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Les superprofits ne connaissent toujours pas la crise

économie

Lien publiée le 23 avril 2023

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Les superprofits ne connaissent toujours pas la crise | Alternatives Economiques (alternatives-economiques.fr)

Le débat sur les superprofits et leur taxation est apparu début 2022 avec les résultats exceptionnels des TotalEnergies, Engie ou CMA-CGM. Les bénéfices records annoncés par ces entreprises ces dernières semaines montrent que la période des superprofits est loin d’être finie.

C’était il n’y a pas si longtemps un mot peu connu, mais il a rapidement conquis les esprits. Les superprofits n’ont pas encore de définition canonique, mais leur signification est établie : il s’agit d’un bénéfice exceptionnel enregistré par une entreprise sans que cela ne résulte d’effort particulier de sa part.

En temps de crise, une firme profite de son pouvoir pour engranger des résultats gigantesques, des superprofits, alors même qu’elle n’a pas spécifiquement changé ou innové sur son produit ou son service. D’où les autres noms qu’on lui donne : profit d’aubaine ou rente de situation.

Dans le cas français, le nom de TotalEnergies est celui qu’on associe immédiatement à cette situation. En 2022, le pétrolier a affiché un bénéfice de 20,5 milliards de dollars, record historique ! En 2021, la major avait déjà affiché un résultat net de 16 milliards de dollars.

A titre de comparaison, la compagnie affichait des bénéfices annuels compris entre 4 et 11 milliards de dollars sur la période 2013-2019. Pour se rendre compte de l’immensité d’une telle somme, c’est l’équivalent d’un peu plus de la moitié des allocations chômage en France ou de quatre à cinq fois de ce que rapportait l’ancien impôt sur la fortune (ISF).

L’autre entreprise régulièrement citée est Engie. L’ex Gaz-de-France a, elle, engrangé 5,2 milliards d’euros l’année dernière. Alors que le niveau de ce dernier oscillait aux alentours de 2,5 milliards d’euros depuis des années, soit un doublement.

Le champion CMA-CGM

Autre entreprise moins connue du grand public, mais qui n’est en reste pour les superprofits : CMA-CGM. Ce transporteur marseillais de conteneurs est pourtant l’entreprise française qui gagne aujourd’hui le plus d’argent. Son bénéfice s’élève à 24,9 milliards de dollars en 2022.

Un profit qui a avait déjà flambé en 2021, avec 17,9 milliards engrangés, alors que l’entreprise affichait des profits aux alentours de quelques centaines voire dizaines de millions dans les années 2010. Un bénéfice multiplié par près de… 100 !

Mais comment ces entreprises ont réussi à augmenter à ce point leurs bénéfices ? Pour les énergéticiens, à l’instar d’Engie ou TotalEnergies, rappelons que la crise des prix de l’énergie qui dure depuis plus d’un an n’est pas provoquée par une rareté de la ressource, ni par une hausse de son coût d’extraction, mais par une demande en hausse et des pays producteurs jouant avec le degré d’ouverture du robinet.

Schématiquement, les Etats ayant pétrole et gaz dans leurs sous-sols sont donc les premiers gagnants de cette crise. Mais les entreprises énergétiques se sont aussi servies une part du gâteau. TotalEnergies n’est pas un cas isolé : les bénéfices des majors pétrolières ExxonMobil, BP ou Shell enregistrent les mêmes variations.

D’accord pour l’énergie, mais quid d’un CMA-CGM qui ne fait que transporter un conteneur d’un port à un autre ? Pour le marseillais la raison est différente. Il s’agit d’une inversion du rapport de force entre les transporteurs et les industriels demandant à charger leurs marchandises.

Lors des premiers confinements, empêchés de sortir, les habitants des pays riches ont acheté en biens matériels ce qu’ils dépensaient en loisirs, déclenchant une demande accrue de conteneurs. Ensuite, sous l’effet de la désorganisation des flux de production avec les confinements successifs en Chine fermant terminaux portuaires et usines, la demande s’est encore accrue. Si bien que le prix d’un conteneur pour une distance donnée a enregistré des pics plus de dix fois supérieur au niveau d’avant Covid. Pourtant en face les coûts de production du service ont peu changé.

Attention à la marge

Une preuve s’il en était besoin : l’augmentation du taux de marge de ces secteurs a bondi, contrairement au reste de l’économie. L’Insee regroupe le secteur énergétique avec celui de l’eau et les déchets, mais l’évolution de la marge brute de ce secteur variant habituellement entre 53 % et 60 % a augmenté fin 2020 pour atteindre jusque 72 % en 2022. Idem pour le secteur des transports qui englobe le fret maritime avec une marge de 50 % en 2022, plus de 15 points au-dessus de son niveau d’avant crise !

Cela montre ainsi que leur prix ont davantage évolué que leurs coûts, et donc que nous sommes bien face à des superprofits : sous fond de crise, ces entreprises profitent de leur pouvoir de marché pour dicter leurs prix et améliorent donc leur rentabilité.

Face à cette situation, que faire ? Le gouvernement a longtemps feint d’ignorer le sujet : « les superprofits, je ne sais pas ce que c’est », répétait à l’été dernier Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie. Le discours a quelque peu changé à l’automne, puisque le même déclarait :

« Je ne veux pas qu’il y ait des énergéticiens […] qui puissent profiter de la situation, vendre à prix d’or de l’électricité, sans qu’il y ait à un moment donné l’Etat qui leur dise "là, vous prenez trop, on reprend cette rente qui est excessive et on la redistribue" ».

En réalité l’exécutif français a été poussé à intervenir par Bruxelles pour mettre en place une « contribution temporaire de solidarité ». Evitant le mot taxe ou impôt, la Commission européenne a mis sur pied deux dispositifs que les Etats membres doivent décliner obligatoirement au niveau national.

Le premier concerne le secteur électrique. Il impose un plafonnement de revenus aux entreprises productrices. Sans entrer dans les détails du fonctionnement du réseau électrique, l’idée est d’éviter que les opérateurs de centrale nucléaire, barrage hydraulique ou éolienne ne profitent de l’envolée du cours du gaz qui se répercute dans celui de l’électricité. Un mécanisme qui n’a que peu d’effets en France car le prix d’une grande partie du nucléaire et des renouvelables est déjà vendue à prix régulé.

Résultats de la taxation européenne

L’autre mécanisme imaginée par Bruxelles ressemble davantage à une taxe sur les superprofits. Est défini comme bénéfice exceptionnel, ce qui dépasse de 20 % la moyenne des profits des quatre dernières années. C’est sur ce surplus que la nouvelle taxe est basée, avec un taux de 33 % puisque Paris a retenu le minimum proposé par la Commission.

Ne sont cependant concernées que les entreprises énergétiques et, en leur sein, l’activité des filiales sur le sol national. Or le gros des profits dans l’énergie provient principalement des activités d’extraction, qui n’ont pas lieu en France. Dans l’Hexagone s’exerce le raffinage, dont la profitabilité était faible mais a explosé ces dernières années, et la distribution, qui a de faibles marges.

Mais alors combien ces contributions exceptionnelles ont-elles rapporté ? Dans ses comptes TotalEnergies indique à 1,1 milliard de dollars le montant de la facture des deux mécanismes européens sur tout le continent. De son côté, Engie a estimé à 900 millions d’euros le coût de ces mesures exceptionnelles en Europe. L’Italie, la France et la Belgique en sont les principales bénéficiaires.

Le chiffre global des recettes supplémentaires pour le fisc français n’est pas encore connu, et fait l’objet de plusieurs estimations divergentes, dont l’ordre de grandeur semble toutefois se situer autour de quelques centaines de millions d’euros. S’il est confirmé, l’effet de ces dispositifs apparaîtrait comme relativement faible. A titre de comparaison, le coût du seul bouclier tarifaire pour limiter la hausse du prix de l’électricité et du gaz en 2022 est de 24 milliards d’euros.

Surtout ces mécanismes sont à minima parcellaires, car l’entreprise qui enregistre le plus de bénéfice, CMA-CGM, n’est tout simplement pas concerné. Le secteur du transport maritime n’est d’ailleurs tout simplement pas soumis à l’impôt sur les sociétés : elles s’acquittent de la taxe au tonnage, un impôt fixé sur la capacité de transport de la compagnie qui ne tient pas compte de sa rentabilité. Avant même de parler de taxation des superprofits, le manque à gagner fiscal engendré par ce dispositif est de 3,8 milliards d’euros pour 2022.

Alors que l’inflation s’installe dans la durée dans le pays, ceux qui en profitent vont donc pouvoir continuer à en profiter sans être véritablement inquiétés.