicalisme affiché comme plus combatif et plus « dur ». Il en reste cependant que c’est surtout une très dure bataille d’appareil qui a eu lieu à Clermont-Ferrand, sans que cela change la politique de la CGT.
Rapport à la CFDT, « Plus jamais ça », rapport à la FSM : les nombreux débats en interne
Un des principaux débats, bien qu’il soit une sorte de serpent de mer interne, a encore été une fois la question du « syndicalisme rassemblé », c’est-à-dire une stratégie mettant au centre le travail unitaire avec la CFDT et la recherche d’intersyndicales le plus large possible dans les mobilisations. Bien que l’orientation ne soit pas nouvelle et agite la CGT depuis plus de vingt ans, la politique systématique d’accompagnement de la CFDT (loi travail, réforme des retraites par points, réformes de l’assurance-chômage, etc.) n’a cessé d’élargir les divergences en interne entre la direction sortant et certaines fédérations. C’est le cas notamment des fédérations de l’énergie, des cheminots ou encore de la chimie, où la CGT est souvent largement majoritaire et où la CFDT est parfois inexistante. Plus généralement, à la base des syndiqués, c’est la politique de dialogue social systématique, et la volonté d’en rester aux journées d’actions « saute-mouton » qui est en cause.
Un des autres points de débats très important était la participation au collectif « Plus jamais ça », constitué de trois syndicats (FSU, Solidaires et CGT) et d’organisations écologistes et de la gauche réformiste comme Greenpeace, les Amis de la Terre, Oxfam ou Attac. L’intégration de la CGT avait fait débat en interne, notamment parce que cet arc de force insistait sur des questions qui clivent dans la centrale, notamment le rapport à l’avenir d’industries comme les raffineries et les centrales nucléaires, qui ont été à l’automne pour leurs salaires et ce printemps contre la réforme des retraites à la tête des mouvements sociaux. Ce qui a choqué, notamment dans les secteurs autour d’Olivier Mateu, c’est la volonté du collectif de mettre fin à certaines industries polluantes comme les raffineries, ou encore la volonté de mettre fin au nucléaire, sans aborder la question du reclassement des salariés, dans un contexte où ces secteurs sont des bastions historiques d’une CGT plus combative. Mais c’est surtout la méthode Martinez, qui avait décidé seul de la participation à ce collectif, qui avait été largement critiquée.
Les graves manques démocratiques ont participé à ce que l’appartenance à ce collectif disparaisse du texte d’orientation voté jeudi dernier. Cependant, face à des alliances institutionnelles par en haut comme le collectif « Plus jamais ça », la nécessité de forger des alliances, à la base et dans les luttes, entre les salariés des industries polluantes et les mouvements écologistes reste une question centrale face aux enjeux climatiques. La lutte contre la fermeture de la raffinerie de Total Grandpuits, contre des suppressions de postes et le greenwashing des grandes entreprises, avait permis d’esquisser comment l’alliance entre les organisations écolo comme Greenpeace ou les Amis de la Terre et des secteurs en grèves pourrait permettre une politique à la fois écologiste et sociale.
Finalement, c’est l’appartenance de la CGT à la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) qui a de nouveau été discutée. La fédération internationale de syndicats, fondée sous la direction stalinienne de l’URSS, a souffert de la désaffiliation de la CGT en 1995 au profit de la Confédération syndicale Internationale (CSI), à laquelle appartiennent FO, la CFDT et la CFTC. Le débat sur l’appartenance à cette internationale avait été déjà au centre du Congrès précédent, les tenants de la FSM ayant réussi à intégrer un amendement stipulant que la CGT devait chercher l’unité entre les diverses centrales internationales. Le renforcement des liens avec la FSM a été cette fois repoussé à 72%, montrant à quel point, pour l’appareil de la confédération, même parmi les secteurs oppositionnels à la direction sortante, mettre en minorité l’aile Mateu-Lépine était un enjeu du Congrès.
Le système Martinez au cœur des critiques de l’élection de la nouvelle direction
Au-delà des rapports avec la CFDT et les autres organisations, c’est aussi le rôle et la méthode de direction de Philippe Martinez qui a été au centre des critiques. Une des interventions les plus partagées lors du Congrès est caractéristique : « Camarade Philippe Martinez, qui t’a donné mandat pour parler de « médiation » alors que les travailleurs sont dans la rue ? » interrogeait Murielle Morand, délégué pour la CGT Chimie du Rhône (69). Le mode de direction, très vertical, de la direction sortante n’a cessé d’être étrillé par de nombreux militants, avec le précédent frappant du communiqué dénonçant la violence des Gilets Jaunes en 2018, qui avait été largement dénoncé en interne. La volonté de nombreuses fédérations de redéfinir les rapports de forces en interne, notamment dans les diverses instances de direction, a largement dominé les votes du Congrès.
L’absence totale de démocratie dans l’appareil de la CGT, où tout est décidé dans des couloirs et des commissions réduites, a donc été une nouvelle fois mise sur la place publique. Car mis à part quelques syndicats d’entreprise et quelques Union Locales, l’immense majorité des instances de direction restent des espaces corsetés par la bureaucratie. Une nouvelle démonstration de cet antidémocratisme a été le refus acharné de la commission des candidatures d’intégrer Olivier Mateu, dont l’UD est la deuxième du territoire, Emmanuel Lépine, à la tête de la fédération de la Chimie, elle aussi très importante, et Stéphane Debon (de la CGT chômeurs) à la liste de la Commission Exécutif Fédérale. Même si 35% des congressistes ont souhaité les voir à la direction, l’appareil a réussi à exclure ces secteurs très présents dans les luttes en cours.
La candidature d’Olivier Mateu, autour de l’UD 13, de la fédération de la chimie et de la fédération du commerce et services a suscité un espoir à la base de voir un discours plus radical à la tête de la CGT. Mais certaines problématiques, ancrées dans l’histoire de la CGT, sont loin d’être résolues par cette candidature, notamment la question de l’auto-organisation des grévistes à travers des assemblées générales souveraines, des comités de grèves et des coordinations, mais aussi le problème du corporatisme et une vision « économiciste » du syndicalisme, selon lequel les problèmes d’oppression (racisme, violences patriarcales), de liens avec les quartiers populaires sont reléguées derrière les seules questions de conditions de travail et rémunération.
Alors que de nombreux journalistes ont réduit les oppositions entre les « durs » et le camp Martinez, les oppositions sont en réalité plus diverses. Il y a bien l’opposition « Mateu », mais qui est resté minoritaire. A côté de celle-ci, une autre opposition, regroupant les bastions combatifs historiques de la CGT, incarnée par Céline Verzeletti (Secrétaire de la fédération de la fonction publique d’Etat), et suivie par des grosses fédérations comme la CGT Cheminots, et la CGT Energie, s’était présentée face à Marie Buisson. Une opposition composée de secteurs où la CGT est largement majoritaire, et donc opposée à la recherche systématique de compromis avec la CFDT, sans être pour autant contre la politique de l’intersyndicale. Finalement, c’est une opposition démocratique qui s’est exprimée dans de très nombreuses tendance du syndicat, quelle que soit leur candidature favorite pour le secrétariat général.
Le paroxysme de la crise s’est donc cristallisé dans l’élection de la nouvelle équipe de direction, et de la nouvelle secrétaire générale à sa tête. La façon dont Philippe Martinez a tenté, depuis de nombreux mois, d’imposer sa successeuse Marie Buisson a posé dès le départ un cadre où la question des noms allait être centrale, avec notamment ceux de Céline Verzeletti et d’Olivier Mateu. Les deux candidatures ont été, dans la nuit de jeudi à vendredi, balayées dans la Commission exécutive confédérale nouvellement élues. C’est finalement Sophie Binet, la secrétaire de l’UGICT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens, une instance regroupant les cadres de la CGT, rassemblant des représentants de toutes les fédérations) à toutes les autres qui a réussi à former une direction et être élue secrétaire générale.
Cette candidature, que personne n’avait vu venir, a été une candidature de compromis, pour une sortie par en haut du Congrès, qui incarne une forme de continuité politique avec la direction précédente tout en donnant plus de gages de démocratie interne. Alors que les fédérations qui ont engagé contre la réforme des retraites des grèves reconductibles (Energie et Cheminots) étaient opposées à une candidature de Marie Buisson et que leur propre représentante, Céline Verzeletti, n’a pas réussi à trouver de majorité, Sophie Binet incarne une forme d’entre deux. La présence de Laurent Brun comme numéro 2 de l’organisation, incarne aussi un nouvel équilibre où les fédérations ont pris plus de poids sur les unions départementales, réputées plus légitimistes de la direction confédérale.
Sophie Binet : l’espoir d’un changement de cap ?
A la suite de cette élection et avec la défaite de Marie Buisson, de nombreux syndicalistes ont vu cette nouvelle direction d’un bon œil, avec l’espoir qu’elle pourrait incarner une rupture avec Philippe Martinez. Certes Sophie Binet a écarté dans son discours la possibilité d’une « pause ». Mais durant les premiers jours de son mandat, elle n’a jamais esquissé une rupture radicale avec l’orientation proposée par Philippe Martinez et qui montre aujourd’hui toutes ses limites : ni appel à généraliser la grève reconductible, ni signe d’une volonté que l’intersyndicale se positionne contre la répression des manifestations, pas même un mot sur les réquisitions de grévistes qui ont cassé en partie la grève des éboueurs et qui continuent chez les raffineurs.
L’acte premier de son mandat aura d’ailleurs été d’aller à Matignon discuter avec une Première ministre qui avait d’ores et déjà annoncé ne rien vouloir céder sur la réforme, pendant que les raffineurs de la raffinerie de Total Normandie étaient en train, une nouvelle fois, de subir des réquisitions préfectorales. Plutôt que mettre toutes les forces de la CGT dans la défense des grèves reconductibles et leur extension, cette démarche, malgré un discours plus radical en surface, est donc sous le signe de la continuité de la politique de Philippe Martinez, avec un renouvellement de la stratégie de journées de grève isolée pour le 13 avril.
Ce Congrès de la CGT n’a donc acté aucun changement majeur pour la principale organisation du mouvement ouvrier français. Alors que la réforme des retraites montre un gouvernement et une bourgeoisie radicalisée, déterminée à ne faire aucun cadeau et à aller jusqu’au bout de la transformation néolibérale de la société française, la direction de la CGT reste, en dernière instance, sur une ligne qui a été celle de toute les défaites des quinze dernières années. Une ligne de dialogue social, de négociation, la même qui a mené à l’échec en 2010 et 2016 et qui pourrait emmener dans le mur le formidable mouvement qui s’est développé ces deux derniers mois malgré l’énorme détermination par en bas.
Alors que les dernières années ont vu un retour de la lutte des classes en France (loi travail, grève des cheminots, Gilets Jaunes, lutte contre la réforme des retraites de 2019, grèves pour les salaires et lutte contre la réforme des retraites), c’est d’une CGT de combat au service des luttes que nous aurions besoin. Une CGT qui s’attèlerait à construire l’auto-organisation dans les luttes, lutter contre toutes les atteintes au droit de grève comme les réquisitions et lier les revendications qui émanent du mouvement en cours (retraites, salaires, conditions de travail), pour organiser une véritable lutte politique contre le gouvernement et le patronat. Une orientation qui devrait par ailleurs chercher à construire des alliances avec les mouvements féministes, antiracistes ou écologistes dans les luttes, et non dans des fronts institutionnels.
Pour faire advenir un tel outil au service de tous les travailleuses et travailleurs, qu’ils soient français ou d’autres nationalités, le combat contre la bureaucratie syndicale, qui cherche à canaliser les luttes et se refuse à tirer le bilan de l’échec des journées isolées est central. Il s’agit même de la condition pour se doter de stratégies capables de mettre en échec un gouvernement et un patronat radicalisés, qui comptent bien poursuivre et renforcer leurs attaques dans les mois et années à venir.