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A la mémoire de Francisco Vergara, infatigable critique de la pensée libérale
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Bernard Guerrien rend hommage à l’économiste et philosophe Francisco Vergara, décédé en mars dernier.
L’économiste et philosophe Francisco Vergara est décédé en mars dernier. Né à Santiago, il a vécu dans plusieurs pays, notamment aux Etats-Unis, ce qui lui assurait une parfaite maîtrise de l’anglais, le conduisant à lire les textes originaux des auteurs classiques sur lesquels il a beaucoup travaillé. Il a étudié l’économie à Paris et y a travaillé comme chercheur et journaliste pour plusieurs médias.
Alternatives Economiques a publié plusieurs de ses articles, toujours très clairs et informés. Mais nous le considérions plus comme un économiste, un technicien de la comptabilité nationale et un historien de la pensée des auteurs libéraux qu’il connaissait sur le bout des doigts. Il faisait partie de ces personnalités compétentes, érudites, affables, disponibles et suscitant l’empathie, un mélange rare. L’économiste Bernard Guerrien lui rend hommage.
Christian Chavagneux
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Francisco Vergara (1945-2023) nous a quittés. Paisiblement, dans son sommeil. Il nous a laissé un site intitulé Economie et Philosophie, et un livre, Les fondements philosophiques du libéralisme (en accès libre sur internet) auquel Denis Clerc, directeur et fondateur d’Alternatives Economiques, avait consacré, au moment de sa parution, un éditorial très élogieux. Un éloge réitéré lors de sa réédition en 1999 :
« Il y a des livres qui, dès leur sortie, deviennent des classiques. C’est le cas de cet ouvrage, publié en 1992, dont les trois premiers chapitres ont été réécrits à l’occasion de cette réédition en format de poche [...] Dans un style facile à lire, voilà une plongée essentielle dans l’histoire des idées qui contribuent à façonner notre monde. »
Francisco Vergara montre en effet, dans ce livre, que tous les « grands » philosophes ayant vécu entre les XVIIe et XIXe siècles, dont se réclament d’une façon ou d’une autre la plupart des tenants du libéralisme, ont pour caractéristique commune de s’en tenir, dans leurs analyses et préconisations, à un, et un seul, critère éthique « suprême » qui l’emporte sur tout autre. Une cohérence qui explique pourquoi on étudie toujours ces auteurs de nos jours alors que tant d’autres ont été plus ou moins rapidement balayés par l’histoire.
Utilitarisme versus droit naturel
Vergara rappelle dans son livre que ces auteurs, qu’il appelle « libéraux classiques », se rangent dans deux grandes catégories, qui revendiquent deux doctrines éthiques différentes. D’une part, l’utilitarisme – qui fait du bonheur de la collectivité (à distinguer de la satisfaction des désirs) – son principe « premier » ou « suprême » ; d’autre part, le « droit naturel » qui réclame de protéger ces droits (la vie, la liberté, la propriété…).
On trouve du côté du premier Hume, Bentham, Smith, Ricardo, Mill père et fils, alors que Turgot, Kant, Paine, Condorcet et Jefferson pensent que les droits naturels priment sur le critère du bonheur collectif. Vergara rappelle que la plupart d’entre eux ne récusent pas l’« autre » critère – le droit naturel pour les premiers, le bonheur pour les seconds –, tout en le subordonnant à leur critère « premier ».
Vergara rend aussi compte de la richesse des débats entre courants mais aussi à l’intérieur de chacun d’entre eux, notamment sur l’application dans des « cas concrets » de leur critère éthique « premier ». Par exemple, chez les utilitaristes, la délicate question du sacrifice de quelques-uns (pouvant aller jusqu’à la mort) pour le bonheur « du plus grand nombre », alors que les tenants des droits naturels peinent à justifier l’origine et la hiérarchie de ces « droits ».
Ce qui explique que les réponses apportées à beaucoup de questions ont pu ainsi changer du tout au tout au cours du temps, comme ce fut le cas pour l’esclavage. En changeant le type d’argument, au vu de l’évolution de l’histoire et du contexte, mais en gardant toujours le même critère « premier », cohérence oblige.
Une cohérence qu’on ne retrouve pas chez ceux que Vergara appelle « les ultra libéraux », tel Friedrich Hayek, dont il montre l’éclectisme (certains diront l’opportunisme), consistant à utiliser quand ça l’arrange des arguments relevant du principe d’utilité (bonheur collectif), qu’il honnit pourtant par-dessus tout, ou du droit naturel, sans toutefois trop le dire ni entrer dans le débat sur l’origine et la justification de ces « droits ».
Les pages 168 à 172 des Fondements philosophiques du libéralisme sur Hayek sont un vrai régal pour l’esprit. Vergara montre aussi pourquoi les libéraux classiques ont considéré que la liberté ne peut servir de critère éthique « ultime », en dépit du fait qu’ils soient qualifiés de « libéraux ». Il profite de l’occasion pour égratigner un autre « ultra libéral » célèbre, Milton Friedman (pages 172 à 176).
On peut remarquer, de façon plus générale, que les Fondements comportent un index très détaillé qui permet de lire le livre par thèmes ou par auteur, ce qui est fort utile.
La « méthode Vergara »
L’œuvre de Francisco Vergara ne se réduit évidemment pas à son seul livre. Elle comporte un grand nombre d’articles, tous très intéressants, dont on trouvera les principaux sur son site. Tous ces articles ont un point commun : les auteurs dont il parle sont toujours cités, longuement si nécessaire. Ce qui peut sembler être la moindre des choses mais qui, très souvent, ne l’est pas, hélas !
Lire et relire des auteurs comme Smith, Bentham, Turgot, Condorcet, Mill comme l’a fait Vergara, demande énormément de temps et de réflexion. Ce que ne peut se permettre, par exemple, un jeune thésard pressé par le temps, qui prend alors l’habitude de se reporter sur des auteurs-commentateurs « faisant autorité » qui ont procédé de même quand ils étaient thésards, et ainsi de suite.
Avec, à la clé, la propagation de génération en génération d’idées fausses sur les auteurs évoqués mais non cités. Des idées qui sont entretenues par les « autorités » qui contrôlent souvent l’accès aux revues académiques et aux postes à l’université, et qu’il est donc risqué de contester. Vergara, qui n’aspirait à aucun poste de ce type – il n’a même pas cherché à devenir docteur ! – n’a toutefois pas hésité à le faire, en dépit des multiples obstacles dressés contre lui.
Il a ainsi montré que des auteurs considérés jusqu’alors comme des références incontournables – Louis Dumont et, surtout, Elie Halévy – travestissaient systématiquement, et de façon caricaturale, les thèses de ceux qu’ils n’aimaient pas – sans, évidemment, pratiquement jamais les citer, si ce n’est de façon tronquée. Il s’en prend tout particulièrement à leur façon de présenter l’utilitarisme en recourant à des vocables à connotation péjorative, tels que « utilitaire », tout en en proposant une théorie psychologique, selon laquelle l’homme serait foncièrement égoïste.
Au début des années 1990, lorsque Vergara a commencé à écrire, l’université française – philosophes, sociologues, économistes en tête – était littéralement infestée par ces idées, dont l’objectif était de susciter un profond dégoût pour leurs auteurs (Bentham étant particulièrement visé).
D’abord seul, il a réussi à attirer autour de lui de plus en plus de jeunes qui, maîtrisant mieux l’anglais que leurs professeurs et dont l’accès aux textes d’origine était énormément facilité par l’apparition d’internet, ont pu vérifier que ses critiques étaient totalement justifiées.
Vingt ans après, on pouvait constater que des (ex) « sommités » comme Halévy, Dumont, et tous leurs disciples-descendants, ont disparu pour toujours de la scène, totalement discrédités. On peut en rendre grâce, en bonne partie, à Vergara, du moins en ce qui concerne la France et sa « sphère de rayonnement ».
Lire les auteurs dans le texte demandant toujours beaucoup de temps et d’efforts, il est évidemment inévitable de voir resurgir de temps à autre des interprétations discutables et discutées, mais on peut espérer que ceux qui ont été formés à la « méthode Vergara » veilleront au grain en évitant qu’ils viennent polluer la pensée des nouvelles générations.
Vergara a eu une formation d’économiste. Il a ainsi rédigé, pendant de nombreuses années, l’article d’ouverture de l’ Etat du monde (La Découverte). Cela prenait la forme d’un article intitulé « Tableau de bord de l’économie mondiale », très apprécié par la pertinence de ses analyses sur la situation économique mondiale et ses perspectives. Analyses qui s’appuyaient, entre autres, sur une lecture attentive, mais aussi critique, des rapports des grandes organisations internationales (FMI, BM, BRI, notamment).
Les statistiques qu’il remettait à jour chaque année étaient devenues une référence pour les lycéens et les étudiants. Des extraits de textes de Vergara ont d’ailleurs été donnés à plusieurs reprises à commenter aux épreuves du bac (SES). Parmi les premiers à s’élever contre le thème de la dette publique, « fardeau des générations futures », revenu en force à la fin des années 1980. Il n’a cessé de dénoncer les chiffres grossièrement exagérés, dans les médias et par la plupart des économistes en vue, du montant des dépenses publiques dont il était un fin connaisseur.
On ne l’oubliera pas.
Vous pouvez retrouver ici les textes de Francisco Vergara publiés par Alternatives Economiques.